Edifice d'Eumachia

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Edifice d'Eumachia

Cet édifice fut découvert de 1819 à 1821 ; on y trouva les squelettes de deux hommes, dont l'un était coiffé d'un casque, et dont l'autre avait été horriblement mutilé par la chute d'une colonne. Sur le linteau d'une petite porte donnant sur la rue de la Fontaine-d'Abondance est placée une inscription qui était répétée en belles lettres onciales sur de gros blocs de marbre ayant formé l'architrave de la façade principale sur le Forum ; elle est ainsi conçue :

EVMACHIA L. F. SACERD. PVB. NOMINE SVO ET
M. NVMISTRI FRONTONIS FILI. CHALCIDICVM CRIPTAM PORTICVS CONCORDIAE
AVGVSTAE PIETATI. SVA PEQVNIA FECIT EADEMQVE DICAVIT

«Eumachia, fille de Lucius, prêtresse publique, en son nom et au nom de son fils Marcus Numister Fronto, a érigé à ses frais et dédié à la Concorde et à la Piété auguste un chalcidique, une crypte et des portiques».

Une grande difficulté se présente dès l'abord ; c'est l'application de ces trois dénominations à l'édifice que nous avons sous les yeux. Il n'est pas deux auteurs qui soient d'accord sur la signification du mot chalcidique, ni même sur son étymologie (1). Quant à la première question, nous croyons devoir adopter l'opinion qui fait du chalcidique une grande salle placée en avant de l'édifice, une sorte de porche de vaste dimension ; quant au mot, la majorité s'accorde à le faire venir du nom du lieu où cette disposition aurait été inventée, Chalcis, ville d'Eubée.

Ceci posé, arrivons à la description du monument ; après en avoir examiné les diverses parties, nous verrons s'il est possible d'en déduire quelques renseignements positifs sur sa destination. D'abord se présente sur le Forum un grand portique A, long de 39m 50 et large de 12m 30, s'avançant jusqu'au bord de l'Area et conservant quelques restes d'un pavé de marbre blanc. Aux colonnes étaient adossés des piédestaux a que durent surmonter des statues et que Gell a pris, à tort selon nous, pour les restes de piliers carrés qui eussent porté le plafond de cette salle dans laquelle nous croyons devoir reconnaître le chalcidique. D'un examen plus approfondi du plan du monument entier, nous croyons pouvoir conclure que l'édifice d'Eumachia étant antérieur au Forum, et ne lui étant pas perpendiculaire, le chalcidique et les autres constructions f d en avant du monument durent être modifiés pour les raccorder avec lui, ainsi que nous avons vu qu'on l'avait fait au temple d'Auguste. Au fond du chalcidique nous trouvons l'entrée principale b, large de 3m 90, et s'évasant vers l'intérieur. Cette porte était ornée d'un magnifique chambranle en marbre blanc décoré d'élégants rinceaux ; ce chambranle a été porté au musée. Le seuil en marbre, d'un seul morceau, conserve encore les trous qui recevaient les verrous, et les traces des crapaudines où s'emboîtaient les pivots des portes. Sous ce passage sont les entrées des petites salles f, dans l'une desquelles, située à droite, on voit les restes d'un escalier qui dut conduire à quelque galerie supérieure dont il n'existe plus de trace aujourd'hui.

Aux côtés de la porte sont deux grandes niches semi-circulaires c, qui conservent quelques restes de leur revêtement de marbre africain et deux autres renfoncements carrés d remplis jusqu'à la hauteur de 1m 40 et formant ainsi deux espèces de tribunes où l'on arrivait par de petits escaliers pratiqués à côté. Elles ont pu servir soit à publier les édits relatifs au commerce, soit plutôt à vendre à l'encan certaines marchandises. Les quatre trumeaux qui séparent la porte, les deux niches et les tribunes, présentent autant de petites niches carrées e qui durent contenir des statues dont les socles sont encore en place.

