Des historiens grecs qui ont parlé des temps primitifs. - Des plus célèbres héros, des demi-dieux et en général de ceux qui se sont distingués dans la guerre. - Bacchus, Priape, Hermaphrodite et les Muses. - Hercule, ses douze travaux et autres exploits jusqu'à sa réception au nombre des dieux. - Les Argonautes ; Médée et les filles de Pélias. - Postérité d'Hercule. - Thésée et ses combats. - Des sept chefs contre Thèbes. - Les descendants des sept chefs contre Thèbes. - Nélée et sa postérité. - Les Lapithes et les Centaures. - Esculape et sa postérité. - Les filles d'Asopus et les fils d'Aeacus. - Pélops, Oenomaüs et Niobé. - Dardanus et ses descendants jusqu'à Priam. - Dédale et le Minotaure ; expédition de Minos contre le roi Cocalus, en Sicile. - Aristée, Daphnis, Eryx et Orion.


I. Nous n'ignorons pas que ceux qui écrivent l'histoire des temps fabuleux, sont exposés à omettre dans leur description beaucoup de faits ; car il est bien difficile de fouiller dans les ténèbres de l'antiquité. Les lecteurs ne font aucun cas de l'histoire qui ne peut être exactement fixée par la chronologie. De plus, la tâche de l'historien est rendue difficile par la variété et le grand nombre de demi-dieux, de héros, et d'hommes célèbres dont il a à parler. Mais ce qu'il y a de plus embarrassant, c'est que ceux qui ont écrit sur l'histoire la plus ancienne et la mythologie ne s'accordent pas entre eux. Aussi, par la suite, les principaux historiens n'ont-ils point touché au récit des mythes et ont essayé de raconter des faits plus récents. Ephore de Cumes, disciple d'Isocrate, ayant entrepris d'écrire une histoire universelle, passe sous silence tout ce qui tient à la mythologie ancienne, et il ne commence son ouvrage qu'au retour des Héraclides. De même aussi, Callisthène et Théopompe, contemporains d'Euphore, ont passé sous silence les anciens mythes. Quant à nous, nous avons suivi une route contraire, et nous avons jugé convenable au plan de notre ouvrage de ne pas négliger l'histoire de l'antiquité. Car bien des choses mémorables ont été accomplies par les héros, par les demi-dieux et par beaucoup d'autres hommes de bien. En reconnaissance des bienfaits reçus d'eux, la postérité a honoré les uns par des sacrifices divins, et les autres par des sacrifices héroïques, et l'histoire leur doit à tous des louanges éternelles.

Nous avons rapporté dans les trois livres précédents les traditions mythologiques des autres nations, nous avons donné la topographie des pays habités par chaque peuple ; nous avons parlé des bêtes féroces, et d'autres animaux qui y naissent ; en un mot nous avons traité de toutes les choses remarquables et dignes de mémoire. Nous exposerons dans le présent livre ce que les Grecs racontent des temps primitifs ; nous y parlerons des demi-dieux et des plus célèbres héros, et en général de tous ceux qui se sont rendus fameux dans la guerre par leurs exploits, ou dans la paix par des inventions utiles et leur législation.

Nous commencerons par Bacchus, tant à cause de son origine antique, qu'à cause des immenses services qu'il a rendus au genre humain. Nous avons déjà dit dans les livres précédents que plusieurs nations barbares revendiquent la naissance de ce dieu. Les Egyptiens prétendent que le dieu qui porte chez eux le nom d'Osiris est le Bacchus des Grecs ; selon leur mythologie, ce dieu a parcouru toute la terre, et enseigné aux hommes à cultiver la vigne ; enfin, en reconnaissance de ce bienfait, il a, d'un commun accord, reçu l'immortalité. Les Indiens placent à leur tour chez eux le berceau de ce dieu ; ils racontent qu'il s'est livré à la culture de la vigne, et qu'il a enseigné aux hommes l'usage du vin. Comme nous avons déjà ailleurs fait connaître les opinions des Barbares, nous n'exposerons ici que les traditions des Grecs.

II. Cadmus, fils d'Agénor, fut envoyé, par le roi de Phénicie, à la recherche d'Europe, avec défense de revenir en Phénicie sans ramener cette fille avec lui. Cadmus parcourut bien des pays sans la trouver, et ne pouvant la rencontrer nulle part il renonça à retourner dans sa patrie ; il arriva dans la Béotie, où il fonda Thèbes, selon l'ordre d'un oracle. Il y établit sa résidence et épousa Harmonia, fille de Vénus ; il en eut Sémélé, Ino, Autonoé, Agavé et Polydore. Sémélé, qui était très belle, fut aimée de Jupiter. Mais comme Jupiter ne la voyait qu'en secret, elle se crut méprisée ; et elle le pria de la visiter avec toute la pompe qui l'entoure, lorsqu'il s'approche de Junon. Jupiter s'avança donc armé du tonnerre et de la foudre ; Sémélé, qui était enceinte, ne put soutenir cet éclat : elle avorta et fut elle-même brûlée. Jupiter prit l'enfant et le remit à Mercure, avec ordre de le porter dans une grotte à Nyse, située entre la Phénicie et le Nil, et de le donner à nourrir aux Nymphes, qui devaient en prendre un soin extrême. Bacchus, ayant été élevé à Nyse, fut appelé Dionysus d'un nom composé de Dios et de Nyse. Ainsi que le témoigne Homère, lorsqu'il dit dans ses hymnes : «Nyse, montagne élevée, toujours verdoyante, loin de la Phénicie et près des ondes de l'Egyptus». Après avoir été ainsi élevé par les Nymphes, Bacchus découvrit le vin, et enseigna aux hommes la culture de la vigne. Il parcomrut presque toute la terre, répandit dans beaucoup de pays la civilisation, et recueillit partout de grands honneurs. Il inventa aussi une boisson préparée avec de l'orge, et que quelques-uns appellent zythus ; cette boisson est presque aussi bonne que le vin. Il en enseigna la préparation à ceux qui habitent les contrées impropres à la culture de la vigne. Il était accompagné d'une armée, composée non seulement d'hommes, mais aussi de femmes : elle lui servait à punir les méchants et les impies. Bienfaisant envers sa patrie, il rendit libres toutes les villes de la Béotie, et il en fonda une qui fut appelée Eleuthera, nom qui rappelle sa constitution libérale.

III. Bacchus employa trois ans entiers à son expédition dans l'Inde ; il revint en Béotie, chargé de riches dépouilles. Monté sur un éléphant indien, il obtint le premier l'honneur du triomphe. Les Béotiens, les Thraces, et les autres Grecs ont institué en mémoire de cette expédition dans l'Inde les fêtes de Bacchus qu'on appelle triétérides (triennales) ; Bacchus passe alors pour un dieu qui se montre aux hommes. Dans beaucoup de villes grecques les femmes se rassemblent tous les trois ans pour célébrer les bacchanales ; il est alors de coutume que les filles portent des thyrses, et que saisies d'enthousiasme, elles chantent les louanges de Bacchus. Les femmes se réunissent par troupes pour lui offrir des sacrifices ; et supposant dans leurs hymnes la présence de ce dieu, elles imitent les Ménades qui l'avaient jadis accompagné. Bacchus châtia dans son expédition tous ceux qui passaient pour impies ; les plus fameux étaient Penthée et Lycurgue. Comme la découverte du vin est un grand bienfait pour les hommes, non seulement à cause du plaisir qu'il leur procure, mais aussi parce que l'usage du vin fortifie le corps, ou invoque le bon génie, lorsque, pendant les repas, on donne, à tous les convives, du vin pur. Mais lorsque après le repas on leur donne du vin mêlé d'eau, on invoque Jupiter Sauveur. Le vin pur rend l'homme furieux ; mais quand il est tempéré par la pluie de Jupiter, il ne leur procure que du plaisir, en corrigeant le principe maniaque et corrupteur. Bacchus et Cérès sont les deux divinités auxquelles les hommes rendent les plus grands honneurs, en souvenir des bienfaits qu'ils en ont reçus. Car l'un a inventé une boisson très agréable, et l'autre a gratifié les hommes du meilleur aliment sec.

IV. Selon quelques mythologues, il y a eu un autre Bacchus beaucoup plus ancien que celui-là. Il naquit de Jupiter et de Proserpine ; quelques-uns lui donnent le nom de Sabazius. On célèbre sa naissance ; mais on ne lui offre des sacrifices, et on ne lui rend les honneurs divins que la nuit et clandestinement, à cause de la honte qui s'attache à ces assemblées. Il avait, dit-on, l'esprit très inventif ; il attela le premier des boeufs à la charrue pour ensemencer le sol. C'est pourquoi on le représente cornu. Bacchus, fils de Sémélé, naquit longtemps après celui-ci. Le fils de Sémélé était luxurieux, délicat de corps, et surpassait tous les autres hommes par sa beauté. Il était aussi fort adonné aux plaisirs vénériens, et se faisait suivre par un grand nombre de femmes armées de lances en forme de thyrses. Il fut accompagné dans ses courses par les Muses, filles instruites, et qui le divertissaient par leurs chants, par leurs danses, et d'autres amusements. Il avait aussi dans son armée Silène, son nourricier et son précepteur ; Silène avait beaucoup contribué à la gloire de son disciple. Dans les combats, Bacchus était couvert d'armes guerrières et de peaux de panthère. Mais en temps de paix, pendant les solennités publiques et les fêtes, il était vêtu d'étoffes fines, belles comme les fleurs. Son front était serré d'un bandeau, pour se garantir des maux de tête, causés par l'excès du vin : c'est pourquoi on l'a appelé Mithrophore. On dit que ce bandeau est l'origine du diadème des rois. Bacchus est aussi appelé Dimeter, parce que les deux Bacchus sont nés d'un seul père, et de deux mères. Le plus jeune a hérité des exploits de son aîné. De là vient que la postérité, ignorant la vérité, et trompée par la ressemblance du nom, a pensé qu'il n'y avait eu qu'un Bacchus. On donne à Bacchus une baguette comme attribut, par la raison que nous allons dire. Comme primitivement on n'avait pas encore songé à mélanger le vin avec de l'eau, on le buvait pur. Il arrivait donc souvent que dans les assemblées et les festins, les convives enivrés entraient en fureur, et se frappaient les uns les autres avec des bâtons. Les uns étaient blessés, et les autres mouraient de leurs blessures. Pour remédier à ces choses, Bacchus ne condamna pas les hommes à s'abstenir entièrement du plaisir de boire du vin pur, mais il ordonna qu'au lieu de bâtons, ils se servissent de baguettes.

V. Les hommes ont donné à Bacchus plusieurs épithètes, rappelant différents événements. Ils l'ont appelé Bacchéus, à cause des Bacchantes qui l'accompagnaient ; Lénéus, parce qu'on écrase les raisins dans le pressoir ; Bromius à cause du bruit qu'on entendit au moment de sa naissance. C'est pour une raison semblable qu'on l'a appelé aussi Pyrigène. Il fut nommé Thriambus, parce que, revenant de l'Inde chargé de riches dépouilles, ii obtint le premier, dans sa patrie, l'honneur du triomphe. On explique de la même façon les autres épithètes qu'on lui donne. Il serait trop long, et bois de notre sujet, de nous y arrêter davantage. On le représente dimorphe parce qu'il y a eu deux Bacchus ; l'ancien était barbu, car tous les anciens laissaient croître leur barbe ; le plus jeune était beau et voluptueux, comme nous l'avons déjà dit. Quelques-uns prétendent qu'on lui a attribué deux formes à cause du caractère différent des gens ivres, dont les uns sont furieux, les autres gais. Bacchus avait aussi avec lui les Satyres qui l'amusaient par les danses et par les jeux tragiques. Les Muses le délassaient par la variété de leurs connaissances, et l'égayaient par leurs divertissements. Les Satyres lui faisaient passer une vie heureuse. Enfin, Bacchus est regardé comme l'inventeur des représentations scéniques et des théâtres. Il établit même des écoles de musique. Il exempta de toute charge, ceux qui, dans ses expéditions militaires, s'étaient rendus habiles dans l'art musical. C'est pourquoi on a depuis lors fondé des sociétés de musiciens qui ont joui d'immunités. Ce que nous avons dit de Bacchus suffit dans l'ordre de notre plan.

VI. Nous allons maintenant joindre à l'histoire de Bacchus celle de Priape. Selon les anciens mythologues, Priape est fils de Bacchus et de Vénus ; et ils expliquent cette naissance eu disant que le vin porte naturellement aux plaisirs de Vénus. Quelques-uns prétendent que les anciens mythologues désignaient par le nom de Priape les parties génitales de l'homme. Il y en a même qui disent qu'on a décerné à ces parties les honneurs divins, comme étant le principe de la génération et de la conservation perpétuelle du genre humain. Les mythologues égyptiens qui ont parlé de Priape, racontent que les Titans dressèrent des embûches à Osiris et le massacrèrent ; qu'après avoir divisé son corps en plusieurs parties égales, ils les emportèrent secrètement hors du palais ; que les seules parties génitales furent jetées dans le fleuve, parce que personne ne voulait les conserver. Isis ayant recherché les meurtriers de son mari, et fait périr les Titans, rassembla les autres parties du corps d'Osiris et leur donna une figure humaine ; puis elle confia aux prêtres le soin de les enterrer et leur commanda de vénérer Osiris comme un dieu. Mais ne pouvant retrouver les parties génitales, elle leur fit rendre les honneurs divins et en déposa l'image dans un temple. Voilà ce que les anciens Egyptiens racontent de Priape et des honneurs qu'on lui rend. Quelques-uns donnent à ce Dieu le nom d'Ithyphallus, et d'autres celui de Tychon. On lui offre des sacrifices non seulement dans les villes, mais encore dans les campagnes ; et on le regarde comme le gardien des fruits de la vigne et des jardins. Ceux qui par sortilège détruisent quelque bien, reçoivent de lui leur punition. On rend quelques honneurs à Priape non seulement dans les mystères de Bacchus, mais aussi dans presque tous les autres mystères, en le célébrant par le rire et le jeu. L'origine d'Hermaphrodite, fils de Mercure et de Vénus est, suivant les mythologues, analogue à celle de Priape. Ce Dieu fut appelé Hermaphrodite d'un nom composé de celui de son père et de celui de sa mère. Quelques-uns prétendent que ce Dieu se montre aux hommes à certaines époques ; que son corps est un mélange d'homme et de femme ; en effet, il a toute la beauté et la mollesse du corps d'une femme, en même temps que son aspect a quelque chose de mâle et de rude. D'autres considèrent ces productions comme des monstruosités rares, et qui présagent tantôt des biens, tantôt des maux. Mais ces détails doivent suffire.

VII. Il est à propos de dire ici un mot des Muses dont nous avons déjà fait mention dans l'histoire de Bacchus. Selon la plupart et les plus célèbres mythologues, les Muses sont filles de Jupiter et de Mnémosyne. Quelques poètes cependant, au nombre desquels est Alcman, disent qu'elles sont filles d'Uranus et de la Terre. On n'est pas non plus d'accord sur leur nombre ; car les uns en admettent trois, les autres neuf. Cependant l'opinion de ceux qui en admettent neuf a prévalu, comme ayant été professée par les hommes les plus célèbres ; je veux parler d'Homère, d'Hésiode et de plusieurs autres. Car Homère dit : Les neuf Muses alternent dans leur chant mélodieux. Hésiode les appelle toutes par leurs noms, savoir, «Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore, Erato, Polymnie, Uranie et Calliope, la plus savante d'entre elles». On les fait présider chacune aux diverses parties de la musique, telles que : la mélodie, la danse, les choeurs, l'astrologie, etc. La plupart des mythologues disent qu'elles sont vierges, parce que les vertus acquises par l'éducation paraissent incorruptibles. Elles sont appelées Muses, parce qu'elles initient les hommes aux sciences ; c'est-à-dire qu'elles enseignent aux hommes des choses belles et utiles, qui sont hors de la portée des ignorants. Chacun de leurs noms est justifié. Clio a été ainsi appelée, parce que ceux qui sont chantés par les poètes acquièrent une grande gloire ; Euterpe, à cause du plaisir que les beaux-arts procurent à ceux qui les entendent ; Thalie, parce qu'elle rajeunit éternellement ceux qui sont loués par la poésie ; Melpomène, parce que la mélodie s'insinue jusque dans le fond de l'âme ; Terpsichore, pour indiquer les jouissances que ceux qui sont initiés aux beaux-arts retirent de leurs études ; Erato, parce que les gens instruits sont recherchés et aimés de tout le monde ; Polymnie indique par son nom que les poètes ont acquis par leurs hymnes une gloire immortelle. Uranie, parce que ceux qu'elle instruit élèvent leurs pensées et leur gloire jusqu'au ciel. Enfin, Calliope, parce qu'elle a une belle voix, c'est-à-dire que les chants de la poésie sont applaudis par ceux qui les écoutent. Maintenant, revenons à l'histoire d'Hercule.

VIII. Je n'ignore pas que l'histoire des mythes antiques et surtout celui d'Hercule, offre de grandes difficultés à résoudre : ce dieu a surpassé par la grandeur de ses exploits tout ce qui s'est jamais fait de mémorable parmi les hommes ; il est donc difficile de raconter dignement chacune de ces actions dont l'immortalité a été le prix. Comme en général on ne croit point aux mythes, en raison de leur ancienneté et de leur invraisemblance, il faut, ou qu'omettant les plus importantes des actions d'Hercule, on amoindrisse sa gloire, ou qu'en les rapportant toutes, on fasse un récit qui n'est point cru. En effet, quelques lecteurs, par un jugement injuste, exigent, dans le récit des temps fabuleux, la même exactitude que pour l'histoire de notre époque, et ils estiment la force d'Hercule d'après la faiblesse des hommes actuels ; de là vient qu'on ne croit pas aux choses anciennement accomplies, en raison même de leur immensité. Cependant, il ne faut pas toujours chercher dans les récits mythologiques l'exacte vérité. Dans les représentations théâtrales nous ne croyons pas aux Centaures à deux formes, ni à Géryon à trois corps. Cependant nous les accueillons et nous applaudissons aux hauts faits du dieu. Il n'est pas raisonnable que les hommes envient à Hercule les louanges dues aux bienfaits de la civilisation qu'il a répandus sur la terre par tant de travaux ; et nous devons conserver pour la mémoire de ce dieu la vénération que nos ancêtres ont eue pour lui, en le plaçant d'un commun accord au rang des dieux. Après ces raisonnements, nous allons rapporter par ordre les actions d'Hercule, conformément au témoignage des plus anciens poètes et mythologues.

IX. Persée fut fils de Jupiter et de Danaé, fille d'Acrisius. Il épousa Andromède, fille de Céphée, et en eut un fils, nommé Electryon. De celui-ci et d'Eurymède, fille de Pélops, naquit Alcmène. Jupiter ayant eu des rapports clandestins avec Alcmène, en eut Hercule. Ainsi, tant du côté paternel que du côté maternel, Hercule tirait son origine du plus grand des dieux. Il faut l'apprécier non seulement par la grandeur de ses actions, mais encore par le phénomène qui précéda sa naissance. Jupiter étant dans les bras d'Alcmène tripla la durée de la nuit, indiquant ainsi la force de l'enfant à naître, par la longueur du temps qu'il mettait à l'engendrer. Ce ne fut point pour satisfaire une passion amoureuse qu'il rechercha Alcmène, comme il avait recherché toutes les autres femmes, mais seulement pour en avoir un enfant. Ne voulant point contraindre Alcmène par la force, et désespérant de vaincre sa vertu par la persuasion, il eut recours à la ruse : il prit la forme d'Amphytrion, et la trompa sous ce masque. Vers le temps de la grossesse d'Alcmène, Jupiter, attentif à la naissance d'Hercule, déclara, en présence de tous les dieux, qu'il donnerait le royaume des Persides à un enfant qui devait naître ce même jour. Junon, jalouse, mit dans ses intérêts sa fille Ilithye, prolongea la grossesse d'Alcmène, et fit naître Eurysthée avant terme. Jupiter, quoique prévenu par ce stratagème, ne révoqua point sa parole ; mais il songea d'avance à la gloire d'Hercule. Il accorda donc à Eurysthée le royaume promis, et lui donna Hercule pour sujet ; mais il persuada à Junon de placer ce dernier au rang des dieux après qu'il aurait accompli douze travaux, ordonnés par Eurysthée. Alcmène accoucha ; mais redoutant la jalousie de Junon, elle exposa son enfant dans un champ qui s'appelle encore aujourd'hui le Champ d'Hercule. Cependant Minerve se promenant avec Junon fut frappée de la beauté de cet enfant, et supplia Junon de lui présenter le sein. Hercule avant serré la mamelle beaucoup plus fort que son âge ne semblait le permettre, Junon, poussée par la douleur, jeta l'enfant ; mais Minerve le remit à sa mère, et l'engagea à le nourrir. Sort étrange ! la mère qui devait chérir son enfant, l'exposa ; et celle qui devait le haïr comme sa marâtre, sauva, sans le savoir, l'enfant qui devait lui être naturellenient odieux.

X. Après cela, Junon envoya deux dragons pour dévorer l'enfant ; mais celui-ci les saisit chacun par le cou et les étrangla l'un et l'autre avec ses deux mains. L'enfant portait d'abord le nom d'Alcée ; mais les Argiens ayant appris cet événement, ils lui donnèrent le nom d'Hercule, parce que c'était de Junon que dérivait toute sa gloire. Ainsi pendant qu'ailleurs les parents donnent un nom à leurs enfants, Hercule seul ne dut le sien qu'à sa vertu. Amphytrion banni de Tirynthe s'établit à Thèbes. Hercule élevé dans cette ville, et habile dans les exercices du corps, surpassa tous les autres hommes par la force de son corps, et la grandeur de son âme. A peine arrivé à l'adolescence, il délivra Thèbes, et paya à sa patrie sa dette de reconnaissance. Les Thébains étaient soumis alors à Erginus, roi des Minyens ; et ce roi y faisait tous les ans insolemment percevoir le tribut ; bravant la puissance des despotes, Hercule entreprit une action qui lui acquit une immense gloire. Car, lorsque ceux d'entre les Minyens qui venaient demander si insolemment le tribut étaient arrivés, il les chassa de la ville, après leur avoir coupé les membres. Erginus demanda l'extradition du coupable, et Créon, roi de Thèbes, redoutant la puissance ennemie, était prêt à le livrer. Mais Hercule, appelant les jeunes gens à délivrer leur patrie, il leur donna les armes qui étaient suspendues dans les temples, et que leurs ancêtres y avaient déposées comme des dépouilles consacrées aux dieux. Car il était impossible de trouver dans la ville des armes privées : les Minyens avaient désarmé les Thébains, afin de leur ôter toute idée de révolte. Hercule instruit qu'Erginus roi des Minyens, s'approchait de la ville avec ses soldats, l'attaqua dans un défilé, et rendant ainsi un grand nombre de combattants inutile, il tua Erginus lui-même et fit périr avec lui presque tous ses soldats. Puis il investit soudain Orchomène, capitale des Minyens, il y brûla le palais du roi et rasa la ville. Le bruit de cet exploit se répandit dans toute la Grèce, et chacun l'admira comme un prodige. Le roi Créon, frappé lui-même du courage de ce jeune homme, lui donna sa fille Mégara en mariage ; et le traitant comme son propre fils, il lui confia le gouvernement de son Etat. Mais Eurysthée, roi d'Argos, jaloux de l'accroissement de la puissance d'Hercule, le fit appeler auprès de lui, et lui ordonna d'achever ses travaux. Hercule s'y refusa d'abord, mais Jupiter lui commanda d'obéir à Eurysthée. Hercule se rendit à Delphes, et ayant interrogé l'oracle, il reçut pour réponse que les dieux lui ordonnaient les douze travaux, et qu'après leur exécution il recevrait l'immortalité.

