Acte IV 

Scène 1
Cornélie tenant une petite urne dans sa main, Philippe

CORNELIE
Mes yeux, puis-je vous croire, et n'est-ce point un songe
Qui sur mes tristes voeux a formé ce mensonge ?
Te revois-je, Philippe, et cet époux si cher
A-t-il reçu de toi les honneurs du bûcher ?
Cette urne que je tiens contient-elle sa cendre ?
O vous, à ma douleur objet terrible et tendre,
Eternel entretien de haine et de pitié,
Reste du grand Pompée, écoutez sa moitié.
N'attendez point de moi de regrets ni de larmes ;
Un grand coeur à ses maux applique d'autres charmes.
Les faibles déplaisirs s'amusent à parler,
Et quiconque se plaint cherche à se consoler.
Moi, je jure des Dieux la puissance suprême,
Et pour dire encor plus, je jure par vous-même,
Car vous pouvez bien plus sur ce coeur affligé
Que le respect des Dieux qui l'ont mal protégé :
Je jure donc par vous, ô pitoyable reste,
Ma divinité seule après ce coup funeste,
Par vous, qui seul ici pouvez me soulager,
De n'éteindre jamais l'ardeur de le venger.
Ptolomée à César, par un lâche artifice,
Rome, de ton Pompée a fait un sacrifice ;
Et je n'entrerai point dans tes murs désolés,
Que le prêtre et le Dieu ne lui soient immolés.
Faites-m'en souvenir, et soutenez ma haine,
O cendres, mon espoir aussi bien que ma peine ;
Et pour m'aider un jour à perdre son vainqueur,
Versez dans tous les coeurs ce que ressent mon coeur.
Toi qui l'as honoré sur cette infâme rive
D'une flamme pieuse autant comme chétive,
Dis-moi, quel bon démon a mis en ton pouvoir
De rendre à ce héros ce funèbre devoir ?

PHILIPPE
Tout couvert de son sang, et plus mort que lui-même,
Après avoir cent fois maudit le diadème,
Madame, j'ai porté mes pas et mes sanglots
Du côté que le vent poussait encor les flots.
Je cours longtemps en vain ; mais enfin d'une roche
J'en découvre le tronc vers un sable assez proche,
Où la vague en courroux semblait prendre plaisir
A feindre de le rendre, et puis s'en ressaisir.
Je m'y jette, et l'embrasse, et le pousse au rivage ;
Et ramassant sous lui le débris d'un naufrage,
Je lui dresse un bûcher à la hâte et sans art,
Tel que je pus sur l'heure, et qu'il plut au hasard.
A peine brûlait-il que le ciel plus propice
M'envoie un compagnon en ce pieux office :
Cordus, un vieux Romain qui demeure en ces lieux,
Retournant de la ville, y détourne les yeux ;
Et n'y voyant qu'un tronc dont la tête est coupée,
A cette triste marque il reconnaît Pompée.
Soudain la larme à l'oeil : «O toi, qui que tu sois,
A qui le ciel permet de si dignes emplois,
Ton sort est bien, dit-il, autre que tu ne penses ;
Tu crains des châtiments, attends des récompenses.
César est en Egypte, et venge hautement
Celui pour qui ton zèle a tant de sentiment.
Tu peux faire éclater les soins qu'on t'en voit prendre,
Tu peux même à sa veuve en reporter la cendre.
Son vainqueur l'a reçue avec tout le respect
Qu'un dieu pourrait ici trouver à son aspect.
Achève, je reviens». Il part et m'abandonne,
Et rapporte aussitôt ce vase qu'il me donne,
Où sa main et la mienne enfin ont renfermé
Ces restes d'un héros par le feu consumé.

CORNELIE
Oh ! que sa piété mérite de louanges !