Des traces de grilles, visibles surtout à l'extrémité du portique dans deux seuils de marbre sur la rue de la Fontaine-d'Abondance, permettent de croire que ce vestibule pouvait être fermé, et ainsi, étant interdit au public, interrompre la circulation sous les portiques du Forum, nouvelle preuve à l'appui de la supposition que là était le chalcidique.

Le chalcidique, comme tout le reste de l'édifice, est construit en briques recouvertes d'un enduit qui lui-même avait été décoré de plaques de marbre qui étaient enlevées à l'époque de la catastrophe. On en a trouvé un grand nombre en magasin dans les réduits f compris entre les deux murs de la façade. Il est évident que, de même que tout le Forum, l'édifice d'Eumachia était en pleine restauration ; un bloc de marbre fut trouvé avec une ligne tracée au blanc pour guider la scie de l'ouvrier ; les colonnes, les statues de marbre avaient été emportées. Quelques auteurs ont cependant pensé que les Pompéiens, après la destruction de leur ville, avaient pu opérer ici des fouilles pour retirer ces précieuses colonnes, ainsi qu'on a la certitude qu'ils le firent dans quelques autres endroits de la ville.

Après avoir franchi la grande porte, on trouve une vaste cour ou impluvium B, autrefois pavée de marbre, longue de 37m 70 et large de 19m 16, entourée d'un caniveau, et qu'environnait le portique C D E F mentionné dans l'inscription. Sur le sol de cette cour, et au pied de la colonnade, étaient des piédestaux de marbre blanc qui semblaient avoir servi de support à des tables de même matière, puis des pierres légèrement creusées dans lesquelles on a cru voir des cuves destinées au lavage ; nous reviendrons sur ce sujet. Dans l'axe de la porte existe sur l'Area une embouchure de citerne W, dans laquelle on pouvait descendre par l'ouverture placée au centre B, et fermée par une dalle dont l'anneau de fer est encore mobile. Le portique, élevé sur deux degrés revêtus de marbre blanc, était soutenu à chacun des grands côtés par dix-huit colonnes corinthiennes du même marbre, et par dix colonnes du côté adossé au chalcidique ; les entre-colonnements étaient plus larges du côté opposé D qui ne contenait que huit colonnes. On n'a trouvé en place que deux bases et un fût, mais la disposition de la colonnade est exactement déterminée par le stylobate de marbre sur lequel elle reposait. La largeur du portique était de 4m 4O ; sa muraille offrait, au-dessus d'un soubassement de marbre africain à moulure de marbre blanc, d'élégantes arabesques sur fonds noirs, rouges ou blancs, qui sont aujourd'hui presque entièrement détruites.

Montant deux degrés g placés entre deux massifs de blocage h i, qui portaient deux bassins ou réservoirs carrés, on trouve au fond du portique une sorte d'abside semi-circulaire G qui n'est pas exactement dans l'axe de la porte d'entrée, et dont la voûte était soutenue par deux piliers carrés k 1. Des fragments d'un très beau style découverts en cet endroit indiquent que la niche était surmontée d'un entablement et d'un fronton. Dans cet hémicycle dont les parois étaient peintes en vert et en rouge est un grand piédestal m qui dut porter la statue de la Piété ou de la Concorde qui fut trouvée près de là ; malheureusement la tête manquait ; la robe, semblable au laticlave (2), était bordée d'un liséré or et rouge. Gell préfère voir dans cette statue une impératrice romaine, mais comme il n'apporte aucune preuve à l'appui de son opinion, nous pensons qu'on doit s'en tenir à la conjecture la plus naturelle et qui est aussi le plus généralement adoptée. Deux niches n o, placées également dans l'hémicycle, continrent sans doute aussi des statues. Deux hémicycles plus petits D E, dont celui de gauche D conserve seul son pavé de marbre blanc, existent sur la même ligne en tête de chacun des grands côtés du portique et, ainsi que deux fenêtres percées dans les trumeaux, éclairaient deux salles p q, de forme irrégulière, dont la destination est inexplicable, car il n'y avait aucune porte pour y entrer.

