Solarium, Ὡρολόγιον, ὡρονόμιον, ὡροσκοπεῖον

Les anciens désignaient sous ces noms divers et d'autres encore les instruments destinés à mesurer le temps. Ces instruments se divisent en deux classes : 1° les instruments qui servent à mesurer le temps par l'observation de la hauteur du soleil, ou, ce qui revient au même, par l'observation de la longueur ou de la direction de l'ombre : ce sont les gnomons et les cadrans solaires ; 2° les instruments qui permettent d'évaluer un intervalle de temps, par l'écoulement régulier d'un liquide, hors d'un vase ou dans un vase : ce sont les clepsydres et les horloges hydrauliques.

  1. Gnomons et cadrans solaires

    L'observation de la marche du soleil est le moyen le plus simple et le plus anciennement employé pour évaluer le temps. Mais à l'origine on se passa d'instruments pour suivre la course du soleil. Les ombres des hommes, des arbres, des édifices suffirent longtemps à calculer grossièrement la hauteur de l'astre au-dessus de l'horizon. Ce sont les philosophes grecs, physiciens et astronomes, qui se préoccupèrent les premiers d'obtenir des données plus précises, et ils apprirent des Chaldéens, par l'intermédiaire sans doute des Phéniciens ou des prêtres égyptiens, à se servir d'un instrument appelé gnomon. Le gnomon consiste essentiellement en une pointe ou style (stoicheion) dressé verticalement sur un plan horizontal. Avec cet appareil, ils firent leurs premières observations astronomiques : ils déterminèrent le midi vrai (ombre minima du jour), les points cardinaux, l'époque des solstices (ombre minima ou maxima de l'année). Plus tard ils arrivèrent à connaître, par la même méthode, les équinoxes, l'obliquité de l'écliptique, et la hauteur du pôle (latitude) pour un lieu déterminé.
    Mais le gnomon ne fut pendant longtemps qu'un instrument astronomique, et sans aucune espèce d'utilité pratique, si ce n'est celle d'indiquer l'époque des solstices, qui marquait pour les Grecs le début de l'année : l'année olympique et l'année athénienne commençaient vers le solstice d'été. Tel fut le rôle du gnomon désigné sous le nom de êliotropion que Phérécyde de Syros établit dans sa patrie, et du skiothêrion qu'Anaximandre de Milet construisit à Lacédémone. Il en était de même encore au Ve siècle, quand l'astronome Méton installa sur la Pnyx, à Athènes, un êliotropion de grande dimension. Cet instrument devait en principe, comme le nom l'indique, marquer les tropai du soleil, c'est-à-dire l'époque des solstices, et la construction en avait été résolue à l'occasion de la réforme du calendrier. Cependant, dès cette époque, apparaît l'usage de mesurer le temps par la longueur en pieds de l'ombre du stoicheion.

    A peu près au même moment, on apprit, chez les Grecs, à mesurer le temps par l'observation de la direction de l'ombre. La réforme de Méton avait attiré l'attention sur les instruments chronométriques, et l'on commença à se servir d'un gnomon perfectionné, le polos. Nous savons que, vers 410, Démocrite écrivit un Traité sur le polos et nous trouvons mention de l'instrument dans un fragment d'Aristophane. Le polos était un hémisphère concave, placé bien horizontalement dans un lieu découvert, et la partie concave tournée vers le zénith. On y fixait un style, dont la pointe était exactement située au centre de l'hémisphère. Dès que le soleil se montrait à l'horizon, l'ombre du style entrait dans la concavité de l'hémisphère, et y traçait, dans une situation renversée, le parallèle diurne du soleil. On marquait la route de l'ombre le jour des solstices et des équinoxes, et on divisait chacune de ces routes en douze parties égales. En joignant les points correspondants des trois parallèles (ligne des équinoxes, ligne du solstice d'été, ligne du solstice d'hiver), on obtenait douze courbes, qui indiquaient douze moments dans la marche du soleil. C'étaient les lignes horaires. Ce cadran hémisphérique ne demandait, pour être imaginé ou décrit, aucune théorie mathématique : il suffisait d'avoir une idée nette du mouvement diurne du soleils. Remarquons que les heures, marquées par le polos, ne sont pas tous les jours égales. Elles ont une durée essentiellement variable, puisque chacune d'elles n'est que la douzième partie du temps que le soleil passe chaque jour au-dessus de l'horizon, et non pas la vingt-quatrième partie de l'intervalle compris entre deux passages successifs au méridien. C'étaient donc des heures temporaires (ôrai kairikai, horae temporales). Dans l'année, ces heures n'étaient égales entre elles qu'aux époques des équinoxes. Elles furent employées dans l'usage vulgaire, et les astronomes seuls se servirent des heures égales ou équinoxiales (ôrai isêmerinai, horae aequinoctiales).