XI. En recevant cet ordre, Hercule tomba dans une grande tristesse : d'un côté il jugeait indigne de servir un homme qui lui était inférieur ; d'un autre côté, il lui paraissait dangereux et impossible de désobéir à Jupiter, son père. Livré à ce cruel embarras, il fut atteint d'une frénésie que lui envoya Junon. La folie s'empara de son esprit malade, et le mal augmenta ; dans un de ses accès de fureur, il voulut tuer Iolaüs ; mais Iolaüs s'étant enfui, Hercule perça à coups de flèches les enfants qu'il avait de Mégara, et qui se trouvaient près de lui, croyant que c'étaient des ennemis Revenu de sa fureur, et ayant reconnu son erreur, il fut très affligé de l'excès de son infortune. Pendant que tout le monde prenait part à ses malheurs, il se tint longtemps tranquillement dans sa maison, fuyant la société et la rencontre des hommes. Le temps ayant calmé sa douleur, Hercule se rendit auprès d'Eurysthée dans le dessein d'affronter tous les périls.

Son premier travail fut de tuer le lion de Némée. Cet animal était d'une grandeur monstrueuse, et comme il était invulnérable par le fer, l'airain, et les pierres, il fallait nécessairement employer la force des bras pour le dompter. Ce lion vivait dans le pays qui est situé entre Mycènes et Némée, auprès d'une montagne appelée Trétos, c'est-à-dire perforée. Au pied de cette montagne, il y avait une vaste caverne où l'animal avait établi son gîte ordinaire. Hercule y vint l'attaquer ; mais le lion s'enfuit dans sa retraite. Hercule l'y suivit ; après avoir bouché l'entrée, il le combattit corps à corps, et, lui serrant le cou avec ses deux mains, il l'étrangla. Il s'enveloppa de la peau de cet animal qui était immense, et s'en servit, par la suite, comme d'une arme défensive.

Le second travail consista à tuer l'hydre de Lerne. Ce monstre portait dans un seul corps cent cous, surmontés d'autant de têtes de serpent. Si l'une était coupée, aussitôt une tête double poussait à sa place. C'est pourquoi ce monstre passait pour invincible : une partie enlevée apportait donc un double secours. Pour surmonter cette difficulté, Hercule se servit d'un artifice : il commanda à Iolaüs de brûler avec un flambeau la partie coupée, afin d'empêcher le sang de couler. Après avoir ainsi dompté le monstre, il trempa les pointes des flèches dans son fiel, afin que chaque trait lancé engendrât des plaies incurables.

XII. Eurysthée lui ordonna pour troisième travail de lui amener vivant le sanglier d'Erymanthe, qui séjournait dans la plaine de l'Arcadie. Cet ordre paraissait d'une difficile exécution, et pour l'accomplir, il fallait choisir le moment avec beaucoup d'adresse. Car s'il laissait trop de liberté à l'animal, Hercule courait risque d'être déchiré ; il risquait de le tuer et de manquer son but, s'il l'attaquait trop vivement. Cependant il le combattit si à propos, qu'il vint à bout de l'apporter tout vivant à Eurysthée. Le roi voyant Hercule porter ce sanglier sur ses épaules, fut saisi de frayeur, et se cacha dans un tonneau d'airain. Hercule combattit ensuite les Centaures, à l'occasion que nous allons rapporter. Un Centaure appelé Pholus, qui donna le nom de Pholoé à la montagne voisine, avait accordé l'hospitalité à Hercule et déterré un tonneau de vin. Suivant le récit mythologique, l'ancien Bacchus avait donné ce tonneau à Pholus, avec ordre de ne l'ouvrir qu'à l'arrivée d'Hercule. Ce héros étant donc arrivé dans ce pays au bout de quatre générations, le Centaure se rappela l'ordre de Bacchus et perça le tonneau. Le fumet d'un vin fort et ancien se répandit jusqu'aux demeures voisines des Centaures, et fut pour eux un stimulant qui les incita à se réunir en masse autour de l'habitation de Pholus, et à se jeter avec fureur sur cette boisson. Pholus se cacha de frayeur ; Hercule lutta vigoureusement contre les assaillants. Il fallait combattre des monstres à double corps que la mère des dieux avait doués de la force et de la vitesse des chevaux, ainsi que de l'expérience et de l'esprit des hommes. Les Centaures arrivèrent armés, les uns de pins tout déracinés, les autres de grandes pierres ; quelques-uns portaient des torches allumées et le reste était armé de haches propres à tuer des boeufs. Hercule attendit les Centaures de pied ferme et engagea un combat digne de ses premiers exploits. Néphélé, mère des Centaures, vint à leur secours, en faisant tomber une masse de pluie ; cette pluie ne gênait nullement les Centaures, qui avaient quatre pieds, mais elle faisait glisser celui qui ne se soutenait que sur deux. Cependant, malgré tous les avantages que ses adversaires avaient sur lui, Hercule les combattit vaillamment ; il en tua la plupart et mit les autres en fuite. Les plus célèbres parmi les morts frirent Daphnis, Argée, Amphion, Hippotion, Orée, Isoplès, Melanchète, Thérée, Doupon et Phrixus. Les fuyards reçurent plus tard le châtiment mérité.

Homade qui avait violé en Arcadie Alcyone, soeur d'Eurysthée, fut tué par Hercule. C'est ici qu'il faut surtout admirer la vertu de ce héros ; car quoiqu'il haït Eurysthée connue son ennemi personnel, il crut cependant qu'il était humain d'avoir compassion d'une femme outragée. Il arriva un accident singulier à Pholus, ami d'Hercule. Attaché aux Centaures par les liens de la famille, Pholus enterrait tous ceux qui avaient été tués. En tirant un trait du corps d'un d'entre eux, il se blessa lui-même et, sa plaie étant incurable, il mourut. Hercule enterra Pholus magnifiquement, sous une montagne préférable au plus célèbre monument. Car cette montagne fut nommée depuis Pholoé, en conservant fidèlement la mémoire de celui qui y avait été enterré, sans qu'il fût besoin d'aucune épitaphe. Hercule tua aussi involontairement le Centaure Chiron, qui s'était rendu fameux dans l'art de guérir. Mais nous en avons assez dit des Centaures.

XIII. Hercule reçut ensuite l'ordre d'amener la biche aux cornes d'or et à la course rapide. Il se servit tout autant de son adresse que de sa force pour venir à bout de cette entreprise. Car les uns disent qu'il prit la biche dans des filets, d'autres, qu'il la dépista dans son sommeil, et d'autres enfin, qu'il la prit en la forçant à la course. Enfin, il acheva cet exploit par l'adresse seule sans courir aucun danger.

Ensuite Hercule reçut l'ordre de chasser les oiseaux du lac Stymphalis, et il réussit encore facilement par son adresse. Il s'était rassemblé autour de ce lac une multitude incroyable d'oiseaux qui ravageaient les fruits du pays d'alentour. Il était impossible d'exterminer tous ces animaux. Hercule eut donc recours à un stratagème; il imagina une sonnette d'airain qui par son bruit étrange et continuel fit fuir les animaux : il parvint ainsi à nettoyer le lac.

Après qu'Hercule eut achevé ce travail, Eurysthée lui ordonna de nettoyer, sans l'aide de personne, l'étable d'Augias, où s'était amassée depuis bien des années une énorme quantité de fumier. Ce travail était humiliant. Hercule dédaigna d'emporter ce fumier sur ses épaules ; afin d'éviter ce que cette corvée avait d'injurieux, il nettoya l'étable en y faisant passer le fleuve Pénée. Ce travail fut accompli dans l'espace d'un jour. Hercule donna là une grande preuve de son esprit ; car n'entreprenant rien qui fût indigne de l'immortalité, il exécuta d'une manière honorable un ordre humiliant.

Après ce travail il entreprit d'amener de Crète le taureau qui fut, dit-on, aimé de Pasiphaé. Il arriva dans cette île, et, du consentement du roi Minos, il amena ce monstre dans le Péloponnèse, après avoir fait une longue traversée.

XIV. Après ce travail, Hercule institua les jeux olympiques. Ayant choisi près du fleuve Alphée un champ favorable pour cette solennité, il consacra les jeux à Jupiter son père. Il proposa pour prix une couronne, parce que lui-même n'avait jamais accepté aucun salaire pour les services qu'il avait rendus aux hontes. Hercule fut victorieux dans tous les jeux, sans combat, car personne n'osait se mesurer avec lui, à cause de sa force extraordinaire. Cependant ces jeux demandent des qualités fort différentes entre elles. Ainsi, il est difficile à l'athlète ou au pancratiaste de devancer un coureur. De même il est malaisé à ceux qui excellent dans les combats légers de vaincre ceux qui se distinguent dans les combats de force. La victoire appartient donc avec justice à qui est le maître dans tous ces exercices. Il serait injuste de passer sous silence les présents que les dieux firent à Hercule pour honorer sa vertu ; car lorsqu'il se fut retiré de la guerre pour se délasser dans les fêtes, dans les assemblées et jeux, chacun des dieux l'honora d'un don convenable. Minerve lui donna un voile, Vulcain une massue et une cuirasse. Il y eut une grande émulation entre ces deux divinités : Minerve se livrait aux arts concernant les plaisirs de la vie pacifique, et Vulcain ne travaillait qu'aux arts de la guerre. Parmi les autres dieux, Neptune lui donna un cheval, Mercure une épée, Apollon un arc, et il lui apprit à s'en servir. Cérès, voulant aussi honorer Hercule, institua les petits mystères pour l'expiation du meurtre des Centaures. On cite une particularité de la naissance d'Hercule : de toutes les femmes que Jupiter aima, la première fut Niobé, fille de Phoronée, et la dernière fut Alcmène. Les mythographes comptent seize générations depuis Niobé jusqu'à Alcmène. Jupiter commença donc à engendrer des hommes avec une femme qu'Alcmène comptait parmi ses ancêtres, et il finit par celle-ci tout commerce avec des mortelles, car il n'espérait plus avoir des enfants dignes de leurs aînés, et il ne voulait point gâter ce qui était bon par un mauvais mélange.

XV. Les Géants faisaient la guerre aux immortels près de Pallène. Hercule vint au secours des dieux ; il tua un grand nombre de ces enfants de la Terre, et acquit une grande renommée. Jupiter donna aux seuls dieux qui l'avaient secouru le nom d'Olympiens, afin que par cet honneur le brave pût être distingué du lâche. Quoique Bacchus et Hercule fussent nés de femmes mortelles, ils furent cependant honorés du nom d'Olympiens, non seulement parce qu'ils étaient fils de Jupiter, mais aussi parce que, obéissant aux penchants de leur père, ils avaient adouci par leurs bienfaits la vie des hommes. Jupiter tenait enchaîné Prométhée pour avoir communiqué aux hommes le feu, et lui faisait ronger le foie par un aigle. Hercule, voyant que Prométhée n'était puni que pour avoir fait du bien aux hommes, tua l'aigle à coups de flèches ; et ayant apaisé par sa voix la colère de Jupiter, il sauva le commun bienfaiteur. Eurysthée lui ordonna ensuite d'amener les juments de Diomède le Thrace. Elles étaient si indomptables qu'on leur avait donné des mangeoires d'airain, et si fortes qu'on était obligé de les tenir avec des brides de fer. Elles ne se nourrissaient pas des fruits de la terre ; on leur donnait à manger les membres coupés de malheureux étrangers ; voulant s'emparer de ces juments, Hercule se saisit d'abord de Diomède, leur maître, et il les rendit obéissantes en les rassasiant de la chair de celui qui leur avait donné l'habitude criminelle de manger de la chair. Amenées devant Eurysthée, les juments furent consacrées à Junon. Leur race subsista jusqu'au règne d'Alexandre le Macédonien. Après cet exploit, Hercule accompagna Jason dans la Colchide pour enlever la toison d'or. Mais nous parlerons en détail de l'expédition des Argonautes.

XVI. Hercule reçut l'ordre d'apporter la ceinture de l'Amazone Hippolyte. Ayant traversé la mer à laquelle il donna le nom de Pont-Euxin, et arrivé aux embouchures du fleuve Thermodon, Hercule déclara la guerre aux Amazones, et vint camper près de la ville Thémiscyre où résidait leur reine. Il leur demanda d'abord la ceinture qui était l'objet de son expédition, et, après avoir été refusé, il livra bataille aux Amazones. Celles d'un rang inférieur furent opposées à la troupe ; mais les plus braves combattirent Hercule lui-même, et se défendirent vaillamment. La première qui l'attaqua fut Aella, ainsi nommée à cause de sa prestesse ; mais elle trouva un ennemi encore plus léger à la course qu'elle-même. La seconde fut Philippis : elle tomba sur-le-champ d'une blessure mortelle. Ensuite vint, dans l'ordre de bataille, Prothoë, qui avait, dit-on, vaincu dans sept combats singuliers. Elle tomba de même, et Hercule dompta une quatrième appelée Eriboea. Celle-ci, renommée pour sa bravoure, se vantait de n'avoir besoin d'aucun secours ; mais elle s'était trompée : elle succomba sous les coups d'un homme plus vaillant qu'elle. Céléno, Eurybia et Phoebé, compagnes de Diane chasseresse, et habiles à tirer de l'arc, manquèrent leur seul but, et se couvrant de leurs boucliers, elles furent toutes massacrées. Hercule défit ensuite Déjanire, Astérie, Marpé, Tecmessa et Alcippe. Cette dernière ayant juré de demeurer vierge, garda son serment ; mais elle ne sauva pas sa vie. Mélanippe, qui commandait la troupe des Amazones, et qui se faisait admirer par sa bravoure, perdit son commandement. Hercule tua ainsi les plus célèbres des Amazones, et força les autres à s'enfuir ; enfin il extermina entièrement cette nation. Parmi les captives, il choisit Antiope pour en faire présent à Thésée. Mélanippe se racheta en donnant à Hercule la ceinture demandée.

XVII. Le dixième travail qu'Eurysthée ordonna à Hercule, fut d'amener les vaches de Géryon qui paissaient alors sur les côtes de l'Ibérie, baignées par l'Océan. Voyant que cette entreprise demandait beaucoup de peine et d'appareil, Hercule équipa une belle flotte, et leva un grand nombre de soldats dignes d'une telle expédition. Le bruit s'était répandu par toute la terre que Chrysaor, ainsi nommé à cause de ses richesses, régnait sur toute l'Ibérie, et qu'il avait pour compagnons d'armes trois fils remarquables par leur force et leur vaillance ; que, de plus, chacun d'eux commandait de puissantes armées composées d'hommes guerriers. Eurysthée, persuadé que c'était là une entreprise insurmontable, en avait à dessein chargé Hercule; mais celui-ci affronta ce péril avec autant de courage qu'il avait affronté les autres. Il rassembla ses troupes dans l'île de Crète, car cette île est avantageusement située pour faire partir de là des armées sur toute la terre. Les Crétois accueillirent Hercule avec de grands honneurs ; et, pour leur en témoigner sa reconnaissance, il purgea leur île des bêtes féroces ; c'est depuis lors qu'on ne trouve dans l'île de Crète ni ours, ni loups, ni serpents, ni d'autres animaux semblables. Il voulut aussi par cette action illustrer un pays où Jupiter était né, et où il avait été élevé. Parti de cette île, Hercule relâcha en Libye. A son arrivée, il provoqua au combat Antée, qui, fameux par la force de son corps et son habileté dans la lutte, faisait mourir tous les étrangers qu'il avait vaincus ; mais il fut enfin lui-même tué en se battant contre Hercule corps à corps.

Hercule purifia ensuite la Libye d'un grand nombre d'animaux sauvages dont elle était remplie ; il fit cultiver beaucoup de contrées désertes, qui se couvrirent bientôt d'arbres fruitiers, de vignes, d'oliviers et d'autres plantations. En un mot, de la Libye, infestée de bêtes féroces, il fit une terre fertile et prospère ; exterminant les scélérats ou les despotes insolents, il rendit les villes florissantes. On prétend que c'était par ressentiment qu'il était l'ennemi des bêtes féroces et des hommes méchants, parce que, étant encore enfant, il avait été attaqué par des serpents ; et que, devenu homme, il avait été soumis aux ordres d'un monarque injuste et insolent.

XVIII. Après la mort d'Antée, Hercule se rendit en Egypte, et tua le roi Busiris qui massacrait tous les étrangers arrivés dans le pays ; il traversa le désert aride de la Libye, et, après avoir trouvé un pays fertile et bien arrosé, il y fonda une ville d'une grandeur prodigieuse. Cette ville reçut le nom d'Hécatompyle, à cause du nombre de ses portes, et sa renommée s'est perpétuée jusqu'à ces derniers temps ; les Carthaginois envoyèrent contre elle des troupes considérables, conduites par d'excellents chefs, et s'en rendirent maîtres. Hercule parcourut la Libye jusqu'à l'Océan, qui baigne Gadès, et il éleva deux colonnes sur les bords de l'un et de l'autre continent. De là, abordant avec sa flotte, dans l'Ibérie, il atteignit les fils de Chrysaor qui commandaient trois armées séparées. Hercule les tua dans un combat singulier, soumit l'Ibérie, et emmena ces fameux troupeaux de vaches. En traversant le pays des Ibériens, il fut honorablement accueilli par un roi de ce pays, homme distingué par sa piété et sa justice ; en retour de cet accueil il donna au roi une partie de ces vaches. Le roi les consacra toutes à Hercule, et il lui sacrifia, tous les ans, le plus beau taureau né de ces vaches sacrées. Ces dernières ont été conservées en Ibérie jusqu'à nos jours.

Nous allons nous arrêter un moment sur les colonnes d'Hercule dont nous venons de faire mention. Arrivé aux extrémités de la Libye et de l'Europe, Hercule érigea ces colonnes sur les bords de l'Océan. Pour laisser un souvenir immortel de son expédition, il rapprocha, dit-on, par une digue, les extrémités des deux continents, qui étaient autrefois très distants l'un de l'autre, et il ne laissa aux eaux de la mer qu'un passage étroit, empêchant les cétacés de l'Océan d'entrer dans la mer intérieure : ouvrage immense, qui perpétua la mémoire d'Hercule. Quelques-uns prétendent, au contraire, que les deux continents étant joints, Hercule perça l'isthme, et forma ainsi le détroit qui fait aujourd'hui communiquer l'Océan avec notre mer. Chacun est libre d'adopter l'une ou l'autre de ces deux opinions. Hercule avait déjà fait un ouvrage semblable en Grèce. La vallée appelée Tempé, était couverte d'eaux stagnantes dans une grande étendue. Il creusa un canal, par lequel s'écoulèrent ces eaux, et fit ainsi apparaître la plaine de Thessalie, arrosée par le lieuse Pénée. Il fit le contraire dans la Béotie, qu'il ravagea tout entière par une inondation, en barrant le fleuve qui passe près d'Orchomène de Minye. L'outrage qu'il avait exécuté en Thessalie fut un bienfait pour les Grecs, et par celui qu'il avait accompli en Béotie, il vengea les Thébains de la servitude qui leur avaient imposée les Minyens.

XIX. Hercule donna le royaume des Ibères aux plus vertueux des indigènes. Quant à lui il se mit à la tête de son armée, et pénétra dans la Celtique ; parcourant toute cette contrée, il abolit des coutumes sauvages, et entre autres celle de tuer les étrangers. Comme son armée se composait de volontaires accourus de toutes les nations, il fonda une ville qu'il appela Alésia, nom tiré des longues courses de ses troupes. Un grand nombre d'indigènes vinrent s'y établir, et comme ils étaient plus nombreux que les autres habitants, il arriva que toute la population adopta les meeurs des Barbares. Cette ville est, jusqu'à nos jours, en honneur parmi les Celtes, qui la regardent comme le foyer et la métropole de toute la Celtique. Elle est demeurée libre et imprenable depuis Hercule jusqu'à nos jours. Mais enfin, Gaius César, divinisé pour la grandeur de ses exploits, la prit d'assaut, et la soumit avec le reste de la Celtique à la puissance des Romains.

Passant de la Celtique en Italie, Hercule traversa les Alpes. Il rendit la route, de rude et difficile qu'elle était, accessible à une armée avec tout son bagage. Les Barbares qui habitaient ces montagnes avaient coutume de piller et de massacrer les troupes qui les traversaient. Hercule soumit cette nation, et, après avoir puni les chefs des brigands, il assura pour toujours la sécurité de ces passages. En descendant des Alpes, il parcourut la plaine qu'on appelle aujourd'hui la Gaule (cisalpine), et entra ensuite dans la Ligurie.

XX. La région qu'habitent les Liguriens est âpre et stérile. Cependant, grâce aux travaux et aux immenses efforts de ses habitants, elle produit quelques rares fruits. Les Liguriens sont de petite taille ; mais ils deviennent vigoureux par la suite de continuels exercices ; éloignés du luxe de la vie, ils acquièrent une force et une agilité remarquables dans les combats. Le sol qu'ils cultivent demande beaucoup de fatigues et de labour ; les femmes mêmes sont accoutumées à partager avec les hommes les travaux des champs. Les hommes et les femmes louent leurs bras moyennant salaire. Il arriva de nos jours une chose fort singulière, relativement à une femme de ce pays. Quoique enceinte, elle travaillait à la journée avec des hommes. Atteinte des douleurs de l'enfantement, elle se retira sans bruit dans quelques buissons. Là, étant accouchée, elle couvrit son enfant de feuilles et l'y cacha. Elle revint ensuite se mêler aux travailleurs et partagea leurs fatigues, sans rien dire de ce qui était arrivé ; mais les cris de l'enfant découvrirent la chose. Cependant le chef des ouvriers ne put obtenir de la mère qu'elle quittât son travail ; elle ne se retira que lorsque son maître, ayant pitié d'elle, lui eut payé son salaire.

XXI. En quittant la Ligurie et le pays des Tyrrhéniens, Hercule arriva sur les bords du Tibre, et campa dans l'endroit même où est aujourd'hui Rome qui ne fut fondée que plusieurs générations après par Romulus, fils de Mars. Quelques indigènes habitaient alors sur le mont Palatin une toute petite ville. Cacius et Pinarius, les plus considérables d'entre eux, accueillirent Hercule d'une manière distinguée, et l'honorèrent de présents. Les souvenirs de ces hommes se sont conservés dans Rome jusqu'à notre époque ; et la famille des Pinariens passe encore aujourd'hui pour la plus ancienne noblesse romaine. Il y a au mont Palatin un escalier dont les degrés sont de pierre, et qu'on appelle escalier de Cacius, parce qu'il se trouve près du lien où était la maison de Cacius. Hercule, ayant reçu les témoignages d'affection que lui donnèrent les habitants du mont Palatin, leur prédit que ceux qui, après son apothéose, donneraient en offrande à Hercule le dixième de leurs biens, auraient une vie très heureuse. Cette prédiction s'est accomplie jusqu'à nos jours. Car plusieurs Romains de fortune médiocre, et même quelques citoyens fort riches, après avoir fait voeu de donner à Hercule la dixième partie de leurs richesses, ont vu cette offrande s'élever à quatre mille talents. Lucullus, peut-être le plus riche Romain de son temps, après avoir fait évaluer sa fortune, en sacrifia à Hercule la dixième partie, qu'il employa continuellement en festins somptueux. Les Romains ont élevé à ce dieu, sur le bord du Tibre, un temple splendide, où ils lui consacrent la dixième partie de leurs biens.

