I (I.) Il reste à parler des pierres, la plus grande folie de notre temps, quand même nous ne dirions rien des pierreries, des succins, des cristaux et des murrhins. Tout ce dont nous avons traité jusqu'au présent livre peut paraître créé pour l'homme ; mais les montagnes, la nature les avait faites pour elle-même, afin de protéger par une sorte de construction les entrailles de la terre, afin de dompter la violence des fleuves, de briser les flots de la mer, et de contenir par ce qu'elle avait de plus dur les éléments les plus turbulents. Et nous, nous coupons en masses, nous les transportons sans autre intérêt que celui de nos plaisirs ; ces masses que jadis c'était une merveille d'avoir franchies. Nos aïeux regardaient presque comme un prodige le passage des Alpes par Hannibal et puis par les Cimbres. Maintenant ces monts sont taillés pour nous livrer mille espaces de marbre. On ouvre les promontoires à la mer ; on travaille à niveler le globe. Nous enlevons les barrières destinées à séparer les nations ; nous construisons des vaisseaux pour transporter des marbres ; et à travers les flots, le plus terrible élément de la nature, nous faisons voyager les cimes des montagnes : fureur plus pardonnable cependant que d'aller chercher jusque dans la région des nuages des vases pour rafraîchir les boissons, et d'aller creuser des roches voisines du ciel pour boire dans la glace. Qu'on réfléchisse, quand on entend dire le prix de ces choses, quand ou voit ces masses rouler et s'avancer, qu'on réfléchisse combien de gens vivent plus heureux sans ces superfluités. Pour quelle utilité ou pour quel plaisir les mortels se font-ils les agents ou plutôt les victimes de tant de travaux, si ce n'est afin de reposer entre des pierres tachetées ? comme si les ténèbres de la nuit ne privaient pas la moitié de la vie de cette sorte de jouissance !

II. En faisant ces réflexions, on est pris d'une grande honte même pour l'antiquité. Il existe des lois censoriales (VIII, 82), défendant de servir sur les tables des glandes de porc, des loirs, et autres délicatesses inutiles à mentionner ; et aucune n'a été rendue qui défendît d'importer des marbres et de traverser les mers pour cet objet. (II.) Mais, dira-t-on peut-être, c'est qu'alors on n'en importait point. Cela est faux. Du temps de l'édilité de M. Scaurus (XXXVI, 24) on vit porter trois cent soixante colonnes pour décorer un théâtre temporaire, destiné à servir un mois tout au plus ; et les lois se sont tues. C'était sans doute indulgence pour les plaisirs publics. Mais, justement, pourquoi cette indulgence ? par quel chemin les vices s'introduisent-ils plus que par le chemin public ? par quelle autre voie en effet les ivoires, l'or, les pierreries, ont-ils passé dans l'usage particulier ? Est-il rien qu'on ait réservé pour les dieux ? Mais soit, accordons qu'on ait eu de l'indulgence pour les plaisirs publics : pourquoi a-t-on gardé le silence lorsque d'énormes colonnes de marbre luculléen (XXXVI, 8), hautes de trente-huit pieds, furent placées dans l'atrium de Scaurus ? Et cela ne s'est fait ni en secret, ni à la dérobée ; l'entrepreneur des égouts publics ne fit donner caution pour le dommage que pouvait occasionner le transport de ces colonnes jusqu'au mont Palatin. A la vue d'un si mauvais exemple, n'était-ce pas le cas de veiller à la conservation des moeurs ? Cependant les lois se turent quand ces masses énormes, amenées dans une maison particulière, passèrent devant le faîte en argile (XXXVI, 43 et 46) des temples des dieux.

III. (III.) Et l'on ne dira pas que Scaurus, par une sorte de premier essai du vice, surprit la candeur d'une cité simple encore, et peu en garde contre de pareils maux. Déjà L. Crassus (XXII, 1), l'orateur, celui qui le premier eut des colonnes de marbre étranger sur ce même mont Palatin (elles étaient en marbre de l'Hymette, au nombre de six seulement, et n'avaient pas plus de douze pieds), L. Crassus avait été nommé à cause de cela, dans une querelle, par M. Brutus, la Vénus du Palatin. Sans doute nos pères ont passé par là-dessus, les moeurs étant vaincues ; et voyant que ce qui était défendu l'était vainement, à des lois inutiles, ils préférèrent l'absence de lois. Ceux qui viendront après nous démontreront que nous avons valu mieux que nos pères. Qui, en effet, a dans son atrium d'aussi énormes colonnes ? Mais avant de parler des marbres nous pensons devoir mettre sous les yeux la valeur des hommes qui les ont travaillés. Passons donc d'abord en revue les artistes.

IV. (IV.) Les premiers de tous qui se distinguèrent en sculptant le marbre furent Dipoenus et Scyllis, nés dans l'île de Crète. Les Mèdes avaient encore l'empire ; Cyrus n'avait pas commencé de régner en Perse : c'était par conséquent vers la cinquantième olympiade. Ils allèrent à Sicyone, qui fut longtemps la patrie de tous les ateliers en ce genre de travaux. Les Sicyoniens avaient fait prix avec eux pour des statues de dieux ; mais avant qu'elles fussent achevées, les artistes se plaignirent d'un tort, et se retirèrent chez les Etoliens. Aussitôt Sicyone fut affligée par la stérilité et la famine, et plongée dans la consternation. Les habitants demandant un remède, Apollon Pythien répondit que leurs maux cesseraient si Dipoenus et Scyllis achevaient les statues des dieux ; ce qu'on obtint à force d'argent et de soumissions. Ces statues étaient celles d'Apollon, de Diane, d'Hercule et de Minerve : cette dernière fut depuis frappée de la foudre.

(V.) Quand ces deux artistes parurent, il y avait déjà eu dans l'île de Chios, Melas, sculpteur, puis son fils Micciadès et enfin son petit-fils Archennus, dont les fils Bupalus et Athenis furent très célèbres dans cet art. Ces deux derniers étaient contemporains du poète Hipponax, qui a certainement vécu dans la soixantième olympiade. Si on fait le calcul en remontant dans cette famille jusqu'au bisaïeul, on trouvera que la sculpture a commencé avec l'ère des olympiades. Hipponax était remarquablement laid. Les deux artistes, par forme de plaisanterie, exposèrent son portrait à la risée du public ; Hipponax, indigné, distilla contre eux l'amertume de ses vers, si bien que, selon quelques-uns, ils se pendirent de désespoir : mais cela est faux. En effet, ils firent postérieurement nombre de statues dans les îles voisines, par exemple à Délos, mettant à ces ouvrages une inscription en vers, dont le sens était que Chios était fameuse non seulement par ses vignes (XIV, 9), mais encore par les oeuvres des fils d'Archennus. Les Lases montrent aussi une Diane de leur façon ; et à Chios même on a parlé d'une Diane faite par eux, qui est placée très haut, et dont le visage paraît sévère quand on entre et gai quand on sort. Il y a de leurs ouvrages à Rome sur le faîte du temple d'Apollon Palatin, et dans presque tous les monuments élevés par le dieu Auguste. Il y en eut aussi de leur père à Délos et à Lesbos. Les oeuvres de Dipoerus remplissaient Ambracie, Argos, Cléones. Tous ces artistes n'ont employé que le marbre blanc de Paros, nommé d'abord lychnites, parce que, dit Varron, on le taillait dans les carrières à la lumière des lampes. Depuis on en a découvert beaucoup d'autres plus blancs, et récemment encore dans les carrières de Lune. On rapporte de celui du Paros un fait merveilleux : dans un bloc qu'on fendit avec des coins, apparut une figure de Silène.

N'oublions pas de remarquer que la sculpture est de beaucoup antérieure (XXXV, 44) à la peinture et à la statuaire en airain ; que l'une et l'autre ont commencé à Phidias, dans la quatre-vingt-deuxième olympiade, c'est-à-dire environ trois cent trente-deux ans après. On dit que Phidias lui-même a travaillé le marbre, et qu'il y a de lui à Rome, dans les édifices d'Octavie (XXV, 37 et 40), une Vénus d'une merveilleuse beauté. Ce qui est certain, c'est qu'il fut le maître d'Alcamène (XXXIV, 19), Athénien, sculpteur des plus renommés. Il y a de ce dernier à Athènes beaucoup d'ouvrages dans les temples, et hors des murs une célèbre Vénus dite Vénus des Jardins : on dit que Phidias lui-même y mit la dernière main. Phidias eut aussi pour élève Agoracrite de Paros, qu'il aima à cause de sa jeunesse : c'est pourquoi on prétend qu'il mit plusieurs de ses propres ouvrages sous le nom de son élève. Les deux élèves concoururent ensemble pour une Vénus ; et Alcamène l'emporta, non par la supériorité de son oeuvre, mais par le suffrage de la ville, qui prit parti pour le concitoyen contre un étranger. Aussi dit-on qu'Agoracrite vendit sa figure sous condition qu'elle ne serait pas à Athènes, et qu'il la nomma Némésis ; elle fut placée à Rhamnonte (IV, 11), canton de l'Attique, et M. Varron a donné la préférence à cette statue sur toutes les autres. On voit encore dans la même ville, au temple de la Grande Mère, un ouvrage d'Agoracrite.

Chez tous les peuples auxquels est arrivée la renommée du Jupiter Olympien, Phidias (XXXIV, 19) est sans contestation un très illustre artiste. Mais, pour que ceux-là même qui n'ont pas vu ses ouvrages sachent qu'à raison il est loué, nous citerons de petites particularités qui montrent seulement combien il était ingénieux. Nous n'invoquerons pour cela ni la beauté du Jupiter Olympien, ni la grandeur de sa Minerve d'Athènes, qui a vingt-six coudées et qui est d'ivoire et d'or ; mais sur la face convexe du bouclier de la déesse il a gravé le combat des Amazones ; sur la partie concave de ce même bouclier, la bataille des dieux et des géants ; sur les semelles, celle des Lapithes et des Centaures : tant avec lui l'art se logeait dans les plus petits espaces. Il a nommé naissance de Pandore ce qu'il a gravé sur la base. Là sont vingt dieux naissants ; la Victoire surtout est admirable. Les connaisseurs admirent aussi le serpent, et, sous la lance même, le sphinx d'airain. Cela soit dit en passant d'un artiste qui n'est jamais assez loué ; cela soit dit aussi pour faire connaître que cette richesse de génie fut égale jusque dans les petites choses.

En parlant des statuaires, nous avons indiqué l'époque de Praxitèle (XXXIV, 19) qui, par la gloire de ces ouvrages de marbre, a surpassé jusqu'à lui-même. Il y a des ouvrages de lui à Athènes dans le Céramique. Mais avant toutes les statues non seulement de Praxitèle, mais de l'univers entier, est sa Vénus, qui a fait entreprendre à bon nombre de curieux le voyage de Cnide. Il en avait fait deux ; il les vendit ensemble : l'une était vêtue, et par cette raison fut choisie par les habitants de Cos, qui avaient le choix ; la seconde ne coûtait pas plus cher, mais ils crurent faire preuve de sévérité et de pudeur. Les Cnidiens achetèrent la statue rebutée : la différence est immense pour la réputation. Dans la suite le roi Nicodème voulut l'acheter des Cnidiens, promettant de payer toute leur dette publique, qui était énorme ; mas ils aimèrent mieux tout endurer, et avec raison ; car par cette figure Praxitèle a fait la gloire de Cnide. Le petit temple où elle est placée est ouvert de tous côtés, afin que la figure puisse être vue en tous sens, la déesse même y aidant, à ce qu'on croit. Au reste, de quelque côté qu'on la voie, elle est également admirable. Un individu, dit-on, se passionna pour elle, se tint caché pendant la nuit dans le temple, et se livra à sa passion, dont la trace est restée dans une tache. Il y a aussi à Cnide d'autres statues de marbre d'artistes célèbres : un Bacchus de Bryaxis, un autre Bacchus de Scopas, et une Minerve du même ; et ce qui ne prouve pas le moins en faveur de la Vénus de Praxitèle, c'est qu'au milieu de tels ouvrages on la cite seule. De Praxitèle est encore un Cupidon reproché à Verrès par Cicéron, celui-là même pour lequel on faisait le voyage de Thespies, et qui est maintenant dans les écoles d'Octavie (XXXV, 37). Du même est un autre Cupidon nu, placé à Parium, colonie sur la Propontide, aussi beau que la Vénus de Cnide, et outragé comme elle. Cette figure produisit le même effet sur les sens d'Alcétas de Rhodes, et une semblable trace d'amour y a été laissés. A Rome on possède de Praxitèle Flore, Triptolème, Cérès, dans les jardins Serviliens ; les statues du Bon Succès (XXXIV, 19) et de la Bonne Fortune, dans le Capitole ; des Ménades et celles qu'on appelle Thyades, des Caryatides, dans le même lieu ; un Silène, dans les monuments d'Asinius Pollion, un Apollon, un Neptune.

Céphisodote, fils de Praxitèle, fut héritier de son talent. Pergame possède de lui un groupe renommé de lutteurs, excellent ouvrage, où les doigts s'impriment plutôt sur un vrai corps que sur du marbre. A Rome ses ouvrages sont : une Latone, dans le temple du mont Palatin ; une Vénus, dans les monuments d'Asinius Pollion ; et dans le temple de Junon, à l'intérieur des portiques d'Octavie, un Esculape et une Diane.

Scopas est leur rival de gloire. Il a fait une Vénus, le Désir et un Phaéton, honorés à Samothrace des cérémonies les plus saintes. Il a fait aussi l'Apollon Palatin, une Vesta assise, fort estimée, et qui est dans les jardins Serviliens ; deux porte-flambeaux qui sont à côte d'elle ; les pareils sont dans les monuments d'Asinius Pollion, où sont aussi des Canéphores du même. Mais les plus renommés de ses ouvrages sont dans le temple de Cn. Domitius, au cirque Flaminius : Neptune, Thétis, Achille, les Néréides, assises sur des dauphins, des cétacés et des chevaux marins ; les Tritons, le cortège de Phoreus, des baleines et beaucoup d'autres figures marines toutes d'une même main ; ouvrage admirable, quand même il eût occupé la vie entière de l'artiste. Outre les ouvrages susdits et ceux que nous ne connaissons pas, il y a encore de lui un Mars colossal, assis, dans le temple de Brutus Callaïcus (vainqueur de la Gallicie), auprès du même cirque ; de plus, dans le même endroit, une Vénus nue antérieure à celle de Praxitèle, et qui ferait la gloire de tout autre lieu.