    Il ne semble pas cependant que les cadrans solaires (polos ou polos modifié) soient devenus très communs avant l'époque Alexandrine. En effet, si le polos avait été très employé, nous devrions trouver dans les textes mention de la division du jour en douze parties. Or c'est dans Pythéas de Marseille (deuxième moitié du IVe siècle) que l'on constate pour la première fois l'emploi des douze heures. Jusque-là on ne consultait guère que le gnomon et l'on mesurait les heures en pieds.

    Cependant les savants au IVe siècle perfectionnèrent le polos primitif. Ce fut là une des premières applications pratiques des connaissances nouvelles, acquises par les Grecs sous l'influence des grandes écoles d'astronomes et de mathématiciens. Le Chaldéen hellénisé Bérose imagina de supprimer dans l'hémisphère du polos toute la partie inutile qui n'était pas parcourue par l'ombre, et le limita au Nord et au Sud par deux plans coupés suivant l'inclinaison de l'équateur et des tropiques. Aristarque de Samos construisit le polos (dit scaphê ou hemisphaerum) en métal, ce qui lui permit de tracer des lignes beaucoup plus fines, et il s'en servit pour déterminer le diamètre apparent du soleil. C'est aussi le polos que compléta Eudoxe de Cnide en traçant sur l'hémisphère le chemin de l'ombre à diverses époques de l'année, par exemple à l'entrée du soleil dans chaque signe du zodiaque ou au commencement de chaque mois (menstruae lineae). La multiplicité des courbes parallèles et des lignes horaires eut alors quelque ressemblance avec le réseau d'une toile d'araignée, et c'est ce qui valut sans doute à ce cadran le nom d'araignée (arachnê). Quelle que fût d'ailleurs la forme donnée au polos, il suffisait d'y tracer les heures empiriquement et sans aucun calcul. Le même hémisphère pouvait donner les heures temporaires en tous lieux de la terre. Seules, les lignes solsticiales et équinoxiales perdaient leur valeur, si l'on transportait l'instrument sous une autre latitude que celle où il avait réglé.

    Au IIe siècle, la gnomonique des anciens fit de nouveaux progrès, et c'est à cette époque qu'apparurent les premiers cadrans coniques. On est tenté d'en attribuer l'invention à Dionysodore de Mélos, qui est connu par un théorème sur les sections coniques, mais on ne peut pas l'affirmer. Toujours est-il que l'on possède au moins un de ces appareils, qui date du règne de Ptolémée Philadelphe (285-247).

    La construction des cadrans coniques est beaucoup plus savante que celle des polos : elle exige des théories mathématiques assez avancées et suppose des observations astronomiques. En effet « les cadrans coniques sont formés par la surface concave d'un cône circulaire droit, et, pour que des heures temporaires égales se traduisent par des chemins égaux de l'ombre de l'extrémité du style, il faut tout à la fois que l'axe du cône soit parallèle à l'axe du monde, c'est-à-dire dans une direction perpendiculaire au plan de l'équateur, et que l'extrémité du style coïncide exactement avec un point de l'axe du cône. La construction d'un pareil cadran exigeait donc l'observation préalable de la latitude du point où il devait être placé et la détermination au moins géométrique de la longueur à donner au style pour satisfaire à la seconde des conditions précédentes ». La surface de ces cadrans est en réalité une section de surface conique, car on supprimait dans la construction toute la partie du cône au-dessus du plan de style. De plus, ils se terminent au Sud par un plan parallèle à l'équateur. Les lignes temporaires y sont tracées au nombre de onze, et divisent la surface conique en douze parties égales. Les anciens y portaient la route de l'ombre aux équinoxes et aux solstices, et parfois aussi les routes de l'ombre à d'autres moments de l'année. Dans ce dernier cas, le cadran était appelé conarachnè et rappelait l'arachnè d'Eudoxe de Cnide. Le plus souvent l'ouverture du cône se présentait au Midi, parfois aussi au Nordi, et c'était alors un cadran antiborée (antiboreum).