On s'accorde généralement à reconnaître la crypte ou crypto-portique de l'inscription dans une sorte de grande galerie intérieure H I K L, éclairée au N. et au S. sur le portique par dix ouvertures de chaque côté sans compter les portes. Ces haies étaient fermées par des fenêtres mobiles qui ouvraient en dedans, comme il est facile de s'en convaincre par l'inspection de leurs appuis de marbre ; on y entrait par deux portes placées aux extrémités du portique C F. Les murs de la crypte construits en incrustations calcaires très poreuses et très grossières et en scories volcaniques étaient ornés de peintures comme ceux du portique ; seulement ici le fond des grands panneaux était alternativement jaune et rouge. Les arabesques sont plus simples et moins légères ; au milieu des panneaux étaient de très petits sujets parmi lesquels on remarquait une offrande à une divinité qui semblait être Isis. Sur le soubassement sont des fleurs et des plantes peintes sur fond noir ; on y voit souvent répétées une sorte d'iris à fleurs rouges et une plante à fleurs jaunes.

Enfin, le fond du monument était, comme la façade, composé d'un double mur destiné à corriger l'irrégularité du terrain. Dans l'espace compris entre ces deux murailles, on a ménagé au milieu une niche carrée M peinte en vert et en rouge, avec soubassement noir, où s'élève encore sur un piédestal r une copie de la statue de la fondatrice du monument, l'original ayant été porté au musée. Cette figure a sans doute été faite d'après nature, car la tête a tous les caractères d'un portrait ; sa physionomie a quelque chose de souffrant, de mélancolique ; ses yeux semblent planer avec tristesse sur les débris de cet édifice, son ouvrage, sur les ruines de cette ville, sa patrie.

Cette belle statue de marbre fut découverte le 2 mars 1820 ; elle est un peu plus grande que nature et conserve dans les plis de son admirable draperie des restes de couleur rouge et verte. On lit sur le piédestal laissé à sa place :

EVMACHIAE L. F.
SACERD. PVBL.
FVLLONES.

«A Eumachia, fille de Lucius, prêtresse publique, les foulons».

Dans le vide, à droite de la niche, est un corridor orné de jolies peintures, aujourd'hui presque détruites, à panneaux noirs séparés par des pilastres rouges ; il contient un escalier N, descendant à une loge de portier u ou plutôt à une boutique, qui dût être un thermopole, car on y trouva une magnifique bouilloire de bronze et ses murailles étaient élégamment décorées, et à une porte s, large de 2m 15 ouverte à l'angle S.-O. de l'édifice à côté de la fontaine t qui a donné le nom à la rue de la Fontaine-d'Abondance, et qui présente sur son cippe, placé non au milieu du bassin, mais vers la gauche, une figure sculptée tenant une corne d'abondance. La porte s, que surmonte l'inscription dont j'ai parlé plus haut, et la façade de la boutique u, forment les deux dernières travées de l'album y z.

La porte de l'escalier v, voisine de la niche d'Eumachia, conserve encore son seuil de pierre calcaire avec ses crapaudines ; elle était pour la symétrie répétée en camaïeu jaune, à gauche de cette même niche. Cette porte feinte x est très intéressante, parce que, presque seule, elle nous a fait connaître la disposition des portes en bois de Pompéi, dont aucune n'est parvenue jusqu'à nous ; elle a 2 mètres de large sur 3m 25 de haut. Sa largeur est partagée en trois panneaux contenant chacun deux compartiments longs et étroits. Au milieu est figuré un très petit anneau qui aurait servi à la tirer.

