X, 2 - Acharnanie, Etolie et îles adjacentes

Carte Spruner (1865)

1. Les Aetoliens et les Acarnaniens sont limitrophes, et n'ont d'autre barrière entre eux qui les sépare que le cours de l'Achéloüs, fleuve qui prend sa source dans le Pinde et qui, coulant ensuite du nord au sud, traverse successivement le territoire des Agraeens, peuple de race aetolique, et le territoire des Amphilochiens. Ce sont les Acarnanes qui habitent à l'ouest du fleuve : ils occupent là tout le pays jusqu'à la partie du golfe Ambracique voisine de l'Amphilochie où s'élève le temple d'Apollon Actien ; quant aux Aetoliens, ils occupent la rive orientale et s'étendent à leur tour jusqu'aux Locriens Ozoles, jusqu'à la chaîne du Parnasse et à la région de l'Oeta. Au-dessus de ces deux peuples, maintenant, dans l'intérieur, habitent, d'une part, les Amphilochiens qui, placés juste au nord des Acarnanes, ont à leur tour au-dessus d'eux les Dolopes et le Pinde ; d'autre part, les Perrhèbes, qui, avec les Athamanes et une tribu d'Aenianes détachée des Aenianes de l'Oeta, se trouvent placés juste au nord des Aetoliens. Reste le côté méridional commun à l'Acarnanie et à l'Aetolie : ce côté est baigné par la mer qui forme le golfe de Corinthe, et, comme c'est dans le golfe de Corinthe que débouche l'Achéloüs, le cours de ce fleuve se trouve servir encore de ligne de démarcation entre le littoral aetolien et le littoral acarnane. [Indépendamment de l'Achéloüs dont nous venons de parler] et qui s'appelait primitivement le Thoas, en connaît deux autres cours d'eau du même nom : l'un passe auprès de Dymé (nous l'avons mentionné ci-dessus), l'autre coule dans les environs de Lamia. Rappelons enfin, pour l'avoir également mentionnée dans ce qui précède, l'opinion de certains auteurs qui font partir le golfe de Corinthe de l'embouchure même du fleuve Achéloüs.

2. Et cela fait, passons aux villes. Celles de l'Acarnanie sont : 1° Anactorium, qui, située sur une presqu'île dans le voisinage d'Actium, sert aujourd'hui d'emporium ou d'entrepôt à Nicopolis, ville toute moderne fondée seulement de nos jours ; 2° Stratos, où l'on peut arriver en remontant l'Achéloüs (la distance depuis la mer est de plus de 200 stades) ; 3° Oeneadae qui se trouve située aussi sur le fleuve, tant la vieille ville dont l'emplacement aujourd'hui désert se voit juste à mi-chemin entre la mer et Stratos, que la ville neuve bâtie à 70 stades au-dessus de l'embouchure. Quant aux autres villes, telles que Palaeros, Alyzia, Leucas, Argos Amphilochicum et Ambracie, elles forment presque toutes aujourd'hui (et l'on peut même dire toutes) de simples dèmes dépendants de Nicopolis. C'est entre Alyzia et Anactorium, à une distance égale de l'une et de l'autre, que se trouve la ville de Strates.

3. Les Aetoliens, à leur tour, ont deux villes principales, Calydon et Pleuron, toutes deux à vrai dire bien déchues aujourd'hui, mais qui ont été dans un temps l'ornement même de la Grèce. [L'existence d'une double capitale s'explique] par la division du pays en deux provinces appelées l'Aetolie ancienne et l'Aetolie Epictète, et comprenant, la première, toute la côte qui s'étend de l'Achéloüs à Calydon, plus une bonne partie des riches plaines de l'intérieur jusqu'aux environs de Stratos et de Trichonium (c'est dans cette dernière localité que se trouvent situées les terres les plus fertiles) ; la seconde, tout le pays relativement plus sauvage et plus pauvre qui s'étend le long de la frontière de Locride (dans la direction par conséquent de Naupacte et d'Eupalium), pour remonter ensuite jusqu'à la région de l'Oeta et à l'Athamanie, voire plus loin jusqu'à cette ceinture de montagnes et de peuples [barbares] qui enveloppe l'Aetolie au nord.

4. L'Aetolie, du reste, renferme elle-même une chaîne de montagnes très considérable, à savoir la chaîne du Corax, laquelle va se relier à l'Oeta. On y distingue aussi, mais plus avant dans l'intérieur des terres, un certain nombre de sommets [isolés], l'Aracynthus d'abord sur les pentes duquel fut fondée la nouvelle ville de Pleuron, quand, par suite des incursions répétées de Démétrius l'Aetolique, les habitants crurent devoir déplacer leur ancienne ville et quitter la plaine fertile qu'elle occupait dans le voisinage de Calydon ; puis, au-dessus de Molycria, le Taphiassus et le Chalcis, montagnes encore passablement hautes et qui supportaient autrefois les petites places de Macynia et de Chalcis (cette dernière, dont le nom était celui de la montagne elle-même, est appelée quelquefois aussi Hypochalcis) ; enfin, le Curius qui s'élève non loin de l'emplacement de Palaeopleuron, et de qui les anciens Pleuroniens ont bien pu, comme on l'a supposé, emprunter dans un temps le nom de Curètes.

5. Le fleuve Evénus prend naissance sur le territoire des Bomiéens, branche de la grande tribu des Ophiéens, laquelle est de sang aetolien, tout comme les Eurytanes, les Agraeens, les Curètes, etc., etc. ; mais au lieu de se diriger tout d'abord à travers la Curétique (qui n'est autre, avons-nous dit, que l'ancienne Pleuronie), il incline plus à l'est, passe près de Chalcis et de Calydon ; puis, pour revenir vers les plaines qui formaient le territoire de Palaeopleuron, fait un coude marqué vers l'ouest, et de là, tournant au midi, gagne le point de la côte où il débouche. L'Evénus se nommait primitivement le Lycormas, et c'est sur ses bords que la tradition place le meurtre de Nessus par Hercule : suivant cette tradition, Nessus était préposé au passage du fleuve et Hercule le punit d'avoir essayé en passant Déjanire de lui faire violence.

