1-       2-       3-       4-       5-       6-       7-       8-       9-       10-       11-       12-       13-

I. Enfin, Romains (1), ce Catilina, dont la fureur et l'audace ne respiraient que le crime, dont les complots sacrilèges préparaient la ruine de la patrie et menaçaient du fer et de la flamme vos corps et vos biens, nous l'avons donc chassé de Rome, nous lui en avons ouvert les portes, si l'on veut, nous avons même accompagné de nos adieux (2) son exil volontaire. Il est parti, il s'est retiré, sa frayeur ou sa rage l'ont emporté loin de nous, qu'importe ! Désormais ce monstre de scélératesse ne travaillera plus à la perte de Rome dans le sein même de ses murs. Ce chef unique de la guerre civile, il est certain que nous l'avons vaincu. Son poignard ne menacera plus nos poitrines, nous n'aurons plus à le redouter au champ de Mars (3), au forum, au sénat, jusque dans nos maisons. On a chassé Catilina de son poste, en l'expulsant de Rome ; c'est un ennemi maintenant, et nous lui ferons, sans que personne s'y oppose, une guerre ouverte et légitime. Nous avons incontestablement assuré sa perte et remporté un magnifique triomphe, en forçant le ténébreux conspirateur à devenir un factieux déclaré.

S'il n'a pas, au gré de ses désirs, emporté son glaive teint de sang ; si j'ai pu survivre à son départ ; si j'ai arraché le fer de ses mains ; s'il a laissé les citoyens sains et saufs et la ville debout, de quelle accablante douleur ne pensez-vous pas qu'il soit aujourd'hui pénétré ? II est maintenant abattu, Romains, il sent le coup qui le frappe et l'anéantit, et ses regards se tournent plus d'une fois sans doute vers cette Rome qu'il déplore de voir arracher à sa rage, tandis qu'elle se réjouit d'avoir vomi de son sein et rejeté loin d'elle ce redoutable fléau.

II. Si cependant il se trouve quelque citoyen aussi zélé que tous devraient l'être, qui, dans le moment même où je m'applaudis et où je triomphe de ce que j'ai fait, m'accuse avec aigreur de ne m'être pas emparé d'un ennemi si capital, au lieu de l'avoir laissé partir, la faute n'en est pas à moi, Romains, mais aux circonstances. Catilina devait mourir depuis longtemps, et par le plus cruel supplice ; l'usage de nos ancêtres (4), la rigueur de l'autorité consulaire, l'intérêt de la république le réclamaient. Mais combien de citoyens ne croyaient pas aux complots que je dénonçais ! Combien d'insensés restaient dans le doute ! Combien même les excusaient ! Combien de méchants les favorisaient de leurs voeux ! Si j'avais cru que la mort de Catilina pût écarter tout danger de vos têtes, il y a longtemps que je vous aurais délivrés de lui, non seulement aux dépens de mon repos, mais au prix même de ma vie.

Mais je voyais bien que si, avant de vous avoir convaincus tous de son crime, je le livrais à un supplice mérité, la haine que je soulèverais contre moi m'ôterait les moyens de poursuivre ses complices, et j'ai conduit les choses à ce point, que vous pussiez le combattre ouvertement, lorsqu'il se serait déclaré sans détour votre ennemi. Et cet ennemi, vous pouvez juger, Romains, combien il me parait redoutable hors de nos murs, puisque c'est même un chagrin pour moi, qu'il ne soit parti qu'avec un petit nombre de ses satellites. Plût aux dieux qu'il ait entraîné toutes ses forces ! Il a emmené un Tongilius pour lequel, encore enfant (5), il s'était épris d'une passion coupable : un Publicius, un Munatius, dont les dettes, contractées dans les tavernes, ne pouvaient amener aucun trouble dans la république. Mais quels hommes il a laissés ! combien ils sont redoutables par l'énormité de leurs dettes ! par leur puissance ! par la noblesse de leur nom !