A Rome, il est vrai, elle est effacée par la multitude des ouvrages ; et de grandes masses de devoirs et d'affaires détournent chacun d'une telle contemplation. En effet, l'admiration de l'art demande le loisir et un lieu profondément silencieux. C'est par une raison de ce genre qu'on ignore l'auteur de cette Vénus consacrée par l'empereur Vespasien dans son temple de la Paix, et digne de la réputation des anciens temps. Même hésitation au sujet du groupe dans le temple d'Apollon Sosien, les enfants mourants de Niobé : est-il de Scopas ou de Praxitèle ? De même la statue de Janus consacrée dans le temple de ce dieu par Auguste et apportée d'Egypte, duquel de ces deux artistes est-elle ? Au reste, désormais l'or la recouvre. On se fait la même question sur le Cupidon tenant un foudre, dans la curie d'Octavie (XXXV, 37) : la seule chose qu'on affirme, c'est qu'il est le portrait d'Alcibiade, le plus beau des Athéniens à cet âge. Il y a dans ces écoles d'Octavie beaucoup d'ouvrages qui plaisent, quoique les auteurs en soient inconnus : quatre Satyres ; l'un porte sur ses épaules Bacchus revêtu de la palla (robe) ; l'autre porte semblablement la déesse Libera ; le troisième empêche un enfant de pleurer ; le quatrième donne à boire à un autre enfant dans une coupe ; et deux Zéphyres encore qui de leur souffle gonflent leurs vêtements. On n'est pas moins incertain sur les auteurs des figures placées dans les Clôtures [du champ de Mars], Olympus et Pan, Chiron et Achille ; et pourtant la renommée les juge assez belles pour que les gardiens en répondent sur la vie.

Scopas eut pour contemporains et pour rivaux Bryaxis, Timothée et Léocharès, desquels il faut parler en même temps, parce qu'ils ont travaillé ensemble au Mausolée : on appelle ainsi le tombeau érigé par Artémise à son mari Mausole, petit roi de Carie, mort l'an deux de la cent-sixième olympiade. C'est surtout grâce à ces artistes que cet ouvrage est compté entre les sept merveilles. Il a au midi et au nord soixante-trois pieds ; les fronts sont moins étendus. Le circuit est en tout de quatre cent onze pieds ; la hauteur est de vingt-cinq coudées. Il est entouré de trente-six colonnes. On l'a nommé Ptéron. Le côté du levant a été travaillé par Scopas ; celui du nord par Bryaxis ; du midi, par Timothée ; du couchant, par Léocharès. Avant l'achèvement, la reine mourut ; mais les artistes ne quittèrent pas leur ouvrage avant de l'avoir terminé, pensant que c'était là un monument de leur gloire et de celle de l'art. Aujourd'hui encore ces artistes se disputent la palme. Un cinquième y a aussi coopéré. Au-dessus de Ptéron est une pyramide aussi haute que l'édifice inférieur. Formée de vingt-quatre degrés en retraite, elle se termine par une plate-forme où est un quadrige de marbre fait par Pythis. Cette addition donna à tout l'ouvrage une hauteur de cent quarante pieds.

On a à Rome, de Timothée, une Diane placée sur le mont Palatin dans le temple d'Apollon ; Aulanius Evander en a refait la tête. On admire encore beaucoup un Hercule de Ménestrate, et une Hécube placée, à Ephèse, dans le temple de Diane, derrière le sanctuaire. Les gardiens du temple recommandent aux curieux de prendre garde à leur yeux en la regardant, tant est grand le rayonnement du marbre. On ne met pas au-dessous les Grâces qui sont dans les Propylées d'Athènes : elles ont été faites par un Socrate autre que le peintre (XXXV, 40, 12), le même selon quelques-uns. Quant au Myron (XXXV, 19, 2 et 8) qui s'est illustré dans le bronze, on a de lui à Smyrne une vieille femme ivre, ouvrage des plus renommés. Asinius Pollion, qui était d'un caractère vif et ardent, voulut aussi que ses édifices attirassent les regards ; il y plaça : les Centaures portant des Nymphes, d'Arcésilas ; les Thespiades, de Cléomène ; l'Océan et Jupiter, d'Eniochus ; les Appiades, de Stéphanus ; des Hermérotes, de Tauracus, non pas le ciseleur (XXXIII, 45), mais celui de Tralles ; un Jupiter Hospitalier, de Pamphile, élève de Praxitèle ; Zéthus, Amphion, Dircé, un taureau et le lion, tout cela d'un seul bloc de marbre : ce morceau, d'Apollonius et de Tauriscus, a été apporté de Rhodes. Ces deux artistes ont établi une rivalité entre leur père dans la sculpture et leur père naturel, déclarant que si Ménécrate semblait être leur père, leur père véritable était Artémidore. Dans le même lieu on vante un Bacchus d'Eutychidès. Au portique d'Octavie est un Apollon placé dans le temple de ce dieu, et oeuvre de Philiscus le Rhodien ; de plus, Latone, Diane, les neuf Muses, et un autre Apollon nu. L'Apollon qui, dans le même temple, tient une lyre, est de Timarchidès. A l'intérieur du portique d'Octavie, dans le temple de Junon, sont une statue de la déesse par Dionysius, une autre par Polyclès (XXXIV, 19, 3), une Vénus par Philiscus : les autres figures sont de Pasitélès. Le même Polyclès et le fils de Timarchidès Dionysius ont fait le Jupiter qui est dans le temple voisin. Le Pan et l'Olympus luttant, dans le même lieu, sont d'Héliodore ; c'est le second groupe de ce genre célèbre dans le monde. Dédale a fait une Vénus au bain, et Polycharme une Vénus debout. Par la place honorable que l'ouvrage de Lysias occupe, on soit combien il était estimé : le dieu Auguste, le consacrant à la mémoire de son père Octavius, le plaça sur le mont Palatin, au sommet de l'arc qu'il fit élever, dans une édicule entourée de colonnes : c'est un char à quatre chevaux, avec Apollon et Diane, le tout d'un seul bloc. Je lis qu'on vante l'Apollon de Calamis le ciseleur (XXXIV, 19, 22), les pugilistes de Dercylidès, et l'historien Callisthène d'Amphistrate, statues placées dans les jardins Serviliens.

Il n'y a pas beaucoup d'autres artistes en renom. Car, pour certains chefs-d'oeuvre faits en commun, le nombre des auteurs a été un obstacle à la réputation de chacun d'eux, un seul ne pouvant en recueillir toute la gloire, et plusieurs ne pouvant être cités au même titre : tel est le Laocoon, dans le palais de Titus, morceau préférable à toutes les productions soit de la peinture, soit de la statuaire ; il est d'un seul bloc, ainsi que les enfants et les replis admirables des serpents. Ce groupe a été fait de concert par trois excellents artistes, Agésandre, Polydore et Athénodore, Rhodiens. De même les palais des Césars sur le mont Palatin ont été remplis de statues magnifiques par Cratère associé à Pythodore, par Polydeucès associé à Hermolaus, par un autre Pythodore associé à Artémon : quant à Aphrodisius de Tralles, il travailla seul. Le Panthéon d'Agrippa a été décoré par Diogène d'Athènes, et les Caryatides qui sont aux colonnes de ce temple passent pour des chefs-d'oeuvre, ainsi que les statues posées sur le faîte : mais à cause de la hauteur, ces statues sont moins appréciées.

Sans honneur et exclu de tous les temples est l'Hercule, auquel les Carthaginois sacrifiaient tous les ans une victime humaine ; il est debout, à terre, au-devant de l'entrée du portique des Nations. Il y avait près du temple du Bonheur les statues des Thespiades, dont une, d'après Varron, inspira de l'amour au chevalier romain Junius Pisciculus. Elles sont admirées aussi par Pasitélès (XXXV, 45), qui a composé cinq livres sur les ouvrages les plus renommés dans tout l'univers. Cet artiste, né sur la côte grecque de l'Italie, et ayant reçu le droit de cité romaine avec les villes de cette contrée, a fait le Jupiter d'ivoire qui est dans le temple de Métellus, sur le chemin du champ de Mars. Se trouvant un jour au port où étaient des bêtes féroces d'Afrique, et regardant à travers les barreaux de la cage un lion qu'il figurait, il arriva qu'une panthère s'échappa d'une autre cage, au grand danger de cet artiste si scrupuleux. On dit qu'il a fait beaucoup d'autres ouvrages, sans spécifier nominativement quels ils sont.

Arcésilaus aussi (XXXV, 45) est vanté par Varron. Cet auteur rapporte avoir eu de lui une lionne de marbre et des Amours ailés jouant avec elle, les uns la tenant en laisse, les autres la faisant boire dans une corne, d'autres lui chaussant des brodequins ; le tout d'un seul bloc. Il dit aussi que les quatorze Nations, autour du théâtre de Pompées, sont de Coponius.

Je lis que Canachus, vanté parmi les statuaires en bronze (XXXIV, 19, 25), a fait des ouvrages en marbre. Il ne faut pas oublier non plus Sauras et Batrachus, Lacédémoniens, qui ont fait les temples renfermés dans les portiques d'Octavie. Quelques-uns pensent qu'ils étaient fort riches, et qu'ils avaient construit ces ouvrages à leurs dépens, espérant y inscrire leur nom, mais que, l'inscription leur ayant été refusée, ils y suppléèrent en un autre lieu et d'une autre façon : toujours est-il qu'aujourd'hui encore on voit gravés sur les tores des colonnes un lézard et une grenouille, emblèmes de leurs noms. Il est constant que dans le temple de Jupiter les peintures ainsi que tous les ornements se rapportaient au culte d'une déesse : voici comment : le temple de Junon étant achevé, les portefaix chargés du transport des figures se méprirent, dit-on ; par religion on laissa subsister l'erreur, comme si les dieux eux-mêmes eussent fait cet échange : aussi le temple de Junon offre-t-il, de son côté, les ornements qui devaient appartenir à Jupiter.

De petits ouvrages en marbre ont aussi donné de la réputation à leurs auteur : Myrmécidès, qui a fait un quadrige et le cocher couverts des ailes d'une mouche (VII, 21), et Callicrate, qui a fait des fourmis dont les ailes et les pattes échappent à la vue.

V. (VI.) Nous nous en tiendrons là sur les sculpteurs en marbre et sur les artistes les plus renommés. A ce propos je remarquerai que les marbres tachetés n'étaient point en vogue. On fit des statues en marbre de Thasos, l'une des Cyclades, et aussi en marbre de Lesbos ; celui-ci est un peu plus vide que l'autre. Le poète Ménandre, très fidèle peintre du luxe, est le premier qui ait parlé et encore rarement, des taches de diverses couleurs, et en général de l'emploi des marbres. On mettait des colonnes de ce genre dans les temples, non par une raison de magnificence (on n'y songeait pas encore), mais parce qu'on ne pouvait en trouver de plus solides. C'est ainsi que fut commencé à Athènes le temple de Jupiter Olympien, dont Sylla fit transporter les colonnes pour le Capitole. Cependant il y avait une distinction entre la pierre et le marbre, dès le temps d'Homère même. Le poète parle en effet du coup d'un bloc de marbre (Il, XVI, 735), mais il n'en dit pas davantage ; et dans les maisons royales les plus ornées, outre l'airain, l'or, l'électrum et l'argent, il ne signale que l'ivoire (XXXIII, 23). Les premiers marbres tachetés furent, je pense, trouvés dans les carrières de Chio ; les habitants les employèrent aux murs de leur ville, et ils s'attirèrent une plaisanterie de Cicéron ! Ils montraient à tout le monde ces murailles comme magnifiques : «J'admirerais bien plus, dit-il, que vous les eussiez faites en pierre de Tibur». Ce qu'il y a de certain, c'est que la peinture n'aurait pas été aussi honorée, ou plutôt ne l'aurait pas été du tout, si les marbres variés eussent été en vogue.

VI. Je ne sais s'il faut attribuer à la Carie l'invention de l'art de scier le marbre en tablettes. L'exemple le plus ancien de cette pratique, à ma connaissance, est fourni par le palais de Mausole à Halicarnasse : les murailles, en brique, sont recouvertes en marbre de Proconnèse. Mausole mourut la seconde année de la cent sixième olympiade, l'an de Rome 402.

VII. Le premier qui à Rome revêtit en marbre les murs de sa maison tout entière fut, au dire de Cornelius Népos, sur le mont Coelius, Mamurra, né à Formies, chevalier romain et préfet des ouvriers de Jules César dans les Gaules. Tel fut, pour que rien ne manque à l'indignité, l'homme qui donna l'exemple ; c'est en effet ce Mamurra déchiré par les vers de Catulle de Vérone : sa maison, en vérité, disait plus clairement que Catulle lui-même qu'il avait tout ce qu'avait eu la Gaule Chevelue. Le même Népos ajoute que Mamurra le premier eut toutes les colonnes de sa maison en marbre massif de Caryste (IV, 21, 2) ou de Lune.

VIII. M. Lépidus, consul avec Q. Catulus, fit, le premier, dans sa maison les seuils en marbre de Numidie, et il fut grandement blâmé. Son consulat tombe l'an de Rome 676. C'est la première trace que je trouve de l'importation du marbre numidique, non en colonnes toutefois ou en feuilles, comme il vient d'être dit pour le marbre de Caryste, mais en blocs et pour un très vil usage. Quatre ans environ après ce Lépidus, L. Lucullus, consul, donna, comme il paraît, son nom au marbre luculléen. Il était charmé de ce marbre, et le premier il l'introduisit dans Rome. Au reste, c'est un marbre noir, et dépourvu des taches ou des couleurs qui recommandent les autres. On le trouve dans l'île de Chio, et c'est presque le seul marbre qui ait été dénommé d'après un amateur. Entre les consulats de ces deux personnages se place, je pense, le théâtre de M. Scaurus avec ses murailles de marbre. Je ne saurais dire si elles étaient en marbre plaqué ou en marbre massif et poli, comme est aujourd'hui le temple de Jupiter Tonnant dans le Capitole ; car je ne trouve jusqu'alors aucune trace de marbre plaqué en Italie.