6. Olénus et Pylène sont deux villes mentionnées par Homère et données par lui comme villes aetoliennes. Or, la première, dont le nom rappelle une ville célèbre d'Achaïe, fut détruite par les Aeoliens : elle était voisine de l'emplacement où fut bâtie plus tard Néo-Pleuron, et les Acarnaniens en revendiquèrent le territoire. Quant à Pylène, elle fut déplacée, reportée plus haut dans l'intérieur et appelée à cette occasion d'un nom nouveau, Proschium. Hellanicus parle de l'une et de l'autre, mais se montre fort mal instruit de leur histoire, car il les présente comme étant encore de son temps ce qu'elles avaient été d'abord. D'autre part, il range parmi les villes anciennes du pays des villes comme Macynia et Molycria, qui n'ont été fondées que postérieurement au retour des Héraclides. On reconnaît là le peu d'exactitude que cet auteur montre dans presque tout le cours de son ouvrage.

7. A cette vue d'ensemble sur la contrée que se partagent les Acarnanes et les Aetoliens ajoutons quelques détails plus particulièrement relatifs au littoral et aux îles adjacentes. Le premier point remarquable que présente la côte d'Acarnanie à partir de l'entrée du golfe Ambracique est Actium. Mais sous ce nom l'on désigne à la fois le temple d'Apollon Actien et la pointe ou presqu'île qui détermine l'entrée du golfe, et qui se trouve avoir elle-même son côté extérieur creusé en forme de port. Anactorium qui vient ensuite et qui est situé en dedans de golfe est à 40 stades du temple d'Actium et à 240 stades de Leucade.

8. Leucade était anciennement une presqu'île de l'Acarnanie, car Homère l'appelle Aktên Epeiroio, et, comme le mot Epeiroio s'appliquait dans sa pensée à la côte de terre-ferme qui fait face à Ithaque et à Céphallénie, laquelle n'est autre que l'Acarnanie, il est clair qu'il faut entendre l'expression tout entière Aktên Epeiroio d'une presqu'île de l'Acarnanie. Cette presqu'île renfermait plusieurs villes, Nérite d'abord, que Laërte se vante d'avoir prise de vive force,

«[Que n'étais-je hier], comme je fus jadis... quand, à la tête des Céphalléniens,
j'enlevai d'assaut la fière Nérite, à l'extrémité du continent» (
Od. XXIV, 376),

puis ces deux autres villes qu'Homère mentionne dans son Catalogue des vaisseaux,

«Et [les Céphalléniens] de Crocylée, et ceux qui occupaient l'âpre canton d'Aegilips» (Il. II, 633).

Mais il arriva que des Corinthiens envoyés par Cypsélus et Gorgus a prirent possession de toute cette portion avancée du continent jusqu'au golfe Ambracique, et qu'après avoir fondé les villes d'Ambracie et d'Anactorium ils jugèrent à propos de faire de Leucade une île et à cet effet percèrent l'isthme qui la réunissait au continent, puis ayant transporté la ville de Nérite à l'endroit même où avait été l'isthme, au bord du bras de mer qui l'avait remplacé et sur lequel on a depuis jeté un pont, donnèrent à cette ville ainsi déplacée le nom nouveau de Leucade, emprunté, j'imagine, au cap Leucate, c'est-à-dire à ce rocher tout blanc qui s'avance dans la direction de la haute mer, juste en face de Céphallénie, et qui lui-même probablement n'a dû son nom qu'à sa couleur. [L'auteur de l'Alcméonide cependant parle de deux frères de Pénélope, nommés Alyzée et Leucadius, nés comme elle d'Icarius, et qui auraient partagé avec leur père le trône de l'Acarnanie, et Ephore incline à penser que c'est plutôt de ces deux princes que les villes d'Alyzée et de Leucade auront emprunté leurs noms].

9. C'est du haut de ce cap, dominé aujourd'hui encore par le temple d'Apollon-Leucate que l'on faisait le saut terrible, qui, suivant une croyance généralement répandue, pouvait seul guérir du mal d'amour. On connaît les vers de Ménandre à ce sujet :

«Sapho est la première, dit-on, qui, dans le délire de la passion, et lasse d'avoir poursuivi en vain de son amour
l'insensible Phaon, s'élança du haut de cette roche resplendissante, en invoquant ton nom, ô divin maître...».

Ménandre, on le voit, attribue formellement à Sapho l'origine du saut de Leucade ; mais d'autres auteurs plus versés que lui dans la connaissance des antiquités assurent que ce fut Céphale, fils de Déionée, qui le premier chercha dans cette épreuve un remède à la passion qu'il ressentait pour Ptérélas. De toute antiquité, du reste, il avait été d'usage à Leucade, que chaque année, le jour de la fête d'Apollon, on précipitât du haut du cap Leucate, à titre de victime expiatoire, quelque malheureux poursuivi pour un crime capital. On avait soin seulement de lui empenner tout le corps et de l'attacher à des volatiles vivants qui pouvaient, en déployant leurs ailes, le soutenir et amortir d'autant sa chute. De plus, au-dessous du rocher, un grand nombre de pêcheurs dans leurs barques attendaient le moment de la chute, rangés en cercle, et prêts à recueillir la victime et à la transporter loin de Leucade, si le sauvetage réussissait.

10. Le nom de Céphallènes qui ne désigne plus aujourd'hui que les habitants de l'île de Céphallénie s'appliquait du temps d'Homère à tous les peuples sujets d'Ulysse, et, par conséquent, aux Acarnanes qui, comme on sait, étaient du nombre. [Le témoignage d'Homère à cet égard est formel,] car, après avoir dit :

«Ulysse à son tour avait amené les Céphallènes, ceux d'abord qui habitent Ithaque et le Nérite
à la cime verdoyante toujours agitée par le vent...» (
Il. II, 631),

(ce qui rappelle, par parenthèse, cet autre passage de l'Iliade (Ibid. 625) :

«Ceux qu'envoient Dulichium et les Echinades, îles sacrées...»,

puisque Dulichium est par rapport au groupe des Echinades, et le Nérite par rapport à Ithaque, ce que la partie est au tout ; et cet autre passage également :

«Ceux qui habitent Buprase et la vaste Elide» (Ibid. 615),

puisque Buprase dépend de l'Elide ; et cet autre encore :

«Et les habitants de l'Eubée, de Chalcis et d'Erétrie» (Ibid. 536),

puisque ces deux villes appartiennent à l'Eubée ; voire même celui-ci :

«Vous Troyens, vous aussi Lyciens, vous aussi enfants de Dardanus» (Ibid. VIII, 173),

puisque Lyciens et Dardaniens étaient compris parmi les Troyens), le poète poursuit son énumération et ajoute :

«Ceux aussi qui habitent Crocylée et l'âpre canton d'Aegilies, ceux de Zacynthe, ceux de Samos,
ceux enfin qui habitent l'Epire, de l'autre côté du détroit».

Or, il est clair qu'ici le nom d'EPIRE désigne, par opposition aux îles, toute la côte de terre-ferme située vis-à-vis, y compris [l'ancienne presqu'île] de Leucade et le reste de l'Acarnanie, d'autant qu'ailleurs encore Homère dira [par opposition à l'île d'Ithaque] :

«En EPIRE, douze grands troupeaux de boeufs, autant de parcs de moutons» (Od. XIV, 100) ;

à moins pourtant que l'on n'admette que l'Epire proprement dite s'avançait anciennement jusqu'ici et qu'il y a eu confusion entre le nom propre et le nom commun, êpeiros signifiant, comme on sait, terre-ferme ou continent. Quant au nom de Samos, il désigne [dans le passage en question] l'île actuelle de Céphallénie aussi sûrement que dans cet autre passage,

«[Afin que j'épie son retour] dans le canal, entre Ithaque et la rocheuse Samos» (Ibid. IV, 671),

où il est accompagné d'une épithète propre à dissiper toute équivoque pouvant naître de l'homonymie, précaution qui empêche absolument qu'on n'entende de la ville ce que le poète a voulu dire de l'île. Des quatre villes, en effet, que contenait l'île, il y en avait une qui s'appelait comme elle indifféremment Samos ou Samé. L'homonymie était donc complète. Disons pourtant que, dans un autre passage ainsi conçu,

«Tous les princes qui règnent sur les îles voisines, à Dulichium, à Samé, dans la verte Zacynthe» (Ibid. I, 246),

passage qui ne contient évidemment qu'une énumération d'îles, mais dans lequel Homère aura appelé Samé la même île qu'ailleurs il nomme Samos, Apollodore prétend qu'il faut lire : «A Dulichium, à SAMOS», et non «A Dulichium, à SAME».

Il se fonde justement sur la précaution que le poète a prise une fois de prévenir l'amphibologie au moyen d'une épithète, et par cela seul semble croire que, si les formes Samé et Samos pouvaient servir également bien à désigner la ville (c'est à la ville, suivant lui, que le nom de Samé s'applique et dans ce passage emprunté au dénombrement fait par Télémaque de tous les prétendants qu'avait fournis chaque ville :

«De Samé il en est venu vingt quatre» (Od. I, 249),

et dans cet autre passage du récit [d'Eumée] sur Ctimène :

«Ils l'établirent alors en la mariant à un habitant de Samé» (Ibid. XV, 366),

l'île, en revanche, n'était jamais désignée que par le nom de Samos. Nous ne voyons à cela rien d'impossible. Homère est en général si peu précis quand il parle soit de Céphallénie, soit d'Ithaque et des lieux circonvoisins, que l'on comprend bien que ceux qui ont à interpréter ces passages de son poème, grammairiens ou historiens, ne soient pas toujours d'accord.

11. Mais occupons-nous d'abord d'Ithaque. Quand Homère nous dit :

«Ceux qui habitaient Ithaque et Nérite à la cime verdoyante, toujours agitée par le vent» (Il. II, 632),

autant il est clair en ce qui concerne Nérite, puisque l'épithète einosiphullon qui accompagne ce nom ne laisse pas douter un seul moment qu'il ne s'agisse là de la montagne, laquelle se trouve d'ailleurs formellement indiquée dans le passage suivant :

«J'habite la riante et tiède Ithaque ; là s'élève une montagne, à la cime verdoyante, toujours agitée par le vent :
Nérite est son nom, on l'aperçoit de très loin» (
Od. IX, 21),

autant il laisse dans le vague la vraie signification du nom d'Ithaque. Est-ce de la ville, en effet, est-ce de l'île qu'il a voulu parler ? On ne sait vraiment que décider à cet égard, touchant le premier passage du moins, puisque l'expression «Ceux qui habitaient Ithaque et Nérite», qui, prise dans son sens propre, équivaudrait à celles-ci «Athènes et le Lycabette», «Rhodes et l'Alabyris», «Lacédémone et le Taygète», et désignerait indubitablement la ville, s'accommode mieux, dans les données du style poétique, de la signification contraire. A vrai dire, dans le second passage, toute hésitation disparaît, et, quand on entend ces paroles d'Ulysse :

«J'habite la riante et tiède Ithaque ; là s'élève une montagne, Nérite est son nom...»,

personne ne s'y trompe, la montagne s'élevant dans l'île apparemment, et non pas dans la ville. Mais avec le vers suivant,

«Le pays d'où nous venons est l'île d'Ithaque que Néion domine» (Od. III, 81),

l'embarras recommence, on se demande si ce nom de Néion a été mis là comme un équivalent de celui de Nérite, ou s'il désigne quelque autre point de l'île, soit une montagne, soit une ville.

12. On se demande enfin si un vers comme celui-ci,

«De toutes ces îles l'humble et basse Ithaque est la plus élevée sur la mer» (Od. IX, 25),

ne contient pas une contradiction grossière. Comment concilier en effet les deux épithètes chthamalê et panupertatê ? La première, on le sait, ne s'applique qu'à ce qui est bas et rampant ; tandis que la seconde désigné tout lieu élevé, tout lieu semblable à Ithaque, par conséquent, puisque Homère donne en maint endroit de son poème le nom de Cranaé à Ithaque (Od. I, 247 ; XV, 509 XVI, 124 ; XXI, 346), qu'il parle ailleurs du chemin qu'Ulysse prend à la sortie du port comme d'un

«Sentier abrupt, montant à travers les bois» (Od. XIV, 1, 2),

et qu'ailleurs encore il nous dit :

«Dans toutes les îles, dans toutes les terres qui ont la mer a pour ceinture,
les riantes prairies et les gras pâturages sont rares, mais nulle part aussi rares qu'à Ithaque» (
Ibid. IX, 686).

A prendre les mots dans leur sens propre, la contradiction est donc formelle ; en les expliquant, cependant, comme il suit, on résout la difficulté assez heureusement. L'épithète chthamalê, nous dit-on, n'a pas ici le sens de bas, elle indique seulement la proximité de la côte, presque la contiguïté. Panupertatê ne signifie pas non plus très élevée [dans l'acception ordinaire du mot], mais très élevée vers la région obscure, autrement dit la dernière, la plus septentrionale de toutes ces îles. C'est en effet le côté du nord que le poète désigne par l'expression pros zophon, vers la région obscure, de même qu'il dira pour désigner le côté opposé, le midi,

«Quant aux autres, elles s'écartent et tirent plutôt vers l'aurore et le soleil» (Ibid. IX, 26).

Car, s'il emploie dans ce vers le mot aneuthe, lequel implique une idée de séparation et d'éloignement, c'est évidemment pour mieux marquer que ces différentes îles sont d'autant plus méridionales qu'elles s'éloignent davantage du continent, et que l'île d'Ithaque, qui est au contraire fort rapprochée de la côte, se trouve située en même temps bien au nord des autres. Que l'expression pros êô t'êelion te, dans Homère, signifie réellement le côté du midi, la chose ressort du passage suivant :

«Soit qu'ils volent à droite, du côté de l'aurore et du soleil,
soit qu'ils gagnent à gauche la région obscure du ciel...» (
Il. XII, 239) ;

et mieux encore de celui-ci :

«Amis, puisque nous ignorons et le côté de la nuit et le côté de l'aurore, et le point de l'horizon, où le soleil, ce flambeau des humains, descend au-dessous de la terre, et le point où il reparaît pour s'élever de nouveau au-dessus de nous...» (Od. X, 190).

A la rigueur même, on pourrait dans ce dernier passage reconnaître la mention des quatre climats, l'expression tên êô étant censée désigner à elle seule le midi, mais, bien que cette interprétation ait quelque chose de spécieux, nous aimons mieux croire que l'intention du poète a été simplement d'opposer la portion du ciel où se meut le soleil à la portion arctique ou septentrionale, d'autant que le discours [du héros] fait allusion évidemment à un changement considérable dans les apparences célestes et non à une circonstance aussi simple que [la difficulté où l'on est de s'orienter] quand les climats se dérobent à la vue. Toutes les fois en effet que le ciel est sombre, soit le jour, soit la nuit, la même difficulté se reproduit forcément, tandis qu'un changement considérable dans les apparences célestes suppose que l'observateur s'est avancé plus ou moins loin vers le midi ou dans la direction opposée, mais sans perdre de vue, pour peu que le temps soit clair, le levant et le couchant. Le midi et le nord seuls peuvent dans ce déplacement disparaître à ses yeux. Le pôle, qui est le point le plus arctique, se mouvant alors avec l'observateur, et se trouvant placé soit au-dessus de sa tête, soit au-dessous de l'horizon, les cercles arctiques varient pareillement et vont jusqu'à disparaître tout à fait, auquel cas l'observateur ne sait plus où est le climat arctique, voire s'il y en a uni, ni par conséquent où se trouve le climat opposé.

Nous terminerons ce qui est relatif à Ithaque, en disant que sa circonférence est de [2]80 stades environ.

13. Quant à Céphallénie, l'île aux quatre villes, elle n'est pas mentionnée dans Homère sous son nom actuel ; de ses quatre villes, une seule aussi figure dans les vers du poète. C'est celle qu'il nomme tantôt Samos, tantôt Samé. Cette ville n'existe plus aujourd'hui, mais on en voit encore quelques vestiges debout vers le milieu de la côte qui longe le canal ou détroit d'Ithaque. Ses habitants étaient connus sous le nom de Samaeens. Les trois autres villes en revanche subsistent encore ; seulement, ce sont de fort petites places : elles se nomment [Palées], Pronèse et Cranii. De nos jours on en a vu une autre s'élever à côté d'elles. C'était C. Antonius, oncle de Marc-Antoine, qui présidait à l'entreprise : banni de Rome, comme il venait d'exercer le consulat avec Cicéron, l'illustre orateur, il s'était réfugié à Céphallénie, et n'avait pas tardé à s'y créer une véritable souveraineté, ayant fait de l'île entière en quelque sorte sa propriété. Il n'eut pas le temps cependant d'achever son oeuvre, il obtint son rappel auparavant, et, de retour à Rome, y préludait déjà à des desseins plus vastes quand la mort vint le surprendre.

14. Quelques auteurs n'ont pas craint d'avancer que Céphallénie était la même île qu'Homère mentionne sous le nom de Dulichium ; d'autres l'ont identifiée avec Taphos et ont prétendu que les noms de Céphalléniens et de Taphiens, voire celui de Téléboens, ne désignaient qu'un seul et même peuple ; qu'Amphitryon, en compagnie de Céphale, fils de Déionée, alors exilé d'Athènes, avait jadis envahi et conquis l'île de Taphos, mais pour la céder aussitôt à son compagnon de qui elle avait pris le nom, pendant que les quatre villes de la tétrapole prenaient chacune le nom d'un de ses fils. Rien de moins homérique malheureusement. Les Céphallènes, en effet, dans Homère, figurent comme étant les sujets d'Ulysse et de Laërte, tandis que les Taphiens ont pour chef Mentès :

«Je suis Mentès, fils du valeureux Anchiale ; je commande aux Taphiens, peuple habile à manier la rame» (Od. I, 181).