III. Pour moi, quand je considère les légions de la Gaule (6), celle que Q. Métellus (7) a levées chez les Picentins et les Gaulois, et les forces que nous rassemblons chaque jour, je méprise profondément cette armée composée de vieillards sans ressources, de grossiers libertins, de villageois dissipateurs, de ces gens qui aiment mieux fuir la justice (8) que déserter le drapeau de la conjuration, et que je puis abattre tous en leur montrant, non pas nos soldats en bataille, mais seulement un édit du préteur (9). J'aurais préféré que Catilina fît entrer dans ses rangs ces hommes que je vois voltiger au fortin, assiéger les portes du sénat, entrer dans cette assemblée même, qui s'inondent de parfums et sont éclatants de pourpre (10) ; s'ils restent dans Rome, souvenez-vous que l'armée même du rebelle est moins redoutable pour nous que ceux qui n'ont pas été la rejoindre. Et nous devons d'autant plus les craindre, qu'ils me savent instruit de leurs projets, et que pourtant ils ne s'en émeuvent pas.

Je vois celui à qui l'Apulie est échue en partage (11), celui qui doit avoir l'Etrurie, celui qui est chargé du Picénum, celui qui se rendra dans la Gaule, celui qui a sollicité la perfide mission de livrer Rome au carnage, le l'incendie. Tous leurs projets de l'avant-dernière nuit (12) m'ont été dénoncés, ils le savent ; je les ai fait connaître hier au sénat ; Catilina lui-même a tremblé, il a pris la fuite ; ceux-ci qu'attendent-ils ? Certes, ils se trompent grandement, s'ils espèrent que ma longue indulgence n'aura pas de bornes.

IV. Mon but est atteint, car vous voyez tous clairement qu'une conjuration a été formée contre la république, et l'on ne pensera pas sans doute que les pareils de Catilina ne partagent point ses projets. Il ne s'agit plus aujourd'hui de clémence ; tout nous commande la sévérité. Je leur accorderai pourtant encore une grâce : qu'ils sortent de Rome, qu'ils partent, qu'ils ne laissent pas Catilina languir misérablement dans l'impatience de les revoir. Je leur indiquerai le chemin : il est parti par la voie Aurélia. S'ils veulent se hâter, ils l'atteindront ce soir.

Heureuse la république, si elle pouvait rejeter cette fange de nos murs ! Purgée (13) de la présence seule de Catilina, Rome semble revenir à la confiance et à la vie. Peut-on se figurer un excès ou un crime dont il n'ait conçu la pensée ? Est-il dans toute l'Italie empoisonneur, gladiateur, brigand, assassin, parricide, fabricateur de testaments (14), suborneur, libertin, débauché, adultère, femme perdue, corrupteur da la jeunesse (15), homme sans moeurs et sans foi, qui ne confesse avoir vécu dans la familiarité la plus intime avec Catilina ? Quel meurtre s'est commis dans ces dernières années, dont il n'ait été le complice ? Quelle criminelle débauche dont il n'ait été le ministre ?

Qui, d'ailleurs, possède comme lui l'art de séduire la jeunesse ? Enivré pour les uns de la plus vile passion, il se prêtait avec la plus coupable complaisance aux désordres des autres. Il promettait à ceux-ci la satisfaction de leurs désirs ; à ceux-là, la mort de leurs parents, et non content de les pousser au meurtre, il les y aidait encore. Aussi, comme il avait été prompt à rassembler autour de lui, non seulement de la ville, mais de la campagne, un nombre immense de scélérats ! Il n'y a pas dans Rome, pas même dans le plus petit coin de l'Italie, un homme écrasé de dettes qu'il n'ait attiré dans cette incroyable association de crimes.

V. Et pour vous faire connaître le mélange et la diversité de ses goûts, sachez qu'il n'est pas dans une école de gladiateurs un homme un peu plus audaciéux que les autres pour un coup de main, qui ne s'avoue l'intime ami de Catilina ; ni sur le théâtre, un histrion frivole et dissolu, qui ne se vante d'avoir été, pour ainsi dire, son compagnon de débauches. Et pourtant ce même homme, formé, par l'habitude de l'adultère et du crime, à supporter le froid, la faim, la soif et les veilles, était glorifié par les siens pour son courage, tandis qu'il épuisait au service de son libertinage et de ses forfaits les ressources de l'habileté et les qualités les plus brillantes (16).