IX. Mais, quel que soit l'inventeur de l'art de scier le marbre et de multiplier ainsi le luxe, il fut ingénieux inopportunément. Le sciage se fait par le sable, et paraît se faire par le fer : la scie ne fait que presser le sable dans un sillon très fin, et c'est en le promenant dans ce sillon qu'elle coupe. Le sable d'Ethiopie est le plus recherché pour cette opération : car, grief de surcroît, il faut aller chercher en Ethiopie de quoi tailler un marbre, que dis-je ? jusque dans l'Inde, où la sévérité des anciennes moeurs trouvait indigne d'aller chercher même les perles. Ce sable de l'Inde est au second rang ; l'autre est plus doux ; il fait la tranche sans rien de raboteux, au lieu que le sable indien donne une tranche moins unie : mais on recommande aux polisseurs de frotter le marbre avec ce dernier sable calciné. Le sable de Naxos a le même défaut, ainsi que le sable de Coptos, dit sable d'Egypte. Tels furent les sables que les anciens employèrent à scier le marbre. Depuis on a trouvé un sable non moins bon dans un bas-fond de la mer Adriatique, qui est à sec à marée basse seulement ; ce qui l'a rendu difficile à découvrir. Au reste, la fraude des ouvriers s'est enhardie à scier avec toutes sortes de sable de rivière indifféremment. Très peu de propriétaires reconnaissent le tort qu'on leur fait ainsi. En effet, un sable plus gras fait un trait plus large, détruit plus de marbre et laisse plus de travail à faire au polissage, qui de la sorte fait perdre aux feuilles de leur épaisseur. On donne le dernier poli avec le sable thébaïque, et avec un sable fait de la pierre poreuse ou de la pierre ponce.

X. (VII.) Pour polir les statues de marbre ainsi que pour tailler et user les pierres précieuses on a longtemps donné la préférence à la pierre naxienne : on appelle ainsi une pierre à aiguiser qu'on trouve dans l'île de Chypre ; depuis, la vogue a passé aux pierres à aiguiser qui viennent d'Arménie.

XI. Les marbres sont trop connus pour qu'il importe d'en énumérer les variétés et les couleurs, et trop nombreux pour que cela soit facile. Quel est le lieu, en effet, qui n'ait pas son marbre particulier ? Au reste, nous avons indiqué les variétés les plus célèbres dans nos livres géographiques. Tous pourtant ne se forment pas dans les carrières ; plusieurs sont épars aussi à la surface du sol, et quelques-uns même des plus précieux, comme le marbre lacédémonien vert, le plus gai de tous, comme aussi l'augustéen et ensuite le tibérien trouvés pour la première fois en Egypte, sous les règnes d'Auguste et de Tibère. Ces deux marbres différent de l'ophite en ce que l'ophite a des taches semblables à celles des serpents, d'où lui vient le nom qu'il porte, et différent entre eux en ce qu'ils ont les taches disposées différemment, l'augustéen les ayant ondoyantes et en boucles, le tibérien les ayant blanches, disséminées, et non disposées en boucles. On n'a en ophite que des colonnes extrêmement petites. Il y en a deux variétés, l'une blanche et tendre, l'autre dure et tirant sur le noir. On dit que, portées en amulette, toutes deux guérissent les douleurs de tête et les morsures des serpents. Quelques-uns recommandent l'ophite blanc, porté en amulette contre la phrénitis et le léthargus ; mais contre les serpents d'autres vantent de préférence l'ophite appelé téphrias, à cause de sa couleur cendrée. Il est aussi un marbre memphite appelé ainsi du lieu où on le trouve ; il a de l'analogie avec les pierres précieuses. Pour s'en servir, on le broie et on l'applique avec du vinaigre sur les parties à cautériser ou inciser : la partie s'engourdit, et ne sent pas la douleur. Le porphyrite, que produit aussi l'Egypte, est rouge. Celui qui est parsemé de points blancs se nomme leptopsepsos. Les carrières peuvent fournir des blocs des plus grandes dimensions. Vitrasius Pollion, procurateur de l'empereur Claude, fit venir d'Egypte à Rome, pour le prince, des statues de cette pierre, innovation qui ne fut guère goûtée ; toujours est-il que personne ne l'a imitée. Les Egyptiens aussi ont trouvé en Ethiopie la pierre qu'ils nomment basanite (XXXVI, 38), et qui a la couleur et la dureté du fer, d'où le nom qu'ils a été donné (basanos, pierre de touche). On n'en a jamais vu de bloc plus gros que celui qui a été dédié par l'empereur Vespasien Auguste dans le temple de la Paix ; il représente le Nil avec enfants qui jouent alentour, symbole de seize coudées, auxquelles doit parvenir le Nil dans sa crue la plus avantageuse. On raconte qu'il se trouve à Thèbes, dans le temple de Sérapis, un bloc assez semblable, consacré, pense-t-on à la statue de Memnon, qu'on dit rendre un son au contact des rayons du soleil levant.

XII. Nos anciens ont pensé que l'onyx se trouvait seulement dans les montagnes de l'Arabie, mais Sudines savait, qu'il s'en trouve aussi en Campanie : on en a fait d'abord des vases à boire, puis des pieds de lit et des sièges. Cornélius Népos rapporte que grand fut l'étonnement quand P. Lentulus Spinther (an de Rome 691) montra des amphores en onyx aussi grandes que des barils de Chio : «Cinq ans après, ajoute-t-il, j'ai vu des colonnes de cette matière hautes de trente-deux pieds». Plus tard on en rabattit ; car quatre médiocres colonnes furent placées par Cornéllus Balbus (an de Rome 741) dans son théâtre, comme une merveille remarquable. Pour nous, nous en avons vu trente plus grandes dans la salle à manger qu'avait fait construire Calliste (XXXIII, 47), cet affranchi de Claude, connu par son pouvoir. (VIII.) Quelques-uns nomment cette pierre alabastrite (XXXVII, 54) ; on en fait des vases à parfums, parce qu'elle passe pour les préserver de toute corruption (XIII, 3). Calcinée, elle entre dans les emplâtres. On la trouve aux environs de Thèbes d'Egypte et de Damas de Syrie. Celle de Damas est plus blanche que les autres. On a donné la palme entre tous les albâtres à celui de la Carmanie, puis à celui de l'Inde, et finalement à ceux de Syrie et d'Asie. Le plus commun est celui de la Cappadoce, dépourvu de tout éclat. On recherche le plus les albâtres couleur de miel, qui ont des taches disposées en tourbillons, et qui ne sont point transparents. On regarde comme défectueux la couleur de corne, le blanc, et tout ce qui se rapproche du verre.

XIII. Plusieurs pensent que pour la conservation des parfums l'albâtre ne l'emporte guère sur les pierres lygdines trouvées à Paros. La grosseur de ces pierres ne dépasse jamais le volume d'un plat ou d'une coupe. Autrefois il n'en venait que d'Arable ; elles sont d'un blanc admirable.

On fait encore grand cas de deux pierres de nature contraire : la coralitique, trouvée en Asie, en blocs de deux coudées au plus, est d'un blanc approchant de l'ivoire, et a quelque ressemblance avec cette substance ; l'alabandique, au contraire, est noire ; elle est ainsi nommée du lieu qui la produit, quoiqu'il en vienne aussi à Milet : elle est d'un noir tirant sur le pourpre. Fusible au feu, elle est employée dans la composition du verre. La pierre thébaïque, parsemée de gouttes d'or, se trouve dans la partie de l'Afrique appartenant à l'Egypte ; les molettes qu'elle fournit sont, par leurs qualités physiques, très propres à broyer les ingrédients des collyres. Aux environs de Syène de la Thébaïde est la pierre syénite, qu'on nommait autrefois pyrrhopoecile.

XIV. Les rois ont comme à l'envi fait avec cette pierre des espèces de soliveaux qu'ils ont appelés obélisques, et consacrés à la divinité du Soleil. En effet, ces obélisques représentent les rayons de l'astre, et c'est aussi ce qu'exprime le nom égyptien. Le premier de tous, Mesphrès, qui régnait dans la ville du Soleil, éleva un pareil monument ; ce fut sur l'ordre d'un songe : cela même est écrit sur l'obélisque ; car les gravures et les figures que nous y voyons sont des lettres égyptiennes. Puis d'autres rois en firent tailler : de ces obélisques, Sothis en dressa dans la même ville quatre, hauts de quarante-huit coudées ; Rhamsès, celui qui régnait à l'époque de la prise de Troie, un de cent quarante coudées. Le même prince, ayant quitté le lieu où était le palais de Mnévis, érigea un autre obélisque haut de cent vingt coudées, mais d'une grosseur prodigieuse, les faces ayant onze coudées. (IX.) On dit que cent vingt mille hommes furent employés à ce travail. Quand il s'agit de dresser l'obélisque, le roi, craignant qu'on n'employât pas des machines assez fortes pour le poids, et voulant accroître le péril pour accroître la vigilance des ingénieurs, fit attacher son propre fils au sommet, afin que le salut du prince profitât en même temps à la pierre. Ce monument a toujours excité l'admiration, et quand le roi Cambyse força la ville, les incendies étant arrivés jusqu'au pied de l'obélisque, ce prince ordonna de les éteindre, et eut pour cette masse énorme des égards qu'il n'avait pas eus pour la ville.

Il y a encore deux autres obélisques érigés l'un par Zmarrès, l'autre par Raphius, sans caractères inscrits, et hauts de quarante-huit coudées. Ptolémée Philadelphe en érigea un de quatre-vingts coudées à Alexandrie ; le roi Necthébis l'avait fait tailler sans caractères inscrits, et c'était une opération bien plus difficile de le transporter et de le dresser, que de le tailler. Quelques-uns rapportent qu'il fut amené sur un radeau par l'architecte Satyrus ; Cailixenus dit qu'il le fut par Phoenix. On amena par un canal le Nil jusqu'à l'obélisque couché ; deux bateaux larges, portant en blocs d'un pied de la même pierre que l'obélisque, un chargement double de sa masse, et par conséquent de son poids, furent conduits sous le monument, qui reposait par ses deux extrémités sur les deux rives du canal ; puis on ôta les blocs de pierre : les deux bateaux se relevèrent, et se chargèrent du fardeau qui leur était destiné. On le posa sur six dés taillés dans la même montagne, et l'artiste reçut en don cinquante talents. Cet obélisque fut placé par le roi susdit dans l'Arsinoeum, en témoignage de son amour pour sa femme Arsinoé, qui était aussi sa soeur. Plus tard, comme il gênait le port, Maxime, préfet d'Egypte, le fit transporter sur la place publique, après en avoir retranché le sommet, voulant y substituer un faîte doré, intention qui resta sans effet.

Il y a encore à Alexandrie, près du port, dans le temple de César, deux obélisques de quarante-deux coudées, taillés par le roi Mesphrès. L'entreprise la plus difficile, ce fut de faire venir des obélisques à Rome. Les vaisseaux qu'on y employa ont eux-mêmes excité l'admiration. Le dieu Auguste avait consacré à perpétuité, à Pouzzoles, dans le port, comme un monument merveilleux, le vaisseau qui apporta le premier obélisque ; mais ce vaisseau fut détruit par un incendie. Quant à celui que l'empereur Caligula avait employé pour transporter l'autre obélisque, il fut conservé pendant quelques années, c'était le bâtiment le plus merveilleux qu'on ait jamais vu en mer : le dieu Claude le fit venir à Ostie après avoir élevé dessus des tours en terre de Pouzzoles (XXXV, 47), et le coula dans l'intérêt du port qu'il construisait. Puis il fallut faire d'autres bâtiments pour conduire l'obélisque par le Tibre, ce qui donna lieu de connaître que ce fleuve n'a pas moins d'eau que le Nil.

L'obélisque dressé par le dieu Auguste dans le grand Cirque avait été taillé par le roi Semenpsertée, sous le règne duquel Pythagore voyagea en Egypte : il a quatre-vingt-cinq pieds et neuf pouces, non compris la base, qui est de la même pierre. Celui qu'il a mis dans le champ de Mars a neuf pieds de moins ; il a été taillé sous Sésostris. Tous deux, chargés d'inscriptions, contiennent l'interprétation des choses de la nature selon la philosophie des Egyptiens.

XV. (X.) De celui qui est dans le champ de Mars le dieu Auguste fit une admirable application : pour marquer l'ombre projetée par le soleil, et reconnaître ainsi les longueurs des jours et des nuits, on étendit un lit de pierre dans un tel rapport avec l'obélisque, que l'ombre fût égale à ce lit le jour du solstice d'hiver, à midi ; puis, pour chaque jour, l'ombre subissait des décroissements et, plus tard, des accroissements correspondants à des règles d'airain incrustées dans la pierre : construction mémorable, et digne du génie fécond du mathématicien Novus. Celui-ci plaça au haut de l'obélisque une boule dorée dont l'ombre se ramassait sur elle-même, au lieu que l'ombre projetée par la pointe même s'étendait énormément : on dit que ce procédé lui fut suggéré par l'aspect de la tête humaine. Au reste, depuis trente ans environ, les observations ont cessé d'être justes ; soit que le soleil lui-même ait changé son cours par quelque dérangement survenu dans le ciel ; soit que la terre entière ait été un peu déplacée de son centre, comme j'entends dire qu'on l'a remarqué aussi en d'autres lieux ; soit que des tremblements de terre bornés à Rome aient fait fléchir le gnomon ; soit que les inondations du Tibre aient fait tasser les fondements de l'obélisque, quoiqu'on prétende que ces fondements sont aussi profonds que l'aiguille est haute.

(XI.) Le troisième obélisque à Rome [celui de Caligula] est au Vatican, dans le cirque de Caligula et de Néron. C'est le seul qui ait été fracturé quand on le dressa ; il a été fait par Nuncorée, fils de Sésosis. Il en reste un autre du même prince, de cent coudées de haut, que, sur l'ordre d'un oracle, il consacra au Soleil, après savoir perdu et recouvré la vue.

XVI. (XII.) En passant, parlons aussi des pyramides de cette même Egypte, oiseuse et folle ostentation de la richesse de ses rois. En effet, disent la plupart, les rois n'eurent, pour les construire, d'autre motif que de ne pas donner l'argent à des successeurs ou à des rivaux complotant, ou de ne pas laisser le peuple dans l'inaction. La vacuité des Egyptiens s'est beaucoup exercée en ce genre de construction, et il existe des restes de nombre de pyramides demeurées imparfaites. Une pyramide se voit encore dans le nome Arsinoïte ; deux dans le nome Nemphitique, non loin du labyrinthe, duquel aussi nous parlerons (XXXVI, 19) ; deux, dans l'emplacement où fut le lac de Moeris (V, 9), cet immense étang creusé de main d'homme, et cité par les Egyptiens parmi les travaux merveilleux et mémorables : on dit que les sommets en sont apparents au-dessus de l'eau. Les trois autres, dont la renommée a rempli l'univers, et qui véritablement sont en vue de toutes parts pour les navigateurs du fleuve, sont situées dans la partie africaine, sur une montagne pierreuse et stérile, entre la ville de Memphis et ce que nous nous dit être nommé Delta, à moins de quatre mille pas du Nil, à sept mille cinq cents pas de Memphis, auprès du bourg nommé Busiris, dont les habitants sont habitués à grimper jusqu'à leur cime.