    Mais ces cadrans sphériques ou coniques, de par leur forme concave, ne pouvaient indiquer l'heure qu'aux personnes qui les consultaient de très près. On conçut par suite l'idée de cadrans plans que l'on pouvait apercevoir de beaucoup plus loin. Selon Vitruve, c'est Aristarque de Samos qui construisit le premier cadran de ce genre, en même temps que son cadran hémisphérique, et on le désignait sous le nom de discus in planitia. Ici encore le problème qui consiste à diviser, en douze parties, le chemin que l'ombre décrit entre le lever et le coucher du soleil n'est pas facile à résoudre, parce que l'ombre se déplace sur une surface plane avec une vitesse variable, plus lente à midi que le soir elle matin. Il s'agit en somme de tracer sur un plan les intersections obliques de la surface du cône engendré par le regard d'un observateur suivant le soleil dans sa marche diurne. Par suite, les cadrans plans supposent une science assez précise des propriétés des surfaces coniques, et aussi, en dépit du témoignage de Vitruve, est-on porté à penser que les cadrans plans ne furent imaginés qu'après les cadrans coniques. Ces appareils pouvaient être placés diversement par rapport à l'équateur et à l'axe du monde. Les uns étaient horizontaux, d'autres verticaux ou déclinants. Ils portent tous des lignes horaires qui sont des droites, de direction très variable. Ainsi les anciens appelaient carquois (pharetra) le cadran vertical exposé au Midi et au Nord, parce que les lignes horaires rappellent alors les flèches qui sortent d'un carquois, du nom de hache (pelecinum) les cadrans déclinants du Sud-Est ou du Sud-Ouest, parce que les lignes horaires et les lignes des solstices dessinent vaguement le contour d'une hache à double tranchant. S'il faut en croire Vitruve, chacune de ces combinaisons avait eu son inventeur. Patroclès avait imaginé le pelecinum et Apollonios la pharetra.

    Enfin les anciens, en possession des méthodes géométriques et mathématiques nécessaires à leur gnomonique, trouvèrent encore bien des types de cadrans, dont le plus curieux est celui des cadrans portatifs (horologia viatoria, pensilia). Ces derniers reçurent les formes les plus variées, jambons, cylindres, anneaux, disques, etc. Mais le principe en était toujours le même, et ils appartenaient tous à l'un ou l'autre des systèmes précédents. It faut remarquer seulement que dans la plupart de ces instruments, qui étaient tenus verticalement, les lignes horaires ne sont plus représentées par les rayons partant du pied du style, mais par des lignes courbes ou brisées, qui s'éloignent du style. Il y a donc interversion.

    Les Romains ne firent que suivre les traces des Grecs et n'ont rien inventé. Le premier cadran solaire qui ait paru à Rome, avait été pris à Catane (263 av. J.-C.) et pendant un siècle, les Romains s'en servirent sans remarquer que cet instrument était construit pour une latitude de 4 degrés et demi, plus méridionale que celle de Rome. Ce ne fut qu'en 164 que Rome eut le premier cadran réglé sur sa latitude : il fut construit sans doute par un Grec, sur l'ordre du censeur Q. Martius Philippus. A partir de ce moment, l'usage des cadrans va en se propageant et le nombre s'en multiplie. Dès le premier siècle avant notre ère, Rome est déjà oppleta solariis. Les textes nous apprennent la présence de ces appareils sur les places publiques, dans les temples, les maisons de ville et de campagne, et cela non seulement en Grèce ou en Italie, mais encore en Gaule, en Espagne, en Afrique, en Dacie et en Germanie.

    Par suite, la construction des cadrans solaires, qui au commencement avait été considérée comme digne des savants, devint bientôt une industrie courante. La gnomonique est, selon Vitruve, du ressort de l'architecture. L'architecte prépare l'épure que le praticien est chargé d'exécuter. Le premier a à sa disposition des tables de latitude, qui lui donnent le rapport de l'ombre et du style à l'époque de l'équinoxe. Il y voit par exemple qu'à Rome ce rapport est de 8 à 9, à Tarente de 9 à 11, à Athènes de 3 à 4, à Rhodes de 5 à 7, à Alexandrie de 3 à 5. Il portera donc la ligne des équinoxes à Rome à 8/9 de la longueur du style, et ainsi pour toutes les autres villes. D'autre part, les mathématiciens lui fournissent un analemme (analêmma), c'est-à-dire la formule des constructions graphiques, qui lui permettront de tracer géométriquement les lignes fondamentales du cadran solaire. La donnée la plus intéressante de l'analemme est celle de l'obliquité de l'écliptique évaluée à 1/15 de la circonférence, c'est-à-dire à 24 degrés. C'est une valeur très rapprochée de la réalité, puisqu'elle était au Ier siècle de 23° 40'. Ces Tables et les Traités d'analemmes dataient sans doute du IIIe siècle, et furent perfectionnés au fur et à mesure des découvertes nouvelles. Je suppose que ce sont les Tables de latitude d'Hipparque qui servaient à l'époque de Vitruve. Plus tard, Ptolémée écrivit à son tour un Traité sur l'Analemme, où il se proposait de faciliter la description des cadrans. Il va sans dire que le praticien ne faisait que reporter sur le marbre ou le métal l'épure de l'architecte, et qu'il y avait toujours un écart entre les données de l'épure et le report des lignes. De là les inexactitudes plus ou moins considérables que l'on observe sur la plupart des cadrans. Les lignes d'ombre ne se trouvent pas aux distances voulues par l'ensemble des dimensions d'un même cadran. Il y a sous ce rapport de grandes différences entre les instruments soignés que l'on destinait aux édifices publics, et ceux, plus négligés, que l'on vendait aux particuliers.

