I. De quoi te plains-tu ? La divinité t'a donné ce qu'elle avait de plus grand, de plus noble, de plus royal et de plus divin, le pouvoir de faire un bon usage de tes opinions, et de trouver en toi-même tes véritables biens. Que veux-tu de plus ? Sois donc content, remercie un si bon père, et ne cesse jamais de le prier.

II. Que tu es aveugle et injuste ! Tu peux ne dépendre que de toi seul, et tu veux dépendre d'un million de choses qui te sont étrangères, et qui toutes t'éloignent de ton véritable bien.

III. Quand nous voulons nous embarquer, nous demandons un bon vent pour avancer et faire route. En l'attendant, nous demeurons là tout consternés, et nous allons souvent regarder quel vent souffle. «Eh ! toujours un vent du nord ! Que faire de ce vent du nord, qui nous est si contraire ? Quand viendra le vent du couchant ?» - Mon ami, il viendra quand il lui plaira, ou plutôt quand il plaira à celui qui en est le maître. Es-tu le dispensateur des vents, comme un autre Eole ? Nous n'avons à faire que ce qui dépend de nous, et à user de toutes les autres choses comme elles nous arrivent.

IV. Souviens-toi du courage de Latéranus. Néron lui ayant envoyé son affranchi, Epaphrodite, pour l'interroger sur la conspiration où il était entré, il répondit : «Quand j'aurai quelque chose à dire, je le dirai à ton maître. - Tu seras traîné en prison. - Mais faut-il que j'y sois traîné en fondant en larmes ? - Tu seras envoyé en exil. - Qu'est-ce qui empêche que je n'y aille gaiement, plein d'espérance et content de mon sort ? - Tu seras condamné à mort. - Mais faut-il que je meure en murmurant et en gémissant ? - Dis-moi ton secret. - Je ne te le dirai point, car cela dépend de moi. - Qu'on le mette aux fers ! - Que dis-tu, mon ami, est-ce moi que tu menaces de mettre aux fers ? Je t'en défie. Ce sont mes jambes que tu y mettras, mais pour ma volonté, elle sera libre, et Jupiter même ne peut me l'ôter. - Je vais tout à l'heure te faire couper le cou. - Quand t'ai-je dit que mon cou avait seul ce privilège de ne pouvoir être coupé ?». Les effets répondirent à ces braves paroles. Latéranus ayant été mené au supplice, et le premier coup de l'exécuteur ayant été trop faible pour lui enlever la tête, il la retira un instant, puis la tendit de nouveau, avec beaucoup de fermeté et de constance.

V. Thraséas disait qu'il aimait mieux être tué aujourd'hui, qu'exilé demain. Que lui répondit à cela Rufus ? «Si tu choisis la mort comme plus pénible, quelle folie ! Si tu la choisis comme plus douce, qui t'a donné le choix ?»

VI. C'est un beau mot d'Agrippinus : «Je ne me ferai jamais obstacle à moi-même».

VII. Veux-tu voir un homme content de tout, et qui veut que tout arrive comme il arrive ? C'est Agrippinus. On vint lui annoncer que le sénat était assemblé pour le juger. «A la bonne heure, dit-il. Et moi, je vais me préparer pour le bain, à mon ordinaire». A peine était-il sorti du bain, qu'on vint lui dire qu'il était condamné. «Est-ce à la mort où à l'exil ? - A l'exil. - Et mes biens, sont-ils confisqués ? - Non, on vous les laisse. - Partons donc sans différer, allons dîner à Aricia ; nous y dînerons aussi bien qu'à Rome».

VIII. Quand l'heure sera venue, je mourrai ; mais je mourrai comme doit mourir un homme qui ne fait que rendre ce qu'on lui a prêté.

IX. Rien n'est insupportable à l'homme raisonnable que ce qui est sans raison.

X. Tu n'as pas de quoi vivre, et tu me demandes si, pour l'avoir, tu dois te rabaisser aux ministères les plus abjects, jusqu'à présenter le pot de chambre à un maître. Que puis-je te dire là-dessus ? Il y a des gens qui pensent qu'il vaut mieux présenter le pot de chambre que de mourir de faim. Il y en a d'autres à qui cela serait insupportable. Ce n'est donc pas moi qu'il faut consulter, c'est toi-même. Examine bien ce que tu vaux.

XI. Les hommes se mettent comme ils veulent, à fort haut ou à fort bas prix, et chacun ne vaut que ce qu'il s'estime ; taxe-toi donc ou comme libre ou comme esclave, cela dépend de toi.

XII. Tu veux ressembler au commun des hommes, comme un fil de ta tunique ressemble à tous les autres fils qui la composent ; mais moi je veux être cette bande de pourpre, qui non seulement a de l'éclat, mais qui embellit même tout ce à quoi on l'applique. Pourquoi donc me conseilles-tu d'être comme les autres ? Je serais comme le fil, je ne serais plus de la pourpre.