XVII. Au-devant d'elles est le sphinx, plus admirable peut-être, sur lequel on a gardé le silence, et qui est la divinité locale des habitants. Ils pensent que c'est le tombeau du roi Armaïs, et prétendent qu'il a été amené là : mais ce n'est que le roc même travaillé sur place ; et pour le culte on peint en rouge la face du monstre. La circonférence de la tête, par le front, est de cent deux pieds ; le corps est long de cent quarante-trois, et, depuis le ventre jusqu'au sommet de la tête, haut de soixante-deux pieds.

La plus grande pyramide est en pierre d'Arabie. On dit que trois cent soixante mille hommes y ont travaillé pendant vingt ans, et que les trois furent terminées en soixante-dix huit ans et quatre mois. Ceux qui ont écrit sur les pyramides sont Hérodote, Evhémère, Dura de Samos, Aristagoras, Dionysius, Artémidore, Alexandre Polyhislor, Butorides, Antisthènes, Demétrius, Demotélès, Apion. Entre tous ces auteurs il y a désaccord sur ceux qui ont fait les pyramides, le sort, en cela très juste, ayant fait oublier les noms des promoteurs d'oeuvres aussi vaines. Quelques-uns de ces écrivains ont rapporté que 1600 talents avaient été dépensés pour les navets, les aulx et les oignons. La plus grande pyramide occupe huit jugères de terrain ; les quatre angles sont à égale distance, la largeur de chaque côté étant de huit cent quatre-vingt-trois pieds. La hauteur, du sol au sommet, est de sept cent trente-cinq. La plate-forme du sommet a seize pieds et demi de pourtour. Les quatre faces de la seconde ont chacune sept cent vingt-sept pieds et demi. La troisième est moindre que les deux précédentes, mais elle est beaucoup plus belle. Construite en pierre d'Ethiopie, elle s'élève ayant entre les angles trois cent soixante-trois pieds. Il ne reste aux environs aucune trace de construction. C'est un sable fin tout autour, à grains lentiformes, et tel qu'on en voit dans la majeure partie de l'Afrique. Un difficile problème, c'est de savoir comment les matériaux ont été portés à une si grande hauteur : selon les uns, on éleva des monceaux de nitre et de sel à mesure que la construction avançait, et quand elle fut terminée, on les fit fondre en amenant les eaux du Nil. Selon d'autres, on creva des ponts en briques faites en terre, qu'on répartit, l'édifice achevé, entre les maisons des particuliers ; car, disent-ils, le Nil n'a pu être amené là, étant beaucoup plus bas. Dans la plus grande pyramide est un puits de quatre-vingt-six coudées ; on pense qu'il reçut l'eau du fleuve. Le moyen de mesurer la hauteur des pyramides et autres édifices semblables, fut trouvé par Thalès de Milet : il mesura l'ombre à l'heure où elle est égale aux corps. Telles sont ces merveilleuses pyramides. Et enfin, pour qu'on ne s'extasie pas sur l'opulence des rois, la plus petite, mais la plus célèbre, a été construite par une courtisane, par Rhodope. Cette femme partagea l'esclavage et la couche d'Esope le fabuliste ; et la plus grande merveille, est qu'une courtisane ait pu, à son métier, amasser de si grandes richesses.

XVIII. Un autre monument qu'on vante, c'est la tour faite par un roi dans l'île de Pharos, à l'entrée du port d'Alexandrie. Elle coûta, diton 800 talents (3.936.000 fr.). A ce propos je ne dois pas omettre la magnanimité du roi Ptolémée, qui permit à l'architecte Sostrate de Cnide d'inscrire son nom sur l'édifice même. Ce phare sert à signaler par son feu aux navires, dans leur marche nocturne, les bas-fonds et l'entrée du port. De pareils feux sont allumés aujourd'hui en divers lieux, tels qu'Ostie et Ravenne. Le risque est de prendre pour une étoile ces feux non interrompus, parce que de loin ils en ont l'aspect. C'est ce même architecte qui passe pour avoir le premier exécuté un promenoir suspendu, lequel est à Cnide.

XIX. (XIII.) Parlons aussi des labyrinthes, l'ouvrage peut-être le plus prodigieux auquel les hommes aient employé l'argent, et nullement chimérique, comme on pourrait l'imaginer. On voit encore en Egypte, dans le nome d'Héracléopolis, un labyrinthe, le plus ancien de tous, et construit, dit-on, il y a quatre mille six cents ans par le roi Petésuccus ou Tithoes. Cependant Hérodote dit que c'est l'ouvrage de douze rois, dont Psammétique resta le dernier. On ne convient pas de la cause qui le fit bâtir. Démotélès prétend que c'était le palais de Mothérudes ; Lycéas en fait le tombeau du roi Moeris ; plusieurs disent que c'est un monument consacré au Soleil, opinion qui est la plus généralement reçue.

Que Dédale ait pris modèle sur ce labyrinthe pour faire celui de Crète, cela n'est pas douteux ; mais il n'en reproduisit que la centième partie, c'est-à-dire celle qui renferme des circuits, des rencontres et des détours inextricables. Il ne faut pas, le comparant à ce que nous voyons sur les pavés en mosaïque, ou dans les campagnes artificielles livrées aux jeux des enfants, y voir un espace étroit, où l'on peut faire plusieurs milliers de pas en se promenant ; mais il faut entendre un édifice offrant des portes nombreuses et de fausses issues qui ramenait sans cesse sur ses pas le visiteur égaré. Ce labyrinthe est le second, celui d'Egypte étant le premier. Le troisième est celui de Lemnos ; le quatrième, celui d'Italie. Tous sont couverts de voûtes en pierre polie ; à l'entrée de celui d'Egypte, ce qui me surprend, les colonnes sont en marbre de Paros, dans le reste en marbre syénite. La construction est si solide, qu'elle défie l'action des siècles, même aidée des Héracléopotitains, qui ont singulièrement ravagé cet ouvrage détesté. En détailler la position et les diverses parties est impossible. En effet, il est partagé en régions et en préfectures qu'on appelle nomes. Ces nomes sont au nombre de seize, et autant de vastes palais y sont attribués. En outre, il renferme des temples de tous les dieux de l'Egypte, quinze chapelles de Némésis, plusieurs pyramides de quarante coudées, dont la base occupe six aroures. Déjà fatigué de marcher, le visiteur arrive à l'inextricable entrecroisement des routes. On trouve des salles sur des montées, des portiques d'où l'on descend par quatre-vingt-dix degrés ; au dedans. des colonnes de porphyre, des figures de dieux, des images de rois, des effigies monstrueuses. Quelques-uns des palais sont tellement disposés, qu'au moment où l'on en ouvre les portes, un bruit terrible de tonnerre éclate à l'intérieur. La majeure partie de ces édifices se traverse dans les ténèbres. En dehors du mur des labyrinthes, s'élèvent d'autres masses d'édifices qu'on nomme ptéron. Puis encore sont des demeures souterraines où l'on arrive par des galeries. Un seul personnage a fait à ce labyrinthe quelques réparations, c'est Circummon, eunuque du roi Necthebis, cinq cents ans avant Alexandre le Grand. On dit aussi que, tandis que les voûtes en pierres carrées s'élevaient, il les faisait soutenir par des poutres d'épine (XXIV, 65) bouillies dans de l'huile. En voilà assez sur les labyrinthes d'Egypte et de Crète.

Celui de Lemnos est semblable ; seulement il est plus remarquable, à cause de ses cent cinquante colonnes, dont les fûts dans l'atelier étaient si parfaitement suspendus, qu'un enfant suffisait pour faire aller le tour où on les travaillait. Il a été construit par les architectes Smilis, Rhoecus et Théodore. Il en subsiste encore aujourd'hui des restes, misérables il est vrai: mais ceux de Crète et d'Italie ont complètement disparu.

Quant à ce dernier, que Porsenna, roi d'Etrurie, s'était fait construire pour lui servir de tombeau, il convient d'en parler. On verra que la vanité des rois étrangers est surpassée par cela des rois d'Italie. Mais comme l'invraisemblance passe toutes les bornes, nous emprunterons, pour le décrire, les paroles mêmes de M. Varron : «Porsenna, dit-il, fut enseveli au-dessous de la ville de Clusium, dans le lieu où il avait fait construire un monument carré en pierres carrées. Chaque face est longue de trois cents pieds, haute de cinquante. La base, qui est carrée, renferme un labyrinthe inextricable. Si quelqu'un s'y engageait sans un peloton de fil, il ne pourrait retrouver l'issue. Au-dessus de ce carré sont cinq pyramides, quatre aux angles, une au milieu, larges à leur base de soixante-quinze pieds, hautes de cent cinquante ; tellement coniques qu'à leur sommet toutes portent un globe d'airain, et un chapeau unique auquel sont suspendues, par des chaînes, des sonnettes qui, agitées par le vent, rendent un son prolongé, comme jadis à Dodone. Au-dessus du globe sont quatre autres pyramides, hautes chacune de cent pieds». Par-dessus ces dernières pyramides et sur une plate-forme unique étaient cinq pyramides, dont Varron a eu honte de marquer la hauteur. Celte hauteur, suivant les tables étrusques, était la même que celle du monument tout entier. Quelle vaine démence de chercher la gloire par des dépenses qui ne doivent servir à personne, et d'épuiser en outre les ressources d'un royaume pour un honneur dont, en définitive, la plus grande part retient à l'artiste !

XX. (XIV.) Nous lisons aussi qu'à Thèbes d'Egypte un jardin, que dis-je ? la ville tout entière était suspendue, les rois pouvant, par-dessous, faire sortir des armées sans qu'aucun habitant s'en aperçut. Ce qui augmente cette merveille, c'est que le fleuve traverse la ville par le milieu. Mais s'il en eût été ainsi Homère sans aucun doute en aurait parlé, lui qui a célébré les cent portes de Thèbes.

XXI. Un monument de la magnificence grecque digne d'une véritable admiration, c'est le temple de Diane à Ephèse, élevé en deux cent vingt ans par toute l'Asie. On l'assit sur un sol marécageux pour le mettre à l'abri des tremblements de terre et des crevasses qu'ils produisent. D'un autre côté, pour que les fondements d'une masse aussi considérable ne posassent pas sur un terrain glissant et peu solide, on établit d'abord un lit de charbon broyé et de la laine par-dessus. Le temple entier a quatre cent vingt-cinq pas de long et deux cent vingt de large, cent vingt-sept colonnes faites par autant de rois, hautes de soixante pieds. De ces colonnes, trente-six sont sculptées ; une l'a été par Scopas. L'architecte qui présida à l'ouvrage fut Chersiphron. Le grand prodige dans cette entreprise, c'est d'avoir élevé si haut les architraves ; il en vint à bout avec des sacs pleins de sable, qu'il dressa en un plan incliné dépassant le sommet des colonnes ; puis il vida peu à peu les sacs inférieurs, et les architraves vinrent insensiblement s'asseoir en leur place. La plus grande difficulté fut au frontispice même, qu'il plaçait au-dessus de la porte d'entrée. C'était une masse énorme ; elle ne se posa pas d'aplomb ; l'artiste, désespéré, songeait à se donner la mort : on dit que, tourmenté par ces pensées et fatigué, il aperçut pendant la nuit, en songe, la déesse pour laquelle se faisait le temple, et qui l'exhorta à vivre, lui annonçant qu'elle avait arrangé la pierre. En effet, le lendemain la promesse se trouva accomplie, et la pierre semblait s'être mise d'aplomb par son propre poids. Les autres ornements du temple rempliraient par leurs descriptions plusieurs livres; mais ils n'ont rien de commun avec l'histoire de la nature.

XXII. (XV.) Il subsiste aujourd'hui même à Cyzique un temple en pierres polies, dans lequel l'artiste a mis sous tous les joints du fil d'or, se proposant de consacrer à l'intérieur un Jupiter d'ivoire, couronné par un Apollon de marbre. Et, en effet, les joints brillent par ces très minces filets ; et l'or, quoique ainsi dissimulé, donne un léger reflet qui, outre le mérite de l'artiste, rehausse les figures, et se fait sentir dans le prix de l'ouvrage.

XXIII. Dans la même ville est une pierre dite fugitive. Les Argonautes, qui s'en servaient en guise d'ancre, l'y ont laissée. Cette pierre, qui s'est souvent enfuie du Prytanée (ainsi se nomme le lieu où elle est) a été finalement scellée avec du plomb. Dans cette ville encore, auprès de la porte nommée Trachia, sont sept tours qui répètent un grand nombre de fois la voix qui les frappe. Ce phénomène, que les Grecs ont nommé écho, tient à la configuration des lieux, et se produit particulièrement dans les vallons. L'écho à Cyzique est l'effet d'un hasard; mais à Olympie il y a un écho artificiel et merveilleux dans un portique qu'on nomme Heptaphonon, parce qu'il répète sept fois la voix. A Cyzique aussi est le Buleutérion (sénat), vaste édifice sans une seule cheville de fer, la charpente étant tellement disposée, que, sans étais, on ôte et replace les poutres. Cette même disposition existe à Rome dans le pont Sublicius ; et on en a fait un point de religion, depuis qu'on eut tant de peine à le rompre pendant qu'Horatius Coclès (XXXIV, 11,2) en défendait l'abord.

XXIV. Mais il convient enfin de passer aux merveilles de notre ville, d'examiner ce qu'ont produit les forces et la docilité de huit cents ans, et de montrer que là encore l'univers est vaincu. Autant pour ainsi dire de victoires pour Rome, on le verra, que de merveilles citées ; mais si l'on en considère la totalité, si on en fait pour ainsi dire un bloc, il semblera, à l'aspect de cette grandeur se dressant, qu'on parle d'un autre monde tout entier réuni en un seul lieu.