Si ses compagnons voulaient le suivre, si cet infâme troupeau d'hommes perdus sortait de la ville, quelle joie pour nous, quel bonheur pour la république, quelle gloire éclatante pour mon consulat ! Car aujourd'hui leurs excès ne connaissent plus de frein, leur audace inouïe n'est plus tolérable ; ils ne rêvent que massacres, qu'incendies, que pillage ; ils ont dissipé leur patrimoine, englouti leur fortune ; à la perte dès longtemps consommée de leurs biens, s'ajoute à présent celle de leur crédit ; et pourtant ils conservent encore ce même goût pour le désordre, qu'ils avaient au sein de l'opulence. Si du moins ils ne cherchaient dans leurs orgies que le vin, le jeu, la débauche, il faudrait sans doute désespérer d'eux, cependant on les supporterait. Mais comment souffrir les embûches que la lâcheté tend au courage, la folie à la sagesse, l'intempérance à la sobriété, le sommeil à la vigilance ? Nonchalamment couchés dans leurs festins, entourés de femmes impudiques, affaissés par l'ivresse, gorgés de mets, couronnés de guirlandes, inondés de parfums, énervés de débauches, ils vomissent dans leurs discours impies des menaces de meurtre contre les bons citoyens et d'incendie contre la ville.

Ils sont menacés, je n'en doute pas, de quelque coup fatal ; le châtiment depuis longtemps mérité par leur perversité, leurs dérèglements, leurs infamies et leurs crimes, est déjà suspendu sur leurs têtes, ou va bientôt les atteindre. Si mon autorité, impuissante à les guérir, les fait disparaître, elle aura prolongé la vie de la république, non pas d'un plus ou moins grand nombre de jours, mais d'une longue suite de siècles. Car il n'est pas de nation qui nous soit redoutable ; pas de roi qui puisse faire la guerre au peuple romain. Partout au dehors la valeur d'un seul homme (17) a ramené la paix sur terre et sur mer : c'est une guerre domestique qui nous reste ; c'est au dedans que sont les embûches ; c'est au dedans qu'est renfermé le péril. La luxure, la démence, le crime, voilà les ennemis qu'il nous faut combattre. Romains, je me proclame le chef de cette guerre ; je prends sur moi la haine des pervers. Les plaies qui pourront être guéries, je les guérirai par quelque moyen que ce soit ; s'il y a des membres à retrancher, je ne souffrirai pas qu'ils subsistent pour la perte de l'Etat. Qu'ils sortent donc ou qu'ils restent tranquilles ; ou s'ils ne veulent ni quitter la ville, ni renoncer à leurs projets, qu'ils s'attendent au sort qu'ils ont mérité.

VI. Mais il en est parmi vous, Romains, qui disent que j'ai banni Catilina. Si mes paroles avaient ce pouvoir, je bannirais aussi ceux qui tiennent ce langage. Sans doute cet homme si timide et si modeste n'a pu soutenir la voix du consul : aussitôt qu'elle a prononcé l'ordre d'exil, il s'est soumis, il est parti. Hier toutefois, après avoir failli d'être assassiné dans ma maison (18), je convoquai le sénat dans le temple de Jupiter Stator, pour lui rendre compte de toute la conjuration. Lorsque Catilina parut, quel sénateur lui adressa la parole ? Qui le salua ? Qui ne le regarda pas de l'air dont on voit un mauvais citoyen, ou plutôt l'ennemi le plus redoutable ? Que dis-je ! les plus distingués du sénat quittèrent et laissèrent vide le côté des siéges où il était venu se placer.