Hercule, quittant les bords du Tibre, parcourut le littoral de l'Italie. Il entra dans la campagne de Cumes, où il y avait, dit-on, des hommes qui, étant très robustes et méchants, portaient le nom de Géants. Cette campagne s'appelait aussi champ Phlégréen, à cause d'une colline qui vomissait jadis des masses de flammes, comme l'Etna, en Sicile. Cet endroit est à présent nommé le Vésuve, et on y remarque encore beaucoup de traces de son ancien embrasement. Instruits de la présence d'Hercule, les Géants s'assemblèrent tous et marchèrent contre lui en ordre de bataille. En raison de la forme et de la vigueur des Géants, le combat fut rude. Enfin Hercule demeura vainqueur, grâce au secours des dieux. Il tua la plupart des Géants, et pacifia la contrée. Selon le récit des mythologues, les Géants sont fils de la Terre, en raison de leur taille prodigieuse. Voilà ce que racontent sur la défaite des Géants à Phlègre plusieurs mythologues dont l'autorité a été suivie par Timée, l'historien.

XXII. Quittant le champ Phlégréen, Hercule continua à longer les côtes de la mer. Il acheva plusieurs travaux autour du lac d'Averne, consacré à Proserpine. Ce lac est situé entre Misène et Dicéarchée, dans le voisinage d'une source d'eaux chaudes. Il a environ cinq stades de tour, et il est d'une profondeur incroyable. C'est pourquoi ses eaux, d'ailleurs très pures, sont de couleur bleue. Les mythologues racontent qu'il y avait anciennement en cet endroit un oracle rendu par les morts, mais qu'il a disparu par la suite des temps. Ce lac se déchargeait dans la mer : Hercule en ferma, dit-on, l'embouchure, et construisit le long des côtes de la mer une route qui s'appelle encore aujourd'hui route Herculéenne.

Tels sont les travaux qu'Hercule exécuta dans cette contrée. Il entra ensuite dans le pays des Posidoniates, et il trouva une pierre à laquelle se rattache le récit d'un singulier événement. Un fameux chasseur de ce pays avait depuis longtemps la coutume de consacrer à Diane et de clouer aux arbres les têtes et les pieds de tous les animaux qu'il avait pris à la chasse. Un jour, ayant pris un énorme sanglier, il insulta la déesse, en disant qu'il se consacrerait à lui-même la tête de cet animal ; et, joignant l'effet aux paroles, il cloua la tête du sanglier à un arbre. Il faisait alors fort chaud. Le chasseur s'endormit sur le midi ; en ce moment la tête du sanglier se détacha d'elle-même de l'arbre, et, tombant sur le chasseur endormi, le tua du coup. Il ne faut pas s'étonner de cet événement, puisqu'on raconte bien d'autres châtiulents que Diane a infligés aux impies. Il arriva le contraire à Hercule, en récompense de sa piété. Arrivé aux confins du pays de Rhégium et de Locres, et se reposant de la fatigue d'un long voyage, il pria les dieux de faire disparaître une multitude de cigales qui l'incommodaient par leur cri. Les dieux exaucèrent sa prière : non seulement ces insectes disparurent à l'instant, mais on n'en a jamais revu depuis dans ce pays.

Parvenu au passage le plus étroit de la mer, Hercule fit passer ses vaches en Sicile. Quant à lui, saisissant les cornus d'un taureau, il traversa à la nage tonte la largeur de ce détroit, qui, au rapport de Timée, est de treize stades.

XXIII. Dans l'intention de faire ensuite le tour de la Sicile, il alla du cap Pélore jusqu'au mont Eryx. Pendant qu'il marchait le long des côtes de l'île, les Nymphes lui ouvrirent, dit-on, des bains d'eau chaude, afin de le délasser des fatigues de la route. Il y a deux sources thermales, celle d'Himère et celle d'Egeste. En s'approchant des domaines d'Eryx, Hercule fut provoqué à la lutte par Eryx, fils de Vénus et d'un roi du pays, appelé Butas. Pour prix de la lutte, Eryx offrit son royaume, et Hercule ses vaches. Eryx se fâcha d'abord en soutenant que son royaume valait bien plus que les vaches d'Hercule. Mais Hercule lui avant montré que, s'il perdait ses vaches, il serait privé de l'immortalité, Eryx accepta les conditions de la lutte. Cependant il fut vaincu et perdit ses Etats ; Hercule les céda aux indigènes, et leur permit d'en recueillir les fruits, jusqu'à ce que quelqu'un de ses descendants viendrait en réclamer la possession. C'est ce qui arriva. Doriée le Lacédémonien, venu en Sicile plusieurs générations après Hercule, prit possession de ce pays, et y fonda la ville d'Héraclée. Cette ville prospéra, et les Carthaginois lui portèrent envie. Ils craignirent qu'elle ne devint plus puissante que Carthage, et qu'elle ne leur ôtât la suprématie. Ils vinrent donc l'attaquer avec de puissantes armées, la prirent d'assaut et la rasèrent. Mais nous parlerons de tout cela en détail en temps convenable.

Hercule fit le tour de la Sicile, et arriva enfin dans la ville qu'on appelle aujourd'hui Syracuse, où il apprit l'histoire de l'enlèvement de Proserpine. Il offrit aux déesses un magnifique sacrifice. Il immola près de Cyané un des plus beaux taureaux, et enseigna aux habitants à faire tous les ans, en l'honneur de Proserpine, des fêtes et des sacrifices solennels. Ayant ensuite pénétré avec ses vaches dans l'intérieur du pays, les Sicaniens vinrent à sa rencontre avec des troupes considérables ; mais il les vainquit dans un combat célèbre. Il tua un grand nombre d'ennemis, parmi lesquels on compte Leucaspis, Pédiacratès, Buphonas, Gaugatas, Cygéus et Crytidas, tous chefs célèbres auxquels on rend encore aujourd'hui les honneurs héroïques.

XXIV. Après cela, Hercule entra dans la campagne de Léontium et admira la beauté du pays. Les habitants le reçurent avec des marques de respect ; il laissa chez eux des monuments éternels de son passage. Il lui arriva quelque chose de singulier ans la ville des Agyrinéens : les habitants l'honorèrent avec les mêmes fêtes et les mêmes sacrifices qu'on offre aux dieux de l'Olympe. Hercule n'avait jusqu'alors accepté l'offre d'aucun sacrifice ; le culte que lui rendirent les Agyrinéens fut le premier auquel il consentit comme un indice divin de son immortalité. Non loin de la ville est un chemin pierreux dans lequel les vaches d'Hercule imprimèrent leurs traces comme sur de la cire. Ce nouvel indice, joint à l'accomplissement de son dixième travail, lui fit croire qu'il était déjà immortel : et il accepta les sacrifices annuels que les habitants avaient institués en son honneur. Pour témoigner sa reconnaissance à ceux qui l'avaient tant honoré, il creusa devant leur ville un lac de quatre stades de tour, et il lui imposa son nom. Dans l'endroit où ses vaches avaient imprimé leurs traces, il consacra au héros Géryon une enceinte qui est encore aujourd'hui en vénération auprès des indigènes. Il consacra une autre enceinte à Iolaüs, son neveu et sou compagnon d'armes ; et il institua en son honneur des sacrifices annuels qu'on célèbre encore maintenant. Tous les habitants d'Agyre vouent dès la naissance leurs cheveux à Iolaüs, et les font croître jusqu'au moment où ils les offrent à ce dieu avec de magnifiques sacrifices. Le temple de Iolaüs est si saint et si vénéré que les enfants qui manquent d'y faire ces offrandes accoutumées deviennent muets et semblables à des morts. Cependant ils sont, dit-on, guéris de leur maladie dès qu'ils ont fait voeu de satisfaire à ce sacrifice, et qu'ils en ont donné le gage. Les habitants ont nommé Herculéenne la porte devant laquelle ils font leurs offrandes à ce dieu. Ils célèbrent joyeusement cette solennité tous les ans, par des exercices de lutte et des courses de chevaux ; les maîtres se confondent alors avec les esclaves, et tous ensemble honorent le dieu par des danses, par des festins et des sacrifices.

Hercule repassa avec ses vaches en Italie et se dirigea le long des bords de la mer. Il assomma Lacinius qui voulait lui dérober ses vaches, il tua involontairement Croton, lui fit des obsèques magnifiques et lui éleva un tombeau. Il prédit aux indigènes qu'un jour s'élèverait dans cet endroit une ville célèbre qui porterait le même nom que le mort.

XXV. Après avoir fait à pied le tour des côtes de la mer adriatique, il entra, en suivant les bords de ce golfe, dans l'Epire, d'où il se rendit dans le Péloponnèse.

A peine Hercule eut-il fini son dixième travail, qu'Eurysthée lui ordonna d'amener des enfers à la lumière du jour le chien Cerbère. Dès qu'Hercule eut reçu ordre d'exécuter ce travail, qu'il regarda comme glorieux pour lui, il se rendit à Athènes, et se fit initier dans les mystères d'Eleusis, dont Musée, fils d'Orphée, était alors le chef. Nous venons de mentionner Orphée, il ne sera pas hors de propos d'en dire ici un mot. Orphée était fils d'Oeagre et Thrace de nation. Son instruction et son habileté dans le chant et la poésie l'ont mis au-dessus de tous ceux dont l'histoire a conservé le souvenir. Il composa un poème admirable et harmonieux. Il s'acquit tant de réputation qu'il semblait, par sa mélodie, charmer les bêtes féroces et les arbres. Appliqué dès son enfance à l'étude des traditions théologiques, il se rendit en Egypte où il se perfectionna dans ces connaissances ; et il fut le plus grand des Grecs dans la science des mystères et de la théologie aussi bien que dans la poésie et le chant. Orphée accompagna aussi les Argonautes dans leur expédition, et, entraîné par son amour pour sa femme, il osa descendre jusque dans les enfers. Après avoir séduit Proserpine par la douceur de son chant, il obtint d'elle la permission de ramener sa femme décédée, et la tira des enfers à l'exemple de Bacchus. Car on raconte que ce dieu avait fait sortir des enfers Sémélé, sa mère, et qu'en lui donnant l'immortalité, il l'appela du nom de Thyoné. Après cette digression sur Orphée, revenons à Hercule.

XXVI. Ce héros descendu dans les enfers, fut, suivant la tradition, accueilli de Proserpine comme un frère : elle lui permit même de délivrer et d'emmener avec lui Thésée et Pirithoüs. Il enchaîna Cerbère, le tira des enfers et le montra aux hommes.

Son dernier travail fut d'apporter les pommes d'or des Hespérides. Hercule navigua alors de nouveau vers la Libye. Les sentiments des mythographes sont partagés au sujet de ces pommes : les uns disent qu'il y avait des pommes d'or dans quelques jardins des Hespérides, en Libye, et qu'elles étaient continuellement gardées par un redoutable dragon. D'autres soutiennent que les Hespérides possédaient de si beaux troupeaux de brebis, que, par une métaphore poétique, on les avait appelées pointues d'or, comme on appelle Vénus dorée, à cause de sa beauté. Quelques-uns enfin disent que ces brebis étaient d'une couleur particulière et semblable à l'or ; que, par le dragon, il faut entendre le gardien de ces troupeaux, homme robuste et courageux, tuant tous ceux qui cherchaient à lui ravir ces brebis. Mais chacun est libre de croire à cet égard ce qu'il voudra. Hercule tua le gardien de ces troupeaux ou de ces pommes, et les apporta à Eurysthée ; ayant ainsi accompli ses travaux, il attendit pour récompense l'immortalité, comme le lui avait promis Apollon.

XXVII. Il ne faut point omettre ce que les mythographes racontent d'Atlas et de l'origine des Hespérides. Dans le pays appelé Hespéritis, vivaient deux frères célèbres, Hespérus et Atlas ; ils possédaient des troupeaux d'une rare beauté, de couleur jaune, semblable à de l'or ; et comme les poètes appellent les brebis des pommes, ces troupeaux reçurent le nom de pommes d'or. Hespérus eut une fille nommée Hespéris ; il la donna en mariage à son frère Atlas. C'est d'elle que le pays d'Hespéritis prit son nom. Atlas eut d'Hespéris sept filles, appelées Atlantides du nom de leur père, et Hespérides de celui de leur mère. Comme elles étaient distinguées pour leur beauté et leur sagesse, Busiris, roi d'Egypte, désira, dit-on, s'en emparer. Dans ce dessein, il envoya des pirates avec l'ordre d'enlever ces filles et de les lui amener.

A cette époque, Hercule, achevant son dernier travail, venait de tuer, en Libye, Antée qui provoquait tous les étrangers à la lutte ; il venait aussi de châtier, en Egypte, en l'immolant à Jupiter, Busiris, qui égorgeait les voyageurs étrangers. Puis, remontant le Nil jusqu'en Ethiopie, il tua Imathion, roi des Ethiopiens, qui voulait le combattre, et retourna pour prendre l'ordre d'un nouveau travail. Or, les pirates (envoyés par Busiris) trouvèrent les filles d'Atlas jouant dans un jardin ; ils les enlevèrent et s'enfuirent promptement dans leurs vaisseaux. Hercule les ayant surpris au moment où ils mangeaient sur le rivage, et ayant appris de ces filles ce qui leur était arrivé, il tua tous les ravisseurs, et rendit les filles à leur père Atlas. En reconnaissance de ce service, Atlas donna à Hercule non seulement ce qu'il était venu chercher, mais encore il l'initia dans l'astronomie. Atlas avait bien approfondi cette science, et il avait construit avec art une sphère céleste ; c'est pourquoi on le supposait portant le monde sur ses épaules. Comme Hercule apporta le premier en Grèce la science de la sphère, il en retira une grande gloire ; c'est ce qui fit dire aux hommes, allégoriquement, qu'il avait reçu d'Atlas le fardeau du monde.

XXVIII. Pendant qu'Hercule était occupé à ses travaux, le reste des Amazones se rassembla sur les bords du fleuve Thermodon : elles se hâtèrent de se venger sur les Grecs de la défaite qu'elles avaient essuyée dans leur guerre contre Hercule. Elles étaient surtout exaspérées contre les Athéniens, parce qu'Antiope, reine des Amazones, que quelques écrivains nomment Hippolyte, était retenue en esclavage par Thésée. Ainsi donc, après s'être alliées avec les Scythes, elles mirent sur pied une année considérable. Cette armée, sous la conduite des Amazones, traversa le Bosphore Cimmérien, parcourut la Thrace et une grande partie de l'Europe, pénétra enfin dans l'Attique et vint camper dans un endroit qu'on appelle encore aujourd'hui le Champ des Amazones. Informé de la marche des Amazones, Thésée alla à leur rencontre avec les troupes de la ville. Il était accompagné d'Antiope, dont il avait un fils, nommé Hippolyte. Une bataille se livra ; les Athéniens, soldats de Thésée, furent victorieux par leur bravoure : ils taillèrent en pièces une partie des Amazones, et expulsèrent le reste hors de l'Attique. Antiope, combattant elle-même à côté de Thésée, son mari, termina sa vie d'une manière héroïque. Les Amazones qui échappèrent au carnage, désespérant de regagner leur patrie, retournèrent dans la Scythie, où elles s'établirent avec les Scythes. Mais nous nous sommes suffisamment étendu sur les Amazones ; reprenons l'histoire d'Hercule.

XXIX. Après avoir achevé ses travaux, Hercule reçut un ordre de l'oracle qui lui enjoignit, avant d'être reçu au nombre des dieux, d'envoyer une colonie en Sardaigne, sous la conduite des fils qu'il avait eus des Thespiades. Mais ces fils étaient encore fort jeunes ; Hercule jugea à propos de mettre à leur tête Iolaüs, son neveu. Il nous semble nécessaire de raconter auparavant la naissance de ces enfants, pour parler ensuite, avec plus d'ordre, de leur colonie. Thespius, d'une famille illustre d'Athènes, fils d'Erechthée, et roi d'un pays qui portait son nom, avait eu de plusieurs femmes cinquante filles. Hercule était encore fort jeune, et d'une force de corps prodigieuse ; ce qui fit désirer à Thespius que ses filles eussent des enfants de lui. Thespius l'invita donc à un sacrifice, lui prépara un splendide repas, et lui envoya toutes ses filles, une à une. Hercule les rendit toutes enceintes et devint père de cinquante fils, qu'on appela, d'un nom commun, Thespiades. Quand ils furent parvenus à l'âge adulte, Hercule les envoya conduire une colonie en Sardaigne, suivant l'ordre de l'oracle. Comme Iolaüs l'avait accompagné dans toutes ses expéditions et qu'il commandait toute la flotte, Hercule lui confia les Thespiades et l'administration de la colonie. De ces cinquante enfants d'Hercule, il n'en resta que deux à Thèbes ; et leurs descendants y jouissent encore aujourd'hui d'une grande considération. Il en reste sept autres à Thespies, où ils portent le nom de Démuches ; et l'on dit que leur postérité y a régné jusque dans ces derniers temps. Tous les autres, ainsi que beaucoup de volontaires, s'étant joints à la colonie conduite par Iolaüs, firent voile pour la Sardaigne. Iolaüs soumit les insulaires dans un combat, et s'adjugea le plus bel endroit de l'île, et une plaine qui porte encore aujourd'hui le nom de Iolaïon. Il défricha cette contrée, la planta d'arbres fruitiers, et la fortifia. Cette île devint si célèbre pour sa fertilité, que les Carthaginois, devenus plus tard puissants, désirèrent s'en emparer, livrèrent plusieurs batailles et s'exposèrent à des dangers. Mais nous parlerons de cela en temps convenable.

XXX. Après avoir établi sa colonie, Iolaüs fit venir Dédale de Sicile, pour faire exécuter de grands ouvrages qui subsistent encore aujourd'hui, et qui s'appellent Dédaliens, du nom de celui qui les a accomplis. Il construisit de grands et beaux gymnases, des tribunaux, en un mot, tout ce qui peut faire prospérer une colonie. Les Thespiades permirent même à leur chef de donner son nom à la colonie, et ils lui décernèrent cet honneur comme à un père ; ils l'avaient eu effet jugé digne de ce titre par l'attachement qu'il leur portait. C'est pourquoi, par la suite, ceux qui font des sacrifices au dieu Iolaüs, lui donnent le nom de père, à l'exemple des Perses, qui donnent ce même nom à Cyrus. Cependant Iolaüs, retournant en Grèce, aborda en Sicile, et demeura assez longtemps dans cette île. Quelques-uns de ses compagnons de voyage, charmés de la beauté du pays, s'y établirent ; ils se mêlèrent aux Sicaniens, et furent particulièrement honorés des indigènes. Quant à Iolaüs, en retour de ses nombreux bienfaits, il reçut, dans beaucoup de villes, les honneurs héroïques.

Il arriva une chose singulière à la colonie des Thespiades. L'oracle avait prédit que tous les colons, ainsi que leurs descendants, jouiraient d'une liberté perpétuelle ; et cet oracle a reçu son accomplissement jusqu'à nos jours. Car des Barbares s'étant mêlés, par la suite des temps, à ces colons, ils adoptèrent tous les moeurs de ces Barbares et allèrent se fixer dans les gorges des montagnes. Ne se nourrissant que de la chair et du lait de leurs nombreux troupeaux, ils ne manquent jamais de vivres. Comme leurs habitations sont souterraines et qu'ils vivent dans des cavernes, ils échappèrent aux périls de la guerre. C'est pourquoi d'abord les Carthaginois, et ensuite les Romains, les attaquèrent souvent, sans réussir dans leur entreprise. Ce que nous venons de dire de la colonie conduite en Sardaigne doit suffire. Revenons à l'histoire d'Hercule.

XXXI. Après qu'Hercule eut achevé ses travaux, il céda à Iolaüs sa femme Mégara, qu'il soupçonna coupable du sort malheureux de ses enfants : il espérait qu'une autre lui donnerait une progéniture plus heureuse. Il demanda en mariage Iolé, fille d'Eurytus, roi d'Oechalie. Mais Eurytus, instruit de l'infortune de Mégara, demanda du temps pour se déterminer. Hercule, ainsi rebuté, emmena, pour se venger de l'affront, les juments d'Eurytus. Iphitus, fils d'Eurytus, soupçonnant la vérité, se rendit à Tirynthe, à la recherche de ces animaux. Hercule le fit monter sur une tour élevée, et lui ordonna de s'assurer s'il ne les voyait pas paître quelque part. Iphitus ne pouvant les apercevoir, Hercule lui reprocha d'avoir été injustement accusé de vol, et le précipita du haut de la tour. Hercule devint malade en punition de ce meurtre ; il se rendit à Pylos, chez Nélée, et le pria de l'en purifier. Nélée consulta ses enfants, et tous, à l'exception de Nestor, le plus jeune, furent d'avis de refuser cette purification. Hercule se rendit de là chez Deïphobus, fils d'Hippolyte, qui ne s'y refusa point ; mais, ne pouvant être délivré de sa maladie, il alla consulter Apollon pour sa guérison. L'oracle lui répondit qu'il serait aisément guéri, s'il voulait se laisser vendre publiquement, et donner exactement le prix de sa vente aux enfants d'Iphitus. La maladie l'obligeant d'obéir à cet oracle, Hercule vint, avec quelques-uns de ses amis, aborder en Asie. Quand il fut arrivé dans ce pays, il se laissa vendre par un de ses amis ; et il devint esclave d'Omphale, fille d'Iardanus, et reine des Méoniens, qu'on appelle aujourd'hui Lydiens. Le vendeur remit ensuite aux enfants d'Iphitus, selon l'ordre de l'oracle, le prix de la vente d'Hercule. Hercule recouvra la santé. Pendant qu'il était esclave de la reine Omphale, il châtia les brigands qui infestaient la contrée. Il châtia surtout les Cercopes, qui exerçaient beaucoup de brigandages ; il tua les uns et apporta les autres enchaînés à Omphale. Il tua aussi, d'un coup de bêche ; Sylée, qui enlevait les voyageurs étrangers, et les obligeait de travailler à ses vignes. Il reprit aux Itons, qui avaient ravagé une grande partie du pays appartenant à Omphale, leur butin ; il prit leur ville, la rasa, et vendit les habitants comme esclaves. Omphale admira la vertu d'Hercule, et, ayant appris qui il était, elle le rendit libre et l'épousa. Elle en eut un fils, nommé Lamus. Hercule avait eu auparavant, d'une esclave, un fils appelé Cléolaüs.