Si le vaste cirque construit par le dictateur César, large d'un stade (180 mètres), long de trois, occupant avec les constructions adjacentes quatre jugères (un hectare), et pouvant recevoir deux cent soixante mille spectateurs assis, mérite d'être mis au nombre des grands monuments, ne mettrons-nous pas au nombre des monuments magnifiques la basilique de Paulus avec ses admirables colonnes phrygiennes, le forum du dieu Auguste et le temple de la Paix de l'empereur Vespasien Auguste, les plus beaux ouvrages que jamais l'univers ait vus, ainsi que le toit du Diritiborium (lieu où l'on payait les soldats), construit par Agrippa, sans oublier qu'auparavant l'architecte Valerius d'Ostie avait couvert à Rome le théâtre aux jeux de Libon ?

Nous admirons les pyramides des rois, et le terrain seulement pour la construction du Forum a été acheté par le dictateur César 100 millions de sesterces (21 millions de fr.). Que si la dépense touche des esprits captivés par l'avarice, P. Clodius, qui fut tué par Milon, habitait une maison qui lui avait coûté 14.800.000 sesterces (3.148.000 fr.) ; ce qui certes ne m'étonne pas moins que les folies des rois. Quant à Milon lui-même, il avait pour 70 millions de sesterces (14.700.000 fr.) de dettes ; et cela me paraît à compter parmi les extravagances de l'esprit humain. Mais alors les vieillards admiraient l'immensité de la terrasse [de Tarquin le Superbe], les fondations exorbitantes du Capitole, et les égouts, de tous tes ouvrages le plus grand, puisque des montagnes furent percées, que, à l'instar de cette Thèbes dont nous venons de parler (XXXVI, 20), Rome se trouva suspendue, et qu'on navigua par-dessous.

M. Agrippa étant édile, en sortant du consulat, y fit affluer par des conduits sept rivières. Ces rivières, lancées comme des torrents impétueux, forcées d'enlever et d'entraîner toutes les immondices, gonflées en outre par la masse des eaux pluviales, battent le fond et les flancs des canaux ; parfois même le Tibre débordé y entre en remontant, et, dans l'intérieur, les deux courants se livrent un combat : néanmoins la solidité de la construction résiste. Des poids énormes sont traînés par-dessus, et les voûtes ne fléchissent pas. Des maisons qui s'écroulent spontanément ou que les incendies font tomber, viennent les frapper ; le sol est ébranlé par les tremblements de terre ; et cependant ces égouts construits par Tarquin l'Ancien durent depuis sept cents ans, sans avoir pour ainsi dire souffert. N'omettons pas une particularité mémorable, quand ce ne serait que parce que les plus célèbres historiens l'ont omise : Tarquin l'Ancien construisait cet ouvrage par les mains de la plèbe ; et comme on redoutait également la longueur et le danger de ces travaux, le suicide était devenu fréquent. Les Romains échappant ainsi à ces corvées, le roi imagina un remède singulier, et dont on ne trouve d'exemple ni avant ni après : il fit mettre en croix le corps de tous ceux qui s'étaient donné la mort, et les livra en spectacle aux citoyens, en proie aux bêtes et aux oiseaux. L'honneur, propre à la nation romaine, et qui plus d'une fois a rétabli des batailles espérées, vint ici encore au secours ; mais à cette époque les hommes en furent la dupe : vivants ils eurent honte d'une telle ignominie, comme si morts ils l'eussent dû ressentir. On dit que Tarquin fit l'égout assez spacieux pour qu'une voiture amplement chargée de foin pût y passer.

Tout ce que nous venons de rapporter est peu de chose, et avant d'aller plus loin il faut mettre en regard une seule merveille. Sous le consulat (an de Rome 676) M. Lépidus et de Q. Catulus il n'y avait pas à Rome, au dire des auteurs les plus exacts, de maison plus belle que celle de Lépidus lui-même ; après moins de trente-cinq ans cette même maison n'était pas au centième rang. Si l'on veut en faire l'estimation, que l'on calcule les masses de marbre, les travaux des peintres, les dépenses royales, et cent maisons, toutes le disputant à la plus belle et la plus renommée, toutes vaincues dans la suite jusqu'à nos jours par mille et mille autres maisons. Sans doute les incendies punissent le luxe ; mais, malgré ces destructions, rien ne peut faire comprendre dans les moeurs actuelles qu'il y a quelque chose de plus périssable que l'homme lui-même.

Au reste, tous ces édifices ont été vaincus par deux maisons. Deux fois nous avons vu la ville entière envahie par les palais des princes Caligula et Néron : encore ce dernier, pour que rien ne manquât, fit-il dorer la sienne. Etaient-ce donc là les demeures de ceux qui ont fait si grand cet empire, qui laissaient la charrue et l'humble foyer pour subjuguer les nations, pour remporter les triomphes, et dont les champs occupaient moins de terrain que les boudoirs de ces princes ?

On se met à songer quelle portion de ces palais impériaux étaient les emplacements que la république accordait à ses généreux invincibles pour la construction de leurs maisons. Le suprême honneur de ces concessions, ce fut, comme nous le voyons, après tant de services pour L. Valerius Publicola, qui fut le premier consul avec L. Brutus, comme nous le voyons aussi pour son frère, qui, étant pareillement consul, avait vaincu deux fois les Sabins ; ce fut, dis-je, que le décret contint en sus le droit qui leur était accordé d'avoir leur porte ouvrant en dehors, et battant sur le terrain public. Tel était le privilège le plus insigne, même pour les maisons triomphales.

Nous ne souffrirons pas que ces deux Nérons jouissent même de ce genre de gloire, et nous montrerons que leurs extravagances ont été surpassées par les constructions d'un simple citoyen, de M. Scaurus. Je ne sais si son édilité ne fut pas le plus grand fléau des moeurs, et si ce n'est pu un plus grand crime à Sylla d'avoir donné tant de puissances à son beau-fils, que d'avoir proscrit tant de citoyens. Il fit dans son édilité, et seulement pour durer quelques jours, le plus grand ouvrage qui ait jamais été fait de main d'homme, même pour une destination perpétuelle. C'était un théâtre à trois étages, ayant trois cent soixante colonnes, et cela dans une ville où six colonnes de marbre d'Hymette, chez un citoyen très considérable (XVII, 1, 4 ; XXXVI, 3), avaient excité des murmures. Le premier étage était en marbre : le second en verre, genre de luxe dont il n'y a plus eu d'exemple ; le troisième, en bois doré. Les colonnes du premier étage avaient, comme nous l'avons dit (XXXVI, 2), trente-huit pieds. Des statues d'airain au nombre de trois mille étaient, ainsi que nous l'avons indiqué (XXXIV, 17), placées entre les cotonnes. L'enceinte contenait quatre vingt mille spectateurs ; et cependant le théâtre de Pompée, bien que la ville se soit beaucoup agrandie et que la population ait beaucoup augmenté, suffit grandement avec ses quarante mille places. Le reste de l'appareil, en étoffes attaliques, en tableaux et autres ornements de la scène, était si considérable, que, Scaurus ayant fait porter dans sa maison de Tusculum ce que ne réclamait pas son luxe de chaque jour, et ses esclaves ayant brûlé la maison par vengeance, la perte fut de 100 millions de sesterces (21 millions de fr.).

La considération de telles prodigalités m'entraîne, et me force à sortir de mon sujet, et à y joindre une autre extravagance, encore plus grande, touchant le bois. C. Curion, qui mourut pendant la guerre civile dans le parti de César, donnait des jeux funèbres en l'honneur de son père. Il ne pouvait surpasser Scaurus en richesses et en magnificence : en effet, il n'avait pas Sylla pour beau-père et pour mère Métella, adjudicatrice des biens des proscrits ; il n'avait pas pour père M. Scaurus, tant de fois prince de la cité, et gouffre qui avait englouti les dépouilles des provinces dans les coalitions avec Marius. Déjà Scaurus le fils ne pouvait plus rivaliser avec lui-même ; et de cet incendie de tant d'objets apportés de toutes les parties de l'univers il avait du moins tiré l'avantage que personne à l'avenir ne lutte rait de folie avec lui. Force fut à Curion de devenir ingénieux, et d'imaginer quelque chose. Voyons donc ce qu'il inventa ; apprenons à nous applaudir de nos moeurs, et, retournant l'expression, disons-nous des hommes de l'ancien temps. Il fit construire deux théâtres en bois, très spacieux et juxtaposés, chacun en équilibre et tournant sur un pivot : avant midi, pour le spectacle des jeux, ils étaient adossés, afin que le bruit d'une des deux scènes ne gênât pas l'autre ; l'après-midi, tournant tout à coup, ils se trouvaient face à face, les fonds se séparaient, les angles se réunissaient, et il se formait un amphithéâtre pour des gladiateurs moins compromis que le peuple romain ainsi promené. Car ici que faut-il admirer de préférence, l'inventeur ou l'invention, l'exécuteur ou l'auteur du projet, celui qui osa imaginer une telle entreprise ou celui qui osa s'en charger, celui qui obéit ou celui qui commande ? Mais ce qui est par-dessus tout, c'est la frénésie du peuple, osant s'asseoir sur un siège aussi peu solide et aussi dangereux. Le voilà, ce peuple vainqueur de la terre, conquérant de l'univers entier, qui régit les nations et les royaumes, qui envoie des lois aux contrées étrangères, et qui fait pour ainsi dire partie des dieux immortels à l'égard du genre humain, le voilà suspendu dans une machine, et applaudissant au péril même qu'il court ! Quel mépris est-ce là pour la vie des hommes ! Pourquoi se plaindre de la journée de Cannes ? Quelle catastrophe pouvait arriver ! Que des villes soient englouties par la terre s'entr'ouvrant, c'est une calamité douloureuse pour l'humanité entière ; et voici que tout le peuple romain, embarqué pour ainsi dire sur deux navires, et porté sur deux pivots ! il assiste au spectacle de son propre danger, près de périr en un moment, si le mécanisme se dérange ! C'est donc pour avoir le droit de secouer les tribus suspendues, que le tribun cherche dans ses discours la faveur populaire ? Aux Rostres, que n'osera-t-il pas auprès de ceux à qui il a pu persuader de venir à son théâtre ? A vrai dire, dans les jeux funèbres donnés sur le tombeau de son père, c'est le peuple romain tout entier qu'il a fait combattre. Les pivots étaient fatigués et dérangés, il varia sa munificence. Le dernier jour, gardant la forme d'amphithéâtre, et coupant l'espace en deux scènes par le milieu, il fit paraître des athlètes ; puis, la séparation ayant été enlevée tout à coup de chaque côté, il fit combattre ceux de ses gladiateurs qui avaient été victorieux. Et pourtant Curion n'était ni roi, ni chef de nation, ni même remarquable pour son opulence, lui qui n'eut d'autre fortune que la discorde des grands.

Mais venons à des merveilles que rien ne surpasse aux yeux d'un juste appréciateur. Q. Martis Rex, chargé par le sénat de réparer les conduits des eaux Appia, Anio et Tépula, ajouta, durant sa préture même, une nouvelle eau qui porte son nom (XXXI, 24), et pour laquelle il fit percer des montagnes. Agrippa, dans son édilité (XXXI, 24), y joignit l'eau Vierge, réunit et restaura les anciens canaux, fit sept cents abreuvoirs, cent cinq fontaines jaillissantes, cent trente réservoirs, la plupart magnifiquement ornés. Sur toutes ces constructions il plaça trois cents statues d'airain ou de marbre, quatre cents colonnes de marbre, et tout cela en un an. Il ajoute lui-même, dans la commémoration de son édilité, que des jeux de cinquante-neuf jours furent célébrés, et que cent soixante-dix bains gratuits furent ouverts. Depuis, le nombre à Rome s'en est augmenté à l'infini.

Les aqueducs précédents ont été surpassés par le dernier travail que commença Caligula et que Claude acheva. En effet, les sources Curtia, Caerulea et Nouvel-Anio, furent amenées d'une distance de quarante milles à une telle hauteur, qu'elles fournissent de l'eau à toutes les collines de la ville. Ces constructions ont coûté 55.500.000 sesterces (11.655.000 fr.). Si l'on fait attention à la quantité d'eau livrée au public pour les bains, pour les piscines, pour les maisons, pour les euripes, pour les jardins, les faubourgs, les maisons de campagne; si l'on calcule le trajet parcouru, les arcades construites, les montagnes percées, les vallées comblées, on avouera que rien n'est plus admirable dans l'univers entier.

Au nombre des travaux les plus mémorables, je rangerai une autre entreprise du même Claude, bien qu'elle ait été abandonnée à cause de la haine que lui portait son successeur : je veux parler du percement de la montagne pour vider le lac Fucin. Les dépenses furent immenses, et les bras employés pendant tant d'années, innombrables. Là ou la montagne était terreuse, on rencontrait de l'eau qu'il fallait épuiser par le haut à l'aide de machines ; ailleurs, c'était la roche vive qu'il fallait trancher : et tout cela se faisait à l'intérieur, dans les ténèbres, opérations que ceux-là seuls qui les ont vues peuvent se figurer, et que la parole humaine ne suffirait pas à exposer.

Je passe sous silence le port d'Ostie, les routes pratiquées travers les montagnes, la mer Tyrrhénienne séparée du lac Lucrin (III, 9, 9), par un môle, et tant de ponts construits à si grands frais. Parmi beaucoup d'autres merveilles de l'Italie, en voici une qui a pour garant Papirius Fabianus, très savant dans les choses de la nature : c'est que le marbre croît dans les carrières. Ceux qui les exploitent affirment aussi que ces plaies des montagnes se comblent spontanément. S'il en est ainsi, on peut compter que les marbres ne manqueront jamais au luxe.