XIII. Florus demandait un jour à Agrippinus : «Irai-je au théâtre avec Néron, et danserai-je avec lui ? - Va, lui dit Agrippinus. - Et toi, lui dit Florus, pourquoi n'y viens-tu pas aussi ? - C'est, lui répondit Agrippinus, que je n'y ai pas encore réfléchi».

XIV. Cette grande maxime était bien gravée dans le coeur de Priscus Helvidius, et il la mit noblement en pratique. Vespasien lui manda un jour de ne pas venir au sénat. «Il dépend de lui de m'ôter ma charge, répondit Helvidius, mais j'irai au sénat tant que je serai sénateur. - Si vous y venez, lui dit le prince, n'y venez que pour vous taire. - Ne me demandez pas mon avis, dit Helvidius, et je me tairai. - Mais si voue êtes présent, repartit le prince, je ne puis me dispenser de vous demander votre avis. - Ni moi, répondit Helvidius, de vous dire ce qui me paraîtra juste. - Mais si vous le dites, je vous ferai mourir. - Quand vous ai-je dit que j'étais immortel ? répliqua Helvidius. Nous ferons tous deux ce qui dépend de nous : vous me ferez mourir, et je souffrirai la mort sans me plaindre». - Que gagna par là Helvidius, étant seul ? - Mais, je te le demande, que gagne la pourpre qui est seule sur une tunique ? Elle l'orne, elle l'embellit, et elle donne envie d'en avoir une pareille.

XV. Si le prince t'avait adopté, tu serais d'une fierté insupportable à tout le monde ; et tu oublies la divinité à laquelle tu as tant d'obligations.

XVI. Les hommes ont élevé des temples et des autels à un Triptolème pour avoir trouvé une nourriture moins sauvage et moins grossière que celle dont on usait avant lui. Qui de nous bénit dans son coeur ceux qui ont trouvé la vérité, qui l'ont éclaircie, qui ont chassé de nos âmes les ténèbres de l'ignorance et de l'erreur ?

XVII. Nous sommes composés de deux natures bien différentes : d'un corps qui nous est commun avec les bêtes, et d'un esprit qui nous est commun avec les dieux. Les uns penchent vers cette première parenté, s'il est permis de parler ainsi, parenté malheureuse et mortelle. Et les autres penchent vers la dernière, vers cette parenté heureuse et divine. De là vient que ceux-ci pensent noblement, et que les autres, en beaucoup plus grand nombre, n'ont que des pensées basses et indignes. - Que suis-je, moi ? Un petit homme très malheureux ; et ces chairs, dont mon corps est bâti, sont effectivement très chétives et très misérables. - Mais tu as en toi quelque chose de bien plus noble que ces chairs. Pourquoi, t'éloignant donc de ce principe si élevé, t'attaches-tu à ces chairs ? Voilà la pente de presque tous les hommes, et voilà pourquoi il y a parmi eux tant de monstres, tant de loups, tant de lions, tant de tigres, tant de pourceaux. Prends donc garde à toi, et tâche de ne pas augmenter le nombre de ces monstres.

XVIII. Je te demande quel progrès tu as fait dans la vertu, et tu me montres un livre de Chrysippe que tu te vantes d'entendre. C'est comme si un athlète, dont je voudrais connaître la force, au lieu de me montrer ses bras nerveux et ses larges épaules, me faisait voir seulement ses gantelets. Eh, vil esclave ! de même que je voudrais voir ce que l'athlète sait faire avec ses gantelets, je voudrais voir à quoi t'a servi ce livre de Chrysippe. As-tu mis en pratique ses préceptes ? As-tu bien placé tes craintes et tes désirs ? C'est par l'oeuvre même que le progrès apparaît. As-tu l'âme élevée, libre, fidèle, pleine de pudeur ? Est-elle dans un tel état que rien ne puisse ni l'empêcher, ni la troubler ? As-tu chassé de toute ta vie les gémissements, les plaintes et ces exclamations importunes ? Ah ! malheureux que je suis ! As-tu bien considéré ce que c'est que la prison, l'exil, la ciguë ? Et peux-tu dire, en toute occasion : «Passons courageusement par là, puisque c'est par là que la divinité nous appelle ?»

XIX. Pourquoi disputer contre des gens qui ne se rendent pas aux vérités les plus évidentes ? Ce ne sont pas des hommes, mais des pierres.

XX. Nous craignons tous la mort du corps ; mais la mort de l'âme, qui est-ce qui la craint ?

XXI. Tout ce qui arrive dans le monde fait l'éloge de la Providence. Donne-moi un homme ou intelligent ou reconnaissant, il la sentira.

XXII. Si la divinité avait fait les couleurs, sans faire également des yeux capables de les voir et de les distinguer, à quoi auraient-elles servi ? Et si elle avait fait les couleurs et les yeux sans créer la lumière, de quelle utilité auraient été les couleurs et les yeux ? Qui est-ce donc qui a fait ces trois choses les unes pour les autres ? Qui est l'auteur de cette alliance si merveilleuse ? C'est la divinité. Il y a donc une Providence.