XXXII. Après cela, Hercule retourna dans le Péloponnèse, et marcha contre Troie, pour se venger du roi Laomédon. Celui-ci avait refusé les chevaux qu'il avait promis à Hercule, qui, pendant son expédition avec Jason, pour la conquête de la toison d'or, avait purgé la Troade d'un monstre marin. Nous en parlerons plus bas en détail, à l'occasion de l'histoire des Argonautes. L'expédition de la toison d'or ne laissant pas alors à Hercule le temps de se venger, il remit sa vengeance à un autre moment. Selon quelques auteurs, il partit pour la guerre de Troie avec dix-huit vaisseaux longs. Mais, selon le témoignage d'Homère, il n'en avait que six : ce poète fait ainsi parler Tlépolème, fils d'Hercule : «Tel était Hercule mon père, ce héros vaillant et intrépide, lorsque, réclamant les chevaux de Laomédon, il aborda ces rivages avec six vaisseaux seulement et un petit nombre de guerriers, et qu'il saccagea la ville d'Ilion et en rendit les rues veuves d'habitants». Hercule aborda dans la Troade, prit avec lui les plus braves de ses compagnons, et s'avança vers la ville. Il laissa Oïclée, fils d'Amphiaraüs, au commandement de ses vaisseaux. Laomédon, à qui cette attaque imprévue n'avait pas permis de lever une armée considérable, assembla les soldats qu'il trouva sous sa main, et alla droit aux vaisseaux d'Hercule, espérant que, s'il pouvait les brûler, il mettrait fin à la guerre. Oïclée vint à sa rencontre : mais Oïclée, le chef, tomba, et les autres qui l'avaient suivi s'enfuirent dans leurs vaisseaux, et prirent aussitôt le large. Laomédon revint sur ses pas, attaqua les soldats d'Hercule qui assiégeaient Troie, et tomba dans la mêlée avec un grand nombre des siens. Hercule prit la ville d'assaut, et fit passer au fil de l'épée un grand nombre d'habitants ; il rendit justice à Priam, en lui donnant le royaume des Iliens ; car Priam était le seul des fils de Laomédon qui, contrairement à l'avis du père, eût conseillé de remettre à Hercule les chevaux qu'on lui avait promis. Hercule récompensa la vaillance de Télamon en lui donnant Hésione, fille de Laomédon. Télamon avait le premier forcé l'entrée de la ville, pendant qu'Hercule attaquait la partie la plus forte de la citadelle.

XXXIII. Hercule, de retour dans le Péloponnèse, déclara la guerre à Augéas, qui l'avait frustré de son salaire. Il livra une bataille aux Eliens, et se rendit ensuite à Olénum, chez Dexaménus. Hippolyte, fille de ce dernier, venait d'être mariée à Axas. Hercule, assistant au festin des noces, tua le centaure Eurytion qui voulait violer Hippolyte. De retour à Tirynthe, Hercule fut accusé par Eurysthée de conspirer contre son royaume, et lui ordonna d'en sortir, lui, Alcmène, Iphiclès, et Iolaüs. Ainsi obligé de s'exiler de Tirynthe, Hercule vint s'établir, avec ses compagnons, à Phénée, dans l'Arcadie. Là, informé qu'une pompe religieuse partie d'Elis se rendait dans l'isthme pour célébrer la fête de Neptune, et qu'Eurytus, neveu d'Augéas, était à la tête du convoi, il l'attaqua soudain, et tua Eurytus près de Cléones, dans l'endroit même où existe maintenant le temple d'Hercule. Il marcha ensuite contre Elis, et tua le roi Augéas ; ayant pris d'assaut la ville, il rappela Phylée, fils d'Augéas, et lui remit la royauté. Phylée avait été exilé par son père à l'époque où, choisi pour arbitre entre Augéas et Hercule, au sujet du salaire, il avait donné gain de cause à Hercule. Après cet événement, Hippocoon exila de Sparte son frère Tyndarus ; et les fils d'Hippocoon, au nombre de vingt, tuèrent Oïonus, fils de Licymnius, ami d'Hercule. Indigné de ce meurtre, Hercule marcha contre les fils d'Hippocoon ; il les défit dans un grand combat, et les tua tous. Il prit aussi d'assaut la ville de Sparte, et déféra la royauté à Tyndarus, père des Dioscures. Mais comme ce royaume était le fruit de sa conquête, il ne le lui céda qu'à condition de le remettre un jour à ses descendants. Hercule ne perdit dans cette bataille que fort peu de soldats, au nombre desquels étaient des hommes célèbres, Iphiclus et dix-sept fils de Céphée. Car, de vingt qu'ils étaient, il n'en échappa que trois. Du côté des ennemis tomba Hippocoon, dix de ses fils, et un grand nombre de Spartiates.

De retour de cette guerre, Hercule entra en Arcadie. Il s'arrêta chez le roi Métis ; il y vit Augé, fille de ce roi, et, après l'avoir rendue grosse, il partit pour Stymphale. Cependant Aléus ignorait ce qui était arrivé, jusqu'au moment où la grossesse de sa fille vint révéler la faute. Aléas cherchait le séducteur, lorsque Augé lui déclara qu'elle avait été violée par Hercule. Mais, ne croyant pas ce qu'elle lui disait, il ordonna à un de ses amis, appelé Nauplius, de la noyer dans la mer. Pendant qu'Augé fut conduite à Nauplie, et qu'elle traversait le mont Parthénien, elle fut saisie des douleurs de l'enfantement, et se retira dans le bois voisin, comme pour satisfaire à un besoin naturel. Là elle accoucha d'un enfant mâle, et le laissa caché sons quelques buissons. Augé continua ensuite sa route avec Nauplius, et arriva à Nauplie, port de l'Argolide, où elle fut sauvée d'une manière inattendue. Car Nauplius ne jugea pas à propos de la noyer, suivant les ordres qu'il avait reçus, et la donna à quelques étrangers cariens qui allaient retourner en Asie. Ceux-ci la conduisirent donc en Asie et la vendirent à Teuthras, roi de la Mysie. Cependant l'enfant qu'Augé avait exposé sur le mont Parthénien fut trouvé tétant une biche par quelques bergers du roi Corythus, qui le donnèrent à leur maître. Ce roi accueillit l'enfant avec joie, l'éleva comme son propre fils, et lui donna le nom de Télèphe, de ce qu'il avait été nourri par une biche. Arrivé à l'âge adulte, et désireux de connaître sa mère, Télèphe alla consulter l'oracle de Delphes, qui lui ordonna de se rendre en Mysie, chez le roi Teuthras. Télèphe y rencontra sa mère, apprit qui était son père, et parvint à une très grande célébrité. Teuthras, qui n'avait point d'enfant mâle, lui donna en mariage sa fille Argiope, et déclara Télèphe son successeur à l'empire.

XXXIV. Cinq ans après son établissement à Phénée, Hercule, attristé de la mort d'Oïonus, fils de Licymnius, et de celle de son frère Iphiclus, s'exila volontairement de l'Arcadie et de tout le Péloponnèse. Il se rendit à Calydon, en Etolie, suivi de beaucoup d'Arcadiens, et s'y établit. N'ayant ni enfant ni femme légitimes, il épousa, après la mort de Méléagre, Déjanire, fille d'Oïnée. Nous ne croyons pas hors de propos de raconter ici brièvement l'histoire de Méléagre. Après une moisson abondante, Oïnée fit des sacrifices à tous les dieux, excepté à Diane, qu'il négligea. La déesse, irritée, envoya à Calydon un sanglier d'une taille démesurée. Ce sanglier ravageait les campagnes voisines et détruisait les propriétés. Méléagre, fils d'Oïnée, à la fleur de son âge, et distingué pour sa force et son courage, assembla les plus braves de ses compagnons pour faire la chasse de cet animal. Méléagre l'atteignit le premier de son javelot : on lui décerna, d'un commun accord, le prix de la chasse, la peau du sanglier. Méléagre, amoureux d'Atalante, fille de Schoenée, qui assistait à cette chasse, lui fit présent de cette peau, comme du prix d'honneur. Les enfants de Thestius, qui assistaient aussi à cette chasse, s'indignèrent de ce que Méléagre avait honoré une étrangère de préférence à ses parents. Ils attendirent donc Atalante dans une embuscade, l'attaquèrent pendant son retour en Arcadie, et lui enlevèrent la peau du sanglier. Méléagre, irrité de l'affront qu'on avait fait à celle qu'il aimait, courut à son secours. D'abord il engagea les ravisseurs à rendre à Atalante le prix qu'ils lui avaient arraché. Mais, voyant qu'ils s'y refusaient, il les tua tous, quoiqu'ils fussent frères d'Althéa, sa mère. Althéa, affligée du meurtre de ses frères, dévoua Méléagre à la mort par d'horribles imprécations, et les dieux exaucèrent sa prière. Quelques mythologues prétendent qu'à la naissance de Méléagre, les Parques apparurent en songe à Althéa, et lui dirent que son fils Méléagre ne mourrait que quand le flambeau qu'elles lui donnaient serait consumé ; qu'après ses couches, Althéa, croyant que le salut de son fils dépendait de ce flambeau, le conserva avec soin ; qu'ensuite, irritée du meurtre de ses frères, elle le brûla, et fut ainsi la cause de la mort de Méléagre. Enfin, désespérée de tout ce qui était arrivé, elle s'étrangla.

XXXV. Sur ces entrefaites, Hipponoüs d'Olénum, irrité contre sa fille Péribéa, qui se disait enceinte de Mars, l'envoya en Etolie, chez Oïnée, qu'il chargea de la faire disparaître au plus vite. Mais Oïnée, qui venait de perdre son fils et sa femme, refusa de tuer Péribéa ; il l'épousa, et en eut pour fils Tydée. Telle est l'histoire de Méléagre, d'Altheéa et d'Oïnée.

Pour complaire aux Calydoniens, Hercule détourna le fleuve Achéloüs, dans le lit qu'il avait creusé lui-même ; il fertilisa ainsi une vaste contrée par les eaux de ce fleuve. C'est pourquoi on représente Hercule combattant Achéloüs sous la forme d'un taureau ; dans ce combat il lui cassa une corne, dont il fit présent aux Etoliens ; cette corne, appelée la corne d'Amalthée, était supposée renfermer tous les fruits d'automne, tels que des raisins, des pommes, etc. Or, dans cette allégorie, la corne représente le canal de l'Achéloüs ; les raisins, les pommes et les grenades indiquent la fertilité des environs du fleuve et la multitude des arbres fruitiers qui y croissent. Le nom d'Amalthée, donné à cette corne, signifie l'ardeur et la persévérance du travail qu'exige la culture de la terre.

XXXVI. Hercule aida ensuite les Calydoniens à combattre les Thesprotes. Il prit d'assaut la ville d'Ephyre, et tua de sa propre main Phylée, roi des Thesprotes. Il fit prisonnière la fille de Phylée, approcha d'elle, et en eut un fils appelé Tlépolème. Trois ans après son mariage avec Déjanire, Hercule se trouvait à table chez Oïnée, où il était servi par Eurynomus, fils d'Architélés. Ce jeune homme, à peine sorti de l'enfance, fit une faute en servant. Hercule le frappa du poing, et le tua involontairement par ce coup malencontreux. Affligé de cet accident, il s'exila lui-même de Calydon, avec Déjanire sa femme, et son fils Hyllus, qui était encore enfant. Arrivé aux bords du fleuve Evénus, il rencontra le centaure Nessus, qui, moyennant salaire, transportait les voyageurs d'une rive du fleuve à l'autre. Ce centaure commença d'abord par transporter Déjanire, et, ravi de sa beauté, il entreprit de la violer. Déjanire implora le secours de son mari. Hercule lança un trait contre le centaure, qui, au milieu de l'action et en se mourant de la blessure, dit à Déjanire qu'il voulait lui laisser un philtre ayant la propriété d'empêcher Hercule de ne plus aimer aucune autre femme ; que, pour cet effet, il fallait prendre son sperme, le mêler avec de l'huile et avec le sang qui découlait de la flèche, et en frotter la tunique d'Hercule. Il expira dès qu'il eut donné cette recette à Déjanire. Suivant le précepte de Nessus, elle recueillit dans un vase le philtre, et le garda à l'insu de son mari. Hercule traversa le fleuve et se rendit chez Céyx, roi de Trachinie, et il s'établit dans ce pays avec les Arcadiens qu'il avait toujours à sa suite.

XXXVII. Le bruit s'étant répandu que Phylas, roi des Dryopes, avait profané le temple de Delphes, Hercule entreprit une expédition à la tête des Méliens, tua le roi des Dryopes, chassa le reste de la population, et donna le pays aux Méliens. Il fit prisonnière la fille de Phylas, et, ayant approché d'elle, il en eut un fils appelé Antiochus. Il avait eu aussi deux autres enfants de Déjanire, Glénée et Hoditès, plus jeunes qu'Hyllus. Quant aux Dryopes expulsés, les uns se retirèrent en Eubée, et y fondèrent la ville de Caryste ; les autres abordèrent dans l'île de Cypre, et s'y fixèrent en se mêlant aux indigènes. Le reste des Dryopes se réfugia chez Eurysthée, qui les secourut en haine d'Hercule ; avec l'aide de ce roi, ils bâtirent trois villes dans le Péloponnèse, Asine, Hermione et Eion. Après l'expulsion des Dryopes, la guerre s'alluma entre les Doriens habitant l'Hestiéotide, sujets du roi Egimius, et entre les Lapithes habitant les environs du mont Olympe, et sujets du roi Coronus, fils de Cénée. L'armée des Lapithes étant beaucoup plus nombreuse, les Doriens se réfugièrent auprès d'Hercule. Ils lui offrirent le tiers de la Doride et de leur royaume pour le secours qu'il leur prêterait dans cette guerre. Après avoir réussi dans leur négociation auprès d'Hercule, ils marchèrent contre les Lapithes. Hercule eut avec lui les Arcadiens qui l'accompagnaient dans toutes ses expéditions ; il défit les Lapithes, tua le roi Coronus ; et, ayant laissé un grand nombre d'ennemis sur le champ de bataille, il les obligea de céder aux Doriens le pays contesté. Après cela, Hercule remit à Egimius le tiers du pays, avec l'ordre de le conserver pour ses descendants. Pendant son retour à Trachine, il tua Cycnus, fils de Mars, qui l'avait provoqué au combat. En quittant Itone, il traversa la Pélasgiotide, se joignit au roi Orménius et lui demanda en mariage Astydamie, sa fille. Orménius n'accueillit pas cette demande, sachant qu'Hercule était marié à Déjanire, fille d'Oïnée. En conséquence de ce refus, Hercule lui déclara la guerre ; il prit sa ville, et tua ce roi, qu'il n'avait pu persuader. Maître d'Astydamie, qui était sa captive, il en eut un fils nommé Ctésippus. Après cela, il pénétra dans l'Oechalie et marcha contre les enfants d'Eurytus pour se venger du refus d'Iolé qu'il avait demandée en mariage. Les Arcadiens l'accompagnèrent dans cette expédition ; il prit la ville, et tua Toxée, Motion et Pytius, fils d'Eurytus. Après avoir fait prisonnière Iolé, il se rendit sur un promontoire de l'Eubée, appelé Cénéum.

XXXVIII. Offrant un sacrifice dans cet endroit, Hercule envoya à Trachine un de ses serviteurs, Lichas, pour demander à Déjanire, sa femme, la tunique dont il avait coutume de se revêtir pendant les sacrifices. Déjanire, informée par Lichas que son mari était amoureux d'Iolé, frotta cette tunique du philtre que le centaure Nessus lui avait donné pour se faire toujours aimer d'Hercule. Lichas, ignorant ce secret, apporta le vêtement pour le sacrifice. Hercule revêtit la tunique ointe, et bientôt, la force du poison septique venant à agir, il fut réduit à la dernière extrémité ; car le venin de l'hydre dans lequel la flèche d'Hercule avait été trempée, et dont sa tunique était imbibée, corrompit par la chaleur la chair du corps. En proie à d'horribles souffrances, Hercule tua son serviteur Lichas, licencia ensuite son armée et revint à Trachine. La maladie faisant de rapides progrès, il envoya à Delphes Licymnius et Iolaüs pour consulter Apollon. Déjanire, frappée du malheur d'Hercule, et se voyant coupable, s'étrangla elle-même. L'oracle répondit qu'il fallait porter Hercule avec un appareil guerrier sur le mont Oeta, dresser auprès de lui un immense bûcher, et que Jupiter aurait soin du reste. Iolaüs et ses compagnons exécutèrent cet ordre, et se tinrent à distance, attentifs à ce qui allait arriver. Hercule, désespérant de sa guérison, monta sur le bûcher, et pria chacun d'approcher et d'y mettre le feu. Personne n'osa le faire ; Philoctète seul obéit. En récompense de ce service, Hercule lui donna ses flèches et son arc. Aussitôt la foudre tomba du ciel et embrasa tout le bûcher. Lorsque Iolaüs et sa troupe revinrent chercher les os, ils n'en retrouvèrent aucun ; ils se persuadèrent ainsi qu'Hercule avait été, conformément aux oracles, reçu parmi les dieux.

XXXIX. Ils lui rendirent les honneurs dus aux héros, et ils ne s'en retournèrent à Trachine qu'après avoir élevé un tertre funéraire. Monoetius, fils d'Actor et ami d'Hercule, sacrifia au héros un taureau, un sanglier et un bélier ; il ordonna qu'on offrît tous les ans, à Oponte, ce même sacrifice héroïque en honneur d'Hercule. Les Thébains en firent autant. Cependant les Athéniens ont été les premiers à rendre à Hercule les honneurs divins ; et l'exemple de cette piété fut d'abord suivi par tous les Grecs ; ensuite tous les habitants de la terre honorèrent Hercule comme un dieu. Nous devons ajouter qu'après l'apothéose d'Hercule, Jupiter persuada à Junon d'adopter Hercule pour son fils, et que cette déesse eut toujours pour lui dans la suite l'affection d'une mère. Cette adoption se fit, dit-on, de la manière suivante : Junon monta dans son lit, tenant Hercule attaché à son corps, et, imitant un véritable accouchement, elle le laissa tomber sous ses vêtements. Cette cérémonie est encore aujourd'hui en usage chez les Barbares lorsqu'ils veulent adopter un enfant. Les mythologues racontent qu'après cette adoption, Junon donna à Hercule Hébé pour épouse. Le poète lui-même en parti dans l'évocation des morts : «Ce n'est qu'une ombre ; car lui-même se réjouit aux festins des dieux immortels, et possède Hébé aux jolis pieds». On raconte qu'Hercule, mis par Jupiter au nombre des douze dieux, ne voulut point recevoir cet honneur, parce qu'il aurait fallu auparavant exclure de l'Olympe l'un des douze dieux. Nous nous sommes beaucoup étendu sur Hercule ; mais aussi nous n'avons rien omis de ce que les mythographes ont dit à cet égard.

XL. C'est ici le lieu de parler de l'expédition des Argonautes, à laquelle Hercule avait pris part. Jason était, selon la tradition, fils d'Oeson et neveu de Pélias, roi des Thessaliens. Surpassant par la force de son corps et par l'éclat de son intelligence tous les hommes de son âge, il désirait faire quelque entreprise digne de mémoire. Il savait qu'avant lui Persée et quelques autres s'étaient acquis une gloire immortelle par leurs expéditions lointaines et leurs exploits prodigieux ; il les prit donc pour modèles. Il communiqua son dessein au roi, qui y consentit aussitôt, non pas que Pélias fût désireux de voir ce jeune homme s'acquérir de la gloire, mais parce qu'il espérait le voir périr dans des expéditions périlleuses ; car Pélias n'avait point engendré d'enfant mâle, et il craignait que son frère ne le détrônât avec l'aide de son fils. Cependant il cacha ses soupçons, et, promettant de fournir tous les secours nécessaires à une expédition, il engagea son neveu à se rendre avec une flotte en Colchide, pour y conquérir la fameuse toison d'or. Les bords du Pont-Euxin étaient dans ces temps habités par des nations barbares et entièrement sauvages, qui tuaient tous les étrangers qui abordaient dans ces parages. C'est pourquoi les Grecs lui ont donné le nom d'Axenos. Cependant Jason, avide de gloire, jugeant cette expédition difficile, mais non pas impossible, espéra d'en tirer d'autant plus d'honneur, et se prépara pour l'exécution de son projet.

XLI. Il fit d'abord construire, près du mont Pélion, un navire qui surpassait par sa grandeur et par son appareil tous ceux que l'on avait encore vus ; car on ne naviguait alors que dans des barques ou de légers bateaux. La construction de ce navire frappa d'étonnement tous ceux qui en étaient témoins ; le bruit s'en répandit en Grèce, et inspira à un grand nombre de jeunes gens distingués le désir de prendre part à cette expédition. Jason lança son vaisseau du chantier, l'équipa magnifiquement de toutes les choses nécessaires, et choisit les plus braves de ceux qui désiraient faire partie de l'expédition. Ils étaient au nombre de cinquante-quatre ; les plus fameux étaient Castor, Pollux, Hercule, Télamon, Orphée, Atalante, fille de Schoenée, les fils de Thespius, et enfin Jason, le chef de l'expédition en Colchide. Selon quelques mythographes, le navire s'appela Argo, du nom de celui qui l'avait construit ; Argus s'y embarqua lui-même afin d'être toujours prêt à radouber le vaisseau. D'autres prétendent que ce nom a été donné à ce vaisseau pour indiquer sa grande vitesse : argos signifie vite chez les anciens. Les Argonautes réunis choisirent Hercule pour leur chef, comme le plus digne par sa vaillance.

XLII. Ils partirent ensuite du port d'Iolcos ; ils avaient déjà dépassé le mont Athos et Samothrace lorsqu'une tempête les jeta sur le cap Sigée, dans la Troade. Là ils firent une descente, et trouvèrent, dit-on, sur le bord de la mer une fille qui y était enchaînée pour les motifs suivants : Selon le récit mythologique, Neptune, irrité contre le roi Laomédon, au sujet de la construction des murs de Troie, envoya un monstre marin qui enlevait subitement les habitants de la côte et les laboureurs des campagnes voisines. En outre, une maladie contagieuse désolait la population, et détruisait même les récoltes en sorte que tout le monde fut épouvanté de l'immensité du fléau. Le peuple s'étant assemblé pour chercher un remède à ces maux, le roi envoya consulter Apollon. L'oracle répondit que la cause de ces maux était la colère de Neptune, et qu'elle cesserait dès que les Troïens auraient exposé en pâture au monstre celui de leurs enfants que le sort aurait désigné. Tous les sorts ayant été jetés, on tira celui d'Hésione, fille du roi. Laomédon fut donc obligé de livrer sa fille ; elle venait d'être enchaînée sur le bord de la mer, lorsque Hercule descendit à terre avec les Argonautes. Dès que cette fille lui eut appris son infortune, Hercule brisa les chaînes qui la tenaient attachée, et, entrant dans la ville, il promit au roi de tuer le monstre. Laomédon accueillit cette offre, et promit en récompense ses juments invincibles. Hercule tua le monstre. On laissa à Hésione le choix de suivre son libérateur ou de demeurer auprès de ses parents, dans sa patrie. Hésione, qui préférait son bienfaiteur à ses parents, et qui craignait que ses concitoyens ne l'exposassent de nouveau si le monstre venait à reparaître, aima mieux vivre avec l'étranger. Comblé d'honneurs et de présents, Hercule confia à Laomédon la garde d'Hésione et des juments promises, jusqu'à son retour de la Colchide, et il se rembarqua avec les Argonautes, poursuivant ardemment leur entreprise.