C'est alors que moi, moi ce consul violent, qui d'un mot chasse et bannis les citoyens, je demandai à Catilina s'il était vrai ou non qu'il eût fait partie d'une assemblée nocturne chez M. Léca. Cet homme si plein d'audace, convaincu par sa conscience, se tut d'abord, et je dévoilai tout. Je fis connaître sa conduite pendant cette même nuit, ses résolutions pour la suivante, son plan pour toute la guerre. Le voyant interdit, confondu, je lui demandai comment il hésitait à partir pour les lieux où il devait depuis longtemps se rendre, puisque je savais qu'il avait envoyé devant lui des armes, des haches, des faisceaux (19), des trompettes, des étendards, et cette aigle d'argent à laquelle il avait fait dans sa maison un sanctuaire consacré par le crime.

J'envoyais en exil celui que je savais avoir déjà commencé la guerre ? Je le crois, en effet, c'est un Mallius, un centurion, campé dans le territoire de Fésules, qui a déclaré la guerre au peuple romain en son propre nom ! Ce n'est pas Catilina que cette armée attend pour général ; et, contraint de s'exiler, c'est à Marseille (20), comme ils le disent, et non pas au camp de Fésules, que celui-ci se retire !

VII. 0 quelle tâche pénible que de gouverner, et plus encore de sauver la république ! Aujourd'hui, si L. Catilina, enchaîné et affaibli par ma vigilance, par mes efforts et mon dévouement, s'effrayait tout à coup, changeait de résolution, abandonnait ses complices, renonçait à ses projets de guerre, sortait de cette carrière de crimes et de combats, pour prendre le parti de la fuite et de l'exil ; on ne dirait pas que c'est moi qui ai désarmé son audace, confondu, déconcerté ses projets par mon activité, anéanti ses espérances et ses efforts : ce serait un innocent, jeté sans jugement en exil par la violence et les menaces du consul ; alors, on trouverait même des gens qui le regarderaient, non comme un mauvais citoyen, mais comme une victime, et qui verraient en moi, au lieu d'un consul plein de zèle, un tyran plein de cruauté.

Eh bien ! je consens, Romains, à essuyer l'orage d'une aveugle et injuste haine, pourvu que j'écarte de vous le danger de cette guerre affreuse et sacrilège. Qu'on dise, si l'on veut, que je l'ai chassé, pourvu qu'il aille en exil. Mais il n'ira pas, croyez-moi. Jamais, Romains, le désir d'échapper à la haine qui peut m'atteindre ne me fera demander aux dieux immortels que vous entendiez dire : Catilina est à la tête des ennemis, il s'avance en armes contre nous ; vous l'apprendrez néanmoins avant trois jours ; et si je crains que l'on me fasse plus tard un reproche, c'est bien plutôt de l'avoir laissé partir de Rome que de l'en avoir chassé. Mais puisqu'il y a des hommes qui donnent à son départ le nom de bannissement, que diraient-ils, si je l'avais fait mettre à mort ?

Au reste, ceux qui répètent que Catilina se rend à Marseille, s'en plaignent moins qu'ils ne le craignent. De tous ceux qui déplorent son exil, il n'en est pas un qui n'aime mieux le voir aller au camp de Mallius qu'à Marseille ; et lui-même, je vous l'assure, quand il n'aurait jamais formé le dessein qu'il accomplit aujourd'hui, il aimerait encore mieux périr en brigand que de vivre en exilé. Mais aujourd'hui que rien n'est arrivé de contraire à ses désirs, si ce n'est qu'en partant de Rome il m'y a laissé vivant, souhaitons qu'il aille en exil, bien loin de nous en plaindre.

VIII. Mais pourquoi parler si longtemps d'un seul ennemi, d'un ennemi qui se proclame tel, et que je ne redoute plus, depuis qu'un mur nous sépare de lui, comme je n'ai cessé de le vouloir ? N'avons-nous rien à dire de ceux qui prennent un masque, qui restent dans Rome, qui sont au milieu de nous ? Pour moi, je cherche bien moins à en tirer vengeance qu'à les ramener, si cela m'est possible, et à les réconcilier avec la république ; et je ne vois pas ce qui m'empêcherait d'y réussir, s'ils voulaient m'écouter. Je vous ferai connaître d'abord, citoyens, de quelles classes d'hommes se composent les bataillons de Catilina ; ensuite j'apporterai, si je le puis, par des conseils adressés à chacune d'elles, le remède dont elle a besoin.