PHILIPPE
En entrant j'ai trouvé des désordres étranges.
J'ai vu fuir tout un peuple en foule vers le port,
Où le Roi, disait-on, s'était fait le plus fort.
Les Romains poursuivaient ; et César, dans la place
Ruisselante du sang de cette populace,
Montrait de sa justice un exemple si beau,
Faisant passer Photin par les mains d'un bourreau.
Aussitôt qu'il me voit, il daigne me connaître ;
Et prenant de ma main les cendres de mon maître :
«Restes d'un demi-dieu, dont à peine je puis
Egaler le grand nom, tout vainqueur que j'en suis,
De vos traîtres, dit-il, voyez punir les crimes :
Attendant des autels, recevez ces victimes ;
Bien d'autres vont les suivre. Et toi, cours au palais
Porter à sa moitié ce don que je lui fais ;
Porte à ses déplaisirs cette faible allégeance,
Et dis-lui que je cours achever sa vengeance».
Ce grand homme à ces mots me quitte en soupirant,
Et baise avec respect ce vase qu'il me rend.

CORNELIE
O soupirs ! ô respect ! oh ! qu'il est doux de plaindre
Le sort d'un ennemi quand il n'est plus à craindre !
Qu'avec chaleur, Philippe, on court à le venger
Lorsqu'on s'y voit forcé par son propre danger,
Et quand cet intérêt qu'on prend pour sa mémoire
Fait notre sûreté comme il croît notre gloire !
César est généreux, j'en veux être d'accord ;
Mais le Roi le veut perdre, et son rival est mort.
Sa vertu laisse lieu de douter à l'envie
De ce qu'elle ferait s'il le voyait en vie :
Pour grand qu'en soit le prix, son péril en rabat ;
Cette ombre qui la couvre en affaiblit l'éclat ;
L'amour même s'y mêle, et le force à combattre :
Quand il venge Pompée, il défend Cléopâtre.
Tant d'intérêts sont joints à ceux de mon époux,
Que je ne devrais rien à ce qu'il fait pour nous,
Si, comme par soi-même un grand coeur jnge un autre,
Je n'aimais mieux juger sa vertu par la nôtre,
Et croire que nous seuls armons ce combattant,
Parce qu'au point qu'il est j'en voudrais faire autant.

 

Scène 2
Cléopâtre, Cornélie, Philippe, Charmion

CLEOPATRE
Je ne viens pas ici pour troubler une plainte
Trop juste à la douleur dont vous êtes atteinte :
Je viens pour rendre hommage aux cendres d'un héros
Qu'un fidèle affranchi vient d'arracher aux flots ;
Pour le plaindre avec vous, et vous jurer, Madame,
Que j'aurais conservé ce maître de votre âme,
Si le ciel, qui vous traite avec trop de rigueur,
M'en eût donné la force aussi bien que le coeur.
Si pourtant, à l'aspect de ce qu'il vous renvoie,
Vos douleurs laissaient place à quelque peu de joie ;
Si la vengeance avait de quoi vous soulager,
Je vous dirais aussi qu'on vient de vous venger,
Que le traître Photin.... Vous le savez peut-être ?

CORNELIE
Oui, Princesse, je sais qu'on a puni ce traître.

CLEOPATRE
Un si prompt châtiment vous doit être bien doux.

CORNELIE
S'il a quelque douceur, elle n'est que pour vous.

CLEOPATRE
Tous les coeurs trouvent doux le succès qu'ils espèrent.

CORNELIE
Comme nos intérêts, nos sentiments diffèrent.
Si César à sa mort joint celle d'Achillas,
Vous êtes satisfaite, et je ne la suis pas.
Aux mânes de Pompée il faut une autre offrande :
La victime est trop basse et l'injure est trop grande ;
Et ce n'est pas un sang que pour la réparer
Son ombre et ma douleur daignent considérer.
L'ardeur de le venger, dans mon âme allumée,
En attendant César, demande Ptolomée.
Tout indigne qu'il est de vivre et de régner,
Je sais bien que César se force à l'épargner ;
Mais quoi que son amour ait osé vous promettre,
Le ciel, plus juste enfin, n'osera le permettre ;
Et s'il peut une fois écouter tous mes voeux,
Par la main l'un de l'autre ils périront tous deux.
Mon âme à ce bonheur, si le ciel me l'envoie,
Oubliera ses douleurs pour s'ouvrir à la joie ;
Mais si ce grand souhait demande trop pour moi,
Si vous n'en perdez qu'un, ô ciel ! perdez le Roi.

CLEOPATRE
Le ciel sur nos souhaits ne règle pas les choses.

CORNELIE
Le ciel règle souvent les effets sur les causes,
Et rend aux criminels ce qu'ils ont mérité.

CLEOPATRE
Comme de la justice, il a de la bonté.