XLIII. Ils furent assaillis d'une violente tempête ; et, comme les principaux désespéraient de leur salut, Orphée, le seul des navigateurs qui fût initié dans les mystères, fit, pour conjurer l'orage, des voeux aux dieux de Samothrace. Aussitôt le vent cessa : deux étoiles tombèrent sur les têtes des Dioscures au grand étonnement de tout le monde, et on se crut à l'abri des dangers par l'intervention d'une providence divine. De là vient la coutume traditionnelle des marins d'invoquer au milieu des tempêtes les dieux de Samothrace, et d'attribuer à la présence des Dioscures l'apparition des astres. Après que la tempête fut calmée, les principaux des Argonautes descendirent dans une contrée de la Thrace, dont Phinée était roi. Là, ils trouvèrent deux jeunes gens enfouis par vengeance, et frappés sans relâche à coups de fouet. Ils étaient fils de Phinée et de Cléopâtre, qu'on disait être fille de Borée et d'Orithyia, fille d'Erechthée. L'audace et les calomnies d'une marâtre les avaient fait traiter indignement par leur père ; car Phinée avait épousé Idéa, fille de Dardanus, roi des Scythes, et il lui accordait tout par amour pour elle. Elle prétendait que, pour faire plaisir à leur père, ils avaient voulu l'insulter. Dès qu'Hercule et ses compagnons eurent paru si inopinément, ces jeunes gens les implorèrent comme des dieux, et, après leur avoir appris les motifs de l'indigne traitement subi de la part de leur père, ils les prièrent de les délivrer de leur infortune.

XLIV. Phinée accourut au-devant de ces étrangers, et leur ordonna avec aigreur de ne point se mêler de ses affaires, en ajoutant qu'aucun père ne tirait vengeance de ses fils, à moins que la grandeur de leurs forfaits n'eût étouffé l'affection naturelle que les parents ont pour leurs enfants. Cependant les Boréades, frères de Cléopâtre et compagnons d'Hercule, marchèrent les premiers pour secourir ces jeunes gens, auxquels ils tenaient par les liens de la parenté. Ils brisèrent d'abord les chaînes dont ces jeunes gens étaient liés, et tuèrent tous les Barbares qui avaient voulu s'opposer à cette délivrance. Phinée marcha contre les Argonautes en ordre de bataille, et une multitude de Thraces se joignirent à lui ; mais Hercule, qui les surpassait tous en bravoure, tua Phinée et un grand nombre de ses compagnons. Enfin il s'empara du palais du roi, il fit sortir Cléopâtre de prison, et rendit aux Phinéides le royaume de leur père. Comme ils voulaient infliger à leur marâtre une mort honteuse, Hercule leur conseilla de n'en rien faire, de la renvoyer en Scythie, auprès de son père, et d'engager ce dernier à les venger des injures qu'ils avaient reçues d'elle. Ce conseil fut suivi : le Scythe condamna sa fille à mourir, et les fils de Cléopâtre s'acquirent chez les Thraces la réputation d'hommes équitables. Je n'ignore pas que quelques mythographes prétendent que Phinée avait fait crever les yeux à ses enfants, et qu'il reçut de Borée un traitement semblable. Quelques autres disent aussi qu'Hercule, descendu à terre pour chercher de l'eau, avait été laissé sur la côte de l'Asie par les Argonautes ; en un mot, les anciens mythes sont loin d'être d'accord entre eux. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si quelques-uns des faits que nous rapportons ne s'accordent pas avec le récit de tous les poëtes et historiens. Quoi qu'il en soit, selon la tradition, les Phinéides partirent avec les Argonautes, après avoir confié le royaume à Cléopâtre leur mère. En quittant la Thrace, les Argonautes firent voile pour le Pont, et abordèrent dans la Tauride, ignorant la férocité des indigènes. C'était une coutume établie chez les Barbares habitant cette contrée de sacrifier à Diane Taurique tous les étrangers qui abordaient ces parages. C'est là que, dans la suite, Iphigénie, établie prêtresse de cette déesse, lui sacrifiait tous les captifs.

XLV. Il est nécessaire de rapporter ici succinctement la raison de cette coutume meurtrière ; d'autant plus que cette digression vient à propos de l'histoire des Argonautes.

Hélius eut deux fils, Aeétès et Persès, tous deux fameux pour leur cruauté. Aeétès fut roi de la Colchide ; Persès, roi de la Tauride. Persès eut une fille appelée Hécate, encore plus cruelle et plus méchante que son père. Elle aimait beaucoup la chasse, et, à défaut de gibier, elle perçait les hommes à coups de flèches comme des bêtes féroces. Devenue habile dans la composition des poisons mortels, elle découvrit ce qu'on appelle l'aconit. Elle expérimentait la puissance de chaque poison en le mélangeant aux aliments qu'elle donnait aux étrangers. Possédant ainsi une grande expérience dans ces choses, elle empoisonna d'abord son père, et s'empara du royaume. Ensuite elle fit élever un temple à Diane, et, ordonnant de sacrifier à cette déesse tous les étrangers qui y aborderaient, elle devint célèbre pour ses cruautés. Aeétès, qui l'épousa, eu eut deux filles, Circé et Médée, et un fils appelée Aegialée. Circé, livrée à l'étude des poisons de toutes sortes, découvrit diverses espèces de racines et leurs propriétés incroyables. Elle avait appris beaucoup de secrets d'Hécate, sa mère ; mais elle en découvrit bien plus encore par sa propre sagacité, de telle sorte qu'elle ne le cédait à personne dans l'art de préparer les poisons. Elle fut donnée en mariage au roi des Sarmates, que quelques-uns appellent Scythes. Elle empoisonna d'abord son mari, se saisit ensuite de la couronne, et traita ses sujets avec cruauté et violence. Aussi fut-elle chassée du royaume, et, au rapport de quelques mythologues, elle se réfugia du côté de l'Océan, où elle s'établit dans une île déserte avec les femmes qui l'avaient accompagnée dans sa fuite ; selon d'autres historiens, elle quitta le Pont, et vint habiter un promontoire de l'Italie, qui porte encore aujourd'hui le nom de Circéum.

XLVI. Médée apprit de sa mère et de sa soeur toutes les propriétés des poisons ; mais elle mena une conduite tout opposée. Elle s'occupait toute sa vie à sauver les étrangers qui abordaient dans le pays : tantôt elle implorait de son père la grâce de ceux qu'il allait faire mourir, tantôt elle faisait sortir de prison ces infortunés, et pourvoyait à leur sûreté ; car Aeétès, entraîné tant par son instinct féroce que par les conseils de sa femme, avait adopté la coutume de tuer les étrangers. Comme Médée continuait à résister aux volontés de ses parents, Aeétès soupçonna sa fille de lui dresser des embûches, et la fit garder à vue. Cependant Médée parvint à s'échapper, et se réfugia dans le temple d'Hélius (Soleil), situé sur les bords de la mer. Ce fut dans ce moment que les Argonautes, partis de la Tauride, abordèrent, la nuit, dans la Colchide, tout près du temple d'Hélius. Là, ils rencontrèrent Médée errante, et apprirent d'elle la coutume de faire mourir les étrangers. Charmés de la douceur de cette fille, les Argonautes lui découvrirent leurs desseins. Alors elle leur raconta les dangers qu'elle avait courus de la part de son père, pour s'être montrée bienveillante envers les étrangers. Confondant ses intérêts avec ceux des Argonautes, elle promit de les aider jusqu'au bout de leur entreprise. Jason, de son côté, jura qu'il l'épouserait, et qu'il passerait avec elle toute sa vie. Après avoir confié à quelques-uns des leurs la garde du vaisseau, les Argonautes partirent de nuit avec Médée, pour enlever la toison d'or. Mais il est à propos d'exposer ici en détail l'origine de cette toison, afin de ne rien omettre de ce qui concerne cette histoire.

XLVII. Suivant le rapport des mythologues, Phrixus, fils d'Athamas, fut obligé de fuir de la Grèce avec sa soeur Hellé, pour échapper aux embûches de leur belle-mère. Guidés par une providence des dieux, ils passèrent d'Europe en Asie, sur un bélier à toison d'or. Hellé tomba dans la mer, qui depuis lors s'appelle l'Ilellespont. Phrixus traversa heureusement le Pont, et aborda dans la Colchide. Là il sacrifia son bélier, pour obéir à un oracle, et en déposa la toison dans le temple de Mars. Après cet événement, un oracle prédit qu'Aeétès, roi de la Colchide, terminerait sa vie lorsque des étrangers, arrivés par mer, lui enlèveraient la toison d'or. C'est pourquoi, et en raison de sa cruauté naturelle, le roi ordonna d'immoler tous les étrangers, afin que, la renommée publiant partout cette coutume féroce de la Colchide, personne n'osât y aborder. Il fit aussi environner d'un mur le temple de Mars, et le confia à la garde d'un grand nombre de Tauriens. C'est ce qui a donné lieu aux mythes merveilleux des Grecs, d'après lesquels ce temple était entouré de taureaux soufflant des flammes, et un dragon gardait la toison d'or. Les Tauriens sont ainsi transformés en taureaux, et la coutume barbare de tuer les étrangers, en flammes lancées des narines de ces taureaux. Enfin, les poètes ont changé le gardien, qui se nommait Dragon, en un animal monstrueux qui porte le même nom. On a travesti de même l'histoire de Phrixus : Phrixus s'embarqua sur un navire dont la proue portait la tête d'un bélier, et Hellé, atteinte du mal de mer, s'avança sur le bord du navire, s'inclina et tomba dans les flots. Selon quelques-uns, le roi des Scythes, gendre d'Aeétès, voyageait en Colchide au moment où Phrixus venait d'y être saisi avec son précepteur ; épris d'amour pour ce jeune homme, ce roi le demanda à Aeétès, qui le lui céda ; et, le chérissant comme son propre fils, il lui laissa son royaume ; mais le précepteur, qui s'appelait Krios, fut immolé, et, ayant été écorché, sa peau fut suspendue dans un temple, conformément à l'usage. Aeétès apprit ensuite par un oracle qu'il mourrait dès que la peau de Krios serait enlevée par des navigateurs étrangers ; le roi fit dorer cette peau, afin qu'elle fût plus soigneusement gardée par des soldats qu'il y avait établis. Le lecteur est libre d'adopter l'opinion qui lui plaira le plus

XLVIII. Suivant l'histoire, Médée conduisit les Argonautes dans le temple de Mars, éloigné de soixante-dix stades de la ville de Sibaris, où était le palais du roi des Colchidiens. Arrivée aux portes du temple, qui étaient fermées pendant la nuit, elle parla aux gardiens en langue taurique. Pour obéir à la fille du roi, ils ouvrirent volontiers les portes. Aussitôt les Argonautes pénétrèrent l'épée à la main, et tuèrent un grand nombre de Barbares ; les autres, épouvantés, s'enfuirent du temple. Les Argonautes prirent ensuite la toison, et l'emportèrent à la hâte dans leur navire. De son côté, Médée empoisonna le dragon qui veillait sans cesse dans le temple et qui entourait la toison d'or par les replis de son corps. Elle descendit ensuite avec Jason sur les bords de la mer. Les Tauriens qui s'étaient sauvés par la fuite annoncèrent au roi ce qui s'était passé. On dit qu'Aeétès se mit à la tête de ses soldats, et poursuivit les Grecs, qu'il rencontra prés de la mer. Il engagea aussitôt le combat et tua un des Argonautes, Iphitus, frère de cet Eurysthée qui avais ordonné les travaux d'Hercule. Mais, enveloppée de toutes parts et pressée vivement, la troupe tomba sous les coups de Méléagre ; le roi lui-même périt, et les Grecs, ranimés, mirent en fuite les Colchidiens et en massacrèrent le plus grand nombre. Jason, Laërte, Atalante et les Thespiades furent blessés : mais on dit que Médée les guérit en peu de jours, au moyen de quelques herbes.

Après avoir approvisionné leur navire, les Argonautes prirent le large. Ils étaient déjà au milieu du Pont-Euxin, lorsqu'ils furent assaillis d'une tempête qui leur fit courir le plus grand danger. Orphée fit, comme auparavant, des voeux aux dieux de Samothrace, et les vents s'apaisèrent. On vit apparaître à côté du navire Glaucus, le dieu marin. Celui-ci accompagna le navire sans relâche pendant deux jours et deux nuits. Il prédit à Hercule ses travaux et l'immortalité. Il prédit aussi aux Tyndarides qu'ils recevraient le nom de Dioscures, et que tous les hommes leur décerneraient des honneurs divins. Enfin il appela tous les Argonautes par leur nom ; il leur dit que c'était par les voeux d'Orphée et par l'ordre des dieux qu'il leur apparaissait, pour leur découvrir l'avenir. Il leur conseilla, dès qu'ils auraient touché terre, de s'acquitter des voeux qu'ils avaient faits aux dieux auxquels ils devaient deux fois leur salut.

XLIX. Glaucus replongea ensuite dans la mer. Arrivés au détroit de la mer du Pont, les Argonautes mirent pied à terre dans un pays dont Byzas était alors roi, et qui a laissé son nom à la ville de Byzance. Là, les Argonautes élevèrent des autels, accomplirent leurs voeux, et consacrèrent aux dieux un terrain qui est encore aujourd'hui vénéré par les navigateurs. Ils abordèrent ensuite dans la Troade, après avoir traversé la Propontide et l'Hellespont. Hercule envoya dans la ville Iphiclus, son frère, et Télamon, pour demander Hésione et les chevaux. Mais Laomédon fit, dit-on, mettre les envoyés en prison, et dressa des pièges à tous les autres Argonautes, pour les faire périr. Tous ses enfants concoururent à ce dessein. Priam seul était d'un avis opposé : il voulait qu'on gardât l'hospitalité envers ces étrangers, et qu'on leur livrât sa soeur et les juments promises. Mais comme personne ne l'écoutait, il apporta dans la prison deux épées, et les donna en secret à Télamon et à son compagnon. Il leur découvrit l'intention de son père, et devint la cause de leur salut ; car, après avoir tué les gardiens qui voulaient leur résister, Télamon et son compagnon s'enfuirent vers la mer, et ils apprirent aux Argonautes ce qui leur était arrivé. Ceux-ci se tinrent prêts au combat, et allèrent à la rencontre d'une troupe qui était sortie de la ville sous la conduite du roi. Le combat fut sanglant. Les Argonautes se signalèrent par leur bravoure. Mais Hercule les surpassa tous par sa valeur. Il tua Laomédon, prit la ville d'assaut et châtia tous ceux qui avaient trempé dans le complot du roi. Il donna le royaume à Priam, pour prix de sa justice. Il fit avec lui une alliance, et se remit en mer avec les autres Argonautes. Cependant quelques anciens poètes prétendent que ce fut sans les Argonautes qu'Hercule avait entrepris cette expédition avec six navires, pour demander les juments promises, et qu'il se rendit maître de Troie. Homère appuie par son témoignage cette opinion dans les vers où il dit : «Tel était Hercule, mon père, ce héros vaillant et intrépide, lorsque, réclamant les chevaux de Laomédon, il aborda ces rivages avec six vaisseaux seulement, et un petit nombre de guerriers, et qu'il saccagea la ville d'Ilion et en rendit les rues veuves d'habitants». Les Argonautes se rendirent de la Troade dans l'île de Samothrace. Là, ils accomplirent de nouveau les voeux qu'ils avaient faits aux grands dieux, et ils déposèrent dans le temple les coupes qui s'y conservent encore à présent.

L. On ignorait le retour des Argonautes, lorsque le bruit se répandit en Thessalie que Jason et tous ses compagnons avaient péri dans les contrées du Pont. Pélias jugea alors le moment favorable de se défaire de tous ceux qui pouvaient aspirer à l'empire. Il força donc le père de Jason de boire du sang de taureau, et égorgea Promachus, frère de Jason, encore enfant. Amphinome, mère de Promachus, se voyant également condamnée à mourir, accomplit une action courageuse et digne de mémoire : réfugiée auprès du foyer du roi, et priant les dieux de punir ces impiétés, elle se perça la poitrine avec une épée, et termina sa vie d'une manière héroïque. Pélias, qui avait fait ainsi mourir toute la famille de Jason, reçut bientôt le châtiment de ses crimes. Jason aborda la nuit en Thessalie, et débarqua dans un port non loin d'Iolcos, sans être aperçu de la ville. Là, il apprit par un habitant de la campagne tous les malheurs des siens. Tous les Argonautes étaient prêts à secourir Jason, et à partager avec lui tous les périls. Mais il s'éleva une dispute entre eux. Les uns conseillaient de pénétrer aussitôt de force dans la ville, et d'attaquer le roi à l'improviste ; les autres étaient d'avis que chacun d'eux levât des soldats dans son pays, et qu'on déclarât ensuite une guerre générale, alléguant que c'était une chose impossible à cinquante-trois hommes de vaincre un roi qui avait à sa disposition une puissante armée et des villes considérables.

Pendant qu'ils hésitaient ainsi sur le parti à prendre, Médée s'offrit elle-même pour faire mourir le roi clandestinement, et leur livrer le palais sans coup férir. Etonnés de cette offre, ils voulurent tous connaître le plan de Médée : elle leur dit qu'elle portait avec elle beaucoup de poisons de propriétés étranges, inventés par Hécate, sa mère, et par Circé, sa soeur ; qu'elle ne s'en était jamais jusque-là servie pour faire mourir des hommes, mais qu'il lui était maintenant facile de les employer pour châtier des coupables. Elle détailla ensuite aux Argonautes le plan de son entreprise, et convint d'un signal qu'elle donnerait du haut du palais, de manière à être aperçue par une sentinelle placée sur un point élevé aux bords de la mer. Ce signal était de la fumée pendant le jour, et du feu pendant la nuit.

LI. Médée construisit donc une image creuse de Diane, dans laquelle elle cacha toutes sortes de poisons. Après s'être oint les cheveux avec quelques matières fortes, pour les blanchir, elle se rendit, le visage et le corps si ridés, que ceux qui la voyaient la prenaient pour une toute vieille femme. Enfin elle entra dans la ville dès la pointe du jour, portant avec elle l'image de cette déesse, qu'elle avait construite de manière à inspirer à la foule une terreur superstitieuse. Saisie d'une inspiration divine, elle ordonna au peuple, accouru en foule dans les rues, de recevoir pieusement la déesse arrivant des contrées hyperboréennes pour le salut de toute la ville et pour celui du roi. Pendant que la multitude, saisie d'une fureur fanatique, adorait la déesse et lui faisait des sacrifices, Médée s'introduisit dans le palais. Dominés par une crainte superstitieuse, Pélias et ses filles crurent effectivement que la déesse était arrivée pour faire le bonheur de la maison du roi. Médée leur annonça que Diane, voyageant dans les airs sur un char attelé de dragons, avait traversé une grande partie de la terre, et qu'elle avait choisi ce pays pour y établir son culte, auprès du plus pieux des rois. Elle ajouta qu'elle avait reçu ordre d'ôter la vieillesse à Pélias, au moyen de quelques remèdes puissants ; de rajeunir son corps, et de lui procurer une vie heureuse et agréable à la divinité. Le roi fut frappé de ce discours étrange ; Médée annonça qu'elle en allait faire sur-le-champ l'expérience sur elle-même, et ordonna à une des filles de Pélias de lui apporter de l'eau pure. Cet ordre exécuté, Médée s'enferma, dit-on, dans une chambre. Là, s'étant lavé tout le corps, elle enleva les substances dont elle s'était frottée. Après avoir ainsi recouvré son état habituel, elle se montra au roi, et frappa d'étonnement les spectateurs ; elle semblait, par une intervention divine, avoir transformé sa vieillesse en la beauté de la jeunesse. Ensuite, au moyen de quelques substances médicamenteuses, elle fit paraître des figures de dragons qui avaient transporté, disait-elle, la déesse des pays hyperboréens chez Pélias. Ces choses paraissant surnaturelles, Pélias rendit à Médée de grands honneurs, et ajouta foi à tous ses discours. On dit même qu'il recommanda à chacune de ses filles d'aider Médée, et de faire tout ce qu'elle ordonnerait ; parce qu'il était juste que le roi reçût les bienfaits des dieux par le ministère de ses filles, plutôt que par les mains de ses esclaves. Sur cette recommandation expresse, les filles de Pélias se tinrent prêtes à exécuter les ordres de Médée.

LII. A la nuit tombante, Pélias fut atteint d'un profond sommeil. Médée ordonna alors de faire bouillir le corps de Pélias dans une chaudière. Quoique les filles se disposassent déjà à exécuter cet ordre, Médée voulut néanmoins les confirmer dans leur crédulité par une seconde expérience. On entretenait dans la maison un vieux bélier ; elle leur dit qu'après qu'il aurait été bouilli, il redeviendrait un agneau. Ces filles y ayant consenti, Médée coupa, dit-on, le bélier en morceaux et le fit bouillir. Leur ayant ensuite fasciné la vue au moyen de certaines substances, elle retira de la chaudière la figure d'un agneau. Ce prodige les remplit de stupeur, et elles s'empressèrent d'obéir aux ordres de Médée. Elles prirent donc Pélias, et toutes le firent mourir sous leurs coups. La seule Alceste, par excès de tendresse filiale, ne toucha point à son père. Cependant Médée différa de couper en morceaux et de faire bouillir le corps, sous prétexte qu'il fallait auparavant invoquer la lune. Puis elle fit monter les filles de Pélias avec des flambeaux sur le sommet du toit du palais, et elle se mit à réciter en langue colchique une longue invocation, pour donner aux Argonautes le temps de préparer l'attaque. Avertis par la sentinelle, et certains de la mort du roi, les Argonautes coururent vers la ville. Ils franchirent la muraille, pénétrèrent dans le palais l'épée à la main, et tuèrent les gardiens qui voulaient leur résister. Les filles de Pélias venaient de descendre du toit pour faire bouillir le corps de leur père, lorsqu'elles aperçurent dans le palais Jason et les Argonautes. Elles éclatèrent en lamentations ; impuissantes à se venger de Médée, à réparer le crime odieux que sa tromperie leur avait fait commettre, elles allaient s'ôter la vie, lorsque Jason, saisi de compassion, les en empêcha, et les consola en leur disant qu'elles ne devaient point s'imputer un crime que la fraude leur avait fait commettre involontairement.

LIII. Enfin Jason assembla ses parents pour se justifier de tout ce qui était arrivé, et il déclara, en présence du peuple, que le châtiment qu'il avait infligé à ceux qui lui avaient fait tort était encore moindre que l'offense. Il donna à Acaste, fils de Pélias, le royaume de son père ; il jugea convenable d'avoir soin des filles du roi, et, pour exécuter la promesse qu'il leur avait faite, il les maria toutes, quelque temps après, aux hommes les plus illustres. Alceste, l'aînée, fut donnée en mariage à Admète, Thessalien, fils de Phérès ; Amphinome à Andrémon, frère de Léontée, et Evadné à Canès, fils de Céphale, et alors roi des Phocéens. Mais cela ne se fit que plus tard. Pour lors, il fit voile avec les Argonautes vers le Péloponnèse. Arrivé à l'isthme de Corinthe, il offrit des sacrifices à Neptune, et il lui consacra le navire Argo. S'étant attiré l'estime de Créon, roi des Corinthiens, il obtint le droit de cité, et demeura le reste de sa vie à Corinthe.

Au moment où les Argonautes allaient retourner dans leur pays, Hercule leur proposa de s'engager tous par serment à se secourir mutuellement dans l'adversité. Il leur persuada de choisir le plus célèbre endroit de la Grèce pour y établir des jeux, et pour y instituer une assemblée solennelle, et de consacrer ces jeux au plus grand des dieux, à Jupiter Olympien. Les Argonautes se jurèrent l'alliance proposée, et chargèrent Hercule de l'institution des jeux ; Hercule choisit pour lieu de l'assemblée le pays des Eliens, près du fleuve Alphée, et, consacrant cette contrée riveraine au plus grand des dieux, il l'appela Olympie. Hercule institua des jeux hippiques et gymniques, régla tout ce qui les concernait, et envoya des Théores dans les villes, pour inviter les habitants au spectacle des jeux. La réputation qu'il s'était acquise dans l'expédition des Argonautes fut augmentée par l'institution des jeux olympiques ; il devint donc le plus célèbre de tous les Grecs. Son nom se répandit même dans la plupart des villes ; beaucoup d'habitants recherchèrent son amitié et offrirent avec empressement leur alliance. Admiré pour son courage et son expérience militaire, il leva promptement une puissante armée, et parcourut toute la terre pour faire du bien aux hommes, qui, par reconnaissance, lui décernèrent d'un commun accord l'immortalité. Les poètes, habitués à raconter des merveilles, prétendent qu'Hercule avait exécuté seul et sans armes ses travaux tant célèbres.