XXIII. L'homme dans cette vie doit être le spectateur de son essence et des ouvrages de la divinité, son interprète et son panégyriste. Et toi, malheureux, tu commences et tu finis par où les bêtes commencent et finissent, tu vois sans sentir. Finis donc par où la divinité a fini en toi. Elle a fini en te donnant une âme intelligente et capable de la connaître. Sache donc t'en servir ; ne sors point de ce spectacle si admirable, sans avoir fait que l'entrevoir. Vois, connais, loue, bénis.

XXIV. Vous entreprenez un long voyage pour aller à l'Olympie voir les jeux, et encore un plus long pour voir la belle statue de Phidias, et vous regardez comme un grand malheur de mourir sans avoir eu le plaisir de les voir. Mais des ouvrages bien supérieurs à ceux de Phidias, des ouvrages qu'il ne faut point aller chercher si loin, qui ne coûtent ni tant de peines ni tant de fatigues, qu'on voit partout, n'aurez-vous jamais envie de les considérer ? Ne vous viendra-t-il jamais dans l'esprit de penser enfin qui vous êtes, pourquoi vous êtes nés ? Et mourrez-vous sans avoir prêté attention au spectacle si admirable de cet univers que la divinité a étalé à vos yeux, pour vous porter à la connaître ?

XXV. La divinité t'a donné des armes pour résister à tous les événements les plus fâcheux. Elle t'a donné la grandeur d'âme, la force, la patience, la constance. Tu dois t'en servir. Ou, si tu te plains, avoue que tu as mis bas les armes dont elle t'avait muni.

XXVI. Y a-t-il une Providence ? dit un épicurien ; il me coule incessamment du nez une pituite qui me désole. - Esclave que tu es ! pourquoi donc as-tu des mains ? N'est-ce pas pour te moucher ? - Mais ne vaudrait-il pas mieux, répond l'épicurien, qu'il n'y eût point de pituite au monde ? - Et ne vaudrait-il pas mieux encore te moucher, que d'accuser la Providence ?

 

XXVII. Hercule aurait-il été Hercule sans les lions, les tigres, les sangliers, les brigands et tous les autres monstres dont il a purgé la terre ? Et sans ces monstres, à quoi auraient servi ses bras nerveux, sa force, son courage, sa patience invincible, et toutes ses autres vertus ?

XXVIII. Maintenant, considère bien toutes les facultés que tu possèdes, et prépare-toi avec confiance à toutes les épreuves : tu es bien armé, et en état de tirer un nouvel ornement de tous les accidents les plus terribles.

XXIX. Que font les hommes ? Ils demeurent là tout tremblants de ce qu'ils craignent, ou s'affligeant et gémissant de ce qu'ils souffrent. Que résulte-t-il de cette faiblesse ? Le murmure et l'impiété.

XXX. Les hommes excusent plaisamment les fautes qu'ils ont faites, comme cela m'est arrivé à moi-même. Rufus m'ayant repris un jour de quelque chose : «Eh bien, lui répondis-je, ai-je brûlé le Capitole ? - Vil esclave, me dit-il, c'est avoir brûlé le Capitole que d'avoir fait toute la faute qui pouvait se faire dans cette occasion».

XXXI. La protection d'un prince, ou celle même d'un grand seigneur, suffisent pour nous faire vivre tranquillement et à couvert de toute alarme. Nous avons les dieux pour protecteurs, pour curateurs, pour pères, et cela ne suffit pas pour chasser nos chagrins, nos inquiétudes, nos craintes !

XXXII. Je ne vous demande point de lettres de recommandation ; gardez-les pour celui qui est lâche et timide. Et en voici le modèle : «Je vous recommande ce cadavre, cette outre de sang qui n'est pas encore figé». Voilà comment il faut recommander un homme qui n'a pas l'esprit de sentir qu'il ne dépend pas d'un autre de le rendre malheureux.

XXXIII. Tu quittes ton enfant quand il est fort mal, parce que, dis-tu, tu l'aimes, et que tu n'as pas le courage de le voir. Si c'est là l'effet de l'amitié, il faut donc que tous ceux qui l'aiment le quittent, sa mère, sa nourrice, ses frères, ses soeurs, son précepteur, et qu'il demeure entre les mains de ceux qui ne l'aiment point. Quel aveuglement, quelle injustice, quelle barbarie ! En bonne foi, voudrais-tu toi-même, dans tes maladies, avoir des amis qui t'aimassent si tendrement ?