La première classe se compose de gens qui ont des dettes considérables, et qui possèdent des biens plus grands encore ; mais leur attachement inébranlable à ces biens (21) ne leur laisse aucun moyen de s'acquitter. Ce sont les hommes les plus honnêtes en apparence, car ils sont riches ; mais ce qu'ils veulent, ce qu'ils prétendent est révoltant. Comment ! vous avez des terres, des palais, de l'argenterie, des esclaves, des richesses de toute sorte, et vous balancez à diminuer vos possessions pour augmenter votre crédit ? Car enfin qu'attendez-vous ? La guerre ? Mais quoi ? Pensez-vous donc qu'au milieu de la dévastation générale vos propriétés seront inviolables ? Est-ce l'abolition des dettes (22) ? c'est une erreur de l'espérer de Catilina. C'est moi qui accorderai ce bienfait, mais par la vente forcée des biens (23) ; car, pour ceux qui possèdent, il n'est pas d'autre moyen de se libérer. S'ils avaient voulu l'employer plus tôt, au lieu de lutter en insensés contre l'usure avec les revenus de leurs domaines, ils seraient plus riches et meilleurs citoyens. Mais d'ailleurs je ne les crois pas du tout redoutables, car on peut les faire changer de sentiment ; ou, s'ils persévèrent, ils feront, ce me semble, des voeux contre la république plutôt qu'ils ne prendront les armes contre elle.

IX. La seconde classe est composée d'hommes qui, bien qu'écrasés de dettes, n'aspirent pas moins à dominer ; ils veulent le pouvoir ; ils pensent, à la faveur des troubles, atteindre aux honneurs, qu'ils désespèrent d'obtenir tant que la république sera dans le calme. Le seul conseil qu'il faille, à mon avis, leur donner comme à tous les autres, c'est de renoncer à voir leur ambition satisfaite.

Qu'ils sachent avant tout que je veille sur la patrie, que mon dévouement et mes soins ne lui manquent jamais ; ensuite que les gens de bien sont pleins de courage, étroitement unis et très nombreux ; que nous avons en outre de grandes forces militaires ; qu'enfin les dieux immortels protègeront toujours contre une aussi criminelle audace ce peuple invincible, cet illustre empire, cette admirable cité. Et quand ils auraient obtenu déjà ce qu'ils convoitent avec tant de fureur, est-ce donc au milieu de Rome en cendres et noyée au sang des citoyens, comme ils en ont fait l'horrible et sacrilège voeu, qu'ils espèrent être consuls dictateurs ou même rois ? Ne voient-ils pas qu'ils ambitionnent un pouvoir qu'ils seraient forcés de céder, s'ils l'obtenaient, à quelque esclave fugitif ou à quelque gladiateur (24) ?

La troisième classe comprend des hommes déjà sur le déclin de l'âge (25), mais encore robustes, grâce à leurs travaux : du nombre est ce Mallius, que Catilina va remplacer. Ils ont appartenu aux colonies fondées par Sylla (26), colonies formées en général, je le sais, de citoyens honnêtes et courageux ; mais il en est parmi eux qui, devenus riches tout à coup et contre toute espérance, ont consumé leur fortune par un faste insensé. Pour avoir voulu bâtir comme les grands, avoir des terres, des équipages, de nombreux esclaves, une table somptueuse, ils sont tombés dans un tel abîme de dettes, que s'ils voulaient en sortir, il leur faudrait évoquer Sylla des enfers. Ils ont fait partager à quelques obscurs et misérables habitants des campagnes l'espoir d'un retour aux anciennes déprédations. Je mets les uns et les autres au rang des voleurs et des brigands. Mais je leur conseille de renoncer à leurs folles idées et de ne plus rêver les proscriptions et les dictatures. Car ces temps funestes ont si profondément affligé Rome, qu'il n'est pas un être animé qui pût les supporter encore.