XXV. (XVI.) Quand on quitte les marbres pour passer aux autres pierres remarquables, l'aimant, sans aucun doute, s'offre au premier rang. Qu'y a-t-il, en effet, de plus merveilleux ? et ou la nature montre-t-elle plus de malice ? Elle avait donné, comme nous l'avons dit (XXXV, 23), aux rochers une voix répondant à l'homme, et même lui coupant la parole. Qu'y a-t-il de plus inerte qu'une pierre brute ? mais voilà qu'elle lui accorde le sentiment et des mains. Quoi de plus dur et de plus rebelle que le fer ? mais voila qu'il cède et se laisse gouverner. En effet, il est attiré par la pierre aimant : ce métal qui dompte toutes choses se précipite vers je ne sais quoi d'occulte; dés qu'il est voisin de l'aimant, il s'y jette, il y est retenu, et l'embrasse étroitement; propriété qui a fait donner à l'aimant l'autre nom de sidéritis. Quelques-uns le nomment héracléon. Il a été appelé magnès, au dire de Nicandre, du nom de celui qui l'a découvert, et qui l'a trouvé sur le mont Ida. En effet, on le rencontre çà et là ; ce qui arrive aussi en Espagne. Ce Magnès fit, dit-on, cette découverte en menant paître ses boeufs, les clous de ses souliers et le bout ferré de sa houlette étant devenus adhérents. Sotacus reconnaît cinq espèces d'aimant : l'éthiopique ; celui de la Magnésie, contrée limitrophe de la Macédoines sur la droite de la route du lac Boebéis ; celui du territoire d'Hyettos, en Béotie ; celui des environs d'Alexandrie de Troade; enfin celui de la Magnésie d'Asie. La première distinction entre les aimants, c'est le sexe, mâle ou femelle ; la seconde, c'est la couleur. Les aimants de la Magnésie macédonienne sont d'un roux tirant sur le noir ; ceux de la Béotie sont plus roux que noirs ; ceux de la Troade sont noirs, femelles, et par conséquent sans force. Le plus mauvais de tous est celui de la Magnésie d'Asie ; il est blanc, n'attire pas le fer, et ressemble à une pierre ponce. L'expérience a montré que plus l'aimant est bleu, mieux il vaut. L'éthiopique a la palme sur tous les autres ; il se paye au poids de l'argent ; on le tire du Zimiri de l'Ethiopie ; c'est le nom d'une contrée sablonneuse. Là aussi se trouve l'aimant hématite, de couleur de sang, et qui, broyé, donne la teinte du sang et celle du safran. L'hématite n'a pas la même propriété que l'aimant pour attirer le fer. On reconnaît l'aimant éthiopique à ce qu'il attire aussi les autres aimants. Au reste, tous les aimants entrent dans les compositions ophtalmiques pour une dose particulière à chacun. Ils arrêtent surtout les fluxions des yeux. Calcinés et pulvérises, ils guérissent les brûlures. Dans l'Ethiopie aussi est une montagne, non loin du Zimiri, où l'on trouve la pierre théamède. Cette pierre rejette et repousse toute espèce de fer. Nous avons plusieurs fois parlé des propriétés attractives et répulsives (XX, 1 et 98).

XXVI. Dans l'île de Scyros (IV, 23, 2) est une pierre (II, 106,13) qui, dit-on, flotte sur l'eau étant entière, et tombe au fond étant broyée.

XXVII. (XVII.) A Assos de la Troade (II, 98) est la pierre sarcophage, qui se tend et se lève par feuille. Il est constant que les corps morts mis dans cette pierre s'y consument en quarante jours, excepté les dents. Mucien écrit que de plus elle pétrifie les miroirs, les strigiles, les habits, les chaussures qu'on enterre avec les morts. Il y a en Lycie et dans l'Orient des pierres de même nature qui, attachées à des personnes vivantes, consument leurs chairs.

XXVIII. La pierre chernitès, moins active, conserve les corps sans les consumer ; elle ressemble beaucoup à l'ivoire : de cette substance, dit-on, était le cercueil de Darius. La pierre appelée porus est très semblable au marbre de Paros par la blancheur et la dureté, n'étant que moins pesante. Théophraste mentionne aussi en Egypte une pierre transparente qu'il dit semblable à la pierre de Chio ; peut-être existait-elle de son temps, car des pierres s'épuisent et de nouvelles se trouvent. La pierre d'Assos, salée au goût, guérit la goutte : on tient les pieds dans un vase de cette matière. De plus, dans les carrières de cette pierre tous les maux de jambe guérissent, tandis que dans toutes les mines les jambes deviennent malades. On donne le nom de fleur de pierre d'Assos à une pierre molle au point de tomber en poussière, et efficace dans quelques cas. Elle ressemble à une pierre ponce rousse. Mêlée à de la cire de Chypre, elle guérit les affections des mamelles. Avec de la poix ou de la résine, elle dissipe les écrouelles et les tumeurs. En électuaire, elle est bonne pour la phtisie. Avec du miel elle cicatrise les vieux ulcères et ronge les excroissances. On s'en sert contre les morsures des animaux. Elle dessèche les plaies rebelles et suppurantes. On en fait des cataplasmes pour la goutte aux pieds,. en y mêlant de la bouillie de fève.

XXIX. (XVIII.) Théophraste et Mucianus pensent qu'il y a des pierres qui en enfantent d'autres. Théophraste rapporte qu'on trouve de l'ivoire fossile, tant blanc que noir ; que la terre produit des os, et qu'il est des pierres osseuses. Aux environs de Munda en Espagne, où le dictateur César défit Pompée, on voit des pierres offrant, toutes les fois qu'on les brise, l'image de la paume de la main. Il est des pierres noires qui ont autant de vogue que les marbres, témoin la pierre Ténarienne. Varron dit que la pierre noire en Afrique est plus ferme que celle d'Italie, et que le coranus blanc est plus dur que le marbre de Paros. Le même Varron écrit que le silex de Luna se laisse scier ; que celui de Tusculum éclate dans le feu; que le silex noirâtre du territoire sabin brille, si on l'arrose d'huile ; que les pierres meulières ont été trouvées à Volsinie. Parmi les prodiges, je lis qu'il est fait mention de meules se mouvant d'elles-mêmes.

XXX. Nulle part la pierre meulière n'est comparable à celle de l'Italie ; je dis pierre et non pas roche. Il y a des provinces où elle manque entièrement. Quelques pierres de ce genre sont tendres, se laissent polir avec la pierre à aiguiser, et peuvent de loin présenter l'apparence de l'ophite. C'est la pierre la plus résistante ; car les autres espèces de pierres sont comme le bois, et supportent mal la pluie, le soleil et le froid. Quelques-unes ne supportent pas l'action de la lune ; d'autres se rouillent par l'effet du temps, ou changent leur couleur blanche en couleur olivâtre. (XIX.) Quelques-uns nomment la pierre meulière pyrite, parce qu'elle a beaucoup de feu. Mais il est une autre pyrite qui ressemble au cuivre : on la trouve, dit-on, en Chypre, et dans les mines qui avoisinent le promontoire d'Acamas (V, 35, 1). Cette pyrite de Chypre a deux variétés, l'une de couleur d'argent, l'autre de couleur d'or. Les procédés pour les cuire varient. Les uns leur donnent deux et trois cuissons dans le miel, jusqu'à ce que le liquide ait disparu ; d'autres les calcinent d'abord sur des charbons, puis les traitent par le miel, et enfin les lavent comme le cuivre. Les propriétés médicales qu'elles possèdent sont d'échauffer, de dessécher, de résoudre, d'atténuer, de faire suppurer les duretés. On les emploie crues et pulvérisées, pour les écrouelles et les furoncles. Quelques-uns font encore une troisième espèce de pyrite avec la pierre que nous appelons vive ; elle contient beaucoup de feu et est très pesante. Cette pierre est très nécessaire aux éclaireurs militaires : frappée avec un clou ou avec une autre pierre, elle donne des étincelles qui, reçues sur du soufre, de l'amadou ou des feuilles sèches, fournissent du feu plus vite qu'on ne saurait dire.

XXXI. L'ostracite ressemble aux écailles d'huître. On s'en sert en guise de pierre ponce pour polir la peau. En boisson, elle est hémostatique. A l'extérieur, avec du miel, elle guérit les plaies et les douleurs des mamelles. L'amiante ressemble à l'alun (XXXV, 52), et ne perd rien au feu. Il rend impuissants tous les maléfices, particulièrement ceux des mages.

XXXII. Le géode est ainsi appelé, parce qu'il renferme de la terre à l'intérieur. Excellent pour les compositions ophthalmiques, on l'emploie aussi pour les affections des mamelles et des testicules.

XXXIII. La pierre mélititès rend un suc doux et miellé. Broyée et mêlée à la cire, elle guérit les éruptions pituiteuses, les taches du corps et les ulcérations de la gorge ; elle fait disparaître les épinyctides, et, en pessaire, dans de la laine, les douleurs de matrice.

XXXIV. La pierre gagate (jais), porte le nom de la ville et du fleuve Gagès, en Lycie. On dit qu'à Laucolia (V, 26) la mer l'expulse, et qu'on en recueille dans une étendue de douze stades. Elle est noire, unie, poreuse, ne différant guère du bois, légère, fragile, et, frottée, d'une odeur désagréable. Les marques que l'on fait avec cette pierre sur les poteries ne s'effacent pas. Brûlée, elle exhale une odeur sulfureuse. Chose singulière, l'eau l'enflamme, l'huile l'éteint. Enflammée, elle chasse les serpents et dissipe l'hystérie. En fumigation, elle fait reconnaître l'épilepsie et la virginité. En décoction dans du vin, elle guérit les maux de dents ; mêlée à la cire, les écrouelles. Les mages, dans l'opération qu'on appelle axinomancie (divination par la hache), se servent dit-on, de cette pierre, et assurent qu'elle ne se brûle pas si ce qu'on désire doit arriver.

XXXV. La pierre spongite se trouve dans les éponges et s'y forme. Quelques-uns la nomment técolithe, parce qu'elle guérit les affections de vessie. Prise dans de vin, elle dissout les calculs.

XXXVI. La pierre phrygienne porte le nom du pays qui la produit. C'est une masse poreuse. On la calcine, après l'avoir préalablement arrosée de vin. On active le feu avec des soufflets jusqu'à ce qu'elle rougisse, puis on l'éteint arec du vin doux. Cette opération se fait trois fois. La pierre phrygienne ne sert que pour la teinture des étoffes.

XXXVII. (XX.) Le schiste et l'hématite ont des analogies. L'hématite se trouve dans les mines. Brûlée, elle imite la couleur de minium. Elle se brûle comme la pierre phrygienne, mais ne s'éteint pas avec du vin. On reconnaît que l'hématite a été falsifiée avec du schiste, à des veines rouges et à la friabilité. Elle est merveilleuse pour les meurtrissures des yeux. En bois-son, elle arrête les pertes. Les hemoptoïques en prennent aussi en boisson avec du suc de grenade. Elle est efficace dans les maux de vessie. On la boit dans du vin, pour les blessures faites par les serpents. Dans tous ces cas, la pierre nommée schiste a moins d'efficacité. Toutefois, parmi les schistes, le plus avantageux est celui qui ressemble au safran. Dans du lait de femme, il est particulièrement bon pour les ulcérations de la cornée, et il arrête très bien la procidence des yeux. Telle est l'opinion des auteurs les plus récents.

XXXVIII. Sotacus, un des plus anciens auteurs, parle, outre l'aimant (XXXVI, 25), de cinq espèces d'hématites. Il donne la palme à l'hématite d'Ethiopie, très bonne pour les compositions ophtalmiques et pour celles qu'on nomme panchrestes, ainsi que pour les brûlures. La seconde espèce se nomme, dit-il, androdamas. Elle est noire, remarquable par sa pesanteur et sa dureté, ce qui lui a valu le nom qu'elle porte. On la trouve particulièrement en Afrique ; elle attire l'argent, le cuivre, le fer. On la reconnaît sur une pierre à aiguiser en pierre besanite (XXXVI, 11, 4). En effet, elle rend une liqueur couleur de sang. C'est un remède excellent pour les affections du foie. Il fait la troisième espèce avec l'hématite d'Arabie, d'une dureté égale, rendant à peine, sur la pierre à aiguiser mouillée, une liqueur qui parfois ressemble au safran. Il nomme la quatrième espèce elatitès quand elle est crue, miltitès quand elle est calcinée : bonne pour les brûlures, et, pour tous les emplois, plus efficace que la rubrique (XXXV, 14). La cinquième espèce est nommée schistos. Elle arrête le flux hémorroïdal. En somme, il recommande de prendre à jeun pour les affections du sang toutes les hématites, à la dose da trois drachmes, triturées dans de l'huile. Le même auteur rapporte qu'il y a un schistos (XXXVI, 37) d'un autre genre que les hématites ; il le nomme anthracite. Cette substance, dit-il, est noire, et se trouve en Afrique. Usée sur la pierre à aiguiser mouillée, elle rend, par le côté qui tenait à la terre, une couleur noire ; par l'autre, une rouleur safranée. C'est un excellent ingrédient pour les compositions ophtalmiques.

XXXIX. (XXI.) Les aétites, en raison du nom qu'elles portent, ont une grande réputation. Elles se trouvent dans les nids d'aigles, comme nous l'avons dit livre dix (X, 4). On prétend qu'il y en a toujours deux, l'une mâle, l'autre femelle ; que sans elles les espèces d'aigles dont nous avons parlé n'engendrent pas, et que pour cette raison il n'y a jamaisque deux petits. On en distingue quatre espèces : l'aétite d'Afrique est petite, molle, renfermant dans son intérieur et pour ainsi dire dans son ventre une argile suave et blanche. Elle est friable, et on la regarde comme femelle. L'aétite mâle se trouve en Arabie: elle est dure, semblable à la noix de galle, ou roussâtre, et renferme dans son intérieur une pierre dure. La troisième appartient à l'île de Chypre ; elle ressemble par la couleur à celle d'Afrique ; mais elle est plus grosse et aplatie, tandis que les autres sont globuleuses. Elle a dans son intérieur un sable agréable et de petites pierres. Elle-même est tendre au point de se laisser écraser sous les doigts. La quatrième se nomme taphiusienne ; elle se produit auprès de Leucade, à Taphiuse, localité qui est à la droite de ceux qui font voile d'Ithaque à Leucade. On en rencontre dans les fleuves une blanche et ronde ; elle a dans son intérieur une pierre nommée callimus, et qui est tout ce qu'il y a de plus tendre. Toutes les aétites attachées aux femmes grosses ou aux femelles pleines, dans de la peau d'animaux sacrifiés, empêchent les avortements. Il faut les laisser tout le temps de la grossesse, jusqu'au moment de la parturition ; autrement il y aurait procidence de la matrice ; mais si on ne les ôte à ce moment, l'enfantement ne se fait pas.

XL. La pierre samienne vient de la même île que la terre samienne, dont nous avons parlé (XXXV, 53). On s'en sert pour polir l'or. On s'en sert aussi en médecine avec le lait, de la façon que nous avons dit plus haut (XXXVI, 37), pour les ulcérations des yeux, et aussi pour les anciens larmoiements. A l'intérieur, elle est bonne contre les affections de l'estomac ; elle apaise les vertiges ; elle remet les esprits ébranlés. Quelques-uns pensent qu'elle est utile dans l'épilepsie et la dysurie. On l'incorpore dans les médicaments dits acopes (délassants). Elle se reconnaît à sa pesanteur et à sa blancheur. On prétend qu'en amulette elle empêche l'avortement.