XXXIV. Un homme de grande considération, aujourd'hui préfet de l'annone, revenant d'exil et s'en retournant à Rome, vint me voir. Il me fit une peinture affreuse de la vie de la cour ; il m'assura qu'il en était dégoûté, qu'il ne s'y rengagerait pour rien au monde, et que le peu de temps qui lui restait à vivre, il voulait le vivre en repos, loin du tumulte et de l'embarras des affaires. Je lui soutins qu'il n'en ferait rien, qu'il n'aurait pas plus tôt mis le pied dans Rome, qu'il oublierait toutes ces belles résolutions, et que, s'il trouvait à se rapprocher du prince, il en profiterait aussitôt. Et lui, en me quittant, me dit : «Epictète, si vous entendez dire que j'aie mis le pied à la cour, dites que je suis le plus grand coquin du monde». Qu'arriva-t-il ? A quelque distance de Rome, il reçut des lettres de César. Il ne se souvint plus de ses promesses ; le voilà à la cour plus avant que jamais, et voilà ma prédiction accomplie... «Que vouliez vous donc qu'il fît ? me dit quelqu'un. Vouliez-vous qu'il passât le reste de ses jours dans l'oisiveté et dans la paresse ?» - Eh ! mon ami, penses-tu qu'un philosophe, qu'un homme qui veut avoir soin de lui-même soit plus paresseux qu'un courtisan ? Il a des occupations plus importantes et plus sérieuses.

XXXV. Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un fou, je veux aussi que tout m'arrive comme il me plaît. - Eh ! mon ami, la folie et la liberté ne se trouvent jamais ensemble. La liberté est une chose non seulement très belle, mais très raisonnable, et il n'y a rien de plus absurde ni de plus déraisonnable que de former des désirs téméraires et de vouloir que les choses arrivent comme nous les avons pensées. Quand j'ai le nom de Dion à écrire, il faut que je l'écrive, non pas comme je veux, mais tel qu'il est, sans y changer une seule lettre. Il en est de même dans tous les arts et dans toutes les sciences. Et tu veux que sur la plus grande et la plus importante de toutes les choses, je veux dire la liberté, on voie régner le caprice et la fantaisie. Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent.

XXXVI. Quand tu es seul, tu dis que tu es dans un désert. Quand tu es dans le grand monde, tu dis que tu es au milieu des brigands, des voleurs, des fourbes. Tu te plains de tes parents, de ta femme, de tes enfants, de tes amis et de tes voisins. Eh ! si tu étais raisonnable, quand tu es seul, tu dirais que tu es en repos, en liberté, que tu jouis de toi-même, et que tu es semblable à la divinité. Et quand tu es dans le monde, au lieu de te chagriner et d'appeler cela embarras, tumulte, tu l'appellerais une fête, ou des jeux publics, et tu serais toujours content.

XXXVII. Je suis boiteux, pourquoi faut-il que je sois boiteux ? - Vil esclave, faut-il accuser la Providence pour un méchant pied ? Lequel est le plus raisonnable : ou que la Providence soit soumise à ton pied, ou que ton pied soit soumis à la Providence ?

XXXVIII. La grandeur de l'esprit ne se mesure pas par l'étendue, elle se mesure par la certitude et par la vérité des opinions.

XXXIX. Pourquoi suis-je né d'un tel père et d'une telle mère ? - Eh ! mon ami, avant ta naissance, dépendait-il de toi de dire : «Je veux qu'un tel se marie à une telle, et je veux naître d'eux ?» Si ta naissance fut malheureuse, ne dépend-il pas de toi de la corriger par la vertu ?

XL. Tu es dans une place éminente, et te voilà le persécuteur et le tyran de ton prochain. Ne te souviendras-tu donc plus qui tu es, et à qui tu commandes ? C'est à tes parents, à tes frères. - Mais j'ai acheté ma charge, j'ai mes prérogatives, mes droits. - Malheureux, toutes tes pensées ne sont que terre et que boue ; tu ne regardes que ces misérables lois humaines, qui sont les lois des morts, et tu ne portes point ta vue sur les lois divines