X. Dans la quatrième classe on trouve un mélange confus et turbulent de malheureux tombés depuis longtemps dans un gouffre d'où ils ne sortiront jamais ; victimes, ceux-ci de leur indolence, ceux-là de leur désordre, les autres de leurs profusions, ils fléchissent sous le poids de leurs dettes ; fatigués d'assignations, de sentences, de saisies (27), ils ont quitté, dit-on, en grand nombre, la ville et les campagnes, pour se réfugier dans le camp des conjurés. Ce sont bien moins, à mon avis, d'intrépides soldats, que d'insouciants fripons (28). S'ils ne peuvent se soutenir, qu'ils tombent, mais sans que la repuplique ni même leurs plus proches voisins s'aperçoivent de leur chute. Car je ne conçois pas pourquoi, ne pouvant vivre avec honneur, ils veulent mourir dans la honte ; ni comment il leur serait moins douloureux de succomber avec beaucoup d'autres, que de succomber seuls.

La cinquième classe renferme les parricides, les assassins, en un mot les scélérats de toute sorte. Je ne les dispute pas à Catilina, car on ne pourrait les arracher à lui ; et d'ailleurs qu'ils périssent en brigands, puisqu'ils sont si nombreux que les prisons ne pourraient les contenir. Enfin la classe qui est la dernière de toutes, non seulement par son rang, mais aussi par la nature de ceux qui la composent et par leur genre de vie, nous présente les véritables hommes de Catilina ; c'est son élite, ce sont ses amis les plus tendres et les plus chers (29). Vous les voyez avec une chevelure élégamment peignée, brillants de parfums, sans barbe ou la barbe arrangée avec art (30), vêtus de tuniques à manches et traînantes (31), portant des voiles plutôt que des toges (32) ; et toute leur activité, toute leur force à supporter les veilles se fait voir dans des festins qui se prolongent jusqu'au jour. Ce vil troupeau n'est qu'un ramas de tous les joueurs, de tous les adultères, de tout ce qu'il y a d'impur et d'impudique. Ces jeunes gens si gracieux et si délicats n'ont pas appris seulement l'art d'aimer et de se faire aimer, de chanter et de danser ; ils savent aussi darder le poignard et verser le poison. S'ils ne sortent de Rome, s'ils ne périssent, quand bien même Catilina périrait, sachez que nous aurons dans la république une pépinière de Catilinas. Que prétendent d'ailleurs ces misérables ? Emmèneront-ils avec eux leurs courtisanes dans les camps ? Et comment aussi pourront-ils s'en passer, surtout pendant ces longues nuits (33) ? Comment de tels hommes supporteront-ils les frimas et les neiges de l'Apennin ? Mais peut-être ils croient pouvoir braver plus aisément les rigueurs de l'hiver, parce qu'ils se sont habitués à danser nus dans les festins.

XI. Quelle guerre formidable nous menace, lorsque Catilina se sera fait une garde prétorienne de ces prostitués ! Préparez maintenant, Romains, contre les bataillons si fameux de Catilina vos garnisons et vos armées ; et d'abord, opposez à ce gladiateur épuisé, blessé déjà, vos consuls et vos généraux ; ensuite faites marcher contre cette troupe de gens ruinés, bannis et énervés, l'élite et la fleur de toute l'Italie. Mais à elles seules, nos colonies et nos villes municipales (34) vaudront bien ces hauteurs boisées (35) où Catilina se retranche. Car je ne dois pas comparer vos armées, vos ressources, vos forteresses avec l'indigence et le dénûment de ce brigand.