On a pu se convaincre par l'examen auquel nous venons de nous livrer combien cet édifice ressemble peu à aucun de ceux que nous a légués l'antiquité et, par suite, combien il est difficile d'en déterminer d'une manière positive la destination. Recourant à l'inscription de la statue d'Eumachia élevée par les foulons, on a conclu avec quelque vraisemblance que si les foulons avaient érigé une statue à la fondatrice de l'édifice, c'est que cet édifice avait été destiné par elle à leur usage. L'opinion qui a prévalu est donc que ce monument fut un lieu de réunion de la corporation, ou, comme on disait chez les Romains, du collège des foulons ou marchands de draps et de laines, corps de métier qui fut sans doute un des plus importants et des plus riches de Pompéi. Voyons donc dans l'édifice qui nous occupe une sorte de bourse, et tout s'explique : le Chalcidique est destiné à ce que chez les modernes on nomme la petite bourse, c'est-à-dire la réunion des spéculateurs avant et après la clôture ; des crieurs, placés sur les deux tribunes qui s'y trouvent, vendent sur échantillon des laines et des étoffes. La bourse se tient pendant l'été sous le portique ; quand le temps est froid ou pluvieux, dans le crypto-portique ; enfin, dans l'hémicycle, aux pieds de la statue de la Piété ou de la Concorde peuvent siéger des juges, des prud'hommes, chargés de décider des différends survenus entre les commerçants. Il est plus difficile de se rendre compte de l'emploi des cuves placées dans l'impluvium ; on a pensé qu'elles purent servir à des prêtres attachés au collége des foulons pour laver les linges sacrés, ou bien à abreuver des moutons amenés dans cette enceinte pour faire apprécier leur toison, à purifier des échantillons de laine, etc. ; mais nous devons avouer qu'aucune de ces suppositions ne nous semble complétement satisfaisante, et que si de nouveaux documents ne viennent pas à être découverts, nous devons renoncer à l'espoir d'être fixés sur la question.


(1)  Ausone, interprétant un passage d'Homère, désigne sous le nom de chalcidicum la salle que le poète fait traverser à la nourrice Euryclée, courant annoncer à Pénélope le retour d'Ulysse (Odyssée, XXIII). Arnobe, apologiste de la religion chrétienne, qui écrivait dans les premières années du IVe siècle, s'écrie : «Je voudrais bien voir vos dieux et vos déesses pêle-mêle dans vos grands chalcidiques et dans ces palais du ciel». «On écrit, dit-il ailleurs, que vos dieux font leurs festins dans de grandes salles à manger qui sont aux cieux, et dans des chalcidiques tout d'or» (Arnob. III.). Suivant Leo Battista Alberti, le plus ancien des critiques en cette matière, les chalcidiques auraient été une galerie transversale, une sorte de transept placé aux côtés du tribunal des basiliques et donnant par conséquent à l'édifice la forme d'un T. La vérité, et en cela nous sommes d'accord avec le savant architecte florentin Becchi qui a publié une dissertation sur la question qui nous occupe, la vérité nous parait être dans ce passage de Vitruve : sin autem locus erit amplior in longitudine, chalcidica in extremis constituantur. L'incertitude est venue d'une fausse interprétation de ce passage ; on en a traduit les premiers mots : mais si le terrain le permet... Ce n'est pas rendre la pensée de l'auteur. Vitruve a fixé par des règles le rapport de la longueur de la basilique avec sa largeur, et c'est alors qu'il ajoute : «mais si le terrain est trop long (en proportion de la largeur) on construira à l'extrémité des chalcidiques». Il est évident que Vitruve indique ici d'une manière positive que le chalcidique était une grande salle précédant la basilique, et non pas une addition latérale comme le veut L. B. Alberti, puisqu'en adoptant sa supposition, le chalcidique aurait élargi le plan de la basilique au lieu de diminuer sa longueur. Quant à l'origine du mot, Festus, qui à la vérité emploie celui de chalcidonium, dit formellement que c'était une sorte de bâtiment qui avait pris son nom de la ville de Chalcis où il avait été inventé.

(2)  On appelait laticlave une large bande de couleur pourpre courant le long de la tunique dans une direction perpendiculaire sur le devant de la poitrine et par extension le vêtement ainsi orné. Le droit de porter le laticlave était un des privilèges des sénateurs romains, mais plus tard il fut accordé par faveur spéciale à quelques chevaliers. Hor. Sat. 6, 28 ; Quint. VIII, 5, 28 ; Festus, v° Clavatus ; Ovid. Trist., IV, 10, 29 ; Plin. Ep. II, 9.