XLI. Comment peut-on me persuader, dit quelqu'un à Epictète, que toutes mes actions sont vues de la divinité, sans qu'aucune lui échappe ?... Epictète lui répondit : «N'es-tu pas persuadé que toutes les choses du monde ont entre elles une liaison ? - Oui. - N'es-tu pas persuadé que les choses terrestres sont régies par les célestes ? - Oui. - En effet, tu vois que toutes les choses de la nature arrivent dans les temps marqués, toutes les saisons arrivent dans leur temps. A l'approche et à la retraite du soleil, quand la lune croît ou décroît, toute la face de la nature change. Puis donc que toutes les choses de ce bas monde, et nos corps mêmes sont si liés et si unis avec le tout, comment peux-tu t'imaginer que notre âme, bien plus divine que tout cet univers, en soit seule détachée, et qu'elle ne soit pas unie et liée avec la divinité qui l'a créée ? - Mais comment peut-elle voir en même temps tant de choses si différentes et si éloignées ? - Pauvre aveugle, combien d'opérations différentes ton esprit, qui a des bornes si étroites, ne fait-il pas à la fois ? Il embrasse les choses divines et humaines ; il raisonne, il divise, il juge, il consent, il nie. Combien d'images différentes, combien d'idées, même contraires, ne renferme-t-il pas ? Le soleil éclaire en même temps la plus grande partie du monde ; seule la partie que l'ombre de la terre lui cache se dérobe à ses rayons. Et celui qui a fait le soleil, qui, quelque immense qu'il soit, n'est qu'un point de ce vaste univers, n'éclairera pas la terre entière ? - Mais mon esprit ne fait ses opérations que successivement, et ne peut considérer les objets que l'un après l'autre. - Eh ! qui t'a dit que ton esprit fût aussi étendu que la divinité même ? Mais, chétif ver de terre, considère combien d'objets différents embrassent à la fois un oeil qui est si petit. Tout ce qu'enferme l'horizon est présent tout à la fois à la vue, et quelque chose pourra se dérober à la vue de celui qui a fait l'oeil ? Juges-en toi-même».

XLII. Quand tu es la nuit dans ta chambre, la porte bien fermée et la lumière éteinte, garde-toi donc bien de dire que tu es seul, car tu ne l'es pas.

XLIII. Les soldats qui s'enrôlent dans les troupes de César font le serment ordinaire. Quel est ce serment ? Qu'ils préféreront le salut de l'empereur à toutes choses ; qu'ils lui obéiront en tout, qu'ils s'exposeront à la mort pour lui. Et toi, qui es lié à la divinité par ta naissance et par tant de bienfaits que tu en as reçus, et qui es né dans ses troupes, ne feras-tu pas ce serment ? Et l'ayant fait, ne lui seras-tu pas fidèle ? Quelle différence même entre ces deux serments ! Le soldat jure qu'il préférera le salut de l'empereur à toutes choses, et toi tu jures que tu préféreras à toutes choses ton propre salut.

XLIV. Rien de grand ne se fait tout d'un coup, pas même un raisin ni une figue. Si tu me dis : «Je veux tout de suite une figue», je te répondrai : «Mon ami, il faut du temps, attends qu'elle naisse, elle croîtra ensuite, et elle mûrira». Et tu veux que les esprits portent tout d'un coup leur fruit dans la parfaite maturité ! Cela est-il juste ?

XLV. Nous sommes si ingrats, que, même quand il s'agit des merveilles que la Providence a faites en notre faveur, bien loin de lui en rendre grâces, nous l'accusons, et nous nous plaignons d'elle. Cependant, grands dieux ! pour peu que nous eussions un coeur sensible et reconnaissant, une seule chose de la nature et la moindre même suffirait pour nous faire sentir la Providence et le soin qu'elle a de nous.

XLVI. Si nous avions du sens, nous ne ferions autre chose toute notre vie, et en public, et en particulier, que de rendre grâces à la Providence pour tous les biens que nous en avons reçus, et dont nous jouissons à tous les moments de notre vie. Oui, en bêchant, en labourant, en mangeant, en nous promenant, en nous levant, en nous couchant, à chaque action nous nous écrierions : «Que la Providence est grande !» Tout retentirait du son de ces paroles divines : «Que la Providence est grande !» Mais vous êtes ingrats et aveugles. Il faut donc que je le dise pour vous tous, et que vieux, boiteux, pauvre et infirme, je dise sans cesse : «Que la Providence est grande !»

XLVII. Si j'étais rossignol ou cygne, je ferais ce qui est du cygne ou du rossignol. Je suis homme, j'ai la raison en partage. Que dois-je donc faire ? Louer la divinité. C'est ce que je ferai toute ma vie. Et j'exhorte tous les hommes à se joindre à moi.

XLVIII. Si la raison, qui doit régler toutes choses, est déréglée, qui est-ce qui la réglera ?

XLIX. Quelqu'un peut-il t'empêcher de te rendre à la vérité connue, et te forcer d'approuver ce qui est faux ? Tu vois donc bien que tu as un libre arbitre, que rien ne peut te ravir. Si ta liberté pouvait être forcée, la divinité n'aurait plus de toi le soin qu'en doit avoir un bon père.

L. Quel est l'homme dont rien ne vient à bout ? Celui qui est ferme dans ses desseins et qui ne se laisse ébranler par aucune des choses qui ne sont pas en notre pouvoir. Je le regarde comme un athlète. Il a soutenu un premier combat ; en soutiendra-t-il un second ? Il a résisté à l'argent, résistera-t-il à une belle femme ? Il a résisté en plein jour au milieu du monde, résistera-t-il seul et pendant la nuit ? résistera-t-il à la gloire, à la calomnie, aux louanges, à la mort ? résistera-t-il à toutes les incommodités, à toutes les tristesses ? En un mot, sera-t-il victorieux jusque dans ses songes ? Voilà l'athlète qu'il me faut.