LIV. Mais nous avons déjà rapporté tout ce que les mythologues disent d'Hercule. Il nous reste maintenant à terminer l'histoire de Jason.

Jason demeura à Corinthe et vécut dix ans avec Médée dont il eut trois enfants. Les deux aînés étaient jumeaux et s'appelaient Thessalus et Alcimène. Le troisième, beaucoup plus jeune, se nommait Tisandre. Pendant cet espace de temps, Médée fut toujours aimée de son mari, car elle était belle, sage, et ornée d'autres vertus. Mais comme les années firent disparaître la beauté de Médée, Jason devint amoureux de Glaucé, fille de Créon, et la demanda en mariage. Créon avant consenti à ce mariage, et ayant fixé le jour des noces, Jason proposa d'abord à sa femme une séparation volontaire. Il ajouta qu'il voulait épouser Glaucé, non pour répudier Médée, mais pour allier ses enfants avec la famille du roi. Indignée de cette proposition, Médée prit les dieux à témoin des serments que son mari lui avait faits. Mais Jason, méprisant la colère de Médée, épousa la fille de Créon. Médée fut bannie de la ville, et Créon ne lui accorda qu'un seul jour pour préparer son départ. Cependant Médée, s'étant changé la figure par des drogues, entra la nuit dans le palais et y mit le feu avec une petite racine qui avait été trouvée par Circé, sa soeur, et qui avait la propriété de ne s'éteindre que difficilement lorsqu'elle était allumée. Aussitôt le palais fut en flammes ; Jason s'échappa promptement ; mais Glaucé et Créon furent consumés par le feu. Suivant quelques historiens, les fils de Médée portèrent à la nouvelle mariée des présents frottés de drogues ; Glaucé, après les avoir reçus et mis sur elle, subit son destin ; son père, venant à son secours et ayant touché le corps de sa fille, mourut également. Après avoir ainsi réussi dans ses tentatives, Médée ne renonça pas à se venger de Jason. Elle était parvenue à un tel degré de colère, de jalousie et de cruauté, qu'elle lui fit sentir qu'il n'avait échappé au danger où avait péri sa jeune épouse que pour souffrir le supplice le plus cruel dans la mort de leurs enfants communs. En effet, elle les égorgea tous, à l'exception d'un seul qui s'enfuit, et elle enterra leurs corps dans le temple de Junon. Enfin, s'enfuyant de Corinthe, au milieu de la nuit, avec ses plus fidèles esclaves, elle se réfugia à Thèbes, auprès d'Hercule. Celui-ci, garant du pacte conclu en Colchide, avait promis de la protéger si Jason lui manquait de foi.

LV. Cependant Jason, privé de sa femme et de ses enfants, semblait justement expier ses torts. Accablé de la grandeur de son infortune, il s'ôta lui-même la vie. Les Corinthiens furent consternés de tout ce qui venait d'arriver, mais ils furent surtout très embarrassés au sujet de la sépulture des enfants de Jason. Ils envoyèrent donc des députés à Pytho, pour demander à l'oracle ce qu'il fallait faire des corps de ces enfants. La pythie ordonna de les enterrer dans le temple de Junon, et de leur rendre les honneurs héroïques. Les Corinthiens exécutèrent les ordres de l'oracle. Sur ces entrefaites, Thessalus, qui avait échappé à sa mère, fut élevé à Corinthe, et se rendit ensuite à Iolcos, patrie de Jason. Là, apprenant la mort d'Acaste, fils de Pélias, il prit le royaume qui lui appartenait par droit de naissance. Ses sujets furent, d'après lui, appelés Thessaliens. Je n'ignore pas toutefois qu'on raconte d'autres événements très différents pour expliquer le nom de Thessaliens ; nous en parlerons en temps convenable.

Arrivée à Thèbes, Médée trouva Hercule en proie à une manie furieuse, et le guérit par ses remèdes. Comme Eurysthée le pressait alors d'exécuter ses ordres, Médée, renonçant pour le moment à tirer de lui des secours, se réfugia à Athènes, chez Egée, fils de Pandion. Ce fut là qu'Egée l'épousa, et en eut un fils appelé Médus, qui fut plus tard roi des Mèdes. Selon quelques historiens, Médée fut traduite devant la justice par Hippotus, fils de Créon, et déclarée innocente. Mais lorsque Thésée fut revenu de Trézène à Athènes, Médée fut accusée comme empoisonneuse, et s'enfuit de cette ville ; Egée lui donna des guides chargés de l'accompagner partout où elle voudrait aller, et elle se retira en Phénicie. De là elle se rendit dans les contrées de l'Asie Supérieure, y épousa un des plus célèbres rois, et en eut un fils appelé Médus, qui, distingué par son courage, hérita de la royauté après la mort de son père, et donna à ses sujets le nom de Mèdes

LVI. En général, les poètes tragiques ont beaucoup orné de leurs fictions l'histoire de Médée. Quelques-uns, pour flatter les Athéniens, racontent que Médée, emmenant avec elle Médus, fils d'Egée, se réfugia chez les Colchidiens ; que dans ce même temps, Aeétès avait été chassé du royaume par son frère Persès, et que Médus, fils de Médée, tua Persès et rétablit Aeétès sur son trône ; que Médus, devenu ensuite chef d'une armée, parcourut une grande partie de l'Asie située au-dessus du Pont, et vint occuper la contrée à laquelle il donna le nom de Médie. Mais il serait trop long et inutile de consigner ici tout ce que les mythologues ont dit de Médée. Nous allons ajouter ce qui nous reste de l'histoire des Argonautes.

Beaucoup d'historiens, tant anciens que modernes (de ce nombre est Timée), prétendent que les Argonautes, après avoir enlevé la toison d'or, apprirent qu'Aeétès tenait l'entrée du Pont fermée par ses navires, et que cette circonstance fournit aux Argonautes l'occasion de faire une action étrange et mémorable : ils remontèrent jusqu'aux sources du Tanaïs, tirèrent leur navire à terre, le traînèrent jusqu'à un autre fleuve qui se jette dans l'Océan, et arrivèrent ainsi dans la mer ; ayant la terre à gauche, ils continuèrent leur navigation du nord au couchant, et, arrivés près du détroit de Gadès, ils entrèrent dans la Méditerranée. Pour prouver ce fait, ces historiens ajoutent que les Celtes qui habitent les bords de l'Océan vénèrent surtout les Dioscures ; et que, selon la tradition de ces mêmes habitants, ces dieux arrivèrent anciennement par l'Océan ; qu'il y a encore, sur le littoral de l'Océan, plusieurs endroits qui portent le nom des Argonautes et des Dioscures, et qu'on voit également, dans le pays en dedans du détroit de Gadès, des marques évidentes de leur passage. Les Argonautes, ajoutent-ils, côtoyant la Tyrrhénie, abordèrent dans l'île appelée Ethalie, où se trouve le plus beau port de ces parages ; ce port se nomme Argos, du nom de leur vaisseau, et il a conservé ce nom jusqu'à ce jour. Pareillement ils ont donné le nom de Télamon à un port de la Tyrrhénie, éloigné de huit cents stades de Rome ; et enfin, à Formies en Italie, il a le port d'Aeétès, qui s'appelle aujourd'hui Caiète. De plus, les vents les ayant rejetés dans les Syrtes, les Argonautes apprirent de Triton, alors roi de l'Afrique, la nature particulière de cette mer ; et après avoir échappé au péril, ils lui firent présent d'un trépied d'airain. Ce trépied portait une inscription gravée en caractères anciens ; les Evespérides l'ont gardé jusque dans ces derniers temps. Il ne faut pas omettre de réfuter ici l'opinion suivant laquelle les Argonautes auraient remonté l'Ister jusqu'à ses sources, et seraient entrés par une branche opposée de ce fleuve dans le golfe Adriatique. Le temps a convaincu d'erreur ceux qui ont cru que l'Ister, se jetant par plusieurs bouches dans le Pont-Euxin, et l'Ister se jetant dans la mer Adriatique, ont leurs sources dans le même endroit. En effet, lorsque les Romains eurent soumis les Istriens, on a trouvé que les sources de ce dernier fleuve ne sont qu'à quarante stades de la mer. L'homonymie de ces deux fleuves a été la cause de l'erreur des historiens.

LVII. Nous nous sommes suffisamment étendu sur l'histoire des Argonautes et les travaux d'Hercule. Notre plan exige que nous décrivions maintenant les exploits des enfants d'Hercule.

Après l'apothéose d'Hercule, ses enfants demeurèrent à Trachine, chez le roi Céyx. Cependant Hyllus et quelques autres ayant atteint l'adolescence, Eurysthée craignit qu'il ne fût plus tard chassé par eux du royaume de Mycènes, et il résolut d'exiler de toute la Grèce les enfants d'Hercule. Il pria donc le roi Céyx d'expulser de son royaume les Héraclides, les enfants de Licymnius, Iolaüs et tous les Arcadiens, compagnons d'armes d'Hercule ; et il le prévint qu'en cas de refus il lui déclarerait la guerre. Les Héraclides et leurs compagnons, ne se voyant pas en état de faire la guerre à Eurysthée, s'exilèrent volontairement de Trachine. Ils visitèrent ensuite les villes les plus considérables, demandant à y être accueillis comme habitants. Mais aucune d'elles n'osa les recevoir ; les Athéniens seuls, guidés par leur équité naturelle, accueillirent les Héraclides. Ils leur assignèrent pour demeure, à eux et à leurs compagnons d'exil, Tricorynthe, un endroit de la Tétrapole. Quelque temps après, lorsque tous les enfants d'Hercule étaient devenus adultes et se glorifiaient des exploits de leur père, Eurysthée, voyant avec jalousie croître leur puissance, conduisit contre eux une nombreuse armée. Mais les Héraclides, secourus par les Athéniens et commandés par Iolaüs, neveu d'Hercule, par Thésée et par Hyllus, défirent Eurysthée en bataille rangée, et tuèrent le plus grand nombre de ses soldats. Eurysthée lui-même, ayant rompu son char pendant la fuite, fut tué par Hyllus, fils d'Hercule, et tous ses enfants périrent dans ce combat.

LVIII. Après cette défaite éclatante d'Eurysthée, les Héraclides, voyant par ce succès accroître le nombre de leurs alliés, entrèrent dans le Péloponnèse, sous la conduite d'Hyllus. Depuis la mort d'Eurysthée, Atrée occupait le royaume de Mycènes. Ayant pour alliés les Tégéates et quelques autres, Atrée marcha contre les Héraclides. Les deux armées se trouvèrent en présence dans l'isthme de Corinthe. Hyllus, fils d'Hercule, provoqua à un combat singulier un de ses ennemis, quel qu'il fût, à cette condition que, s'il était vainqueur, les Héraclides recevraient le royaume d'Eurysthée; et que, s'il était vaincu, les Héraclides ne descendraient pas dans le Péloponnèse avant cinquante ans. Echénrus, roi des Tégéates, accepta le défi, et tua Hyllus dans ce combat singulier. Suivant les clauses du traité, les Héraclides donc renoncèrent à leur expédition, et retournèrent à Tricorynthe. Quelque temps après, Licymnius vint avec ses enfants, et avec Tlépolème, fils d'Hercule, s'établir à Argos, où les Argiens les avaient reçus volontairement. Mais tous les autres restèrent à Tricorynthe, pour ne rentrer dans le Péloponnèse qu'après le terme de cinquante ans. Nous rapporterons leurs exploits en temps convenable. Alcmène arriva à Thèbes, et comme elle disparut subitement, les Thébains lui rendirent les honneurs divins. Le reste des Héraclides se rendit, selon la tradition, chez Egimius, fils de Dorus, pour redemander la portion de pays que leur père lui avait laissée en dépôt ; et ils s'y établirent avec les Doriens. Pendant son séjour à Argos, Tlépolème, fils d'Hercule, eut une querelle avec Licymnius, fils d'Electryon, et le tua. Obligé de fuir d'Argos à cause de ce meurtre, il vint demeurer à Rhodes. Cette île était alors occupée par les Hellènes qui y avaient été conduits par Triops, fils de Phorbas. De concert avec les habitants, Tlépolème divisa cette île en trois parties, et y construisit trois villes, Linde, Iélyse et Camire. En raison de la gloire d'Hercule, son père, Tlépolème légua sur tous les Rhodiens, et il accompagna plus tard Agamemnon à la prise de Troie.

LIX. Après nous être arrêté sur Hercule et ses descendants, il est juste de parler de Thésée, qui a été si jaloux d'imiter les travaux d'Hercule.

Thésée était fils de Neptune et d'Ethra, fille de Pitthé. Il avait été élevé à Trézène chez Pitthé, son aïeul maternel ; et après avoir trouvé les signes de reconnaissance qu'Egée avait, selon le récit mythologique, cachés sous une pierre il partit pour Athènes. Pendant qu'il cheminait le long du littoral, il résolut, jaloux d'Hercule, de s'acquérir de la gloire par de grands travaux. Il tua d'abord Corynète, ainsi nommé parce qu'il portait une massue qui lui servait d'arme défensive, et avec laquelle il assommait aussi les passants. Il tua Sinis, qui habitait l'isthme. Sinis courbait deux pins, attachait à chacun d'eux un bras, après quoi il lâchait ces arbres soudain ; les corps étaient ainsi déchirés avec violence, et les malheureux périssaient dans d'horribles souffrances. En troisième lieu, il tua le sanglier de Crommyone, qui était d'une taille et d'une force remarquables, et qui avait déchiré beaucoup d'hommes. Il châtia aussi Sciron, qui habitait sur le territoire de Mégare, des rochers qu'on appelle les Scironides. Sciron avait l'habitude de forcer tous les passants à lui laver les pieds sur le bord d'un précipice ; et, les poussant ensuite d'un coup de pied, il les faisait rouler dans la mer, au milieu d'un gouffre appelé la Tortue. Thésée égorgea ensuite, près d'Eleusis, Cercyon, qui luttait avec les passants, et assommait les vaincus. Après cela, il tua Procruste, qui demeurait à Corydalle, dans l'Attique. Procruste contraignait les voyageurs de se jeter sur un lit ; il leur coupait les membres trop grands et qui dépassaient le lit, et étirait les pieds de ceux qui étaient trop petits. C'est pour cette raison qu'on l'appelait Procruste. Après ces exploits, Thésée arriva à Athènes, et fut reconnu par Egée aux signes qu'il portait. Plus tard, il attaqua, à Marathon, le taureau qu'Hercule, dans l'exécution d'un de ses travaux, avait transporté de Crète dans le Péloponnèse ; il s'en rendit maître dans une lutte, et l'amena à Athènes. Egée l'offrit en sacrifice à Apollon.

LX. Il nous reste à parler de la défaite du Minotaure par Thésée ; mais, pour en faire mieux comprendre la narration, nous allons remonter le cours du temps, et faire connaître quelques événements qui se rattachent à cette histoire.

Tectamus, fils de Dorus, petit-fils d'Hellen, et arrière-petit-fils de Deucalion, aborda dans l'île de Crète, avec des Eoliens et des Pélasgiens, et devint roi de cette île. Il épousa la fille de Créthès, et en eut pour fils Astérius. Pendant le règne de ce dernier, Jupiter enleva, dit-on, Europe de la Phénicie, la transporta en Crète sur un taureau, eut commerce avec elle, et engendra trois enfants, Minos, Rhadamanthe et Sarpédon. Ensuite Astérius, roi de Crète, épousa Europe ; comme il était sans enfants, il adopta les fils de Jupiter, et leur laissa son royaume. Rhadamanthe fut le législateur des Crétois ; Minos, ayant succédé à la royauté, épousa Itone, fille de Lyctius, et en eut Lycaste. Arrivé à l'empire, Lycaste épousa Ida, fille de Corybas, et engendra le second Minos, que quelques-uns disent fils de Jupiter. Celui-ci, ayant équipé une puissante flotte, domina le premier sur la mer. Il épousa Pasiphaé, fille du Soleil et de Crète, et engendra Deucalion, Astrée, Androgée, Ariane, et plusieurs autres enfants. Androgée, fils de Minos, vint à Athènes sous le règne d'Egée, au moment où l'on célébrait les fètes panathéniennes ; il vainquit dans les jeux tous les athlètes, et devint le familier des fils de Pallas. Mais Egée prit ombrage de cette amitié, et, craignant que Minos n'aidât les fils de Pallas à le dépouiller de sou royaume, il dressa des embûches à Androgée. Il choisit le moment où celui-ci se rendit à Thèbes, et le fit tuer traîtreusement par quelques habitants, près d'Oenoé, en Attique.

LXI. Informé de la mort d'Androgée, Minos accourut à Athènes pour demander justice de ce meurtre. Et comme il n'obtenait point de satisfaction il déclara la guerre aux Athéniens, et invoqua avec des imprécations Jupiter pour leur envoyer la sécheresse et la famine. Aussitôt il arriva dans l'Attique et dans la Grèce une telle sécheresse que les récoltes furent détruites. Les chefs des villes se réunirent et demandèrent à Apollon comment ils pourraient faire cesser le fléau. L'oracle leur ordonna de se rendre chez Eacus, fils de Jupiter et d'Egine, fille d'Asope, et de l'engager à faire des voeux pour eux. Cet ordre fut exécuté ; Eacus accomplit ces voeux, et la sécheresse cessa dans la Grèce, excepté sur la terre des Athéniens. Ces derniers furent donc forcés de consulter de nouveau l'oracle sur le moyen de faire cesser le fléau ; le dieu leur ordonna d'accorder à Minos la satisfaction qu'il demandait pour le meurtre d'Androgée. Les Athéniens obéirent, et Minos exigea d'eux de livrer, tous les neuf ans, sept jeunes garçons et autant de jeunes filles pour sertir de pâture au Minotaure, tant que ce monstre vivrait. Dès que les Athéniens eurent accordé cette satisfaction, la sécheresse disparut dans l'Attique, et Minos s'abstint de leur faire la guerre.

Au bout de neuf années, Minos revint dans l'Attique avec une flotte considérable, et demanda le tribut de quatorze jeunes gens. Thésée était de leur nombre. Au moment de mettre à la voile, Egée recommanda au pilote de hisser, à son retour, des voiles blanches, si Thésée avait vaincu le Minotaure, et, s'il avait péri, de conserver les toiles noires dont on faisait usage auparavant. Cependant ou débarqua dans l'île de Crète ; Ariane, fille de Minos, devint amoureuse de Thésée qui était d'une grande beauté ; elle lui parla, et lui offrit son assistance. Thésée tua le Minotaure et s'échappa du labyrinthe dont Ariane lui avait appris la sortie. Au moment de retourner dans sa patrie, il enleva secrètement Ariane ; il sortit du port pendant la nuit, et tint relâcher dans l'île de Dia, qu'on appelle maintenant Naxos. Ce fut alors que, selon le récit des mythologues, Bacchus, épris de la beauté d'Ariane, la ravit à Thésée ; et, la prenant pour sa femme, il eut pour elle un amour extrême. Car lorsqu'elle fut morte, il lui rendit les honneurs divins, et plaça la couronne d'Ariane parmi les astres. Thésée, au désespoir d'avoir ainsi perdu Ariane, oublia de chagrin les ordres d'Egée, et gouverna vers l'Attique avec des voiles noires. Egée, ayant aperçu le navire de loin, et croyant son fils mort, termina sa vie d'une manière héroïque. Il monta sur la citadelle, et, dégoûté de la vie, il se précipita en bas. Après la mort d'Egée, Thésée succéda au trône, gouverna le peuple avec justice, et travailla beaucoup à l'agrandissement de sa patrie. Ce qu'il fit de plus remarquable, c'est qu'il réunit à Athènes tous les bourgs nombreux, mais peu peuplés, des environs. Depuis ces temps, les Athéniens, fiers de l'importance de leur ville, ont aspiré à l'empire de la Grèce. Mais nous allons d'abord achever l'histoire de Thésée.

LXII. Deucalion, l'aîné des enfants de Minos, devenu souverain de Crète, fit alliance avec les Athéniens, et donna en mariage à Thésée, Phèdre, sa propre soeur. Après ce mariage, Thésée envoya à Trézène son fils Hippolyte, qu'il avait eu d'une Amazone, et le fit élever auprès des frères d'Ethra. Il eut deux enfants de Phèdre, Acamante et Démophon. Peu de temps après, Hippolyte étant revenu à Athènes pour la célébration des mystères, Phèdre s'éprit de lui ; et, quand il fut parti, elle éleva à côté de la citadelle un temple à Vénus, d'où elle pouvait découvrir Trézène ; s'étant ensuite rendue avec Thésée auprès de Pintée, elle pria Hippolyte de satisfaire sa passion. Celui-ci s'y refusa ; Phèdre en fut irritée, et, de retour à Athènes, elle dit à Thésée qu'Hippolyte avait voulu la violer. Thésée, doutant de la vérité de cette accusation, fit venir Hippolyte pour l'entendre se justifier. Phèdre, redoutant une enquête, se pendit elle-même. Hippolyte, monté sur un char, apprit en chemin cette calomnie ; il en fut si affecté, que ses chevaux s'effarouchèrent : son char fut rompu, et lui-même, s'étant embarrassé dans les rênes, fut entraîné et mourut. Hippolyte perdit ainsi la vie par un excès de sagesse ; les Trézéniens lui rendirent les honneurs divins. Quelque temps après, Thésée mourut sur la terre étrangère, exilé de sa patrie pendant une révolte. Mais les Athéniens, s'en étant plus tard repentis, firent rapporter ses os, lui rendirent les honneurs divins, et lui consacrèrent un temple avec droit d'asile, qui reçut le nom de Theseum.

LXIII. Après l'histoire de Thésée, nous allons parler en détail de l'enlèvement d'Hélène, et des prétentions de Pirithoüs à la main de Proserpine ; car ces histoires se rattachent à celle de Thésée.

Pirithoüs, fils d'Ixion, après la mort d'Hippodamie, sa femme, de laquelle il avait un fils appelé Polypoete, vint à Athènes chez Thésée. Informé que Phèdre, femme de Thésée, était morte, il persuada à Thésée d'enlever Hélène, fille de Léda, et de Jupiter, qui était alors âgée de dix ans et très belle. Ils partirent donc ensemble pour Lacédémone avec une petite troupe, et, avant saisi une occasion favorable, ils enlevèrent Hélène et la conduisirent à Athènes. Ils convinrent de faire décider par le sort à qui appartiendrait Hélène, et que celui à qui elle tomberait en partage, ferait serment de tout risquer pour aider son compagnon à trouver une autre femme. Le sort favorisa Thésée. Mais comme il voyait les Athéniens irrités de cet enlèvement, Thésée, intimidé, déposa Hélène à Aphidna, une des villes de l'Attique ; et il la confia à la garde d'Ethra, sa mère, et de ses plus braves amis. Pirithoüs fixa son choix sur Proserpine, et engagea Thésée à l'aider dans cette entreprise. Thésée tâcha d'abord de le dissuader de ce sacrilège ; mais Pirithoiis insistant davantage, Thésée fut forcé par son serment à y prendre part. Ils descendirent dans les enfers, où ils furent tous deux enchaînés en punition de leur impiété. Dans la suite, Thésée fut délivré par l'entremise d'Hercule ; mais Pirithoüs demeura dans les enfers, expiant son audace par un châtiment éternel. Quelques mythographes disent même que ni l'un ni l'autre n'en sont revenus. A cette époque, les Dioscures, frères d'Hélène, attaquèrent Aphidna, la prirent d'assaut et la rasèrent. Ils ramenèrent Hélène, encore vierge, à Lacédémone, et avec elle Ethra, mère de Thésée, réduite en esclavage.