CORNELIE
Oui ; mais il fait juger, à voir comme il commence,
Que sa justice agit, et non pas sa clémence.

CLEOPATRE
Souvent de la justice il passe à la douceur.

CORNELIE
Reine, je parle en veuve, et vous parlez en soeur.
Chacune a son sujet d'aigreur ou de tendresse,
Qui dans le sort du Roi justement l'intéresse.
Apprenons par le sang qu'on aura répandu
A quels souhaits le ciel a le mieux répondu.
Voici votre Achorée.

 

Scène 3
Cornélie, Cléopâtre, Achorée, Philippe, Charmion

CLEOPATRE
                     Hélas ! sur son visage
Rien ne s'offre à mes yeux que de mauvais présage.
Ne nous déguisez rien, pariez sans me flatter :
Qu'ai-je à craindre, Achorée, ou qu'ai-je à regretter ?

ACHOREE
Aussitôt que César eut su la perfidie...

CLEOPATRE
Ce ne sont pas ses soins que je veux qu'on me die.
Je sais qu'il fit trancher et clore ce conduit
Par où ce grand secours devait être introduit ;
Qu'il manda tous les siens pour s'assurer la place,
Où Photin a reçu le prix de son audace ;
Que d'un si prompt supplice Achillas étonné
S'est aisément saisi du port abandonné ;
Que le Roi l'a suivi ; qu'Antoine a mis à terre
Ce qui dans ses vaisseaux restoit de gens de guerre ;
Que César l'a rejoint ; et je ne doute pas
Qu'il n'ait su vaincre encore, et punir Achillas.

ACHOREE
Oui, Madame, on a vu son bonheur ordinaire...

CLEOPATRE
Dites-moi seulement s'il a sauvé mon frère,
S'il m'a tenu promesse.

ACHOREE
                     Oui, de tout son pouvoir.

CLEOPATRE
C'est là l'unique point que je voulais savoir.
Madame, vous voyez, les Dieux m'ont écoutée.

CORNELIE
Ils n'ont que différé la peine méritée.

CLEOPATRE
Vous la vouliez sur l'heure, ils l'en ont garanti.

ACHOREE
Il faudrait qu'à nos voeux il eût mieux consenti.

CLEOPATRE
Que disiez-vous naguère, et que viens-je d'entendre ?
Accordez ces discours, que j'ai peine à comprendre.

ACHOREE
Aucuns ordres ni soins n'ont pu le secourir :
Malgré César et nous il a voulu périr ;
Mais il est mort, Madame, avec toutes les marques
Que puissent laisser d'eux les plus dignes monarques :
Sa vertu rappelée a soutenu son rang,
Et sa perte aux Romains a coûté bien du sang.
Il combattoit Antoine avec tant de courage,
Qu'il emportoit déjà sur lui quelque avantage ;
Mais l'abord de César a changé le destin ;
Aussitôt Achillas suit le sort de Photin :
Il meurt, mais d'une mort trop belle pour un traître,
Les armes a la main, en défendant son maître.
Le vainqueur crie en vain qu'on épargne le Roi ;
Ces mots au lieu d'espoir lui donnent de l'effroi ;
Son esprit alarmé les croit un artifice
Pour reserver sa tête à l'affront d'un supplice.
Il pousse dans nos rangs, il les perce, et fait voir
Ce que peut la vertu qu'arme le désespoir ;
Et son coeur, emporté par l'erreur qui l'abuse,
Cherche partout la mort, que chacun lui refuse.
Enfin perdant haleine après ces grands efforts,
Près d'être environné, ses meilleurs soldats morts,
Il voit quelques fuyards sauter dans une barque :
Il s'y jette, et les siens, qui suivent leur monarque,
D'un si grand nombre en foule accablent ce vaisseau,
Que la mer l'engloutit avec tout son fardeau.
C'est ainsi que sa mort lui rend toute sa gloire,
A vous toute l'Egypte, à César la victoire.
Il vous proclame reine ; et bien qu'aucun Romain
Du sang que vous pleurez n'ait vu rougir sa main,
Il nous fait voir à tous un déplaisir extrême,
Il soupire, il gémit. Mais le voici lui-même,
Qui pourra mieux que moi vous montrer la douleur
Que lui donne du Roi l'invincible malheur.