LI. Tout homme qui a ou qui croit avoir quelque avantage sur les autres, sera inévitablement rempli d'orgueil, s'il n'est bien instruit, et il ne pourra manquer d'en abuser.

LII. Un tyran me dit : «Je suis le maître, je peux tout. - Eh ! que peux-tu ? Peux-tu te donner un bon esprit ? Peux-tu m'ôter ma liberté ? Eh ! que peux-tu donc ? Sur un vaisseau, ne dépends-tu pas du pilote ? Sur ton char, ne dépends-tu pas du cocher ? - Tout le monde me fait la cour. - Mais te la fait-on comme à un homme ? Montre-moi quelqu'un qui te prenne pour tel, qui voulût te ressembler, qui voulût marcher sur tes traces comme sur celles de Socrate. - Mais je puis te faire couper le cou. - Tu parles bien. J'avais oublié qu'il faut te faire la cour comme aux dieux nuisibles, et t'offrir des sacrifices comme à la fièvre. N'a-t-elle pas un autel à Rome ? Tu le mérites plus qu'elle, car tu es plus malfaisant. Mais que tes satellites et toute ta pompe effraient et troublent la vile populace, tu ne me troubleras point ; je ne puis être troublé que par moi-même. Tu as beau me menacer, je te dis que je suis libre. - Toi libre ! Et comment ? - C'est la divinité même qui m'a affranchi. Penses-tu qu'elle souffre que son fils tombe sous ta puissance ? Tu es le maître de ma carcasse ; prends-la. Tu n'as aucun pouvoir sur moi».

LIII. Félicion était un sot, à qui personne ne daignait parler. Le prince lui donna le soin de sa chaise d'affaires ; voilà Félicion homme important et homme d'esprit. Chacun dit : «Félicion a parlé aujourd'hui comme un ange». Eh ! mon ami, attendons un peu ; que le prince lui ôte seulement sa chaise d'affaires, et il redeviendra promptement un sot.

LIV. Encore un autre trait semblable, qui te donnera une idée juste du courtisan. Epaphrodite, capitaine des gardes de Néron, avait un esclave qui était cordonnier de son métier, mais si sot et si malhabile que, renonçant à l'utiliser, il le vendit. Un domestique de Néron l'achète, et par hasard cet esclave devient le cordonnier du prince et enfin son favori. Dès le lendemain, Epaphrodite est le premier à lui faire la cour. Nous ne voyons plus Epaphrodite ; il est enfermé des journées entières, pour délibérer sur des affaires importantes, avec cet homme qu'il avait vendu comme n'étant bon à rien.

LV. Un homme est fait tribun du peuple. Il s'en retourne chez lui, il trouve sa maison illuminée ; tout le monde va le féliciter. Il monte aussitôt au Capitole, fait des sacrifices, et remercie les dieux. Qui de nous les remercie de n'avoir que de saines opinions et des désirs réglés et conformes à la nature ?

LVI. Un homme vint me consulter sur le dessein qu'il avait d'entrer dans la confrérie des prêtres d'Auguste à Nicopolis. «Eh ! mon ami, lui dis-je, à quoi bon ? Voilà une dépense bien inutile. - Oh ! mais mon nom demeurera à toujours, car il sera écrit sur les registres. - Ecris-le sur une pierre, il durera encore plus longtemps. D'ailleurs qui te connaîtra hors des murs de Nicopolis ? - Mais je porterai une couronne d'or. - Si c'est là ton ambition, couronne pour couronne, prends-en une de roses ; elle te pèsera moins, et te siéra mieux».

LVII. Les respects qu'on rend à ceux qui peuvent nuire sont comme l'autel élevé à la fièvre au milieu de Rome ; on l'adore, parce qu'on la craint.

LVIII. Que ne fait pas un changeur pour examiner l'argent qu'on lui donne ? Il emploie tous ses sens : la vue, le tact, l'odorat, l'ouïe. Il ne se contente pas de faire sonner une pièce une fois, deux fois ; à force d'examiner les sons, il devient presque musicien. Nous sommes tous changeurs sur ce que nous croyons qui nous regarde. Point d'attention, point d'application que nous n'ayons pour éviter d'être trompés. Mais s'agit-il de notre raison, s'agit-il d'examiner nos opinions, de peur qu'elles ne nous séduisent ? nous sommes paresseux et négligents, comme si cela ne nous regardait point, car nous ne connaissons pas le dommage que cela nous cause.

LIX. La philosophie, dit-on, est un chemin long et pénible. - Tu te trompes, mon ami, il n'est point si long. Car que te veut apprendre la philosophie ? A suivre les dieux, à régler tes désirs, et à faire un bon usage de tes opinions. - Dis-moi ce que c'est que les dieux, les désirs, les opinions ; voilà ce qui est long. - Mais les philosophes qui te prêchent la volupté, sont-ils plus courts ? Que te dit Epicure ? Que le bien de l'homme consiste dans son corps. Dis-moi donc ce que c'est que l'âme, ce que c'est que le corps, ce qui fait notre essence, et tu verras que cela n'est pas moins long.

