Livre VII

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I. Vers l'an sept cent neuf de Rome, après le meurtre de César, les guerres civiles recommencèrent. En effet, le sénat était favorable à ceux qui l'avaient frappé, et le consul M. Antoine, son partisan, s'efforçait de les accabler dans ces luttes intestines. Aussi, pendant ce trouble de la république, Antoine, commettant toutes sortes de crimes, fut-il déclaré ennemi de la patrie par le sénat. On envoya contre lui (An de R. 711) les deux consuls Pansa et Hirtius, avec le jeune Octavien, âgé de dix-huit ans et neveu de César, qui, par son testament, l'avait fait son héritier et lui avait prescrit de porter son nom. C'est lui qui dans la suite fut appelé Auguste et s'empara du pouvoir. Les trois généraux marchèrent donc contre Antoine, et le battirent. Mais il arriva que, vainqueurs, les deux consuls perdirent la vie, et les trois armées obéirent ainsi au seul César Auguste.

Marc-Antoine

II. Antoine, obligé de fuir après avoir perdu son armée, trouva un refuge auprès de Lépide, qui avait été maître de la cavalerie sous César, et qui était alors à la tête de forces considérables. Bientôt après, Auguste, par la médiation de Lépide, fit la paix avec Antoine ; puis, sous prétexte de venger la mort de son père (car César l'avait adopté par testament), il s'avança contre Rome avec une armée, et se fit donner de force le consulat à vingt ans. Il prescrivit le sénat, de concert avec Antoine et Lépide, et il commença à tenir la république asservie sous ses armes. Par eux furent tués l'orateur Cicéron et beaucoup d'autres citoyens illustres.

III. (II) Cependant Brutus et Cassius, meurtriers de César, commencèrent une guerre terrible, à la tête de plusieurs armées disséminées dans la Macédoine et dans l'Orient, et dont ils s'étaient rendus maîtres. César Octavien Auguste et M. Antoine marchèrent contre eux (car Lépide était resté pour défendre l'Italie), et l'on combattit près de Philippes, ville de Macédoine. Antoine et César furent vaincus dans la première bataille ; mais Cassius, le chef de la noblesse, y périt. Dans la seconde, Brutus fut défait et tué avec une grande partie de la noblesse qui avait combattu sous ses ordres (An de R. 712). Les vainqueurs se partagèrent ainsi la république : Auguste eut les Espagnes, les Gaules et l'Italie ; Antoine eut l'Asie, le Pont, l'Orient. Mais, dans l'Italie même, le consul L. Antoine, frère de celui qui avait combattu avec César contre Brutus et Cassius, excita une guerre civile (An de R. 713). Vaincu près de Pérouse, ville de Toscane, il fut pris, et la vie lui fut laissée (An de R. 714).

IV. (III) (An de R. 712) D'un autre côté, la Sicile était le théâtre d'une guerre effroyable, allumée par Sextus Pompée, fils de Cn. Pompée le Grand, auprès de qui s'étaient rendus en foule les restes du parti de Brutus et de Cassius. César Auguste Octavien et M. Antoine allèrent le combattre, et l'on finit par convenir de la paix.

V. A cette époque, M. Agrippa remporta de notables avantages en Aquitaine, et L. Ventidius Bassus vainquit dans trois batailles les Perses, qui faisaient irruption en Syrie (An de R. 715). Il tua Pacore, fils du roi Orode, le même jour où Suréna, général d'Orode, roi des Perses, avait tué autrefois Crassus. Ventidius fut le premier qui triompha légitimement des Parthes.

VI. (An de R. 716) Cependant Pompée rompit la paix, et, vaincu dans un combat naval, il fut tué comme il fuyait en Asie. (IV) Antoine, maître de l'Asie et de l'Orient, répudia la soeur de César Auguste Octavien, et épousa Cléopâtre, reine d'Egypte. Il fit aussi la guerre aux Perses (An de R. 718), et les vainquit dans les premiers combats ; mais en revenant il souffrit de la famine et de la peste, et, pressé dans sa fuite par les Parthes, il sortit en vaincu de leur pays.

VII. (An de R. 722) il ralluma une épanvantable guerre civile, à l'instigation de son épouse Cléopâtre, reine d'Egypte, qui voulait, avec toute l'ardeur d'une femme, régner aussi à Rome. Vaincu par Auguste dans une bataille navale à jamais fameuse, qui fut livrée près d'Actium en Epire (An de R. 723), il s'enfuit en Egypte ; et, désespérant de la fortune, qui faisait passer tout le monde du côté d'Auguste, il se tua. Cléopâtre se fit piquer par un aspic, dont le venin lui donna la mort. Octavien Auguste ajouta l'Egypte à l'empire romain, et il en donna le gouvernement à Cn. Cornélius Gallus, qui fut le premier Romain que l'Egypte eut pour juge.

VIII. L'univers ainsi pacifié, Octavien Auguste revint à Rome, douze ans après son premier consulat. A dater de cette époque, il gouverna seul la république pendant quarante-quatre ans (An de R. 725) ; il l'avait administrée auparavant avec Antoine et Lépide l'espace de douze années. Ainsi, du commencement à la fin de son gouvernement, il s'écoula cinquante-six ans. (V) Il en avait soixante et seize quand il mourut de mort naturelle à Atella, ville de Campanie (An de R. 767). Il fut enseveli à Rome dans le champ de Mars, et la plus grande partie de ses actions lui a fait justement attribuer quelque chose de divin. Personne, en effet, ne fut peut-être ni plus heureux dans la guerre, ni plus modéré dans la paix. Pendant les quarante-quatre années qu'il régna seul, il se montra fort affable envers les citoyens, très libéral envers tout le monde, très attaché à ses amis ; et il les éleva, du faîte de sa puissance, à de tels honneurs, qu'il en fit presque ses égaux.

IX. En aucun temps la république ne fut plus florissante ; car, en exceptant les guerres civiles, dont il sortit vainqueur, Auguste ajouta à l'empire romain l'Egypte, la Cantabrie, la Dalmatie, qui avait été souvent vaincue avant lui, mais qui fut alors complètement soumise ; la Pannonie, l'Aquitaine, l'Illyrie, la Rétie, le pays des Vendéliciens, et celui des Salasses au milieu des Alpes ; toutes les villes maritimes du Pont, et entre autres Bospore et Panticapée, les plus célèbres. Il défit aussi les Daces dans plusieurs combats, tailla en pièces d'immenses armées de Germains, et repoussa même ces peuples au delà du fleuve de l'Elbe, qui est bien loin au-dessus du Rhin, dans ces contrées barbares. Il est vrai qu'il chargea Drusus, son beau-fils, de la conduite de cette guerre, et Tibère, son autre beau-fils, de celle de Pannonie. On fit dans cette expédition quarante mille prisonniers, qui furent transportés de la Germanie dans la Gaule, sur les bords du Rhin. Les Parthes lui restituèrent l'Arménie, et, ce qu'ils n'avaient jamais fait, lui livrèrent des otages. Ils lui rendirent même les enseignes romaines qu'ils avaient enlevées à Crassus vaincu.

X. Les Scythes et les Indiens, à qui le nom de Rome était resté inconnu jusque-là, lui envoyèrent des ambassadeurs et des présents. La Galatie devint aussi, sous lui, une province romaine, de royaume qu'elle était auparavant ; et M. Lollius fut le premier qui l'administra comme propréteur. Auguste fut si aimé même des barbares, que les rois amis du peuple romain bâtirent en son honneur des villes, qu'ils nommèrent Césarées ; comme celle que le roi Juba fonda en Mauritanie, et celle de Palestine, qui est aujourd'hui une des plus célèbres de ce pays. Plusieurs souverains, quittant leurs Etats, vinrent lui faire leur cour, et on les vit, habillés à la romaine, c'est-à-dire vêtus de la toge, courir à l'entour de sa litière ou de son cheval. A sa mort, il fut appelé Divin. Il laissa la république dans l'état le plus prospère à Tibère, son successeur, qui avait été son beau-fils, qu'il avait fait ensuite son gendre, et enfin, par adoption, son fis.

XI. (VI) (Apr. JC 14) Tibère ne montra dans le gouvernement de l'empire que des vices, une excessive paresse, une effroyable cruauté, une avarice criminelle, de honteuses débauches. Il ne combattit jamais en personne, et ne fit la guerre que par ses lieutenants. Il avait attiré près de lui, à force de belles paroles, certains rois qu'il ne laissa pas repartir, entre autres Archélaüs, roi de Cappadoce, dont il réduisit même le royaume en province romaine ; il voulut aussi que la capitale de ce pays, nommée auparavant Mazaca, et aujourd'hui Césarée, portât son nom. Il mourut dans la Campanie, dans la vingt-troisième année de son règne et la soixante-dix-huitième de son âge (Ap. JC. 37), et sa mort fut un sujet de joie universelle.

XII. (VII) Il eut pour successeur Caïus César, surnommé Caligula ; c'était le petit-fils de Tibère et de Drusus, beau-fils d'Auguste. Il devint, par ses crimes, le fléau du monde, et il fit regretter même le règne ignominieux de Tibère. Il entreprit la guerre contre les Germains, et étant entré dans la Suévie, il n'y montra aucun courage. Il commit des incestes avec ses soeurs, et il eut même de l'une d'elles une fille, qu'il reconnut. Tout le monde ayant à souffrir de son avarice, de ses débauches et de sa cruauté, il fut tué dans le palais, à l'âge de vingt-neuf ans, après trois ans dix mois et huit jours de règne (Ap. JC. 41).

XIII. (VIII) L'empire passa ensuite à Claude, oncle paternel de Caligula et fils de Drusus, dont on voit le tombeau près de Mayence, et dont Caligula était petit-fils. Ce fut un prince médiocre. Sage et modéré dans beaucoup d'occasions, il fut cruel et stupide dans quelques autres. Il porta la guerre dans la Bretagne, où nul Romain n'avait abordé depuis Jules César ; et l'ayant vaincue par les armes de Cn. Sentius et de A. Plautius, aussi illustres par leur mérite que par leur naissance, il en triompha magnifiquement à Rome (Ap. JC.43). Il ajouta même à l'empire romain quelques îles situées dans l'Océan au delà de la Bretagne, îles qu'on appelle Orcades ; et il fit prendre à son fils le nom de Britannicus. Il montra, du reste, tant d'affabilité envers quelques-uns de ses amis, qu'au triomphe de Plautius, noble capitaine, qui s'était distingué par un grand nombre d'exploits dans l'expédition de Bretagne, on le vit accompagner le triomphateur, et marcher à sa gauche jusqu'au Capitole. Claude vécut soixante-quatre ans, et en régna quatorze. Il fut consacré après sa mort, et nommé Divin (Ap. JC. 54).

XIV. (IX) Néron, son successeur, fut en tout semblable à Caligula, son oncle maternel. Il amoindrit et diminua l'empire romain. Il aima jusqu'à la passion le luxe et la dépense. Ainsi on le vit se baigner, à l'exemple de Caïus Caligula, dans des essences froides et chaudes, et pêcher avec des filets d'or, soutenus par des cordes couleur de pourpre. Il fit mettre à mort un nombre infini de sénateurs ; il fut l'ennemi de tous les gens de bien. Enfin il avilit et prostitua sa dignité jusqu'à danser et à chanter sur le théâtre, sous un costume de musicien ou d'acteur tragique. Ses parricides furent nombreux : il tua son frère, sa femme, sa mère. Il mit le feu à la ville de Rome (Ap. JC. 64), pour se donner, par le spectacle de cet incendie, une idée de celui qui avait jadis consumé Troie vaincue. Quant à la guerre, il n'osa rien, et il faillit perdre la Bretagne, dont les deux plus célèbres villes furent prises et ruinées sous son règne. Les Parthes lui enlevèrent l'Arménie, et firent passer sous le joug les légions romaines. Toutefois l'empire acquit sous lui deux provinces : le Pont Polémoniaque, cédé par Polémon qui en était roi, et les Alpes Cottiennes, après la mort du roi Cottius.

XV. Devenu, pour ces forfaits, un objet d'exécration pour le monde romain, il fut abandonné de tous à la fois, et déclaré ennemi public par le sénat. Comme on le cherchait pour lui faire subir sa peine (laquelle devait consister à se voir conduit nu par la ville, la tête passée dans une fourche, puis à être battu de verges jusqu'à la mort, et précipité de la roche Tarpéienne), il s'enfuit du palais ; et s'étant réfugié dans la métairie d'un de ses affranchis, entre la voie Salarie et la Nomentane, à quatre milles de Home, il s'y tua. Il fit construire à Rome des thermes alors appelés Néroniens, et aujourd'hui Alexandrins. Il mourut dans la trente-unième année de son âge, et la quatorzième de son règne (Ap. JC. 68). En lui s'éteignit toute la famille d'Auguste.

XVI. (X) Il eut pour successeur Servius Galba, sénateur de la plus antique noblesse, et âgé de soixante-treize ans. Galba fut élu empereur par les Espagnols et par les Gaulois, et toutes les armées confirmèrent avec joie cette élection. Ses fonctions civiles et militaires avaient jeté de l'éclat sur sa vie privée : il avait été honoré plusieurs fois du consulat, du titre de proconsul, et d'un commandement en chef dans des guerres importantes. Son règne fut court : les commencements en furent heureux, et on ne lui reprocha que du penchant à la sévérité. Il périt victime des embûches d'Othon, dans le septième mois de son règne (Ap. JC. 69). Il fut égorgé dans le forum, et inhumé dans ses jardins, situés sur la voie Aurélia, non loin de la ville de Rome.

XVI1. (XI) L'empire, après le meurtre de Galba, fut envahi par Othon, dont la naissance, plus illustre du côté de sa mère que du côté de son père, n'était pourtant obscure ni de l'un ni de l'autre. Comme particulier, il avait vécu dans la mollesse, et dans la familiarité de Néron ; comme empereur, il n'eut pas le temps de se faire connaître. A peine, en effet, Galba venait-il de tomber sous les coups d'Othon, que Vitellius fut fait empereur par les armées de Germanie ; et Othon ayant marché contre lui, fut vaincu dans une rencontre à Bebriac, en Italie. Quoiqu'il lui restât pour la guerre des forces considérables, et que ses soldats le conjurassent de ne pas désespérer sitôt du succès de ses armes, il se tua, disant que sa vie n'était pas assez précieuse pour que l'on prolongeât la guerre civile à cause de lui. Il mourut ainsi volontairement à l'âge de trente-huit ans, après un règne de quatre-vingt-quinze jours (Ap. JC. 69).

XVIII. (XIX) Vitellius prit ensuite possession de l'empire. Il était d'une famille plutôt honorée que noble ; car son père, quoique d'une naissance fort peu illustre, avait été revêtu de trois consulats ordinaires. Vitellius vécut sur le trône dans le dernier avilissement : il se fit remarquer par sa cruauté, mais surtout par sa gloutonnerie et sa voracité, ayant, dit-on, l'habitude de faire chaque jour quatre ou cinq grands repas. L'histoire a rendu fameux le souper que lui donna son frère Vitellius, et dans lequel on rapporte, entre autres exemples de somptuosité, qu'il fut servi deux mille poissons et sept mille oiseaux. Comme il voulait ressembler à Néron, et affichait cette prétention jusqu'à honorer les restes de ce prince, qu'on avait inhumés sans pompe, il fut tué par les généraux de l'empereur Vespasien, dont il avait fait périr le frère Sabinus dans l'incendie du Capitole. Il fut d'abord traîné avec ignominie par les rues de Rome, le corps nu, les cheveux relevés, la tête haute, avec un glaive attaché sous le menton, en butte aux outrages de tous les passants, qui lui jetaient des ordures sur le visage et sur la poitrine. On finit par l'étrangler et par le jeter dans le Tibre, et il n'eut pas même la sépulture que l'on donne à tous. Il périt à l'âge de cinquante-sept ans ; il avait régné huit mois et un jour (Ap. JC. 69).

XIX. (XIII) Son successeur fut Vespasien, proclamé empereur dans la Palestine. Ce prince, d'une naissance obscure, fut égal aux meilleurs. Sa vie privée était illustre : envoyé par Claude en Germanie, puis en Bretagne (Ap. JC. 43), il avait livré contre l'ennemi trente-deux combats, et ajouté à l'empire romain deux puissantes nations, vingt villes, et l'île de Vecta, voisine de la Bretagne. Il se conduisit sur le trône avec la plus grande modération ; seulement, il aima trop l'argent, quoiqu'i1 n'en prît à personne injustement ; et s'il mettait beaucoup d'empressement à l'amasser, il n'en montrait pas moins dans ses largesses, qui s'adressaient surtout au besoin. Aucun prince n'avait encore fait voir ni plus de grandeur dans la libéralité, ni plus de justice. D'une douceur inaltérable, il avait peine à infliger un châtiment plus rigoureux que l'exil à ceux qui s'étaient rendus coupables envers lui du crime de lèse majesté. La Judée fut réunie sous son règne à l'empire, ainsi que Jérusalem, la plus célèbre ville de la Palestine (Ap. JC. 70). L'Achaïe,la Lycie, Rhodes, Byzance, Samos, qui avaient gardé jusque-là leur liberté ; la Thrace, la Cilicie, la Commagène, gouvernées par des rois alliés, furent réduites en provinces romaines.

XX. Il oubliait les offenses et les inimitiés, et supportait patiemment les invectives des avocats et des philosophes ; mais il s'appliqua surtout à maintenir la discipline militaire. Il triompha de Jérusalem avec Titus, son fils. Ses qualités l'avaient rendu cher au sénat, au peuple, enfin à tout le monde, lorsqu'il mourut d'un flux de ventre dans sa villa, près du pays des Sabins, à l'âge de soixante-neuf ans, après en avoir régné neuf et sept jours (Ap. JC. 79). On le mit au rang des dieux. Il avait une telle confiance dans l'horoscope de ses fils, que, malgré les nombreuses conspirations formées contre lui, conspirations qu'il affecta toujours de mépriser, il dit en plein sénat : «J'aurai pour successeurs ou mes fils, ou personne».



XXI. (XIV) Titus, son fils, appelé aussi Vespasien, lui succéda. C'était un prince accompli, et il mérita d'être surnommé l'amour et les délices du genre humain. Il fut un modèle d'éloquence, de valeur et de modération. Il plaida des causes en latin, et il composa en grec des poèmes et des tragédies. Au siège de Jérusalem, où il servait sous son père, on le vit percer de douze flèches douze assiégés. Sur le trône, il montra tant de bonté qu'il ne punit jamais personne, et qu'il continua de recevoir aussi familièrement que par le passé ceux qui étaient convaincus d'avoir conspiré contre lui. Extrêmement libéral et obligeant, ii ne rejetait aucune demande ; et comme ses amis lui en faisaient des remontrances, «Personne, répondit-il, ne doit se retirer mécontent d'une audience de l'empereur». Une autre fois, se rappelant à souper qu'il n'avait fait, dans sa journée, aucun heureux, «Voici, dit-il, un jour que j'ai perdu». Il fit construire à Rome un amphithéâtre, où l'on tua, pour la dédicace, cinq mille bêtes fauves.

XXII. Ce prince, que tant de vertus faisaient chérir, mourut de maladie dans la même villa que son père, deux ans huit mois et vingt jours après son avénement à l'empire, et dans la quarante-unième année de son âge (Apr. JC. 81). Ce fut à sa mort un deuil universel, et chacun le pleura comme son propre père. Le sénat, informé de cette perte sur le soir, se précipita la nuit dans la salle de ses séances, et le combla de plus d'éloges et d'actions de grâces qu'il ne lui en avait jamais voté de son vivant et en sa présence. On le mit au rang des dieux.

XXIII (XV) Domitien, son frère puîné, se mit ensuite en possession de l'empire. Il ressembla plus à Néron, à Caligula ou à Tibère, qu'à son père ou à son frère. Modéré dans les premières années de son règne, il se livra bientôt à tous les excès de la déhanche, de l'emportement, de la cruauté, de l'avarice ; et la haine qu'il s'attira fit oublier les vertus de son frère et de son père. Il ôta la vie aux plus nobles sénateurs ; il voulut, le premier, qu'on l'appelât seigneur et dieu ; il ne soutint pas qu'on lui érigeât de statue, au Capitole, qui ne fût d'or ou d'argent. Il fit périr ses cousins. Son orgueil le rendit exécrable. Il eut quatre guerres à soutenir : la première, contre les Sarmates ; la seconde, coutre les Cattes ; et les deux autres, contre les Daces. L'expédition contre les Daces et celle contre les Cattes furent pour lui l'occasion d'un double triomphe ; mais sa campagne de Sarmatie ne lui valut qu'une couronne de laurier. Il essuya toutefois, dans ces mêmes guerres, plusieurs revers. Ainsi, dansla Sarmatie, une de ses légions fut massacrée avec celui qui la commandait, et les Daces lui tuèrent le consulaire Oppius Sabinus et le préfet du prétoire Cornélius Fuscus, en même temps que de grandes armées. Il fit construire un grand nombre d'édifices à Rome, et on lui doit, entre autres, le Capitole, le forum du Passage, l'Odéum, les portiques des Dieux, les temples d'Isis et de Sérapis, et le Stade. Mais ses crimes en ayant fait un objet d'horreur universelle, il fut tué dans le palais par ses propres gardes, dans la quarante-cinquième année de son âge, et la quinzième de son règne (Ap. JC. 96). Les plus vils agents des funérailles nocturnes emportèrent son cadavre, et l'inhumèrent avec ignominie.


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