 

Scène 4
César, Cornélie, Cléopâtre, Antoine,
Lépide, Achorée, Charmion, Philippe

CORNELIE
César, tiens-moi parole, et me rends mes galères.
Achillas et Photin ont reçu leurs salaires ;
Leur roi n'a pu jouir de ton coeur adouci ;
Et Pompée est vengé ce qu'il peut l'être ici.
Je n'y saurais plus voir qu'un funeste rivage
Qui de leur attentat m'offre l'horrible image,
Ta nouvelle victoire, et le bruit éclatant
Qu'aux changements de roi pousse un peuple inconstant ;
Et parmi ces objets, ce qui le plus m'afflige,
C'est d'y revoir toujours l'ennemi qui m'oblige.
Laisse-moi m'affranchir de cette indignité,
Et souffre que ma haine agisse en liberté.
A cet empressement j'ajoute une requête :
Vois l'urne de Pompée ; il y manque sa tête :
Ne me la retiens plus, c'est l'unique faveur
Dont je te puis encor prier avec honneur.

CESAR
Il est juste, et César est tout prêt de vous rendre
Ce reste où vous avez tant de droit de prétendre ;
Mais il est juste aussi qu'après tant de sanglots
A ses mânes errants nous rendions le repos,
Qu'un bûcher allumé par ma main et la vôtre
Le venge pleinement de la honte de l'autre,
Que son ombre s'apaise en voyant notre ennui,
Et qu'une urne plus digne et de vous et de lui,
Après la flamme éteinte et les pompes finies,
Renferme avec éclat ses cendres réunies.
De cette même main dont il fut combattu,
Il verra des autels dressés à sa vertu ;
Il recevra des voeux, de l'encens, des victimes,
Sans recevoir par là d'honneurs que légitimes :
Pour ces justes devoirs je ne veux que demain ;
Ne me refusez pas ce bonheur souverain.
Faites un peu de force à votre impatience ;
Vous êtes libre après : partez en diligence ;
Portez à notre Rome un si digne trésor ;
Portez...

CORNELIE
                     Non pas, César, non pas à Rome encor :
Il faut que ta défaite et que tes funérailles
A cette cendre aimée en ouvrent les murailles ;
Et quoiqu'elle la tienne aussi chère que moi,
Elle n'y doit rentrer qu'en triomphant de toi.
Je la porte en Afrique ; et c'est là que j'espère
Que les fils de Pompée, et Caton, et mon père,
Secondés par l'effort d'un roi plus généreux,
Ainsi que la justice auront le sort pour eux.
C'est là que tu verras sur la terre et sur l'onde
Le débris de Pharsale armer un autre monde ;
Et c'est là que j'irai, pour hâter tes malheurs,
Porter de rang en rang ces cendres et mes pleurs.
Je veux que de ma haine ils reçoivent des règles,
Qu'ils suivent au combat des urnes au lieu d'aigles ;
Et que ce triste objet porte en leur souvenir
Les soins de le venger, et ceux de te punir.
Tu veux à ce héros rendre un devoir suprême :
L'honneur que tu lui rends rejaillit sur toi-même ;
Tu m'en veux pour témoin : j'obéis au vainqueur ;
Mais ne présume pas toucher par là mon coeur.
La perte que j'ai faite est trop irréparable ;
La source de ma haine est trop inépuisable :
A l'égal de mes jours je la ferai durer ;
Je veux vivre avec elle, avec elle expirer.
Je t'avouerai pourtant, comme vraiment Romaine,
Que pour toi mon estime est égale à ma haine ;
Que l'une et l'autre est juste, et montre le pouvoir,
L'une de ta vertu, l'autre de mon devoir ;
Que l'une est généreuse, et l'autre intéressée,
Et que dans mon esprit l'une et l'autre est forcée.
Tu vois que ta vertu, qu'en vain on veut trahir,
Me force de priser ce que je dois haïr :
Juge ainsi de la haine où mon devoir me lie ;
La veuve de Pompée y force Cornélie.
J'irai, n'en doute point, au sortir de ces lieux,
Soulever contre toi les hommes et les Dieux ;
Ces Dieux qui t'ont flatté, ces Dieux qui m'ont trompée,
Ces Dieux qui dans Pharsale ont mal servi Pompée,
Qui la foudre à la main l'ont pu voir égorger :
Ils connaîtront leur faute, et le voudront venger.
Mon zèle, à leur refus, aidé de sa mémoire,
Te saura bien sans eux arracher la Victoire :
Et quand tout mon effort se trouvera rompu,
Cléopâtre fera ce que je n'aurai pu.
Je sais quelle est ta flamme et quelles sont ses forces,
Que tu n'ignores pas comme on fait les divorces,
Que ton amour t'aveugle, et que pour l'épouser
Rome n'a point de lois que tu n'oses briser ;
Mais sache aussi qu'alors la jeunesse romaine
Se croira tout permis sur l'époux d'une reine,
Et que de cet hymen tes amis indignés
Vengeront sur ton sang leurs avis dédaignés.
J'empêche ta ruine, empêchant tes caresses.
Adieu : j'attends demain l'effet de tés promesses.

 

Scène 5
César, Cléopâtre, Antoine, Lépide, Achorée, Charmion

CLEOPATRE
Plutôt qu'à ces périls je vous puisse exposer,
Seigneur, perdez en moi ce qui les peut causer :
Sacrifiez ma vie au bonheur de la vôtre ;
Le mien sera trop grand, et je n'en veux point d'autre,
Indigne que je suis d'un César pour époux,
Que de vivre en votre âme, étant morte pour vous.

CESAR
Reine, ces vains projets sont le seul avantage
Qu'un grand coeur impuissant a du ciel en partage :
Comme il a peu de force, il a beaucoup de soins ;
Et s'il pouvait plus faire, il souhaiterait moins.
Les Dieux empêcheront l'effet de ces augures,
Et mes félicités n'en seront pas moins pures,
Pourvu que votre amour gagne sur vos douleurs,
Qu'en faveur de César vous tarissiez vos pleurs,
Et que votre bonté, sensible à ma prière,
Pour un fidèle amant oublie un mauvais frère.
On aura pu vous dire avec quel déplaisir
J'ai vu le désespoir qu'il a voulu choisir ;
Avec combien d'efforts j'ai voulu le défendre
Des paniques terreurs qui l'avaient pu surprendre.
Il s'est de mes bontés jusqu'au bout défendu,
Et de peur de se perdre il s'est enfin perdu.
Oh ! honte pour César, qu'avec tant de puissance,
Tant de soins de vous rendre entière obéissance,
Il n'ait pu toutefois, en ces événements,
Obéir au premier de vos commandements !
Prenez-vous-en au ciel, dont les ordres sublimes
Malgré tous nos efforts savent punir les crimes ;
Sa rigueur envers lui vous ouvre un sort plus doux,
Puisque par cette mort l'Egypte est toute à vous.

CLEOPATRE
Je sais que j'en reçois un nouveau diadème,
Qu'on n'en peut accuser que les Dieux et lui-même ;
Mais comme il est, Seigneur, de la fatalité
Que l'aigreur soit mêlée à la félicité,
Ne vous offensez pas si cet heur de vos armes,
Qui me rend tant de biens, me coûte un peu de larmes,
Et si voyant sa mort due à sa trahison,
Je donne à la nature ainsi qu'à la raison.
Je n'ouvre point les yeux sur ma grandeur si proche,
Qu'aussitôt à mon coeur mon sang ne le reproche ;
J'en ressens dans mon âme un murmure secret,
Et ne puis remonter au trône sans regret.

ACHOREE
Un grand peuple, Seigneur, dont cette cour est pleine,
Par des cris redoublés demande à voir sa reine,
Et tout impatient déjà se plaint, aux cieux
Qu'on lui donne trop tard un bien si précieux.

CESAR
Ne lui refusons plus le bonheur qu'il désire :
Princesse, allons par là commencer votre empire.
Fasse le juste ciel, propice à mes désirs,
Que ces longs cris de joie étouffent vos soupirs,
Et puissent ne laisser dedans votre pensée
Que l'image des traits dont mon âme est blessée !
Cependant, qu'à l'envi ma suite et votre cour
Préparent pour demain la pompe d'un beau jour,
Où dans un digne emploi l'une et l'autre occupée
Couronne Cléopatre et m'apaise Pompée,
Elève à l'une un trône, à l'autre des autels,
Et jure à tous les deux des respects immortels.


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