Si, laissant de côté tous les avantages que nous possédons et qui lui manquent, le sénat, les chevaliers romains, le peuple, la ville, le trésor public, l'Italie entière, toutes les provinces, les nations étrangères, nous voulons comparer entre elles les deux causes mêmes qui sont en présence, nous comprendrons toute la faiblesse de nos ennemis. C'est en effet le combat de la modération contre la licence ; de la pudeur contre la débauche ; de la loyauté contre la fraude ; de la vertu contre le crime ; du calme contre la fureur ; de l'honneur contre la honte ; de la continence contre le désordre : c'est enfin la lutte de l'équité, de la tempérance, du courage, de la prudence, de toutes les vertus, contre l'injustice, la débauche, la lâcheté, la témérité et tous les vices ; c'est un conflit entre l'opulence et la misère, la raison éclairée et l'aveuglement, la sagesse et la folie, les justes espérances et le complet désespoir. Dans une guerre engagée de la sorte, quand bien même les hommes manqueraient de vigueur, les dieux immortels eux-mêmes ne feraient-ils pas triompher ces éclatantes vertus de tant de vices odieux ?

XII. Dans de telles circonstances, continuez (36), Romains, de veiller à la garde de vos personnes et de vos maisons ; moi, j'ai pris des mesures suffisantes pour assurer la défense de la ville sans troubler votre repos, sans exciter aucun tumulte. Toutes vos colonies, toutes vos villes municipales, que j'ai fait informer de l'évasion nocturne de Catilina (37), défendront aisément leurs murs et leur territoire ; les gladiateurs, dont il espérait former ses bataillons les plus nombreux et les plus sûrs, les gladiateurs, quoique mieux intentionnés que bien des patriciens, seront pourtant contenus par notre force. Q. Métellus que j'ai, dans la prévision des événements, envoyé d'avance dans la Gaule et dans le Picénum, écrasera la révolte, ou du moins enchaînera tous ses mouvements et tous ses efforts. A l'égard des autres mesures nécessaires pour régler, accélérer ou mettre en action toutes choses, je vais en reférer au sénat que vous voyez prêt à se réunir.

Quant à ceux qui sont restés dans la ville, ou que Catilina, pour mieux dire, y a laissés pour la perte de Rome et pour la vôtre, quoiqu'ils soient des ennemis, je veux cependant, parce qu'ils sont nés citoyens, qu'ils soient bien avertis d'une chose : si mon indulgence a pu sembler extrême à quelqu'un, c'est qu'elle attendait que les projets encore cachés éclatassent. Mais je ne peux pas oublier plus longtemps que Rome est ma patrie, que je suis le consul de ceux qui m'écoutent, que je dois ou me sauver avec eux, ou mourir pour eux. Il n'y a point de gardes aux portes, point d'embuscades sur la route (38) ; ceux qui veulent sortir en sont les maîtres ; mais quiconque voudra remuer dans la ville, quiconque sera convaincu non pas seulement d'un acte, mais d'un essai, d'une tentative, s'apercevra que Rome a des consuls vigilants, des magistrats dévoués, un sénat courageux ; qu'elle a des armes, qu'elle a une prison destinée par nos ancêtres au châtiment des plus grands crimes.

XIII. Et toutes les mesures seront prises, Romains, de telle façon que les circonstances les plus graves se passeront sans trouble, que les dangers les plus grands seront écartés sans aucun tumulte, que la guerre intestine et domestique la plus cruelle, la plus menaçante qui fut jamais, sera étouffée, par moi seul, et j'en serai le chef sans quitter la toge (39). Je la dirigerai de telle manière que, si cela est possible, aucun des coupables ne subira dans Rome même la peine de son crime. Mais si les excès manifestes de l'audace, si le péril imminent de la patrie me forcent de renoncer à la douceur de mon caractère, je ferai du moins ce qu'on oserait à peine souhaiter dans une guerre si féconde en dangers, qu'aucun homme de bien ne périsse, et que le supplice d'un petit nombre de coupables soit le gage du salut commun.

Ce n'est pas sur ma confiance dans mes propres lumières, ni sur les conseils de la sagesse humaine que se fondent, Romains, les promesses que je vous fais, mais sur les signes (40) nombreux et irrécusables de la faveur des dieux immortels. J'ai conçu mon espoir et formé ma résolution sous leurs auspices ; ce n'est plus de loin, comme ils l'ont fait autrefois et contre un ennemi du dehors, qu'ils ont à nous défendre ; c'est ici même que leur puissance secourable va s'étendre sur leurs propres temples et sur vos maisons. Vous, