XVI, 3 - L'Arabie - Le golfe Persique

Carte Spruner (1865)

Au-dessus de la Judée et de la Coelé-Syrie on voit s'étendre dans la direction du midi, jusqu'à la Babylonie et jusqu'à la vallée de l'Euphrate, l'Arabie proprement dite, ou, en d'autres termes, l'Arabie sans le pays des Scénites, lequel dépend de la Mésopotamie. Mais nous avons parlé ci-dessus de la Mésopotamie et des différents peuples qui l'habitent ; nous avons décrit de même, de l'autre côté de l'Euphrate, tout le territoire voisin des bouches du fleuve qu'habitent les Babyloniens et les Chaldéens ; disons maintenant que le pays qui fait suite à la Mésopotamie et qui s'étend jusqu'à la Coelé-Syrie offre deux parties distinctes, la partie la plus rapprochée du fleuve qui, comme la Mésopotamie elle-même, est occupée par la nation des Arabes scénites, nation fractionnée en petits Etats et qui se voit réduite par la nature pauvre et aride du pays qu'elle habite à ne s'occuper que peu ou point de culture, pour se consacrer toute à l'élève des troupeaux, à l'élève des chameaux principalement ; et une autre partie au-dessus de celle-là, composée uniquement d'immenses déserts. Au sud de ces déserts, maintenant, commence l'Arabie Heureuse, qui se trouve avoir de la sorte pour côté septentrional le désert indiqué par nous tout à l'heure, pour côté oriental le golfe Persique, pour côté occidental le golfe Arabique, et enfin pour côté méridional la Grande Mer (on emploie de préférence ce dernier nom quand on n'entend désigner que la partie de mer extérieure aux deux golfes Persique et Arabique, tandis que le nom de mer Erythrée embrasse en même temps les deux golfes).

2. Le golfe Persique est appelé souvent aussi la mer de Perse, notamment par Eratosthène qui en donne la description suivante : «L'entrée de cette mer, dit-il, est tellement étroite, que du cap Harmoza, situé sur la côte de Carmanie, on voit juste en face de soi le cap Macae se détacher de la côte d'Arabie. A partir de l'entrée, la côte de droite décrit une ligne courbe, qui, parvenue à la Carmanie, commence à incliner un peu vers l'est, puis remonte vers le nord, et se détourne de nouveau au couchant, pour ne plus se départir de cette direction jusqu'à Térédon et jusqu'à l'embouchure de l'Euphrate, contournant ainsi, sur une étendue de 10 000 stades environ, la Carmanie, la Perse, la Susiane, et une partie de la Babylonie». Nous avons nous-même précédemment décrit ces différentes contrées. Ajoutons qu'Eratosthène compte, de l'embouchure de l'Euphrate à l'entrée du golfe, [le long de la côte opposée,] juste le même nombre de stades, en se fondant sur le témoignage d'Androsthène de Thasos, qui, après avoir accompagné Néarque [jusqu'à l'embouchure de l'Euphrate,] fut chargé seul [d'achever l'exploration du golfe], et tirons de là cette conclusion évidente que l'étendue de la mer de Perse égale, à peu de chose près, celle du Pont-Euxin. [Sur cette dernière partie de l'exploration], Eratosthène nous fournit quelques détails empruntés à Androsthène lui-même : c'est ainsi qu'il nous le montre partant de Térédon avec toute la flotte, contournant le fond du golfe, puis, avançant dès là avec la terre à sa droite, jusqu'à une certaine île dite d'Icare, qui semble toucher à la côte et dans laquelle il signale la présence à la fois d'un temple d'Apollon et d'un oracle [d'Artémis] Tauropole.