    On a retrouvé un assez grand nombre de cadrans solaires, hémisphériques, coniques, plans et portatifs, dans la plupart des sites antiques. Les cadrans sphériques qui nous sont parvenus sont fort nombreux. Le Louvre en possède deux, le musée du Vatican en a deux également, dont l'un porte des inscriptions grecques indiquant les mois de l'année et les signes du zodiaque. On en connaît encore des exemplaires au musée du Capitole et au musée Kircher, au British Museum et au Musée central d'Athènes. On en a retrouvé aussi à Pompei, et l'un d'eux porte des lignes horaires numérotées de I à XI. Quatre cadrans d'Aquilée appartiennent à la même catégorie : ce sont des modèles de l'hémisphère de Bérose 4.

    Très nombreux aussi sont les cadrans coniques, que l'on a recueillis dans les fouilles de Délos, d'Héraclée, d'Athènes, de Pompéi et de Phénicie. Le cadran d'Héraclée du Latmos, découvert en 1873, est signé par Thémistagoras, fils de Meniscos, d'Alexandrie ; il est double et présente une surface conique au Sud et une autre au Nord. Outre les onze lignes horaires, il porte une série d'arcs de cercle, parallèles à la base du cône. Il est construit pour la latitude de 38 degrés (latitude réelle, 37° 30'), et comporte donc une erreur de 30 minutes. Quant aux arcs de cercle, ils sont tracés avec une précision remarquable pour les équinoxes etles solstices. Mais le constructeur s'est trompé pour le chemin de l'ombre au moment de l'entrée du soleil dans les signes du zodiaque, parce qu'il ne connaissait que très inexactement la déclinaison du soleil à ces diverses époques de l'année. Parmi les cadrans coniques d'Athènes, il en est un qui a été construit pour la latitude de 38 degrés, ce qui présente une approximation très grande de la véritable latitude (37° 58'). Un autre, au contraire, trouvé sur l'Acropole, est taillé pour la latitude de 28° 20' : il a donc été apporté à Athènes, sans doute des environs d'Hermopolis d'Egypte. De même un cadran de Pompée est réglé pour la latitude de Memphis.

    Le plus important des cadrans plans est celui qui est connu sous le nom de Tour des Vents à Athènes. C'est un octogone régulier, sur les faces duquel sont représentés les huit vents principaux, et au-dessous l'on voit huit cadrans différents : quatre d'entre eux sont réguliers, ce sont les cadrans verticaux du Nord et du Midi, de l'Est et de l'Ouest ; les quatre autres sont sur les faces intermédiaires et sont déclinants. On ne sait pas exactement de quelle époque ils datent. Il paraît en effet étonnant que Vitruve, qui décrit la Tour des Vents, n'y fasse pas allusion, et les passe aussi sous silence quand il énumère les divers systèmes de cadrans connus de son temps. Par conséquent, on tend à croire qu'ils ont été tracés sur le monument, non par Andronicos de Cyrresthes, mais par un artiste postérieur, vers l'un des premiers siècles de notre ère. Ces cadrans marquent les heures temporaires, et presque tous avec exactitude, surtout ceux du Midi, de l'Est et du Sud-Ouest. Seul le cadran de Caecias ou du Nord-Est ne semble pas avoir été tracé avec autant de soin ou du moins de succès. La latitude du lieu avait été fixée avec précision. Le cadran de l'Est montre que les anciens avaient adopté pour valeur de la latitude d'Athènes 37°30'. Ils n'ont commis qu'une erreur de 28 minutes. A la même catégorie de cadrans déclinants, appartient le quadruple cadran signé par Phaidros, fils de Zoïlos, du dème de Paianée.

    On a retrouvé à Délos un cadran plan horizontal, construit pour la latitude de 37 degrés, soit encore avec une erreur de 27 minutes. Il porte diverses inscriptions : le long de la ligne équinoxiale on lit le mot isêmeria. Le long de la ligne des solstices est gravée la mention tropai therikai et tropai cheimerinai. De plus deux lignes qui partent du point de midi au solstice d'hiver et viennent aboutir en divergeant à la ligne du solstice d'été sont annotées avec les deux inscriptions suivantes : Pou chronos pasês êmeras loipos - Pou chronos pasês êmeras parêkei. On connaît un cadran du môme genre, un discos in planitia, découvert à Aquilée. Cet instrument, calculé pour la latitude de 45° 39' (erreur de 7' en moins), est signé par son auteur : M. Antiotius Euporus fecit. Il date du Ier siècle de notre ère.