LX. Mon ami, pourquoi marches-tu redressé comme si tu avais avalé une aune ? - Je voudrais être admiré de tous les passants, et entendre dire à droite et à gauche : Voilà un grand philosophe. - Qui sont donc ces gens dont tu veux attirer l'admiration ? Ne sont-ce pas ces mêmes gens dont tu dis qu'ils sont fous ? Tu veux donc être admiré des fous ? Ah ! le grand fou !

LXI. Epicure dit qu'il ne faut pas nourrir ni élever des enfants, parce que rien n'est plus opposé au véritable bien, qu'il place dans la volupté. - Mon pauvre Epicure, tu veux donc que nous soyons plus dénaturés que les bêtes les plus féroces, qui n'abandonnent jamais leurs petits ? La charité des pères pour leurs enfants est si naturelle, que je suis sur que même si ton père et ta mère avaient été avertis par un oracle que tu avancerais un jour une proposition si insensée, ils n'auraient pas laissé de t'élever.

LXII. Il y a des notions communes, dont tous les hommes conviennent également. Les disputes, les séditions, les guerres, d'où viennent-elles ? De l'application de ces notions communes à chaque fait particulier. La justice et la sainteté sont préférables à toutes choses, personne n'en doute. Mais une telle chose est-elle juste, est-elle sainte ? Voilà sur quoi on s'égorge. Chassons cette ignorance et apprenons à appliquer ces notions à chaque fait particulier ; il n'y aura plus de disputes, plus de guerres, Achille et Agamemnon seront d'accord.

LXIII. Il ne faut pas prendre légèrement l'alarme dans cette vie. Nous envoyons un homme reconnaître ce qui se passe. Mais nous avons mal choisi notre espion, car nous avons envoyé un lâche, qui, sur le moindre bruit qu'il a entendu, et ayant eu peur de son ombre, revient à nous tout effrayé : «Voilà la mort, l'exil, la calomnie, la pauvreté qui s'avancent. - Mon ami, parle pour toi. Nous sommes des sots d'avoir si mal choisi notre homme pour être bien informés. Diogène, qui a été en reconnaissance avant toi, nous a fait un rapport bien différent ; il nous a dit que la mort n'est point un mal quand elle n'est point honteuse ; que la calomnie n'est qu'un bruit de gens insensés. - Mais qu'a-t-il dit du travail, de la douleur, de la pauvreté ? - Il a dit que la nudité valait mieux que tous les habits de pourpre. «En un mot, nous a-t-il dit, je n'ai point trouvé d'ennemi, tout est tranquille, et vous n'avez qu'à me voir. Ai-je été battu ? Suis-je blessé ? Ai-je pris la fuite ?» Voilà les espions qu'il faut envoyer. Ils nous rapporteront tous que nous n'avons à craindre que nous-mêmes».

LXIV. Souviens-toi que ce sont les riches, les tyrans, les rois qui ont fourni les sujets des tragédies. Les pauvres ne paraissent point sur nos théâtres, ou, s'ils y ont quelque place, ce n'est que parmi les chanteurs et les danseurs. Ce sont des rois qui prospèrent au commencement de la pièce : tout leur rit, on les honore, on les respecte, on leur élève des autels, on orne leurs palais de couronnes et de bandelettes, et, à la fin du troisième ou du quatrième acte, ils s'écrient avec OEdipe : «O Cythéron, pourquoi m'as-tu reçu ?»

LXV. Conserve bien ce qui est à toi, ne convoite point ce qui est aux autres, et rien ne pourra t'empêcher d'être heureux.

LXVI. Si j'aime mon corps, si je suis attaché à mon bien, je suis perdu, me voilà esclave ; j'ai fait connaître par où je puis être pris.

LXVII. Je veux être assis à l'Amphithéâtre au banc des sénateurs. - Grands dieux, tu vas te donner bien de la peine et être bien pressé. - Mais je ne saurais voir commodément les jeux sans cela. - Ne les vois point, quelle nécessité as-tu de voir les jeux ? Et si c'est l'envie d'être assis à ce banc qui t'y fait aller, attends qu'on sorte. Quand le spectacle sera fini, tu iras t'asseoir à ce banc si désiré, et tu y seras fort à ton aise.

LXVIII. Va dire des injures à une pierre, à quoi cela t'avancera-t-il ? Elle ne t'entendra point. Imite la pierre, et n'entends point les injures qu'on te dit.

LXIX. Tu as pitié des aveugles, des boiteux ; pourquoi n'as-tu donc pas pitié des méchants ? Ils sont méchants malgré eux, comme les autres sont boiteux et aveugles.