LXIV. Nous allons maintenant raconter en détail l'histoire des sept chefs contre Thèbes, en remontant d'abord à l'origine de cette guerre. Laïus, roi de Thèbes, avait épousé Jocaste, fille de Créon. Etant depuis longtemps sans enfants, il envoya consulter l'oracle pour avoir de la progéniture. La pythie répondit qu'il serait dangereux d'avoir des enfants ; que l'enfant qui lui naîtrait deviendrait parricide, et qu'il remplirait toute sa maison de grands malheurs. Laïus oublia cet oracle, et eut un fils ; mais il le fit exposer après lui avoir percé les talons avec un fer. C'est pourquoi on lui donna le nom d'Oedipe. Les esclaves qui avaient pris cet enfant ne voulurent pas l'exposer, et le donnèrent à la femme de Polybe, qui était stérile. Oedipe était déjà grand, lorsque Laïus jugea à propos de consulter le dieu sur l'enfant exposé. De son côté, Oedipe, instruit qu'il était un enfant supposé, alla demander à la pythie de lui indiquer ses véritables parents. Ils se rencontrèrent tous deux dans la Phocide ; Laïus lui ordonna insolemment de s'écarter du chemin ; et Oedipe, irrité, tua Laïus sans savoir que c'était son père. Dans ce même temps, apparut à Thèbes un monstre biforme, le Sphinx. Il proposait une énigme, et tuait ceux qui ne savaient pas la deviner. On donnait comme prix à celui qui résoudrait l'énigme d'épouser la reine Jocaste, et de régner sur Thèbes. Oedipe seul devina l'énigme. Le Sphinx demandait quel est l'animal qui marche à deux, à trois et à quatre pieds, et qui, cependant, est toujours le même. Oedipe répondit que c'était l'homme : dans l'enfance, il marche à quatre pieds ; à un âge plus avancé, il marche à deux pieds ; et enfin, dans la vieillesse, il marche à trois pieds, en se soutenant sur un bâton. Alors le Sphinx se précipita du haut du rocher où il était, ainsi que, selon la mythologie, l'avait prédit un oracle. Oedipe épousa sa mère sans la connaître, et en eut deux fils, Etéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène.

LXV. Arrivés à l'âge adulte, les deux fils, instruits de l'opprobre de leur maison, forcèrent Oedipe à demeurer enfermé dans son palais. S'étant rendus maîtres du royaume, ils convinrent entre eux de régner tour à tour l'espace d'une année. Etéocle, l'aîné, régna le premier ; mais son terme étant expiré, il refusa de céder l'empire que Polynice lui demanda, d'après leurs conventions. Ce dernier, indigné, se retira à Argos, chez le roi Adraste. A cette époque, Tydée, fils d'Oenée, qui avait tué, à Calydon, Alcathoüs et Lycopée, ses oncles, se réfugia de l'Etolie à Argos. Adraste les accueillit bien tous deux, et selon l'ordre d'un oracle, il leur donna ses filles en mariage, Argie à Polynice, et Déipyle à Tydée. Ces jeunes gens si distingués étaient fort estimés du roi. Pour leur être agréable, Adraste leur promit de les faire rentrer tous deux dans leur patrie. Voulant d'abord ramener Polynice, il envoya Tydée auprès d'Etéocle, pour lui annoncer le retour de son frère. Ou raconte que Tydée, tombé alors en route dans une embuscade de cinquante hommes, postés par Etéocle, les tua tous, et qu'il se sauva miraculeusement à Argos. Averti de cette trahison, Adraste se prépara à la guerre ; il y engagea Capanée, Hippomédon et Parthénopéus, fils d'Atalante, fille de Schoenée. Polynice persuada le devin Amphiaraüs de marcher avec eux contre Thèbes. Mais comme le devin, grâce à son art, savait d'avance qu'il périrait dans cette guerre, il s'y refusa. Polynice fit, dit-on, présent à la femme d'Amphiaraüs d'un collier d'or, que Vénus avait donné à Harmonie, afin qu'elle engageât son mari à prendre part à l'expédition. Dans ce temps, Adraste et Amphiaraüs se disputèrent l'empire, et ils convinrent de s'en rapporter à la décision d'Eriphyle, femme d'Amphiaraüs et sceur d'Adraste : elle se prononça en faveur d'Adraste, et déclara qu'Amphiaraüs devait prendre part à l'expédition contre Thèbes. Amphiaraüs, quoique convaincu de la trahison de sa femme, consentit à partir ; mais il recommanda à Alcméon, son fils, de tuer Eriphyle dès qu'il apprendrait sa mort. Alcméon tua plus tard sa mère, d'après l'ordre du père. La conscience, qui lui reprochait ce crime, le fit tomber dans une manie. Cependant Adraste, Polynice et Tydée se partagèrent le commandement de l'expédition avec Amphiaraüs, Capanée, Hippomédon et Parthénopéus, fils d'Atalante, fille de Schoenée, et marchèrent contre Thèbes à la tête d'une armée respectable. Etéocle et Polynice se tuèrent l'un et l'autre ; Capanée, escaladant le mur, fut renversé et mourut. Amphiaraüs fut englouti avec son char sous la terre qui s'entr'ouvrit. Tous les autres chefs périrent de même, à l'exception d'Adraste. Un grand nombre de soldats y tombèrent ; et comme les Thébains refusaient l'enlèvement des morts, Adraste revint à Argos sans leur donner la sépulture. Personne n'osait enterrer les hommes tombés devant la Cadmée ; les Athéniens, se distinguant des autres peuples par leur humanité, leur rendirent le dernier devoir.

LXVI. Telle fut la fin de l'expédition des sept chefs contre Thèbes.

Leurs enfants, qu'on appela Epigones, voulurent venger la mort de leurs pères, et résolurent de marcher tous contre Thèbes. L'oracle d'Apollon les prévint de donner le commandement du siège à Alcméon, fils d'Amphiaraüs. Alcméon, nommé chef de l'expédition, consulta le dieu sur le parti à prendre au sujet de la guerre, et au sujet du châtiment d'Eriphyle, sa mère. Apollon lui répondit qu'il devait faire l'un et l'autre, parce que la mère avait reçu non seulement un collier d'or pour perdre le père, mais encore un voile pour faire périr le fils. Ce collier et ce voile, dont Vénus avait autrefois fait présent à Harmonie, fille de Cadmus, avaient été donnés à Eriphyle, l'un par Polynice, et l'autre par Thersandre, fils de Polynice, afin qu'elle engageât son fils à marcher contre Thèbes. Alcméon leva donc des troupes dans Argos et dans les villes voisines ; il marcha contre Thèbes avec une armée considérable. Les Thébains se portèrent à sa rencontre. Le combat fut sanglant ; Alcméon remporta la victoire. Les Thébains, vaincus, ayant perdu beaucoup de citoyens, furent découragés. Se voyant hors d'état de combattre, ils consultèrent le devin Tirésias, qui leur ordonna, comme unique moyen de salut, de s'enfuir de Thèbes. Les Cadméens quittèrent donc leur ville, selon le conseil de ce devin, et se réfugièrent la nuit dans un certain bourg de la Béotie, appelé Tilphosséum. Les Epigones prirent ensuite la ville et la pillèrent. Pour remplir un voeu, ils consacrèrent au dieu de Delphes, comme prémices de leurs dépouilles, Daphné, fille de Tirésias. Elle ne fut pas moins savante que son père dans l'art divinatoire, et elle y fit de plus grands progrès par son séjour à Delphes. Douée d'un talent merveilleux, elle rédigea un grand nombre d'oracles avec un art particulier. C'est pourquoi on dit que le poète Homère s'est approprié beaucoup de vers de la fille de Tirésias, pour en orner son poème. Comme elle était d'ordinaire saisie d'une fureur divine en rendant ses réponses, on lui donna le nom de Sibylle, de sibyllainein, qui, dans la langue du pays, signifie être inspiré.

LXVII. Après cette expédition mémorable, les Epigones retournèrent dans leur patrie chargés de riches dépouilles. Tirésias mourut à Tilphosséum, où les Cadméens s'étaient réfugiés : ils l'ensevelirent avec pompe, et lui rendirent les honneurs divins. Se voyant exilés de leur ville, ils marchèrent contre les Doriens, et, après les avoir vaincus en bataille rangée, ils les expulsèrent de leur patrie, et s'y établirent. Mais, au bout de quelque temps, une partie resta dans le pays conquis, et les autres retournèrent à Thèbes, sous le règne de Créon, fils de Ménoecée. Les Doriens rentrèrent plus tard dans leur patrie, dont ils avaient été chassés ; ils vinrent se fixer à Erinée, à Cytinie et à Boïe.

Avant cette époque, Béotus, fils de Neptune et d'Acné, était entré dans le pays, nommé alors Eolie, et qui s'appelle maintenant Thessalie ; il donna à ses compagnons le nom de Béotiens. Mais il est nécessaire de parler ici des Eoliens, en remontant à leur origine. Dans les premiers temps, les fils d'Eole, petits-fils d'Hellen, et arrière-petits-fils de Deucalion, s'étaient en partie établis dans les lieux que nous venons de nommer. Mimas étant resté, devint roi de l'Eolie. Hippotès, fils de Mimas, eut de sa femme Melanippe un fils appelé Eole. Arné, fille d'Eole, fut mère de Béotus, qu'elle eut de Neptune. Mais Eole, n'ajoutant pas foi à la paternité de Neptune, et croyant sa fille déshonorée, la donna à un étranger Métapontin qui par hasard voyageait dans le pays, avec ordre de la conduire à Métaponte. L'étranger obéit. Arné, vivant à Métaponte, mit au monde deux fils, Eole et Béotus. Le Métapontin, qui était sans enfants, les adopta, selon l'ordre d'un oracle. Arrivés à l'âge viril, ils profitèrent d'une émeute qui éclata à Métaponte pour s'emparer du royaume. Plus tard, ils tuèrent Autolyte, femme du Métapontin, en venant au secours de leur mère avec qui elle était en querelle. Mais ce meurtre ayant irrité le Métapontin, ils s'enfuirent et s'embarquèrent avec Arné et beaucoup de leurs amis. Eole vint occuper les îles situées dans la mer Tyrrhénienne, et qui furent, de son nom, appelées Eoliennes ; il y fonda la ville qu'il nomma Lipare. Béotus vint débarquer chez Eole, père d'Acné, qui l'adopta, et lui laissa le royaume de l'Eolie. Béotus donna au pays le nom de sa mère Arné, et le sien aux Béotiens, ses sujets. Iton, fils de Béotus, engendra quatre fils, Hippalcime, Electryon, Archilyque et Alégénor. Hippalcime engendra Pénélée ; Electryon, Léitus ; Alégénor, Clonius ; Archiloque, Prothoénor et Arcésilaüs, qui furent les chefs de tous les Béotiens au siège de Troie.

LXVIII. Après ce récit, nous allons parler de Salmonée, de Tyro et de leurs descendants jusqu'à Nestor, qui assista à la guerre de Troie. Salmonée était fils d'Eole, petit-fils d'Hellen, et arrière-petit-fils de Deucalion. Salmonée, sorti de l'Eolide avec plusieurs Eoliens, vint s'établir dans l'Elide, sur les bords du fleuve Alphée. Il y fonda une ville qu'il appela Salmonia de son nom. Il épousa Alcidice, fille d'Alée, et en eut une fille appelée Tyro, d'une beauté remarquable. Alcidice étant morte, il se remaria à Sidéro. Celle-ci se conduisit en marâtre et maltraita Tyro. Plus tard, Salmonée, homme violent et impie, fut haï de ses sujets, et Jupiter le frappa de la foudre, pour le châtier de son impiété. A cette époque, Tyro, encore vierge, eut un commerce secret avec Neptune, et mit au monde deux fils, Pélias et Nélée. Tyro épousa Crétès ; elle le rendit père d'Amythaon, de Phérès et d'Eson. Après la mort de Crétès, Pélias et Nélée se disputèrent le royaume. Pélias devint roi d'Iolcos et des pays d'alentour, et Nélée envahit le Péloponnèse, avec Mélampe, Bias, fils d'Amythaon et d'Aglaïa, et avec quelques Achaïens, Phthiotes et Eoliens. Mélampe, qui était devin, guérit à Argos les femmes, que la colère de Bacchus avait rendues insensées. Anaxagore, roi des Argiens, et fils de Mégapenthès, lui donna, en récompense de ce service, les deux tiers de son royaume. Mélampe s'établit à Argos, et associa son frère Bias à l'empire. Il épousa Iphianire, fille de Mégapenthès ; il en eut Antiphatès, Manto, Bias, et Pronoé. Antiphatès eut de Zeuxippe, fille d'Hippocoon, Oïclée et Amphalcée. Oïclée eut d'Hypermnestre, fille de Thespius, Iphianire, Polybéa et Amphiaraüs. C'est ainsi que Mélampe, Bias et leurs descendants possédèrent le royaume d'Argos. Cependant Nélée, suivi de ses compagnons, avait envahi le pays de Messène ; il y fonda la ville de Pylos, avec le consentement des indigènes. Il devint roi de la contrée, épousa Chloris, fille d'Amphion le Thébain, et en eut douze enfants, dont l'aîné fut Périclymène et le plus jeune Nestor, qui fit partie de l'expédition contre Troie. Mais en voilà assez sur les ancêtres de Nestor.

LXIX. Nous allons maintenant nous arrêter sur les Lapithes et les Centaures. D'après les mythes, Océan et Thétis eurent plusieurs enfants, qui portèrent les noms d'autant de fleuves. Parmi eux était Pénée, qui a laissé son nom à un fleuve de la Thessalie. Celui-ci engendra, avec une nymphe appelée Creüse, Ypsée et Stilbé. De Stilbé et d'Apollon naquirent Lapithès et Centaurus. Lapithès s'établit sur les bords du fleuve Pénée, et devint roi de la contrée. Il épousa Orsinome, fille d'Eurynome, et en eut deux fils, Phorbas et Périphas, qui lui succédèrent an trône. Ses sujets furent appelés, d'après son nom, Lapithes. Phorbas se rendit à Olénum. Alector, roi des Eliens, redoutant la puissance de Pélops, appela Phorbas à son secours et partagea avec lui son royaume. Phorbas eut deux fils, Egée et Actor, qui eurent en héritage le royaume des Eliens. Périphas, second fils de Lapithès, épousa Astiagée, fille d'Ypsée, et en eut huit enfants, dont l'aîné, Antion, engendra Ixion avec Périmèle, fille d'Amythaon. Ixion, ayant promis beaucoup de présents à Hésionée, épousa Dia, fille d'Hésionée, et en eut Pirithoüs. Comme Ixion ne livra pas à la femme les présents qu'il avait promis, Hésionée enleva à leur place ses cavales. Ixion fit venir Hésionée auprès de lui, en lui annonçant qu'il se soumettrait à tout ; mais dès qu'Hésionée fut arrivé, Ixion le précipita dans un gouffre de feu. Rien ne pouvait faire expier un crime aussi énorme. Enfin Jupiter réhabilita, selon les mythes, Ixion, qui devint ensuite amoureux de Junon, et osa lui déclarer sa passion. Jupiter envoya un nuage ayant la ressemblance de Junon ; Ixion en approcha et engendra les Centaures de forme humaine. Enfin la tradition rapporte qu'en punition de ses forfaits, Jupiter attacha Ixion, après sa mort, à une roue, et lui infligea un châtiment éternel.

LXX. Selon quelques-uns, les Centaures furent nourris par les Nymphes, sur le mont Pélius. Arrivés à l'âge viril, ils eurent commerce avec des cavales, et engendrèrent les Hippocentaures, monstres biformes. D'autres disent qu'on donna aux Centaures, fils d'Ixion et de Néphélé, le nom d'Hippocentaures, parce qu'ils avaient les premiers essayé de monter à cheval ; et que c'est de là que provient la fiction mythique, d'après laquelle ils étaient biformes. Ceux-ci demandèrent à leur frère Pirithoüs leur part du royaume de leur père ; comme Pirithoüs s'y refusa, ils lui déclarèrent la guerre à lui et aux Lapithes. Cette guerre étant terminée, Pirithoüs épousa Hippodamie, fille de Bystus, et invita à ses noces Thésée et les Centaures. Ces derniers, s'étant enivrés, violèrent, dit-on, les femmes invitées au festin. Thésée et les Lapithes, indignés de ce crime, en tuèrent un grand nombre, et chassèrent les autres hors de la ville. Ce fut là l'origine de la guerre des Centaures contre les Lapithes ; beaucoup de ces derniers périrent, et le reste s'enfuit à Pholoé, en Arcadie. Quelques-uns des Lapithes se réfugièrent à Malée et s'y établirent. Les Centaures, enflés de leur succès, firent plusieurs sorties de Pholoé, pillaient les voyageurs grecs, et tuèrent beaucoup d'habitants des environs.

LXXI. Après avoir parlé de ces monstres, nous traiterons d'Esculape et de ses descendants. Esculape était, au rapport des mythologues, fils d'Apollon et de Coronis ; d'une intelligence rare, il s'appliqua avec ardeur à l'art de guérir, et inventa beaucoup de remèdes salutaires aux hommes. Il s'acquit ainsi tant de renommée, qu'après avoir guéri, contre toute attente, beaucoup de maladies réputées incurables, il passait pour rendre la vie à des morts. C'est pourquoi, d'après le récit des mythologues, Pluton accusa Esculape devant le tribunal de Jupiter, et se plaignit de ce que son empire diminuait de plus en plus par suite des cures d'Esculape. Jupiter, irrité, tua Esculape d'un coup de foudre. Apollon, irrité à son tour du meurtre de son fils, tua les Cyclopes qui forgeaient les foudres de Jupiter. Jupiter, indigné de la mort des Cyclopes, condamna Apollon à servir un homme, en punition de ce crime. Esculape eut deux fils, Machaon et Podalire, qui, très versés dans l'art de guérir, accompagnèrent Agamemnon à la guerre de Troie. Ils furent dans cette guerre d'un grand secours aux Grecs, traitant avec le plus grand succès les blessés. Aussi furent-ils en grand honneur chez les Grecs, et, en raison de leur utilité, on les exempta des combats et de tout service militaire. Nous terminons là l'histoire d'Esculape et de ses fils.

LXXII. Nous traiterons maintenant des filles d'Asopus et des fils d'Eacus. Suivant les mythes, Océan et Thétys eurent plusieurs enfants, qui portèrent des noms de fleuves, parmi lesquels étaient Pénée et Asopus. Pénée s'établit dans la Thessalie, et donna son nom au fleuve qui y coule. Asopus se fixa à Phlionte, épousa Métope, fille de Ladon, de laquelle il eut deux fils, Pelasgus et Ismenus, et douze filles, Corcyre, Salamis, Egine, Pirène, Cléoné, Thébé, Tanagra, Thespia, Asopis, Sinope, Oenia et Chalcis. Ismenus vint dans la Béotie et se fixa sur les bords d'un fleuve du même nom. Sinope fut enlevée par Apollon, et portée dans l'endroit où est aujourd'hui située la ville de Sinope. D'elle et d'Apollon naquit Syrus, qui devint roi de ceux qui, d'après lui, furent nommés Syriens. Corcyre fut enlevée par Neptune, et conduite dans l'île, à laquelle elle laissa son nom. De celle-ci et de Neptune naquit Phéax, qui donna son nom aux Phéaciens et fut père d'Alcinoüs, qui ramena Ulysse à Ithaque. Salamine fut aussi enlevée par Neptune, et portée dans l'île de Salamine. Neptune engendra avec elle Cenchrée, qui fut roi de cette île, et qui devint célèbre pour avoir tué un énorme serpent qui désolait le pays. Egine fut enlevée de Phlionte et conduite par Jupiter dans l'île qui porte le même nom ; elle y donna le jour à Eacus, qui fut roi de cette île, et père de Pélée et de Télamon. Pélée, jouant un jour au disque, tua involontairement Phocus, qui était son frère du côté paternel, mais né d'une autre mère. Banni pour ce meurtre par son père, il se retira à Phthie, dans la partie appelée Thessalie ; il fut purifié de ce meurtre par le roi Actor, et devint le successeur d'Actor qui était sans enfants. De Pélée et de Thétys naquit Achille qui accompagna Agamemnon à la guerre de Troie. Télanon s'enfuit d'Egine et s'établit à Salamine. Là il épousa Glaucé, fille de Cenchrée, roi des Salaminiens, et régna lui-même sur cette île. Après la mort de Glaucé, il épousa Eriboea fille d'Alcathus, d'Athènes, et en eut Ajax, qui prit part à la guerre de Troie.

LXXIII. Après ce récit, nous allons essayer de rapporter l'histoire de Pélops, de Tantale et d'Oenomaus. Mais il est nécessaire de remonter à des temps plus anciens pour comprendre l'origine des choses. Mars ayant entretenu dans Pise, ville du Péloponnèse, un commerce secret avec Harpine, fille d'Asopus, engendra Oenomaüs. Celui-ci n'eut qu'une fille appelée Hippodamie. Oenomaüs consulta l'oracle sur le temps de sa mort ; il reçut pour réponse qu'il mourrait lorsque sa fille se marierait. Dans l'espoir d'éviter ce danger, il résolut de conserver sa fille vierge. Il proposa donc une lutte aux nombreux prétendants, à condition que le vaincu serait mis à mort, et que le vainqueur épouserait sa fille. Cette lutte était une course qui s'étendait depuis Pise jusqu'à l'autel de Neptune, dans l'isthme de Corinthe. Oenomaüs, avant de commencer, immolait un bélier à Jupiter, tandis que le prétendant lançait son quadrige. Le sacrifice terminé, Oenomaüs entrait aussi dans la carrière sur son char, conduit par Myrtile ; et tenant une lance à la main, il poursuivait le prétendant. S'il parvenait à l'atteindre, il le frappait de sa lance, et le faisait périr. Il atteignit ainsi toujours les prétendants, à cause de la vitesse de ses chevaux, et en tua un grand nombre. Enfin Pélops, fils de Tantale, se trouvant par hasard à Pise, aperçut Hippodamie, en devint amoureux, et la demanda en mariage. Il gagna Myrtile, cocher d'Oenomaüs, qui lui laissa le temps d'arriver à l'autel de Neptune avant son maître. Oenomaüs, croyant l'oracle accompli, s'abandonna au désespoir et se suicida. Pélops épousa donc Hippodamie, et devint roi de Pise. Il augmenta son pouvoir par son courage et son intelligence ; il soumit la plupart des habitants du Péloponnèse, et laissa son nom à cette contrée.