Et c'est l'île actuelle de Taphiûs qui représente l'ancienne Taphos. Quant à l'opinion d'Hellanicus que Céphallénie n'est autre que l'île appelée Dulichium par le poète, elle n'est pas plus conforme à la tradition homérique. Celle-ci, en effet, place Dulichium et les autres Echinades, et par conséquent les Epéens leurs habitants, peuple originaire d'Elide, sous l'autorité de Mégès. Ainsi, en parlant d'Otus le Cyllénien, Homère ajoute :

«Il était l'ami, le lieutenant du fils de Phylée, et guidait au combat les nobles Epéens» (Il. XV, 519),

tandis que c'est Ulysse qui marchait à la tête des braves Céphalléniens.

Il est donc impossible, puisque Homère nous montre les Epéens, sujets de Mégès, occupant seuls tout Dulichium, comme les Céphallènes, sujets d'Ulysse, occupaient à eux seuls l'île entière de Céphallénie, de s'autoriser du témoignage du poète pour identifier Dulichium, soit avec Céphallénie même, soit, comme le veut Andron, avec une des villes de cette île, avec Palées par exemple, que Phérécyde déclare être le lieu qu'Homère a voulu désigner sous le nom de Dulichium. Mais de tous les commentateurs d'Homère aucun ne raisonne d'une façon aussi anti-homérique que celui qui, pour identifier Céphallénie avec l'antique Dulichium, se fonde sur cette circonstance [de l'entretien de Télémaque avec son père] que

«Les prétendants étaient venus de Dulichium au nombre de cinquante-deux, et de Samé au nombre de vingt-quatre» ;

car, à coup sûr, après avoir marqué le nombre fourni par l'île entière, le poète n'eût pas été dire qu'une des quatre cités de l'île avait à elle seule fourni presque la moitié de ce nombre (la moitié moins deux), ou, si l'on admet la chose comme étant à la rigueur possible, qu'on nous explique alors ce que peut bien faire le nom de Samé dans cet autre passage :

«Et Dulichium et Samé, et la verte Zacynthe» (Od. I, 246).

15. L'île de Céphallénie est située en face de l'Acarnanie, à 50 stades environ, d'autres disent à 40 stades seulement du promontoire Leucate et à [1]80 stades à peu près du cap Chélonatas. Elle peut avoir [7]003 stades de circuit et s'allonge sensiblement dans la direction de l'Eurus. Généralement montagneuse, elle a pour point culminant le mont [Aenus], lequel supporte le temple de Jupiter Aenésien. Dans sa partie la plus resserrée, cependant, elle forme un isthme assez bas pour permettre souvent aux deux mers qu'il sépare de communiquer en le couvrant de leurs eaux. C'est dans le voisinage de l'isthme même et au fond du golfe qu'il forme que s'élèvent les villes de Cranii et de Palées.

16. Entre Ithaque et Céphallénie est la petite île d'Astérie, l'Astéris d'Homère. Au dire du Scepsien, elle ne posséderait plus, comme au temps du poète,

«Ce double port, sûr asile toujours ouvert aux vaisseaux».

Mais Apollodore affirme que rien n'est çhangé à cet égard, et il en donne pour preuve que la petite ville d'Alalcomènes y est bâtie précisément sur l'isthme [qui sépare les deux ports].

17. Homère appelle aussi Samos cette île des côtes de Thrace que nous nommons aujourd'hui Samothrace. Quant à la Samos Ionique, il est assez probable qu'il la connaissait : il paraît avoir eu connaissance de la grande migration des Ioniens, et, s'il n'eût eu la crainte qu'on ne confondît les deux homonymes, il n'eût certes pas, toutes les fois qu'il parlait de Samothrace, pris soin ou de joindre une épithète au nom de Samos comme dans ce vers :

«Du sommet le plus élevé de Samos, cette île verdoyante que baigne la mer de Thrace» (Il. XIII, 12),

ou d'énumérer en même temps les îles les plus rapprochées, comme dans cet autre vers :

«A Samos, à Imbros ou dans l'inaccessible Lemnos» (Ibid. XXIV, 753),

et dans celui-ci encore :

«Entre Samos et l'âpre Imbros, aux bords escarpés» (Ibid. 7).

Homère a donc, je le répète, bien probablement connu la Samos d'Ionie, mais il ne l'a point nommée dans ses vers. A vrai dire, Samos n'était pas le nom primitif de cette île, elle s'était appelée d'abord Mélamphylle, puis Anthémis, puis Partliénie du nom du fleuve Parthénius, qui lui-même s'est appelé plus tard l'Imbrasus. Mais alors, puisqu'il est avéré qu'à l'époque de la guerre de Troie, quand il ne pouvait être question encore d'une Samos ionique, ce nom de Samos appartenait déjà, non seulement à l'île de Céphallénie, mais même à celle de Samothrace (sans quoi Homère n'eût pu mettre dans la bouche d'Hécube les paroles suivantes :

«Si quelque autre de mes fils tombait au pouvoir d'Achille, il le faisait vendre à Samos, à Imbros» (Ibid. 752),

la Samos ionique n'a pu évidemment emprunter son nom qu'à l'une ou à l'autre de ces deux Samos plus anciennes, et il a fallu par conséquent faire violence à l'histoire pour oser dire qu'après l'établissement des Ioniens à Samos, Tembrion, leur chef, avait envoyé un détachement dans l'île de Samothrace qui, de ce moment seulement, avait pris le nom de Samos. Les Samiens seuls, par vanité nationale, ont pu imaginer un tel conte. Ce qui est plus croyable, c'est que, comme on l'a dit, le nom de Samos donné à l'île de Samothrace venait du mot sami, qui signifie lieux hauts ; et en effet des hauteurs de cette île

«On découvrait et l'Ida tout entier et la ville de Priam et toute la flotte des Grecs» (Il. XIII, 13).

D'autres auteurs pourtant prétendent qu'elle avait reçu ce nom en souvenir de ses plus anciens habitants, les Thraces Saii, qui occupaient en même temps la côte voisine, et qui, souvent confondus soit avec les Sapaeens, soit avec les Sintes (Homère dit les Sinties), sont souvent aussi considérés comme distincts des uns et des autres. Archiloque les mentionne dans ses vers :

«Ramassé par quelque Saïen parmi les broussailles où je dus le jeter bien à contre-coeur,
mon beau bouclier brille maintenant au bras d'un barbare».