3. Quand on a rangé la côte d'Arabie l'espace de 2400 stades, on atteint, dans l'intérieur d'un golfe qui pénètre fort avant dans les terres, une ville appelée Gerrha, dont les habitants, descendants d'une ancienne colonie de Chaldéens bannis de Babylone, [vivent pour ainsi dire dans le sel.] Tous les terrains environnants sont en effet complètement imprégnés de sel, les maisons elles-mêmes sont faites de gros quartiers de sel, et, comme sous l'action des rayons solaires ce sel s'écaille incessamment, les habitants n'ont d'autre moyen pour consolider les murs de leurs maisons que de les asperger continuellement à grande eau. La ville de Gerrha est à 200 stades de la mer. La principale industrie des Gerrhéens consiste à transporter par terre les aromates et les autres marchandises de l'Arabie. Ce n'est pourtant pas ce que dit Aristobule : il affirme, au contraire, que les Gerrhéens font le commerce surtout par eau, transportant leurs marchandises en Babylonie à, l'aide de radeaux, remontant l'Euphrate jusqu'à Thapsaque et prenant là seulement la voie de terre pour se rendre à leurs différentes destinations.

4. Pour peu qu'on avance au delà de Gerrha, on rencontre encore d'autres îles, à savoir Tyrus et Aradus, lesquelles renferment des temples fort semblables d'aspect aux temples phéniciens. Les habitants prétendent même que leurs deux îles sont les métropoles des îles et des villes de mêmes noms qui dépendent de la Phénicie. Séparées de Térédon par un trajet de dix journées, ces deux îles ne sont plus qu'à une journée de distance du 1ap Mane, situé juste à l'entrée du golfe.

5. A 2000 stades, maintenant, au sud de la Carmanie, en pleine mer, Néarque et Orthagoras placent l'île de Tyriné, et, dans cette île, ils signalent certain tertre élevé, ombragé de palmiers sauvages, comme étant soi-disant le tombeau d'Erythras. Néarque ajoute qu'Erythras, ancien roi de la contrée, est le même qui laissa son nom à la mer Erythrée, et qu'Orthagoras et lui avaient recueilli ces détails de la bouche de Mithrôpastès, fils d'Aréinos, le satrape de Phrygie. Contraint de fuir la colère de Darius, Mithrôpastès avait, paraît-il, résidé pendant un certain temps dans cette î1e ; puis il avait eu occasion, quand les chefs de la flotte macédonienne avaient pénétré dans le golfe Persique, de s'aboucher avec eux, et il leur avait demandé alors de lui fournir les moyens de rentrer dans son pays.

6. Tout le littoral de la mer Erythrée est bordé d'une vraie forêt sous-marine, composée d'arbres assez semblables au laurier et à l'olivier. Cette forêt qui, à marée basse, émerge tout entière hors de l'eau, se trouve quelquefois, à marée haute, complètement couverte et submergée ; or le manque absolu d'arbres dans tout le pays au-dessus de la côte ajoute encore à l'étrangeté du fait.

Telle est la description donnée par Eratosthène de la mer de Perse, laquelle forme, avons-nous dit, le côté oriental de l'Arabie Heureuse.

7. On voit par le récit de Néarque que c'est par Mazênès que Mithrôpastès leur avait été amené. Mazênès était gouverneur d'une des îles du golfe Persique, de l'île Aoracta précisément, où Mithrôpastès s'était réfugié en quittant Ogyris et où il avait reçu l'hospitalité. Voulant se faire recommander aux chefs de la flotte macédonienne par Mazênès qui allait leur servir de pilote, il l'avait naturellement accompagné. Néarque parle aussi d'une île qu'ils rencontrèrent, comme ils commençaient à ranger la côte de Perse, et où se trouvaient en quantité des perles du plus grand prix. Dans d'autres îles qu'il signale également ce n'étaient plus des perles qu'on ramassait, paraît-il, mais de simples cailloux brillants et transparents. Enfin, dans les îles qui précèdent immédiatement l'embouchure de l'Euphrate, Néarque constata la présence d'arbres exhalant une odeur d'encens, dont les racines laissaient découler, quand on les brisait, un suc très abondant, et la présence en même temps de crabes et d'oursins de dimensions énormes, circonstance commune, du reste, à toute la mer Extérieure : Néarque dit avoir vu, par exemple, des crabes plus grands que des causies, et des oursins dont la coquille pouvait avoir la capacité d'un double cotyle. Il affirme avoir vu là également, échouée sur la côte, une baleine longue de 50 coudées.


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