LXXIV. Puisque nous avons parlé de Pélops, il est indispensable de dire un mot de Tantale, son père, afin de ne rien omettre de ce qui est digne de mémoire. Tantale était fils de Jupiter ; il habitait, en Asie, la contrée que l'on appelle aujourd'hui la Paphlagonie. Riche et célèbre, sa noble origine lui attira l'amitié des dieux. Il ne sut supporter son bonheur en homme, et, admis à la table des dieux, il divulgua les secrets des immortels. Aussi fut-il puni pendant sa vie ; et, d'après les traditions mythologiques, il reçut son châtiment parmi les impies. Tantale eut un fils et une fille, Pélops et Niobé. Celle-ci devint mère de sept fils et d'autant de filles, toutes douées d'une beauté remarquable. Ce nombre d'enfants remplit Niobé d'orgueil, et elle se vanta plusieurs fois d'être plus féconde que Latone. Latone, irritée, exigea d'Apollon qu'il tuât à coups de flèches les fils de Niobé, et de Diane qu'elle en fît autant des filles. Ces dieux obéirent à leur mère, et Niobé, si heureuse d'être mère de tant d'enfants, se vit privée en un moment de toute sa progéniture. Tantale, haï des dieux, fut chassé de la Paphlagonie par Ilus, fils de Tros, dont il faut exposer ici l'origine.

LXXV. Le premier roi de la Troade fut Teucer, fils du fleuve Scamandre et de la nymphe Idaea ; ce fut un homme célèbre qui donna son nom à ses sujets, les Teucriens. Il eut une fille, Batéa, que Dardanos, fils de Jupiter, épousa. Dardanus succéda à Teucer et donna à son tour son nom à ses sujets, les Dardaniens, et à la ville de Dardane, qu'il fonda sur les bords de la mer. Il eut un fils, Erichthonios, bien connu pour son opulence et ses richesses. C'est de lui que le poète Homère dit : «Il fut le plus riche des mortels ; trois mille juments paissaient dans ses prés». Tros fus fils d'Erichtnonios ; ses sujets furent d'après lui appelés Troyens. Tros eut trois fils, Ilus, Assaracus et Ganymède. Ilus construisit dans une plaine la plus célèbre des villes de la Troade, et lui donna le nom d'Ilion. Ilus fut père de Laomédon, qui engendra Tithon et Priam. Tithon porta ses armes dans les parties orientales de l'Asie, et poussa son expédition jusque dans l'Ethiopie, où il fut aimé d'Aurore, et en eut, selon la mythologie, un fils appelé Memnon. Celui-ci vint au secours des Troyens et fut tué par Achille. Priam épousa Hécube, et devint père de plusieurs enfants, parmi lesquels était Hector, qui rendit si célèbre la guerre de Troie. Assaracus, roi des Dardaniens, engendra Capys, qui fut père d'Anchyse. De ce dernier et de Vénus naquit Enée, le plus célèbre des Troyens ; Ganymède, le plus beau de tous, fut enlevé par les dieux pour servir d'échanson à Jupiter.

Nous allons maintenant parler de Dédale, du Minotaure et de l'expédition de Minos en Sicile contre le roi Cocalus.

LXXVI. Dédale était Athénien d'origine, et de la famille des Erechthéides, car il était fils de Métion, petit-fils d'Eupalame Athénien, et arrière-petits-fils d'Erechthée. Dédale surpassa, par ses talents, tous les hommes. Il s'appliqua surtout à l'architecture, à la sculpture et à l'art de travailler les pierres. Inventeur de plusieurs instruments utiles dans les arts, il construisit des ouvrages admirables dans beaucoup de pays de la terre. Il se distingua tellement dans l'art statuaire, que les mythologues, qui sont venus après lui, prétendaient que les statues de Dédale étaient tout à fait semblables à ales êtres vivants, qu'elles voyaient, qu'elles marchaient, en un mot, qu'elles avaient tout le maintien d'un corps vivant. Dédale, le premier, avait fait des statues ayant les yeux ouverts, les jambes écartées, les bras étendus ; car avant lui, les sculpteurs représenlaient leurs statues ayant les yeux fermés, et les bras pendants et collés aux côtés. Cependant Dédale, admiré pour son art, fut exilé de sa patrie par suite d'un meurtre qu'il avait commis. En voici le motif : Dédale avait élevé, dès son enfance, Talus, fils de sa soeur. Le disciple devint plus habile que le maître ; il inventa la roue du potier. Ayant rencontré la mâchoire d'un serpent, et s'en étant servi pour couper un petit morceau de bois, Talus imita avec le fer les dents de cet animal et inventa la scie, instrument très utile dans l'architecture. Il inventa aussi le tour et beaucoup d'autres instruments, et s'acquit une grande réputation. Dédale porta envie au jeune homme, et, craignant que sa réputation ne s'élevât au-dessus de la sienne, il le fit mourir traîtreusement. Mais il fut surpris pendant qu'il enterrait le corps ; interrogé sur ce qu'il faisait, il répondit qu'il enterrait un serpent. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que le même animal qui avait fourni à ce jeune homme l'occasion d'inventer la scie, servit aussi à faire découvrir son meurtrier. Dédale, accusé de ce meurtre et condamné par les juges de l'aréopage, s'enfuit d'abord dans un bourg de l'Attique, dont les habitants furent depuis appelés Dédalides.

LXXVII. Plus tard, Dédale se réfugia dans l'île de Crète, où sa grande renommée lui acquit l'amitié du roi Minos. S'il faut en croire la tradition, Pasiphaé, femme de Minos, devint amoureuse d'un taureau. Dédale, pour satisfaire cette passion de Pasiphaé, construisit une machine ayant tout à fait la figure d'une vache. Avant ces temps, Minos avait, selon le récit mythologique, la coutume de sacrifier à Neptume le plus beau de ses taureaux ; il avait alors un taureau d'une si grande beauté, que, pour l'épargner, il en immola un autre moins beau. Neptune, irrité contre Minos, rendit Pasiphaé, femme de Minos, amoureuse de ce taureau. Pasiphaé, par l'art de Dédale, eut un commerce secret avec ce taureau, et enfanta le Minotaure. Ce monstre était biforme : il avait, depuis la tête jusqu'aux épaules, la figure d'un taureau, et, pour le reste il ressemblait à un homme. Dédale construisit, pour servir de demeure à ce monstre, le Labyrinthe, dont les passages tortueux égaraient tous ceux qui y entraient. Comme nous l'avons dit, on nourrissait le Minotaure avec sept garçons et sept filles que l'on envoyait d'Athènes. Informé des menaces de Minos et redoutant la colère du roi de ce qu'il avait aidé Pasiphaé à satisfaire sa passion, Dédale s'enfuit de Crète avec son fils Icare, sur un navire que Pasiphaé lui avait fourni. Arrivés à une île éloignée de la terre, Icare voulut y descendre, et tomba dans la mer, qui, ainsi que l'île, prit le nom d'Icarienne. Dédale, en quittant cette île, aborda dans cette contrée de la Sicile dont Cocalus était roi ; celui-ci honora de son amitié cet artiste habile et célèbre.

Selon quelques mythologues, Pasiphaé cacha quelque temps Dédale dans Crète, et le roi Minos, qui voulait le punir, et qui n'avait pu le trouver dans tous les vaisseaux de l'île qu'il avait visités pour le découvrir, promit une somme d'argent à celui qui le lui amènerait. Dédale, pour se soustraire à cette perquisition, sortit de l'île en attachant sur son dos et sur celui de son fils des ailes faites avec un art merveilleux et jointes avec de la cire. Il traversa en volant la mer de Crète ; mais Icare, qui, en raison de sa jeunesse, avait pris un vol trop haut, tomba dans la mer ; car ses ailes furent fondues par l'ardeur du soleil. Au contraire, Dédale, qui volait immédiatement au-dessus de l'eau et qui mouillait même ses ailes, parvint miraculeusement à se sauver en Sicile. Quoique ce récit paraisse fabuleux, nous n'avons pas cru devoir l'omettre.

LXXVIII. Dédale demeura longtemps chez Cocalus, et se fit admirer des Sicaniens par ses talents. Il construisit dans la Sicile plusieurs ouvrages qui sont parvenus jusqu'à nous. De ce nombre est l'ouvrage connu sous le nom de Colymvithra, près de Mégaris ; il sort de cette piscine le fleuve Allabon qui se jette dans la mer. A Camicus, dans le territoire d'Agrigente, il construisit, sur un rocher, une ville très fortifiée et tout à fait imprenable. Il en rendit les avenues si étroites et si tortueuses qu'il ne fallait que trois ou quatre hommes pour les garder. Aussi, Cocalus y établit-il son palais, et y déposa ses richesses. Le troisième ouvrage que Dédale laissa en Sicile, est une grotte construite dans le territoire de Sélinonte ; il y fit arriver, par une construction ingénieuse, les vapeurs du feu souterrain : les malades qui y entraient étaient pris peu à peu d'une sueur modérée, et guérissaient insensiblement sans être incommodés de la chaleur. Près d'Eryx, il y avait un rocher escarpé et si élevé, que les constructions qui entouraient le temple de Vénus menaçaient de tomber dans le précipice. Dédale consolida ces constructions, entoura le rocher d'un mur et en élargit merveilleusement le sommet. Il dédia ensuite à Vénus Erycine une ruche d'or, travail admirable qui imitait à s'y méprendre une ruche véritable. Il exécuta en Sicile beaucoup d'autres travaux d'art que le temps a détruits.

LXXIX. Minos, roi des Crétois, et à cette époque maître de la mer, apprenant que Dédale s'était réfugié en Sicile, résolut d'y porter la guerre. Il équipa donc une flotte considérable, et vint relâcher près d'Agrigente, dans un endroit qui reçut de lui le nom de Minoa. Après avoir fait débarquer ses troupes, il envoya des messages pour engager le roi à lui livrer Dédale. Cocalus invita Minos à un entretien, lui promit de le satisfaire, et le reçut hospitalièremeut ; Cocalus lui donna un bain, et l'y fit tenir si longtemps, que Minos étouffa de chaleur. Cocalus rendit son corps aux Crétois en leur faisant accroire que Minos était mort pour être tombé malheureusement dans un bain d'eau chaude. Les soldats enterrèrent le corps du roi avec pompe et élevèrent en son honneur un tombeau double. Ils déposèrent les os dans la partie la plus secrète de ce monument ; dans la partie ouverte, ils consacrèrent une chapelle à Vénus. Les indigènes ont vénéré ce monument pendant plusieurs générations en y sacrifiant à Vénus, comme si c'était le temple de cette déesse. A une époque plus récente, pendant la fondation d'Agrigente, on démolit le tombeau de Minos, on découvrit ses ossements et on les rendit aux Crétois. Théron était alors roi des Agrigentins. Après la mort de Minos, les Crétois qui l'avaient suivi en Sicile, tombèrent dans l'anarchie. Les Sicaniens, sujets du roi Cocalus, choisirent ce moment pour brûler les vaisseaux des Crétois et leur ôter l'espérance du retour. Ces Crétois prirent le parti de rester en Sicile ; ils y fondèrent une ville qu'ils appelèrent Minoa, du nom de leur roi. Quelques-uns errèrent dans l'intérieur du pays, et, après avoir rencontré un emplacement naturellement fortifié, ils y élevèrent une ville qu'ils appelèrent Engyon, du nom d'un ruisseau qui la traversait. Après la prise de Troie, Mérionus aborda en Sicile, avec quelques Crétois ; les habitants d'Engyon les accueillirent en considération de leur commune origine, et leur accordèrent le droit de cité. Ils firent ensuite des sorties de leur ville, guerroyèrent asec leurs voisins et conquirent une assez grande étendue de pays. Leur puissance s'étant accrue, ils élevèrent un temple en l'honneur des déesses mères. Ils eurent ces déesses en grande vénération, et ornèrent leur temple de beaucoup d'offrandes. On dit que le culte de ces déesses vient de la Crète, où il est en grand honneur.

LXXX. Au rapport des mythologues, ces déesses avaient jadis nourri Jupiter à l'insu de son père Saturne ; et en récompense de ce bienfait, elles furent placées dans le ciel, et changées en ces astres qui composent les Ourses. Aratus s'est conformé à cette opinion dans son poème des Astres. «Elles sont tournées en sens inverse l'une de l'autre, et, si la chose est vraie, elles furent apportées de Crète par le grand Jupiter et placées dans le ciel ; car les Curètes le cachèrent, étant encore à la mamelle, au milieu du bois odorant de Dictée, dans une caverne près du mont Ida, et l'y élevèrent pendant un an, pour le dérober à Saturne». Nous ne saurions passer sous silence le culte sacré et célèbre que les hommes ont voué à ces déesses ; non seulement les habitants d'Engyon, mais encore les habitants d'alentour, leur offrent des sacrifices magnifiques, et leur rendent encore d'autres honneurs. Les oracles de pythie ont prescrit à plusieurs villes le culte de ces déesses, en leur prédisant la prospérité, et une longue vie à leurs habitants. Enfin, le culte de ces déesses est devenu si célèbre que, jusqu'à l'époque où nous écrivons cette histoire, les habitants du pays leur consacrent de nombreuses offrandes d'or et d'argent. Ils ont élevé en leur honneur un temple aussi remarquable par sa grandeur que par l'élégance de sa construction. Comme ils n'avaient point dans leur pays d'assez belles pierres pour cet édifice, ils les ont fait venir du territoire des Agyrinéens, leurs voisins. Ces deux villes sont éloignées l'une de l'autre d'environ cent stades : le chemin est si raboteux et si peu praticable, que ces matériaux ont dû être apportés sur des chariots à quatre roues, traînés par cent couples de boeufs. La richesse des offrandes suffisait bien au delà de ces dépenses. Un peu avant notre temps, les déesses avaient trois mille boeufs sacrés et une grande étendue de territoire d'où l'on tirait de grands revenus. Mais nous nous sommes assez étendu sur ce sujet. Passons à l'histoire d'Aristée.

LXXXI. Aristée était fils d'Apollon et de Cyrène, fille d'Ypsée et petite-fille de Pénée. Quelques mythologues racontent ainsi son origine : Apollon devint amoureux de Cyrène, qui, fort belle, fut élevée sur le mont Pélion ; il la transporta dans cet endroit de 1'Afrique où l'on a depuis bâti la ville qui porte le non de Cyrène. Là, Apollon eut de Cyrène Aristée, et chargea les nymphes de l'éducation de son enfant. Les nymphes donnèrent à cet enfant trois noms, Nomius, Aristée et Agrée ; elles lui enseignèrent l'art de faire cailler le lait, d'élever les abeilles et de cultiver les oliviers. Aristée communiqua le premier aux hommes ces connaissances ; et, en retour de ces bienfaits, les hommes lui rendirent les honneurs divins, et le vénérèrent comme Bacchus. Aristée se rendit ensuite dans la Béotie, où il épousa Autonoè, fille de Cadmus. Il en eut Actéon, qui, selon les mythes, fut dévoré par ses propres chiens. Cette fin malheureuse doit être, selon quelques-uns, attribuée à ce qu'Actéon se vanta dans le temple de Diane d'avoir fait son festin de noces avec les prémices sacrées de la chasse ; et, selon d'autres, parce qu'il s'était vanté d'être meilleur chasseur que Diane. Probablement la déesse aura été irritée de l'un et de l'autre discours. Dans tous les cas, elle a exercé une juste sengeance sur un homme qui avait bravé par une forfanterie impudique et sacrilège, jusque dans son temple, la déesse vierge, ou qui avait osé se dire plus habile chasseur que la déesse à qui les dieux mêmes le cèdent sous ce rapport. Diane le métamorphosa donc en bête sauvage, et il fut déchiré par ses propres chiens.

LXXXII. Après la mort d'Actéon, Aristée consulta l'oracle de son père. Apollon lui ordonna d'émigrer dans l'île de Céos, qui lui décernerait de grands honneurs. Aristée fit donc voile pour cette île. Une maladie pestilentielle désolait alors la Grèce, Aristée offrit un sacrifice au nom de tous les Grecs. Ce sacrifice se fit à l'époque du lever de Sirius, temps pendant lequel soufflent les vents étésiens, et la maladie cessa. En réfléchissant à ce fait, on ne peut s'empêcher d'en être frappé. En effet, le même homme, qui avait vu déchirer son fils par des chiens, fut la cause du salut de ses concitoyens en détournant les influences pernicieuses du chien céleste. Aristée laissa de ses rejetons dans l'île de Céos, repassa en Libye, et de là il s'embarqua pour la Sardaigne, sous la conduite de la Nymphe, sa mère, et s'établit dans cette île, dont la beauté l'attira ; il la planta d'arbres et en défricha le sol inculte. Il y devint père de deux fils, Charnus et Callicarpe. Il visita ensuite d'autres îles, et s'arrêta quelque temps en Sicile. Il fut si ravi de l'abondance des fruits et des nombreux troupeaux qu'il y vit paître, qu'il s'empressa de montrer aux indigènes ses découvertes bienfaisantes. C'est pourquoi les habitants de Sicile, en général, mais plus particulièrement ceux qui cultivent les oliviers, rendent à Aristée les honneurs divins. Selon les mêmes récits mythologiques, Aristée alla rejoindre Bacchus dans la Thrace, prit part aux orgies, et vécut avec lui dans une grande intimité. Ce dieu lui communiqua beaucoup de découvertes utiies. Enfin, ayant demeuré quelque temps aux environs du mont Hémus, Aristée devint invisible, et obtint les honneurs divins, non seulement chez les Barbares, mais encore chez les Grecs. Mais nous en avons assez dit d'Aristée.

LXXXIII. Nous allons parler maintenant d'Eryx et de Daphnis. Eryx, homme distingué, fut, dit-on, fils de Vénus et de Butas, roi de quelque contrée de la Sicile. Sa naissance, illustre du côté de sa mère, le fit choisir pour roi d'une partie de l'île. Il fonda dans un lieu élevé une ville considérable à laquelle il donna son nom ; et au milieu de la citadelle de la ville il éleva un temple qu'il dédia à sa mère, et qu'il orna d'un grand nombre d'offrandes magnifiques. En raison de la piété et des honneurs qu'elle reçut de son fils, la déesse eut pour cette ville une grande prédilection, et reçut pour cela le nom de Vénus Erycine. On s'étonne, avec raison, quand on considère la réputation de ce temple : tous les autres temples, après s'être accrus pendant quelque temps, ont perdu de leur splendeur par différentes circonstances ; celui-ci seul, quoique très ancien, n'a jamais cessé d'être célèbre, et même sa réputation a été toujours en augmentant. Après l'établissement de ce culte par Eryx, Enée, se rendant en Italie, relâcha dans cette île, et laissa beaucoup d'offrandes dans le temple de Vénus, qui était aussi sa mère.

Depuis de longues générations, les Siciliens vénèrent cette déesse et lui offrent des sacrifices magnifiques. Plus tard, les Carthaginois, maîtres d'une partie de la Sicile, ont entretenu splendidement le culte de cette déesse. Enfin, les Romains, ayant soumis à leur empire toute la Sicile, ont surpassé tous les autres par les honneurs qu'ils ont rendus à cette déesse. Et en cela ils ont raison : car rapportant leur origine à cette déesse et lui attribuant le succès de leurs entreprises, il est juste qu'ils lui en témoignent leur reconnaissance. Lorsque les consuls, les généraux, enfin tous ceux qui, revêtus de quelque dignité, arrivent en Sicile et passent à Eryx, ils vénèrent le temple de Vénus par des sacrifices et des offrandes. Se dépouillant des insignes de leur autorité, ils prennent joyeusement part aux jeux et réunions des femmes, croyant que c'est la seule manière de se rendre agréables à la déesse. Enfin, le sénat romain, dans son zèle pour le culte de la déesse, a décrété que dix-sept des villes les plus fidèles de la Sicile apporteraient de l'or dans le temple de Vénus, et que l'enceinte sacrée serait gardée par deux cents soldats.

LXXXIV. Voici maintenant ce que la tradition raconte de Daphnis. Il y a dans la Sicile les monts Héréens, qui, par la beauté naturelle des sites, sont un séjour délicieux pendant l'été. On y trouve beaucoup de sources d'eaux douces, et de nombreux arbres de toute espèce. On y voit de grands chênes en abondance, qui portent des glands deux fois plus gros que les chênes des autres pays. Les arbres fruitiers, la vigne et un nombre incroyable de pommiers y croissent sans culture. L'armée des Carthaginois souffrant un jour beaucoup de la faim, se récréa dans cet endroit ; car ces montagnes fournissent une nourriture inépuisable à plusieurs milliers d'hommes. Dans cette contrée est un vallon riant, rempli d'arbres, et un bois consacré à des nymphes. Les mythologues disent que ce fut là que Mercure engendra, avec une nymphe, un fils Daphnis, ainsi nommé à cause de la quantité de lauriers qui y croissent. Cet enfant, élevé par les nymphes, devint possesseur de nombreux troupeaux de boeufs ; et comme il en eut grand soin, il fut surnommé Bucolos. Il aimait naturellement l'harmonie, et il inventa la poésie et le chant bucolique, qui est encore à présent fort estimé en Sicile. Daphnis allait, selon les mythes, à la chasse avec Diane : il gagna par le son de sa flûte les bonnes grâces de cette déesse, et la charma par son chant bucolique. Il fut aimé d'une nymphe qui lui prédit qu'il perdrait la vue s'il s'attachait à quelque autre femme. Cette prédiction s'accomplit ; car, enivré par la fille d'un roi, il eut commerce avec elle, et devint aveugle. Voilà ce que nous avions à dire de Daphnis.

LXXXV. Nous allons exposer maintenant l'histoire d'Orion, conformément à la tradition mythologique. Orion a de beaucoup surpassé par sa taille et sa force les plus célèbres héros. Il aimait la chasse, et il a fait de grands travaux qui témoignent de sa force et de son amour pour la gloire. Il construisit pour Zanclus, alors roi de Sicile, Zanclé, aujourd'hui appelé Messine, et, entre autres ouvrages, le port nommé Acté. Comme nous avons fait mention de Messine, il est bon de dire ici un mot du détroit de ce nom. Les anciens mythographes prétendent que la Sicile était autrefois une presqu'île, et qu'elle ne fut que plus tard transformée en une île. Voici les raisons sur lesquelles ils s'appuient. L'endroit le plus étroit de l'isthme, frappé des deux côtés par les vagues de la mer, se rompit. Cet endroit fut appelé Rhegium ; on y éleva, par la suite, la ville qui porte le même nom. Quelques auteurs disent que cette langue de terre a été rompue par de violents tremblements de terre, et que la mer a creusé le détroit qui sépare l'île du continent. Le poète Hésiode dit au contraire que, pour arrêter le débordement de la mer, Orion forma par des digues le cap Pélore, sur lequel il éleva le temple de Neptune, qui est fort vénéré par les habitants ; qu'après avoir achevé ce travail, il se rendit en Eubée, où il établit sa demeure ; enfin, que sa renommée le fit placer dans le ciel au nombre des astres et participer de l'immortalité. Le poète Homère fait ainsi mention de lui dans la descente aux enfers : «J'apercus aussi Orion, d'une taille monstrueuse, saisissant, dans un pré verdoyant, les bêtes sauvages qu'il avait tuées sur les monts solitaires ; il tenait dans ses mains une massue d'airain indestructible». Le poète fait juger de la taille d'Orion, lorsqu'en parlant des Aloïades qui, à l'âge de neuf ans, avaient neuf coudées de largeur et autant d'orgyes de longueur, il ajoute : «Ce sont là les plus grands et les plus beaux enfants que la terre ait jamais nourris, après le fameux Orion».

Nous terminons ici ce livre, où, suivant le plan exposé au commencement, nous avons parlé suffisamment des héros et des demi-dieux.