18. Des différentes îles qui composaient le royaume d'Ulysse, il ne nous reste plus à décrire que Zacynthe.

Située comme elle est à l'0. du Péloponnèse, cette île ss trouve être plus occidentale que Céphallénie. [Dès en quittant la côte du Péloponnèse], l'oeil l'embrasse aisément tout entière, bien qu'elle mesure [5]60 stades de tour ; mais elle n'est guère éloignée non plus de Céphallénie, n'eu étant qu'à 60 stades environ. Son sol, couvert de bois, n'en est pas moins fertile. Elle renferme une ville considérable appelée Zacynthe comme elle. Du port de cette ville à Hespérides, sur la côte de Libye, le trajet est de 3300 stades.

19. A l'E. de Zacynthe, maintenant, et de Céphallénie, est situé le groupe des Echinades qui comprend, avec Dulichium, ou, comme on l'appelle aujourd'hui, Dolicha, les îles Oxées (les Thoées d'Homère) (Od. XV, 298). Dolicha se trouve juste en face d'Oniades et des bouches de l'Achéloüs, à 100 stades de la côte d'Elide et du promontoire Araxus. Mais ce n'est là, je le répète, qu'une des nombreuses îles Echinades : toutes ces îles, au sol maigre et pauvre, à l'aspect triste et sauvage, sont situées, comme Dolicha, en avant des bouches de l'Achéloüs, la plus éloignée à 15 stades, la plus rapprochée à 5 stades seulement. Et pourtant ces îles se trouvaient anciennement en pleine mer, ce sont les alluvions de l'Achéloüs [qui ont comblé l'intervalle] : déjà même une partie des Echinades a été réunie au continent, et le reste le sera sans doute tôt ou tard, tant est grande la quantité de limon que le fleuve continue à charrier. La même cause a fait anciennement de toute la Parachéloitide ou vallée de l'Achéloüs le théâtre de contestations sans fin entre les Acarnanes et les Aetoliens : ces deux peuples qui voyaient bouleverser sans cesse par les atterrissements du fleuve les limites qu'eux-mêmes s'étaient données, en appelaient aux armes faute d'arbitres à qui soumettre leur différend, et l'avantage restait naturellement au plus fort. Telle est aussi l'origine du mythe qui nous représente Hercule triomphant d'Achéloüs et obtenant pour prix de sa victoire la main de Déjanire, fille d'Oenée. On connaît les vers que Sophocle met à ce propos dans la bouche de l'héroïne :

«J'avais alors pour prétendant le Fleuve Achéloüs, qui, pour m'obtenir de mon père, se métamorphosa trois fois sous ses yeux, ayant pris d'abord la forme d'un taureau, puis celle d'un serpent aux couleurs variées, aux replis tortueux, pour reparaître encore avec la tête d'un boeuf sur un corps d'homme» (Trachin. 9).

Quelques auteurs complètent le mythe en disant que la fameuse corne d'Amalthée n'est autre que l'une des deux cornes d'Achéloüs brisée par Hercule dans le combat et offerte par lui comme présent de noces à Oenée, son beau-père. Mais ceux qui font profession d'expliquer tous les mythes et d'en dégager l'élément historique prétendent que, si l'on a comparé l'Achéloüs à un taureau (comme maint autre fleuve du reste), c'est pour rappeler et le bruit mugissant de ses eaux et ses brusques changements de direction, ce que les gens du pays justement appellent ses cornes ; qu'en le représentant, ensuite, sous la forme d'un serpent, on a voulu exprimer la longueur de son cours et ses nombreuses sinuosités ; qu'enfin cette tête de boeuf sur un corps d'homme n'est qu'une variante du premier symbole. Quant à Hercule, voici comment ils expliquent son rôle dans le même mythe. Toujours prêt à rendre service et brûlant d'ailleurs d'obtenir la main de Déjanire, Hercule entreprit par un système de levées et de canaux de rectifier de force le cours désordonné de l'Achéloüs ; il réussit ainsi, pour le plus grand profit du roi Oenée, à assécher une bonne partie de la Parachéloïtide, et c'est là ce qu'exprimerait le don fait par lui à son beau-père de la corne d'Amalthée. Pour en revenir aux Echinades, il est certain qu'au temps de la guerre de Troie elles étaient, ainsi que les îles Oxées, sous la domination de Mégès. Homère le dit formellement :

«Il était fils d'un prince aimé de Jupiter, de Phylée, le hardi cavalier, venu jadis à Dulichium,
le coeur ulcéré contre son père» (
Il. II, 628).

Or le père de Phylée n'était autre qu'Augias, et, comme il régnait en Elide sur la nation des Epéens, il est tout naturel que des Epéens aient accompagné son fils à Dulichium et se soient emparés avec celui-ci du reste des Echinades.

20. Mais le groupe d'îles occupé par les Taphiens et antérieurement par les Téléboens, groupe comprenant entre autres îles celle de Taphos (la Taphiûs actuelle), était séparé des Echinades, non par la distance (car les deux groupes sont fort rapprochés), mais parce que, sous ses chefs Taphiens et Téléboens, il forma toujours un Etat indépendant. Plus anciennement, à vrai dire, il avait été envahi et conquis par Amphitryon, qui en avait cédé la souveraineté à son compagnon Céphale, fils de Déionée, alors chassé d'Athènes, sa patrie. Homère, lui, donne Mentès pour chef aux Taphiens et qualifie ce peuple de pirates : et il paraît constant en effet que déjà toute la nation téléboenne ne vivait que de piraterie. - Nous n'en dirons pas davantage sur les îles situées en avant de l'Acarnanie.