    Les cadrans portatifs étaient souvent de véritables montres solaires. C'est le cas d'un cadran portatif (3 centimètres de diamètre) trouvé à Aquilée. Il se compose d'un petit disque en bronze, gravé sur les deux faces. D'un côté, la figure des lignes des mois (menstruae lineae) est construite pour Rome (RO dans le champ) ; de l'autre, elle est tracée pour la latitude de Ravenne (RA dans le champ). La montre du mont Hiéraple (près Forbach) est encore plus curieuse. C'est « un disque de bronze (44 millimètres de diamètre), gravé sur les deux faces, entouré d'un cylindre qui le déborde également de part et d'autre, et forme ainsi au dessus de chacune des faces, un rebord d'environ 5 millimètres de hauteur ». Un trou conique est ménagé dans ce rebord, à l'extrémité d'un diamètre horizontal (la montre était placée dans le plan vertical) ; une aiguille épaisse, à frottement dur, tourne autour du centre et s'arrête à volonté sur une des lignes des mois. Lorsqu'on voulait avoir l'heure, on tenait le disque verticalement, en le faisant tourner jusqu'à ce que le soleil pénétrât par la tranche dans le trou ménagé à cet effet. Un point lumineux venait alors frapper l'aiguille, et désignait une des six lignes transversales (lignes horaires) qui recoupent les lignes des mois. On a reproché aux anciens d'avoir ignoré le gnomon à trou, exempt des erreurs de la pénombre : on voit par la montre d'Hiéraple que cette critique n'est point justifiée, et ce perfectionnement fait le prix de cet instrument, dont la construction d'ailleurs semble assez négligée.


  2. Clepsydres et horloges hydrauliques

    L'usage de mesurer un intervalle de temps quelconque par l'écoulement d'une quantité déterminée de liquide, remonte certainement très haut. C'est le principe de la clepsydre (clepsydra). Il ne suppose aucune corrélation avec la marche du temps solaire et en est complètement indépendant. Une même quantité d'eau s'écoulera de deux vases munis d'orifices égaux dans le même laps de temps ; mais ce laps de temps variera à l'infini avec la quantité d'eau et la dimension des trous d'échappement. La clepsydre ne servait donc pas, au moins à l'origine, à mesurer le temps d'une journée. Aussi la voyons-nous employée à Athènes et à Rome à des usages spéciaux. On avait à Athènes l'habitude de n'accorder qu'un temps limité à chaque orateur pour prononcer son discours, et ce temps était fixé non pas en heures solaires, mais par l'écoulement du liquide qui remplissait des vases quelconques. Suivant l'importance des débats, on donnait tantôt une, deux, trois amphores, parfois même onze amphores, tantôt un certain nombre de choes. On divisait ainsi l'audience en trois parties d'égale durée, la première pour l'accusation, la seconde pour la défense, la troisième pour les juges. Enfin on avait pris pour base de la durée totale de chaque audience un des jours les plus courts de l'année, au mois de Posidéon : ce jour-là, on mesurait les clepsydres. Si par exemple douze clepsydres avaient été vidées entre le lever et le coucher du soleil, chaque tiers d'audience valait quatre clepsydres.

    A Rome, la première clepsydre ne fut connue qu'après le cadran solaire de Q. Martius Philippus, en 159 av. J.-C., et c'est Scipion Nasica qui la fit exécuter. Aussi a-t-on remarqué avec raison que la pratique judiciaire romaine mesurait les tours de parole en heures solaires, mais que ces heures étaient évaluées par la clepsydre. Cicéron parle des legitimae horae qui lui sont dues. Tantôt il n'a droit qu'à une demi-heure et tantôt qu'à six heures de parole. De même, Pline le Jeune dit qu'il a parlé cinq heures au Sénat, et que l'on accorde aux avocats un certain nombre d'heures. Mais ces intervalles de temps sont comptées par clepsydres. Nous ne savons pas d'ailleurs à quelles heures solaires on se rapportait. Les particuliers se servaient aussi de la clepsydre pour évaluer un laps de temps régulier. Hérode Atticus avait par exemple une clepsydre qui était réglée pour la durée de cent lignes d'écriture. On pouvait ainsi employer l'appareil pour contrôler le travail des esclaves, puisqu'il était construit à volonté pour marquer une durée de temps quelconque.

