VII, 6 - La côte occidentale du Pont-Euxin

Carte Spruner (1865)

1. De tout l'intervalle compris entre l'Ister et les montagnes qui bornent de chaque côté la Paeonie, il ne nous reste plus à décrire que la partie de la côte du Pont Euxin allant de l'Hierostoma ou Bouche sacrée de l'Ister à la chaîne de l'Haemus, voire au détroit de Byzance. Car, de même qu'en décrivant la côte d'Illyrie nous avons poussé jusqu'aux Monts Cérauniens, bien qu'ils tombassent en dehors de la chaîne Illyrienne, parce qu'ils nous offraient une borne ou limite naturelle, dont nous nous sommes servi ensuite pour déterminer la position des différents peuples de l'intérieur, un pareil point de repère nous ayant paru de nature à rendre plus clair, non seulement ce que nous décrivions actuellement, mais ce que nous devions décrire ensuite, de même ici, dans le relevé de la côte de 1'Euxin, nous ne craindrons pas de dépasser la ligne formée par les montagnes, pour ne nous arrêter qu'à l'entrée du détroit, autre limite naturelle, répondant également bien aux besoins de la description présente et à ceux de la description qui doit suivre. Partons donc de l'Hierostoma ou Bouche sacrée de l'Ister avec la côte à notre droite, nous y relevons d'abord, à une distance de 500 stades, Istrus, petite ville d'origine milésienne, et, 250 stades plus loin, Tomis, autre place de peu d'importance ; puis vient la ville de Callatis, colonie d'Héraclée, à 280 stades de Tomis. Nous comptons ensuite 1300 stades jusqu'à Apollonie, colonie de Milet, dont la meilleure partie est bâtie dans une petite île, y compris le temple d'Apollon d'où Marcus Lucullus enleva naguère, pour la dédier dans le Capitole, cette statue colossale du dieu, chef-d'oeuvre de Calamis. Ajoutons que dans l'intervalle de Callatis à Apollonie on remarque, outre Bizone, dont une grande partie fut engloutie jadis à la suite de tremblements de terre, Cruni, Odessus, colonie de Milet, et la petite place de Nauloque, qui appartient aux Mésembriens. Nous relevons ensuite le Mont Menus, dont l'extrémité de ce côté s'avance jusqu'au bord même de la mer, puis vient Mesembria, colonie mégarienne, appelée primitivement Menebria (comme qui dirait la ville de Menas) du nom de Menas, son fondateur, et du mot thrace bria, lequel signifie ville et se retrouve dans le nom de Selybria (la ville de Sélys) et dans celui de Poltyobria, que portait anciennement Aenos. Enfin se présente Anchialé, petite ville appartenant aux Apolloniates, et Apollonie elle-même. Nommons encore, dans cette partie de la côte, le cap Tirizis, avec un château d'une assiette très forte, dont Lysimaque avait fait son trésor. D'Apollonie ensuite jusqu'aux Roches Cyanées, la distance est de 1500 stades environ, et, dans l'intervalle, après le canton de Thyniade, qui fait encore partie du territoire d'Apollonie, se présentent les villes de Phinopolis et d'Andriacé, puis la plage de Salmydessus qui y est en quelque sorte contiguë ; cette plage est déserte et pierreuse, dépourvue de ports et tout ouverte aux vents du nord ; elle se prolonge jusqu'aux Cyanées mêmes, c'est-à-dire l'espace de 700 stades environ, et tous les vaisseaux que la tempête y jette sont aussitôt pillés par les Astes, peuple thrace, qui habite juste au-dessus dans l'intérieur. Les Roches Cyanées sont deux petites îles situées à l'entrée du Pont, et qui semblent toucher l'une à la côte d'Europe, l'autre à la côte d'Asie ; elles laissent entre elles un canal de 20 stades environ, et la même distance les sépare, l'une du temple de Byzance, l'autre du temple de Chalcédoine, c'est-à-dire de la partie la plus resserrée du détroit qui donne entrée dans le Pont, car, pour peu qu'on avance encore de dix stades, on rencontre un promontoire qui réduit la largeur du canal à cinq stades ; mais plus loin il s'alargit de nouveau et commence à se confondre avec la Propontide.

2. Du promontoire qui forme ce qu'on appelle le Pentastade au Port du Figuier, la distance est encore de 35 stades, enfin il n'y a plus que 5 stades jusqu'à la Corne de Byzance. On donne ce nom à un golfe qui baigne les murs mêmes de Byzance : ce golfe remonte vers l'O. l'espace de soixante stades et ressemble tout à fait à un bois de cerf, car il se partage en une foule d'autres golfes, qui figurent autant de branches, et dans lesquels on voit souvent s'engager des troupes de pélamydes, dont la pêche devient alors on ne peut plus facile, vu l'abondance du poisson, la force du courant qui le pousse et le peu de largeur de ces criques qui permet en certains endroits de le prendre à la main. La reproduction de ces poissons a lieu dans les bas-fonds ou marais du Maeotis, mais aussitôt que les jeunes ont pris un peu de force, ils franchissent par troupes le détroit, et se portent le long de la côte d'Asie jusqu'à Trapezûs et à Pharnacie. On commence là à leur donner la chasse, mais sans grand profit, car ils n'ont pas encore pris toute leur croissance ; une fois à la hauteur de Sinope, ils sont déjà dans de meilleures conditions pour être pêchés et salés ; puis, quand ils ont atteint et dépassé les Roches Cyanées, la vue d'un certain rocher de couleur blanchâtre qui se détache de la côte de Chalcédoine leur fait peur et les chasse aussitôt vers la rive opposée. Là, le courant s'empare d'eux, et, comme la disposition naturelle des lieux pousse le flot à se diriger vers Byzance, vers la Corne de Byzance, il les entraîne de ce côté pour le plus grand profit des Byzantins et du peuple romain. Les Chalcédoniens, au contraire, placés comme ils sont sur la rive opposée, ne peuvent pas, malgré l'extrême proximité, participer aux profits de cette pêche, car la pélamyde n'approche jamais de leurs ports. C'est même là, dit-on, ce qui aurait dicté le fameux oracle d'Apollon, lorsqu'en réponse aux Byzantins, qui, après la fondation de Chalcédoine par les Mégariens, étaient venus le consulter sur l'emplacement à donner à Byzance, ce Dieu leur conseilla de la bâtir juste en face des Aveugles, désignant par là les Chalcédoniens, qui, venus les premiers dans ces parages, avaient négligé de s'établir de l'autre côté du détroit, dans un emplacement si riche à tous égards, et lui avaient préféré le leur comparativement si pauvre.

Ce qui nous a fait pousser ainsi jusqu'à Byzance, c'est qu'une ville aussi illustre, qui est d'ailleurs le point le plus rapproché de l'entrée du Pont, nous offrait une limite plus généralement connue et plus propre, par conséquent, à clore ce relevé de la côte depuis l'Ister.

Au-dessus de Byzance, dans l'intérieur, habite la nation des Astes, qui a pour ville principale, Calybé ; c'est cette même ville que Philippe, fils d'Amyntas, peupla naguère des malfaiteurs les plus dangereux de son royaume.


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