21. Entre Leucade et le golfe Ambracique s'étend l'aestuaire ou liman de Myrtuntium ; puis la côte d'Acarnanie nous offre, à partir de Leucade, les villes de Palaeros et d'Alyzia. Celle-ci, à vrai dire, est à 15 stades de la mer, mais juste au-dessous est un port consacré à Hercule et voisin d'un temple de la même divinité que décorait le beau groupe des travaux d'Hercule dû au ciseau de Lysippe, avant qu'il eût été enlevé et transporté à Rome par un préteur romain (je ne sais plus lequel), qui avait jugé, apparemment, qu'un lieu aussi désert n'était pas la place d'un pareil chef-d'oeuvre. - Viennent ensuite et la pointe de Crithoté et le groupe des Echinades et la ville d'Astacus, dont le nom rappelle identiquement celui d'une ville [de Bithynie], voisine de Nicomédie et du golfe Astacénien, de même que le nom de la pointe Crithoté rappelle celui d'une des petites villes de la Chersonèse de Thrace. Toute la côte dans l'intervalle est pourvue de ports excellents. Puis on rencontre, successivement, l'étang d'Oeniades ou de Mélité (ce dernier nom est aujourd'hui plus usité), long de 30 stades et large de 20, l'étang de Cynia double du précédent en longueur et en largeur, enfin celui d'Uria, le plus petit des trois de beaucoup. Mais l'étang de Cynia seul débouche directement dans la mer : les deux autres sont séparés de la côte par l'espace d'un demi-stade environ. Suit enfin l'embouchure de l'Evénus. Jusque là, depuis Actium, l'étendue totale de la côte est de 670 stades. Passé l'Evénus, on aperçoit le mont Chalcis, ou, comme l'appelle Artémidore, le mont Chalcia, suivi de Pleuron et du bourg d'Halicyrna. C'est juste au-dessus de ce bourg, à 30 stades dans l'intérieur, qu'est située la ville de Calydon, et, tout à côté de Calydon, le temple d'Apollon Laphrius. On signale ensuite le mont Taphiassus, la ville de Macynia, celle de Molycria, et l'on ne tarde pas à atteindre [le cap] Antirrhium, qui marque la limite entre l'Aetolie et la Locride et se trouve à 120 stades de l'embouchure de l'Evénus. Artémidore, à la vérité, assigne au mont Chalcis ou Chalcia une position bien différente, puisqu'il place cette montagne entre le fleuve Achéloüs et Pleuron, mais on se souvient qu'Apollodore fixe positivement la situation de Molycria au-dessous des monts Chalcis et Taphiassus ; j'ajoute que le même auteur nous dit formellement que Calydon était bâtie entre Pleuron et le mont Chalcis. Peut-être bien aussi y aurait-il lieu d'admettre l'existence de deux sommets distincts, l'un du nom de Chalcia, voisin de Fleuron, l'autre du nom de Chalcis, voisin de Molycria. Signalons enfin dans les environs de Calydon un grand étang, fort poissonneux, appartenant actuellement aux Romains de Patrae.

22. Et cela fait occupons-nous de l'intérieur du pays. En Acarnanie, toujours d'après Apollodore, se trouvait [un dème] dit des Erysichaeens déjà mentionné dans un vers d'Alcman :

«Je ne suis ni Erysichaeen, ni berger ; je suis né dans Sardes, dans la ville haute».

En Aetolie était Olénus, mais de cette ville qui figure dans le Catalogue aetolien d'Homère (Il. II, 639) il ne reste plus aujourd'hui que quelques vestiges non loin de Pleuron, au pied de l'Aracynthus. Lysimachie, autre ville aujourd'hui disparue, n'était pas loin de là non plus : elle s'élevait sur le bord du lac d'Hydra (ou, comme on dit actuellement, du lac de Lysimachie), entre Pleuron et cette ville d'Arsinoé que la princesse Arsinoé, femme et soeur tout ensemble de Ptolémée II, fonda sur l'emplacement de l'ancien bourg de Conopa, et dans une situation excellente en ce qu'elle commande le passage de l'Achéloüs. Enfin le sort d'Olénus paraît avoir été aussi celui de Pyléné. Quand Homère, maintenant, joint au nom de Calydon la double épithète de montueuse et de rocheuse, c'est l'ensemble du pays évidemment qu'il entend désigner : on a vu plus haut, en effet, comment l'Aetolie a formé de bonne heure deux divisions distinctes, Calydon ayant eu pour sa part et sous le nom d'Aetolie Epictète toute la montagne, et Pleuron toute la plaine.

23. Actuellement, par suite des guerres continuelles qu'elles ont eu à soutenir, l'Acarnanie et l'Aetolie, comme maint autre pays du reste, languissent épuisées, abattues ; toutefois nous ne saurions oublier que ce sont les Aetoliens, avec les Acarnaniens, leurs alliés, qui ont défendu le plus longtemps leur autonomie contre les Macédoniens d'abord et les forces coalisées du reste de la Grèce, et plus tard contre les Romains. En outre, Homère et les autres poètes et historiens ayant souvent fait mention de ces deux peuples, sans que leurs témoignages (comme on a pu s'en apercevoir par ce qui précède) soient toujours et partout également clairs et concordants, nous croyons devoir insister encore sur quelques faits particuliers de leur histoire primitive, laquelle nous offre, à côté d'éléments certains pouvant être invoqués à l'occasion comme d'utiles points de repère, bon nombre de questions encore obscures et douteuses.