    Les astronomes usaient souvent de la clepsydre dans leurs observations. Elle leur était fort utile quand ils voulaient diviser le jour solaire en heures équinoxiales et non plus en heures temporelles. Les clepsydres, réglées le jour de l'équinoxe, leur donnaient les vingt-quatre divisions exactes du temps qui sépare deux passages successifs du soleil au méridien. Elles leur étaient indispensables pour toutes les observations nocturnes, en particulier pour l'évaluation du temps sidéral.

    Enfin, dans la vie militaire, des clepsydres à débit variable réglaient les veilles de nuit.

    Dans ces diverses applications, l'emploi des clepsydres persista même après les perfectionnements des cadrans solaires, parce que seules elles pouvaient donner des espaces de temps égaux pendant toute l'année, c'est-à-dire des heures équinoxiales.

    Il va sans dire que cet appareil n'avait pas de forme et de capacité fixes. C'était tantôt une amphore de 39 litres, tantôt le chous (douzième partie de l'amphore). Ici c'est une hydrie et là c'est un lécythe. Ailleurs c'est un canthare. Le vase est d'argile ou de verre ; le liquide est l'eau ou l'huile. Ce récipient, quel qu'il fût, était percé à sa partie inférieure d'un ou de plusieurs petits trous ; il était placé sur un trépied, et un autre récipient recevait au-dessous le liquide qui s'écoulait. On ouvrait ou l'on bouchait avec des tampons de cire les trous d'échappement, et l'on pouvait ainsi faire varier la durée de l'écoulement : c'était là une condition nécessaire pour les clepsydres destinées à diviser les veilles militaires. Le nombre et la dimension des orifices étaient calculés à l'avance par des expériences successives. Il était aussi possible, par un dispositif analogue, de régler les clepsydres sur un cadran solaire ; et l'on arrivait ainsi à leur faire marquer, au moins approximativement, les heures temporelles. Mais, si soignée que fût la construction de ces appareils, ils n'en restaient pas moins assez grossiers, et, selon Ptolémée, les observations astronomiques faites à la clepsydre manquent de précision. Il ne pouvait en être autrement, parce que le liquide, selon sa température et sa masse, ne s'écoule pas uniformément. Les anciens avaient remarqué que les clepsydres coulent plus lentement l'hiver que l'été.

    Les horloges à eau étaient une modification et un perfectionnement de la clepsydre. Athénée en attribue l'invention à Platon, et Vitruve à Ctésibius d'Alexandrie. Si ces instruments datent du IVe ou du IIIe siècle, c'est une preuve de plus de la préoccupation constante que les grecs ont eue, à cette époque, de trouver des moyens de mesurer le temps. Nous ne savons pas d'ailleurs si les horloges hydrauliques furent très répandues avant l'ère chrétienne. Elles furent introduites à Rome avec la clepsydre en 159. Héron d'Alexandrie avait écrit un traité Peri udriôn ôroskopeiôn. Mais la description la plus ancienne que nous en possédions est celle de Vitruve. Galien en a donné une qui ne diffère que par les détails de la précédente. Aucun monument de cette espèce ne nous est parvenu.

    Tandis que la clepsydre était un vase troué dont l'eau s'écoulait en un laps de temps déterminé, l'horloge hydraulique était un récipient où l'eau qu'on y versait marquait par ses niveaux successifs les heures de la journée. Imaginons un vase où l'eau arrive d'un jet régulier et constant : au bout d'une heure solaire, le liquide aura atteint un certain niveau que l'on notera par un point de repère sur les flancs du vase ; au bout d'une autre heure, le niveau aura encore monté. Si nous traçons les niveaux atteints aux douze heures de la journée, nous aurons une espèce d'horloge qui marquera dorénavant des heures égales à celles du jour choisi pour l'expérience. Tel est le principe très simple de l'horloge hydraulique. Les anciens s'étaient ingéniés à faire marquer à cet appareil les heures temporelles, et voici comment ils avaient résolu le problème. Ils traçaient sur la paroi extérieure du récipient, généralement cylindrique, quatre lignes droites verticales, qui correspondaient respectivement aux solstices d'été et d'hiver, aux équinoxes de printemps et d'automne. A l'époque voulue, par une comparaison attentive avec un cadran solaire, on repérait sur chaque ligne verticale les douze niveaux horaires du liquide. Si l'on voulait encore plus de précision, on traçait une ligne verticale pour chaque mois, ou pour l'entrée du soleil dans les signes du zodiaque, et l'on notait sur chacune d'elles les hauteurs atteintes par l'eau aux douze heures de la journée. On rejoignait ensuite par une courbe régulière les points horaires correspondants portés sur chaque ligne verticale. L'opération faite, il suffisait de regarder le niveau de l'eau sur la ligne verticale de janvier ou de février, pour avoir l'heure correspondante du cadran solaire à ce moment de l'année. Il est clair que ces données n'étaient pas parfaitement exactes et que l'on n'obtenait l'heure vraie qu'aux jours désignés par les lignes verticales, mais les anciens se contentaient de cette approximation.

    L'horloge décrite par Galien était faite d'une matière transparente et sans doute en verre, et l'on voyait au travers de la paroi les niveaux d'eau à leur passage sur les lignes horaires. L'appareil de Ctésibius, décrit par Vitruve, était en métal ou en un corps opaque quelconque. Les lignes horaires étaient tracées sur la paroi extérieure, mais un flotteur en liège, suspendu à un contrepoids, mettait en mouvement un index qui indiquait à chaque instant à l'extérieur le niveau atteint par le liquide à l'intérieur. Les anciens mettaient tous leurs soins à obtenir un écoulement d'eau aussi régulier que possible. Vitruve dit que Ctésibius poussait la minutie jusqu'à tailler dans un morceau d'or ou dans une gemme le trou d'arrivée du liquide, pour obtenir un poli plus grand, pour éviter aussi l'usure et l'obstruction de l'orifice. L'indicateur variait au gré du constructeur, par mille moyens mécaniques plus ou moins ingénieux. Tantôt c'était une borne mobile, tantôt c'était le jet d'un oeuf ou d'un caillou, tantôt c'était le son du buccin, qui indiquait le niveau de l'eau et l'heure écoulée.

    Vitruve parle encore d'horloges dites anaphorica, qui ne diffèrent de l'hydraulique ordinaire que par des détails de construction. Ces instruments portaient sur un cadran circulaire l'image de la sphère céleste, les signes du zodiaque, etc. Le mouvement de l'eau, transmis par des rouages appropriés, faisait tourner le cadran devant un index fixe. Dans cet ordre de construction on pouvait varier à l'infini les combinaisons. Mais il ne s'agit plus à proprement parler d'appareils chronométriques.

  3. Notation des heures

    Tels sont les instruments que les anciens avaient imaginés pour mesurer le temps. Ces inventions amenèrent un changement dans la division de la journée et une notation nouvelle des heures.

    On sait qu'à l'origine les Grecs et les Romains s'étaienl contentés de divisions très larges et très vagues. Lei Grecs distinguaient l'aurore, le midi, le soir (êôs, meson êmar, deilê). De même les Romains avaient un ante meridiem, un meridies et un post meridiem. Le lever et le coucher du soleil marquaient la première et la troisième phase de la journée ; le passage de l'astre au méridien marquait la seconde. Par analogie, on adopta pour la nuit les mûmes divisions, mais nous ignorons comment avant l'invention de la clepsydre, on put les distinguer l'une de l'autre. Plus tard, la division tripartite fit place à une division en quatre parties, aussi vague d'ailleurs que les précédentes. Chacun de ces espaces de temps portait le nom d'ôra, qui ne signifiait pas lieur au sens moderne du mot, mais désignait les phase successives du jour. Ce sens persiste dans la langue grecque jusqu'au IVe siècle, et Xénophon emploie le terme d'ôra avec cette signification.

    La précision, bien que grossière encore, n'apparaît qu'avec les cadrans solaires. A Athènes, c'est à partir du moment où Méton installa son êliotropion, que l'on commença à diviser le temps autrement que l'on ne l'avait fait jusqu'alors. Aristophane, le premier, pour désigner un moment de la journée, indique la longueur de l'ombre en pieds du gnomon. Il parle d'un style de dix pieds, dekapoun to stoicheion; et remarquons qu'il ne dit pas une heure de dix pieds. La même notation se retrouve aussi dans le poètes comiques de l'époque postérieure. Cette division nouvelle entra petit à petit dans les habitudes courantes, et devait subsister jusqu'à la fin de l'antiquité. Elle est fondée, on le voit, sur la longueur de l'ombre portée par le gnomon, qui devait avoir une certaine élévation, sans doute la hauteur moyenne du corps humain. Dans les auteurs latins de l'époque impériale, le même usage persiste. Pline l'Ancien indique comment il faut s'y prendre pour observer l'heure d'après la longueur de l'ombre humaine. Dans toutes les tables dressées par les agronomes romains, on trouve l'équivalence des heures chiffrées en pieds d'ombre, calculées pour une latitude déterminée.