LXX. La règle et la mesure de nos actions, ce sont nos opinions. D'où vient l'Atrée d'Euripide ? de l'opinion. Sa Médée, son Hippolyte ? de l'opinion. L'Oedipe de Sophocle ? de l'opinion.

LXXI. Il sembla bon à Pâris de ravir Hélène, et à Hélène de suivre Pâris. S'il avait semblé bon aussi à Ménélas de se passer d'une femme infidèle, qu'en serait-il arrivé ? Nous aurions perdu l'Iliade et l'Odyssée. Je compte le reste pour rien.

LXXII. On dit que ce fut un grand malheur pour Pâris quand les Grecs entrèrent dans Troie, qu'ils mirent tout à feu et à sang, qu'ils tuèrent toute la famille de Priam et qu'ils emmenèrent les femmes captives. - Tu te trompes, mon ami. Le grand malheur de Pâris fut quand il perdit la pudeur, la fidélité, la modestie, et quand il viola l'hospitalité. De même, le malheur d'Achille, ce ne fut pas quand Patrocle fut tué, mais quand il se mit en colère, qu'il se mit à pleurer Briséis, et qu'il oublia qu'il n'était pas venu à cette guerre pour avoir des maîtresses, mais pour faire rendre une femme à son mari.

LXXIII. Le véritable bien de l'homme est toujours dans la partie par laquelle il diffère des animaux. Que cette partie soit bien fortifiée et bien munie, que les vertus y fassent bonne garde pour repousser l'ennemi, il est en sûreté et n'a rien à craindre.

LXXIV. Les philosophes enseignent que l'homme est libre. Ils enseignent donc à mépriser l'autorité de l'empereur. - Non. Nul philosophe n'enseigne à des sujets à se révolter contre leur prince, ni à soustraire à sa puissance rien de tout ce qui lui est soumis. Tenez, voilà mon corps, voilà mon bien, voilà ma réputation, voilà ma famille, je vous les livre. Et quand vous trouverez que j'enseigne à quelqu'un à les retenir malgré vous, faites-moi mourir, je suis un rebelle. Ce n'est pas là ce que j'enseigne aux hommes ; je ne leur enseigne qu'à conserver la liberté de leurs opinions, dont la divinité les a faits seuls les maîtres.

LXXV. La plus juste, la plus forte, la plus inviolable des lois de la divinité, c'est que le plus faible soit toujours soumis au plus fort.

LXXVI. Parmi les gladiateurs de César, il s'en trouve tous les jours qui sont au désespoir de ne pas combattre, qui font des voeux aux dieux pour sortir de cette oisiveté, et qui demandent comme une très grande grâce d'être produits en public. Et il ne se trouve personne parmi nous qui cherche l'occasion de signaler son amour pour les dieux.

LXXVII. La divinité te cite en témoignage, elle te demande : «N'est-il pas vrai qu'il n'y a d'autre bien ni d'autre mal que dans la volonté ? Ai-je nui à quelqu'un ? N'ai-je pas mis au pouvoir de chacun tout ce qui peut lui être utile ?» Que réponds-tu ? «Je suis dans une position critique, maître ; je suis dans le malheur. Personne n'a soin de moi, personne ne m'assiste ; tout le monde me blâme, tout le monde m'injurie, et je suis le rebut des hommes». Est-ce ainsi que tu reconnais l'honneur qu'elle t'a fait de t'appeler en témoignage pour lui rendre gloire, en attestant de si grandes vérités ? Elle demandait un témoin de sa bonté, de sa vérité, de sa justice, et tu es devenu son accusateur.

LXXVIII. Nous sommes presque tous dans la vie comme les esclaves fugitifs sont aux spectacles. Ces esclaves prennent grand plaisir à voir la pompe des jeux ; ils admirent les acteurs d'une tragédie. Mais ils sont toujours inquiets ; ils regardent de côté et d'autre, et, si l'on vient à nommer leur maître, les voilà remplis de frayeur, ils prennent la fuite. Nous sommes de même. Nous admirons les merveilles de la nature, ce spectacle nous ravit. Mais nous sommes toujours en alarme, et, si l'on nomme notre maître, nous voilà perdus. Qu'est-ce donc qu'un maître ? Ce n'est pas un homme, car l'homme ne peut être le maître de l'homme. C'est la mort, c'est la vie, c'est la volupté, c'est la douleur, c'est la pauvreté, ce sont les richesses. Que César lui-même vienne contre moi sans ce cortège, tu verras ma fermeté. Mais s'il vient avec ces satellites, tonnant, éclairant, menaçant, et que je les craigne, ne suis-je pas cet esclave fugitif qui a reconnu son maître ? Mais si je ne les crains pas, me voilà en pleine liberté, je n'ai plus de maître que moi-même.

LXXIX. Quand tu approches les princes et les grands, souviens-toi qu'il y a là-haut un plus grand prince encore, qui te voit, qui t'entend, et à qui tu dois plutôt plaire.