21. Commençons par l'Acarnanie. On a vu ci-dessus comment Laërte et les Céphallènes avaient pris possession de cette contrée ; mais avant eux, quels étaient les maîtres du pays ? Plus d'un historien, à la vérité, nous le dit, et même sans hésiter et d'un ton assez péremptoire, cependant le peu d'accord des différentes autorités entre elles fait que la question reste entière et qu'il nous est permis de l'examiner de nouveau. On prétend que ce sont les Taphiens ou Téléboens (le même peuple sous deux noms différents) qui ont été les premiers habitants de l'Acarnanie, et que Céphale, leur chef, qu'Amphitryon investit de la souveraineté des îles qui avoisinent Taphos, fut roi en même temps de toute l'Acarnanie ; il semble même que ce soit à l'appui de cette assertion qu'on a imaginé la fable dont nous parlions plus haut, laquelle nous montre Céphale tentant le premier l'épreuve du saut de Leucate. Mais rien dans Homère ne prouve que la domination des Taphiens, en Acarnanie, ait précédé l'invasion des Céphallènes et de Laërte, et le poète se borne à nous présenter les Taphiens comme un peuple ami des Ithacésiens : il est donc probable, ou que les Taphiens du temps de Laërte n'avaient aucun droit sur l'Acarnanie, ou qu'ils avaient consenti à céder la place au héros, ou bien encore qu'ils en avaient partagé avec lui la possession. Il paraît certain, d'ailleurs, que la colonie lacédémonienne, amenée par Icarius, le père de Pénélope, s'était déjà, à cette époque, établie dans le pays. Homère, dans l'Odyssée, parle du père et des frères de Pénélope comme de personnages encore vivants, témoin, pour Icarius, le passage suivant :

«Nul prétendant n'ose se rendre auprès d'Icare et exiger que lui-même dote et marie sa fille» (Od. II, 52),

et cet autre passage, pour les frères de Pénélope,

«Déjà son père, déjà ses frères la pressent de choisir Eurymaque pour époux» (Ibid. XV, 16).

Or, il n'est guère admissible qu'Icarius et ses fils demeurassent alors à Lacédémone, car, dans ce cas, [c'est chez eux apparemment,] et non chez Ménélas, que Télémaque eût été loger lors de son voyage en Laconie. Et l'on ne voit pas non plus, par l'histoire, qu'ils aient occupé une troisième demeure. Tout ce que l'histoire nous apprend à leur sujet, c'est que Tyndare et son frère Icarius, une fois chassés de leur pays par Hippocoon, se rendirent auprès de Thestius, roi des Pleuroniens, et l'aidèrent, moyennant une part dans les profits de l'entreprise, à conquérir presque tout le pays situé au delà de l'Achéloüs. L'histoire ajoute que Tyndare regagna sa patrie, après avoir épousé Léda, fille de Thestius, mais que son frère Icarius resta en Acarnanie, maître d'une portion du pays et marié à Polycaste, fille de Lygée, dont il eut Pénélope, et [Alyzéus et Leucadiosl, frères de Pénélope. Nous-même, maintenant, avons démontré ci-dessus que les Acarnaniens figuraient bel et bien dans le Catalogue des vaisseaux comme ayant pris part à l'expédition contre Troie, et que c'était eux que le poète entendait désigner quand il parlait des habitants de l'ACTE, et ailleurs quand il nommait

«Ceux qui habitent l'EPIROS et toute la côte en face des îles»,

l'EPIROS, OU TERRE-FERME, à cette époque, n'ayant pas encore reçu le nom d'Acarnanie, non plus que l'ACTE ou PENINSULE le nom de Leucade.

25. Ephore, toutefois, nie absolument que les Acarnanes aient pris part à l'expédition contre Troie. Suivant lui, Alcaemon, fils d'Amphiaraüs, après avoir, en compagnie de Diomède et des autres Epigones, terminé heureusement la guerre contre les Thébains, unit de nouveau ses armes à celles de Diomède, et aida ce prince à châtier les ennemis d'Oenée, puis, laissant Diomède en possession de l'Aetolie, passa en Acarnanie, et fit pour son propre compte la conquête de ce pays. Or, pendant ce temps-là Agamemnon s'était jeté sur l'Argolide et s'en était aisément emparé, vu que la plupart des guerriers argiens avaient quitté le pays pour suivre Diomède. Mais la guerre de Troie était survenue, Agamemnon avait eu peur que Diomède [et Alcaemon], en son absence, et quand ils le sauraient retenu au loin par son commandement, n'accourussent dans le Péloponnèse (il avait appris justement que Diomède appelait à lui des forces considérables) et qu'ils ne reprissent possession d'un trône auquel ils avaient les droits les plus légitimes, comme héritiers, l'un, d'Adraste [son aïeul maternel], l'autre [d'Amphiaraüs], son propre père. Et en prévision de ce danger, il les avait invités à revenir l'un et l'autre, pour recevoir Argos de sa main et pour se joindre ensuite à l'entreprise commune. Seulement, tandis que Diomède se laissait persuader et venait se mêler aux autres chefs grecs, Alcmmon, indigné, n'avait tenu aucun compte de l'invitation, et, de cette manière, les Acarnanes s'étaient trouvés, seuls entre tous les peuples grecs, ne point prendre part à l'expédition contre Troie. C'est la même tradition vraisemblablement qu'auront invoquée les Acarnanes, s'il est vrai, comme on les en accuse, qu'ils n'obtinrent des Romains le maintien de leur autonomie qu'en les trompant et en alléguant qu'eux seuls, dans toute la Grèce, n'avaient point porté les armes contre la métropole de Rome, et que le fait était constant puisque le Catalogue des vaisseaux ne les mentionnait ni avec les Aetoliens ni à part, et qu'en général Homère s'était abstenu de les faire figurer dans les diverses parties de ses poèmes.

26. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'en admettant, comme il fait, que l'Acarnanie était, dès avant la guerre de Troie, tombée au pouvoir d'Alcmaeon, Ephore a été amené à attribuer au même prince la fondation d'Argos Amphilochicum et à prétendre que c'était de lui que l'Acarnanie et l'Am-philochie avaient reçu leurs noms, la première, en honneur de son fils Acarnân, la seconde, en honneur d'Amphilochus, son frère, et que par là Ephore a donné en plein dans le système anti-homérique. Au contraire, nous lisons dans Thucydide et dans maint autre historien qu'Amphilochus revenait de Troie, quand, mécontent des événements survenus dans Argos, et appelé peut-être aussi par la nécessité de recueillir la succession de son frère ou par tout autre motif, il se rendit en Acarnanie. Laissons au surplus ces questions qu'on peut considérer comme particulières à l'Acarnanie, pour en examiner d'autres qui ne touchent plus ce pays qu'indirectement et en tant que son histoire se trouve liée à celle de l'Aetolie : ce sera bien, par le fait, revenir encore une fois aux antiquités aetoliennes, mais nous le ferons pour compléter utilement ce que nous en avons déjà dit.


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