XLI. La pierre arabe ressemble à l'ivoire. Calcinée, elle s'emploie en dentifrice. Elle guérit particulièrement les hémorroïdes : pour cela on la met sur de la charpie, et par-dessus on appli que des compresses.

XLII. Il ne faut pas omettre l'histoire de la pierre ponce. On donne, il est vrai, ce nom aux pierres rongées qu'on suspend dans les édifices appelés musées, pour simuler artificiellement des grottes. Mais les pierres ponces employées pour polir la peau, par les femmes, que dis-je ? par les hommes, et qui servent aussi, comme on lit dans Catulle (Epigr. 1), à polir les livres, se trouvent (et ce sont les plus estimées) à Mélos, à Nisyros, et dans les îles Eoliennes. Pour être bonnes, elles doivent être blanches, très peu pesantes, poreuses et sèches autant que possible, friables, et ne donnant pas de sable quand on les frotte. En médecine elles sont animantes et siccatives après la troisième calcination, opération qu'on fait avec du charbon pur, en les éteignant à chaque fois avec du vin blanc. Puis on les lave comme la cadmie (XXXIV, 21), on les fait sécher, et on les conserve dans un endroit aussi sec que possible. Cette poudre s'emploie surtout dans les compositions ophtalmiques. Elle mondifie doucement les ulcérations des yeux, les cicatrise et les corrige. Quelques-uns aiment mieux, après la troisième calcination, les laisser refroidir que les éteindre, puis les triturer dans du vin. On les incorpore aussi dans les emplâtres, pour les ulcérations de la tête et des parties génitales. On fait avec cette poudre les meilleurs dentifrices. D'après Théophraste, les buveurs qui vont faire assaut prennent auparavant de cette poudre. mais ils courent des danger s'ils ne s'emplissent de vin tout à la fois: cette substance a une telle vertu réfrigérante, que, jetée dans une cuve qui fermente, elle fait cesser la fermentation.

XLIII. (XXII.) Les auteurs se sont occupés des pierres propres à faire des mortiers, sans se borner même aux mortiers dans lesquels on pile les substances médicinales ou les couleurs. Pour cet usage ils ont mis au premier rang la pierre étésienne ; au second, la pierre thebaïque que nous avons nommée pyrrhopoecile (XXXVI, 12), et que quelques-uns appellent piaronium ; au troisième rang, la pierre chrysite, qui tient de la pierre chalazienne : mais les médecins préfèrent la pierre basamite ; en effet, cette pierre ne rend rien. Quant aux pierres qui rendent un suc, on les regarde comme bonnes pour les compositions ophtalmiques ; et c'est la raison qui fait surtout rechercher la pierre d Ethiopie pour ces compositions. On assure que la pierre ténarienne, la pierre punique et l'hématite, améliorent les compositions dans lesquelles entre le safran ; que le suc rendu par une autre pierre ténarienne qui est noire, et par la pierre de Paros, ne convient pas aussi bien à la médecine ; que le suc qui vient de l'alabastrite égyptien ou de l'ophite blanc est préférable. C'est l'espèce d'ophite avec laquelle on fait des vases et même des barils.

XLIV. L'île de Siphnos produit une pierre qu'on creuse et qu'on tourne pour en faire des ustensiles propres soit à cuire, soit à servir les aliments. Nous savons que la pierre verte de Côme en Italie s'emploie aux mêmes usages. Mais ce qui est singulier dans celle de Siphnos, c'est que, chauffée dans l'huile, elle noircit et devient dure, étant naturellement très molle, tant les qualités des pierres sont différentes. Quant à la mollesse, il y en a des exemples très remarquables au delà des Alpes. Dans la province Belgique est une pierre blanche qu'on coupe avec la même scie que le bois, et même plus facilement ; on en fait des tuiles et des faîtières, ou, si l'on veut, l'espèce de toitures qu'on nomme pavonacée. Voilà les pierres qui peuvent se couper.

XLV. Quant à la pierre spéculaire, puisqu'on la range aussi parmi les pierres, elle se fend avec beaucoup plus de facilité, et on la partage en feuilles aussi minces qu'on veut. Autrefois l'Espagne citérieure seule la fournissait, et non pas même toute la contrée, mais un rayon de cent milles environ autour de la ville de Segobrien. Maintenant on en trouve dans l'île de Chypre, en Cappadoce, en Sicile ; et, tout récemment, on en a découvert en Afrique. A toutes on préfère les pierres spéculaires de l'Espagne. Celles de la Cappadoce sont très délicates, très grandes, mais ternes. On en trouve aussi en Italie, dans le territoire de Bologne ; elles sont petites, tachetées, englobées dans du silex ; cependant elles sont évidemment de même nature. La pierre spéculaire s'extrait en Espagne de puits très profonds. On en trouve aussi sous terre, qui sont renfermées dans la roche ; tantôt on les extrait sans difficulté, tantôt il faut tailler le roc vif. Mais le plus souvent la pierre spéculaire est fossile ; elle se trouve isolée, sous forme de fragments dont aucun n'a encore dépassé cinq pieds en longueur. Quelques-uns pensent que c'est une liqueur de la terre qui se congèle comme le cristal. Ce qui montre manifestement que cette pierre est le résultat d'une pétrification, c'est que quand des animaux tombent dans les puits d'extraction, la moelle de leurs os se transforme en pierre spéculaire an bout d'un hiver. On trouve parfois aussi de la plerre spéculaire noire. Mais la blanche a la propriété merveilleuse de résister, tout en étant d'une mollesse connue, à l'action du soleil et du froid. Le temps ne la dégrade pas, comme beaucoup de matériaux ; elle n'a à craindre que les accidents. On a trouvé un usage pour les rognures : on en parsème le grand Cirque à l'époque des jeux, pour lui donner une blancheur agréable.

XLVI. Sous le règne de Néron, on trouva en Cappadoce une pierre de la dureté du marbre, blanche, et transparente même là où des veines rousses se rencontraient ; ce qui la fit nommer pheugite. Néron reconstruisit avec cette pierre le temple de la Fortune nommé Séla (XVI, 2, 2), temple qui avait été consacré par le roi Servius, et qu'il renferma dans sa maison dorée (XXXVI, 24, 8). Là, même les ouvertures fermées, on avait pendant le jour la clarté du dehors ; non toutefois de la même manière qu'avec la pierre spéculaire, la lumière paraissant non pas transmise, mais renfermée. Il y a aussi en Arabie, au dire de Juba, une pierre diaphane comme le verre, qu'on emploie en guise de pierre spéculaire.

XLVII. Passons maintenant aux pierres dont les ouvriers se servent, et commençons par la pierre à aiguiser le fer. Celle-ci est de plusieurs sortes : la crétoise eut longtemps le plus grand renom ; puis vint celle de la Laconie, tirée du mont Taygète, toutes deux ayant besoin d'huile. Quant à celles dont on se sert avec l'eau, le premier rang appartenait à la pierre de Naxos, le second à celle d'Arménie ; nous avons parlé de l'une et de l'autre (XXXVI, 10). Celle de Cilicie et excellente, tant a l'eau qu'a l'huile ; celle d' Arsinoé (V, 35; V, 22), à l'eau seulement. On en a trouvé en Italie qui à l'eau affilent parfaitement le tranchant. Les contrées d'au delà des Alpes en fournissent aussi : on les nomme passernices. Au quatrième rang sont celles qui mordent sur le fer avec la salive de l'homme ; on s'en sert dans les boutiques des barbiers, mais elles n'ont guère d'autre emploi, à cause de la facilité avec laquelle elles se brisent : en ce genre, les laminitanes (III, 2, 1) de l'Espagne ultérieure sont les meilleures.

XLVIII. Parmi le grand nombre des pierres qui restent est le tuf. Il ne convient pas aux constructions, parce qu'il est mou et peu durable. Ce pendant il est des localités qui n'ont pas d'autres matériaux, par exemple Carthage en Afrique. L'air de la mer le ronge, le vent l'emporte en poussière, la pluie le dégrade ; mais l'industrie protège les murailles avec la poix ; un enduit de chaux les corroderait ; de là ce bon mot : Les Carthaginois se servent de la poix pour leurs maisons et de la chaux pour leurs vins (XIV, 21). En effet, c'est avec cette dernière substance qu'ils les adoucissent. Autour de Rome on trouve d'autres pierres molles, dans les cantons de Fidènes et d'Albe. En Ombrie aussi et en Vénétie se trouve une pierre blanche que l'on coupe avec la scie à dents. Ces pierres, faciles à travailler, sont aussi de durée, pourvu qu'elles soient à couvert. La pluie, la gelée, les brouillards les font tomber par morceaux ; elles ne résistent pas non plus à l'humidité et à l'air de la mer. La pierre de Tibur supporte tout, excepté la grande chaleur, qui la fait éclater.

XLIX. Le silex noir est généralement le meilleur. Cependant en quelques localités, c'est le silex rougeâtre, et dans quelques autres le silex blanc, par exemple aux enviions de Tarquinies, dans les carrières d'Anicius, près du lac de Volsinie. Dans le territoire de Statonia, il en est auquel le feu même ne porte aucune atteinte. Ces mêmes pierres ciselées dans les monuments supportent sans dégradation l'action du temps. On en fait des moules pour la fonte du cuivre. Il y a encore un silex vert, résistant très bien au feu ; mais nulle part il n'est abondant, et là ou on le trouve il se présente sous forme de pierre et non de roche. Parmi les autres, le silex pâle est rarement bon pour les constructions. Globuleux, résistant aux accidents, il ne faut pas y compter dans les bâtisses, à moins qu'il ne soit beaucoup retenu. Le silex des rivières n'offre pas plus de sûreté ; il a toujours un aspect humide.

L. Quand on se défie d'une pierre, la précaution à prendre est de l'enlever en été, et de ne l'employer dans les constructions qu'au bout de deux ans, après qu'elle a été faite aux saisons. Celles qui se trouvent avariées s'utilisent dans les fondements ; celles qui ont résisté peuvent s'employer avec confiance, même à découvert.

LI. Les Grecs font une espèce de briquetage avec des pierres dures ou des cailloux d'égale dimension. Ce genre de construction est ce qu'ils nomment isodomon. Si les matériaux sont d'inégale dimension, la construction se somme pseudisomodon. Le troisième genre se nomme emplecton : les parties de montre sont seules égalisées, le reste est construit à l'aventure. Il faut que les pierres chevauchent l'une sur l'autre alternativement, de sorte que le milieu d'une pierre pose sur la ligne d'assemblage de deux autres, et cela dans le plein même du la muraille, si la chose est possible ; sinon sur les deux faces du moins. Quand on remplit le dedans de la muraille de fragments, la bâtisse se nomme diamicton. La construction en losange, très usuelle à Rome, est sujette à se crevasser. Les constructions doivent être faites à l'équerre et au niveau, et être d'aplomb.

LII. (XXIII.) Pour la construction des citernes il faut cinq parties de sable pur et graveleux, sur deux parties de la chaux la plus vive, et des fragments de silex pesant au plus une livre. Ainsi établis, on foule le fond et les parois avec des maillets ferrés. Le mieux est d'avoir des citernes doubles, de façon que les impuretés s'arrêtent dans la première, et que, se filtrant, l'eau passe aussi pure que possible dans la seconde.

LIII. Caton le Censeur (De re rustica. XXXVIII) n'approuve point la chaux faite de pierres de différentes couleurs. La pierre blanche donne la meilleure. La chaux faite de pierres dures vaut mieux pour les bâtisses ; celle de pierres poreuses, pour les enduits. Pour ces deux emplois on rejette la chaux faite avec la silice. La pierre extraite des carrières fournit de meilleure chaux que celle qu'on prend sur les rives des fleuves. La chaux de la pierre meulière est la meilleure, parce que cette pierre est naturellement plus grasse que les autres. Chose singulière, de voir une substance qui, ayant passé par Ie feu, s'allume dans l'eau !

LIV. Il y a trois espèces de sable : le fossile, auquel on doit ajouter un quart de chaux, le fluvial et le marin, auxquels en doit en ajouter un tiers. L'addition d'un tiers de poterie pilée rend le mortier meilleur. De l'Apennin au Pô, on ne trouve pas de sable fossile, non plus qu'au delà des mers.

LV. La cause de la ruine de tant d'édifices à Rome, c'est que, par une épargne frauduleuse de chaux, les moellons sont réunis sans ce qui doit les souder. Plus la chaux fusée est vieille, mieux elle tient. Dans les lois qui réglaient anciennement les constructions, il est dit que l'entrepreneur n'emploiera pas de chaux de moins de trois ans : aussi aucune crevasse n'est venue défigurer les enduits des anciennes morailles. A l'égard de l'enduit extérieur, il n'est pas suffisamment brillant, à moins de trois couches de mortier de sable et de deux couches de mortier de marbre. Dans les lieux marécageux ou voisins de la mer, on substituera au mortier de sable un mortier de tessons broyés. En Grèce, on pétrit dans un mortier avec des pilons de bois l'enduit préparé au sable qu'on va mettre à la maison. On reconnaît que le mortier au marbre est bien préparé lorsqu'il ne s'attache plus a la truelle. Au contraire, si l'on ne veut que crépir, il faut que la chaux qui a trempé longtemps tienne à la truelle comme de la colle. Pour cet usage il ne faut faire tremper la chaux qu'en mottes. A Elis est un temple de Minerve dans lequel Panaenus, frère de Phidias, a mis un enduit composé, dit-on, de lait et de safran ; aussi cet enduit donne-t-il une odeur et un goût de safran si, même aujourd'hui, on le frotte avec le pouce humecté de salive.

LVI. Moins des colonnes sont espacées, plus elles paraissent grosses. On en distingue de quatre ordres : les doriques, dont la grosseur au pied est le sixième de la hauteur ; les ioniques, où cette grosseur est le neuvième ; les toscanes, où elle est le septième ; et les corinthiennes, qui ont la même proportion que les ioniques : mais elles diffèrent, parce que les chapiteaux sont aussi hauts que le pied est large ; aussi paraissent-elles plus sveltes : dans les ioniques, la hauteur du chapiteau n'est qu'un tiers de l'épaisseur du pied. Autrefois la règle voulait que les colonnes eussent en hauteur le tiers de la largeur du temple auquel on les destinait. Ce fut dans le temple de Diane d'Ephèse, avant l'incendie, qu'on mit pour la première fois aux colonnes des tores et des chapiteaux, et on régla que les colonnes auraient en diamètre la huitième partie de leur hauteur ; que les tores auraient en hauteur moitié de ce même diamètre ; enfin, que l'extrémité supérieure du fût aurait en diamètre un septième de moins que l'extrémité inférieure. Outre ces quatre sortes de colonnes, on donne le nom d'attiques à des colonnes quadrangulaires à faces égales.

LVII. (XXIV.) La chaux s'emploie beaucoup en médecine. On la choisit récente ; elle ne doit pas avoir été mouillée. Elle est caustique, résolutive, attractive ; elle réprime les mouvements des ulcères qui deviennent serpigineux, mêlée à du vinaigre et à de l'huile rosat ; puis, incorporée à de la cire et à de l'huile rosat, elle les mène à cicatrisation. Avec de la graisse de porc ou de la résine liquide, dans du miel, c'est en remède pour les luxations et les écrouelles.

LVIII. La malthe se fait avec de la chaux récente en mottes, qu'on éteint dans du vin ; on triture cette chaux avec de la graisse de porc et des figues ; on en applique deux couches. C'est de tous les enduits le plus tenace ; il est plus dur que la pierre. Avant d'appliquer la malthe on frotte d'huile la muraille.

LIX. Le gypse a du rapport avec la chaux ; il y en a plusieurs espèces. L'un est une pierre calcinée ; tel est celui de Syrie et de Thurium. Un autre s'extrait de la terre, comme en Chypre et dans la Perrhébie (IV, 3). Celui de Tymphée (IV, 3) est à fleur de terre. La pierre que l'on calcine doit ne différer guère de l'alabastrite ou de marbre. En Syrie on choisit pour cette opération les pierres les plus dures, et on les calcine avec de la bouse de vache pour accélérer la cuisson. L'expérience a prouvé que le meilleur gypse se fait avec la pierre spéculaire, ou avec une pierre ayant comme elle des feuillets écailleux. Il faut employer le gypse aussitôt après l'avoir détrempé, car il se durcit très vite. Toutefois il se laisse de nouveau triturer et réduire en poudre. Le gypse est excellent pour faire les crépissages, et pour orner les écussons et les couronnements des édifices. Il est au sujet du gypse un fait mémorable : C. Proculéius (VII, 46), qui jouissait de l'amitié de l'empereur Auguste, avala du gypse dans une très violente douleur d'estomac, et se donna la mort.

LX. Les carrelages sont une invention des Grecs, qui arrivèrent à en faire une sorte de peinture, jusqu'au temps où les mosaïques en prirent la place. Dans ce dernier genre l'artiste le plus célèbre fut Sosus, qui fit à Pergame l'Asarotos oecos (maison non balayée) ; on la nomme ainsi, parce qu'il avait représenté en petits carreaux teints de différentes couleurs les débris du repas qu'on a coutume d'enlever avec le balai, et qui là semblent avoir été laissés. On y admire une colombe qui boit, et dont la tête jette de l'ombre sur l'eau ; on en voit d'autres qui s'épluchent au soleil, sur le bord d'un canthare.

LXI. Je crois que les premiers carrelages sont ceux que nous nommons maintenant barbariques et sous-couverts ; en Italie ce pavage se faisait avec la hie, du moins on peut le comprendre par le nom même qu'il porte (pavimentum). Le premier carrelage en maille fut fait à Rome dans le temple de Jupiter Capitolin, après le commencement de la troisième guerre punique. Que les carrelages aient été communs et très goûtés avant la guerre des Cimbres, c'est ce qu'indique ce vers de Lucilius : Un carrelage orné avec art de couleurs et de dessins.

LXII. Les Grecs ont inventé les toits en terrasse. Cette toiture est bonne, dans les contrées chaudes, mais elle manque le but dans les pays où les pluies se gèlent. On commence par faire deux lits de linteaux ; on en cloue les extrémités, pour qu'il ne survienne point d'inflexion ; on étend sur ce plancher un hourdage neuf auquel on a ajouté un tiers de tessons pilés, puis on met un second hourdage épais d'un pied, dans lequel on a fait entrer deux cinquièmes de chaux, et que l'on foule avec la hie. Alors on étend le noyau qui est une couche épaisse de six doigts, et sur le tout on pose un lit de grandes pierres plates, épaisses de deux doigts au moins. La pente de ce carrelage sera d'un pouce et demi par dix pieds. On unira bien la surface avec une pierre à polir. On pense que le plancher ne doit pas être en ais de chêne, parce que ce bois s'infléchit. On croit à propos de le recouvrir d'un lit de fougère et de paille, pour qu'il sente moins l'action de la chaux. II est nécessaire de faire avant le hourdage un lit des pierres globuleuses. On construit de même les carrelages de mosaïque en forme d'épi.

LXIII. Il ne faut pas omettre non plus une espèce de carrelage, le carrelage à la grecque. On hie le sol ; on met un hourdage ou un lit de tessons, puis une couche, fortement foulée, de charbon, de sable, de chaux et de cendre mêlés ensemble ; à cette couche, la règle et le niveau à la main, on donne une épaisseur d'un demi-pied. La surface alors a l'aspect du sol ; mais si on y fait passer la pierre à polir, on lui donne l'apparente d'un carrelage noir.

LXIV. Les mosaïques furent en usage dès le temps de Sylla ; du moins voit-on encore aujourd'hui un carrelage en petits segments qu'il fit faire à Préneste, dans le temple de la Fortune. Puis les carrelages passèrent du sol aux parois, et on les fit de verre. C'est une invention récente : la preuve, c'est qu'Agrippa, aux Thermes qu'il construisit à Rome, fit peindre à l'encaustique (XXXV, 9) les murailles en terre cuite dans les pièces chauffées, et, dans le reste, orner les crépis ; et sans aucun doute il eût orné les pièces en mosaïque de verre, si cette mosaïque avait été dès lors inventée, ou du moins si des parois du théâtre de Scaurus où elle figura, comme nous avons dit (XXXVI, 24, 11), elle avait passé aux appartements. A ce propos il nous faut traiter du verre.

LXV. (XXVI.) Il est dans la Syrie une contrée nommée Phénicie (V, 17), confinant à la Judée, et renfermant, entre les racines du mont Carmel, un marais qui porte le nom de Cendevia. On croit qu'il donne naissance au fleuve Bélus (V, 19), qui, après un trajet de cinq mille pas, se jette dans la mer auprès de Ptolemaïs, colonie. Le cours en est lent, l'eau malsaine à boire, mais consacrée aux cérémonies religieuses. Ce fleuve limoneux et profond ne montre qu'au reflux de la mer le sable qu'il charrie. Alors, en effet, ce sable, agité par les flots, se sépare des impuretés et se nettoie. On pense que dans ce contact les eaux de la mer agissent sur lui, et que sans cela il ne vaudrait rien. Le littoral sur lequel on le recueille n'a pas plus de cinq cents pas, et pendant plusieurs siècles ce fut la seule localité qui produisit le verre. On raconte que des marchands de nitre y ayant relâché, préparaient, dispersés sur le rivage, leur repas ; ne trouvant pas de pierres pour exhausser leurs marmites, ils employèrent à cet effet des pains de nitre de leur cargaison : ce nitre soumis à l'action du feu avec le sable répandu sur le sol, ils virent couler des ruisseaux transparents d'une liqueur inconnue, et telle fut l'origine de verre.

LXVI. Depuis, comme l'industrie est ingénieuse et avisée, on ne se contenta pas de mêler du nitre au sable, et on imagina d'y incorporer la pierre aimant, dans la pensée qu'elle attire à elle le verre fondu comme le fer. De là même façon on se mit à introduire, dans la fonte, divers cailloux luisants, puis des coquillages et des sables fossiles. Des auteurs disent que le verre de l'Inde se fait avec du cristal brisé, et que pour cela aucun ne peut lui être comparé. Pour la fonte on emploie du bois léger et sec, et on ajoute du cuivre de Chypre et du nitre, sur tout du nitre d'Ophir. On le fond, comme le cuivre, dans des fourneaux contigus, et on obtient des masses noirâtres, d'un aspect gras. Le verre fondu est tellement pénétrant, qu'avant même qu'on l'ait senti il coupe jusqu'aux os toutes les parties du corps qu'il touche. Ces masses se fondent de nouveau dans des fourneaux, où on lui donne la couleur ; puis tantôt on le souffle, tantôt on le façonne au tour, tantôt on le cisèle comme l'argent. Jadis Sidon était célèbre pour ses verreries ; on y avait même inventé des miroirs de verre. Telle fut anciennement la fabrication de ce produit. Aujourd'hui, à l'embouchure du fleuve Vulturne, en Italie, sur la côte, dans un espace de six mille pas, entre Cumes et Liternum, on recueille un sable blanc très tendre ; on le broie au mortier et à la meule ; ensuite on y mêle trois parties de nitre, soit au poids, soit à la mesure ; le mélange étant en fusion, on le fait passer dans d'autres fourneaux : la il se prend en une masse à laquelle on donne le nom d'ammonitre. Cette masse est mise en fusion, et elle donne du verre pur et des pains de verre blancs. Cet art a passé même en Gaule et en Espagne, où l'on traite le sable de la même façon. On raconte que sous le règne de Tibère on imagina une mixture qui donnait un verre malléable, et que toute la fabrique de l'artiste fut détruite pour empêcher l'avilissement du cuivre, de l'argent et de l'or. Ce bruit a été longtemps plus répandu que le fait n'est certain ; mais qu'importe ? Du temps de Nerva on a trouvé un procédé de vitrification qui fit vendre 6.000 sesterces (1.206 fr.) deux coupes assez petites qu'on nommait ptérotes (ailées).

LXVII. Au verre appartiennent les vases obsidiens, assez semblables à la pierre qui a été découverte en Ethiopie par Obsidius. Cette pierre est très noire, quelquefois transparente, mais d'une transparente mate, de sorte que, attachée tomme miroir à la muraille, elle rend plutôt l'ombre que l'image des objets. Beaucoup en font des bijoux. J'ai vu en obsidienne des statues massives du dieu Auguste, qui prisait fort de cette substance demi-transparente. Lui-même a consacré comme des merveilles, dans le temple de la Concorde, quatre éléphants de pierre obsidienne. L'empereur Tibère rendit aux Héliopolitains, pour leurs cérémonies, une statue de Ménélas en pierre obsidienne, trouvée dans la succession d'un préfet d'Egypte. Cela montre qu'il faut reporter plus haut qu'on ne le fait l'usage de cette substance, confondue aujourd'hui avec le verre à cause de la ressemblance. D'après Xénocrate, l'obsidienne se trouve dans l'Inde ; dans le Samnium, en Italie ; et, en Espagne, sur les côtes de l'Océan. On fabrique, par le moyen d'une teinture, de l'obsidienne pour divers ustensiles de table, et un verre entièrement rouge, opaque, qu'on nomme hématinon. On fait aussi du verre blanc, du verre imitant le murrhin, imitant l'hyacinthe, le saphir, de toutes les couleurs en un mot. Nulle substance n'est plus maniable, nulle ne se prête mieux aux couleurs ; mais le plus estimé est le verre incolore et transparent, parce qu'il ressemble le plus au cristal. Pour boire il a même chassé les coupes d'argent et d'or ; mais, à moins qu'on n'y verse d'abord du liquide froid, il ne résiste pas à la chaleur ; et cependant des boules de verre remplies d'eau, opposées aux rayons du soleil (XXXVII, 10, 2), réchauffent tellement, qu'elles brûlent des étoffes. Le verre en fragments ne fait que se souder au feu ; pour le fondre entièrement, il faudrait le broyer. La verrerie fait divers objets de verre coloré, par exemple les pièces d'échiquier qu'on nomme abaculi ; ces objets offrent même quelquefois plusieurs nuances. Le verre fondu avec le soufre se durcit en pierre.

LXVIII. Après avoir parcouru tout ce que crée le génie, grâce à l'art reproduisant la nature, il nous faut considérer avec admiration qu'il n'est presque rien où le feu n'intervienne. (XXVII.) Le feu reçoit des sables, et il rend, ici du verre, là de l'argent, ailleurs du minium, ailleurs le plomb et ses variétés, ailleurs des substances colorantes, ailleurs des médicaments. Par le feu des pierres se résolvent en cuivre (XXXIV, 2) ; par le feu, le fer est produit et dompté ; par le feu, l'or est purifié ; par le feu est calcinée la pierre qui va, en ciment, assurer la solidité de nos demeures. Certaines matières doivent être soumises plus d'une fois à son action ; et la même substance qui donne un produit à la première cuite en donne un différent à la seconde, et un troisième à la troisième (XXXIV, 47). Le charbon, c'est après avoir passé par le feu, après avoir été éteint, qu'il commence à avoir de la force, puissant surtout alors qu'on le croit mort. Immense et fallacieuse portion de la nature, et de laquelle on ne sait si elle ne crée pas plus qu'elle ne détruit !

LXIX. Les feux ont aussi une vertu médicinale. Dans les maladies pestilentielles qui proviennent de l'obscurcissement du soleil, il est certain que des feux allumés sont d'un secours très varié : Empédocle et Hippocrate l'ont prouvé dans divers lieux. Le feu soulage dans les convulsions ou les contusions des viscères, d'après M. Varron ; je le citerai textuellement : «La lessive, dit-il, est la cendre du foyer. Or, cette cendre prise intérieurement remédie aux mauvais coups ; on le voit chez les gladiateurs, qui, les jeux finis, se réconfortent par ce breuvage». Le charbon, genre de maladie qui a emporté récemment, comme nous l'avons dit (XXVI, 4), deux personnages consulaires, se guérit avec du charbon de chêne, broyé dans du miel. Tant il est vrai que des choses de rebut et déjà nulles pour ainsi dire renferment encore quelques remèdes, témoin le charbon, témoin la cendre !

LXX. Je n'omettrai pas non plus un fait unique, relatif au foyer, et célèbre dans l'histoire romaine. Sous le règne de Tarquin l'Ancien, on rapporte que tout à coup dans son foyer apparurent des parties génitales mâles en cendre : que la servante de la reine Tanaquil, la captive Ocrisie, qui était assise là, se leva enceinte, et qu'elle mit au monde Servius Tullius, successeur de Tarquin. On ajoute que, étant au berceau dans le palais, la tête de l'enfant parut au jour tout en flamme, et qu'il passa pour le fils du Lare domestique ; aussi institua-t-il les fêtes Compitales, qui sont des jeux en l'honneur des dieux Lares.


Traduction par Emile Littré (1855)