    C'est aussi vers la fin du Ve siècle, ou au commencement du IVe, qu'apparut une autre notation du temps qui devait, avec quelques modifications, devenir celle dont nous usons aujourd'hui. Quand le polos fut connu et consulté, on se servit de la position et de la direction de l'ombre pour marquer le temps écoulé. Pollux nous cite le vers suivant d'Aristophane : « Voici le polos : de combien de lignes (grammê) le soleil a-t-il tourné ? » On commença donc par mesurer le temps d'abord par le nombre de lignes que l'ombre avait dépassées dans sa course diurne. Vers le milieu du IVe siècle, sous l'influence des astronomes, qui eux-mêmes avaient emprunté aux Chaldéens la division duodécimale du jour (ta duôdeka merê tês êmeras), on en vint à désigner par un numéro d'ordre les moments successifs de la marche du soleil sur le polos, et ces moments, qui s'appelaient ôrai, devinrent dès lors ôra α', ôra β'. etc. La première mention de ce genre semble appartenir à Pythéas de Marseille (vers 350 av. J.-C.) et encore n'est-ce point certain : Géminus rapporte une observation de ce savant sur la brièveté des nuits sous les hautes latitudes : « La nuit est pour les uns de deux heures, pour les autres de trois... ». Désormais les heures furent numérotées de I à XII, conformément aux espaces interlinéaires du polos.

    Mais il convient de remarquer que le mot ôra, contrairement à nos habitudes modernes, ne marqua pas davantage un instant précis. Pour nous, 8h du matin signifient le moment placé entre 7h 59m et 8h lm, ou tout au moins entre des divisions très rapprochées. Au contraire, pour les anciens, l'heure resta toujours un laps de temps d'une certaine durée. La première heure s'entendait de l'intervalle qui s'écoule entre l'apparition de l'ombre du style sur le cadran et son passage sur la première des onze lignes horaires. La sixième heure désigne le temps où l'ombre court entre la cinquième et la sixième ligne. S'il en avait été autrement, les anciens auraient eu treize heures au lieu de douze. Les heures sont donc pour eux les douze parties du jour, ta dôdeka merê. Voilà pourquoi ils emploient des expressions comme celles-ci : ôras eptês archomenês, mesês, lêgousês ou peplêrômenês. Aussi lorsque, dans l'usage courant, on voulait désigner un moment précis, on disait : metaxu deuteras ôras kai tritês, ce qui reviendrait pour nous à dire : à trois heures. De même les Romains disaient : inter horam tertiam et quartam.

    D'autre part, comme les anciens se sont toujours servis des heures temporelles, plus courtes l'hiver et plus longues l'été, il en résulte que leurs indications horaires ne répondent pas en toute saison à nos propres heures. Au solstice d'hiver, leur première heure est comprise entre 7h et 8h 15m, pour la latitude de Rome ; au solstice d'été, entre 4h 30m et 5h 45m. Ce n'est qu'à l'époque des équinoxes que les données antiques et modernes se correspondent à peu près exactement. En dehors de ces deux dates, il convient de faire subir aux indications anciennes un calcul de réduction. Les Romains distinguaient eux-mêmes l'hora brumalis et l'hora aestiva.

    Quant aux divisions secondaires de l'heure, il ne semble pas qu'elles aient été poussées bien loin. Ménandre, d'après Pollux, parlait de demi-heure (êmoôrion, semihora). On en retrouve aussi mention dans Strabon. Je ne crois pas qu'on relève la trace d'une division plus petite. Pour la minute (lepton), elle ne fut jamais dans l'antiquité qu'une division du degré.

    La division horaire du jour n'eut jamais chez les Grecs grande influence sur la distribution des occupations. C'est une plaisanterie fréquente chez les comiques que de dire : l'ombre est de tant de pieds, c'est l'instant du repas. Quand on montre à Diogène un skiothêrion, il répond : « Voilà un bel et bon instrument, pour ne pas arriver en retard au dîner ». Il n'en était pas de même chez les Romains. La vie publique et privée était réglée heure par heure. Dès une époque reculée, le consul proclamait l'heure de midi, quand il voyait le soleil atteindre l'espace compris entre les Rostres et la Graecostasis. De même la division du temps, réglant les audiences de justice, était proclamée par le préteur. A l'époque impériale, la législation, notamment les règlements d'eau, suppose l'emploi constant des horloges et des cadrans. L'eau potable est fournie par voie de distribution horaire : on marquait sur chaque conduite d'eau les heures auxquelles elle devait s'ouvrir. De même, dans la vie privée des Romains, chaque occupation a une heure déterminée. On va aux comices vers la deuxième heure, au bain vers la huitième ou la neuvième heure. Les riches Romains avaient même chez eux un esclave exclusivement chargé d'annoncer l'heure et à qui on la demandait. Ces usages prouvent la très grande diffusion des instruments chronométriques, cadrans ou clepsydres, à partir surtout de l'ère chrétienne, et il s'était par la suite créé une véritable industrie d'horlogerie.

Article de E. Ardaillon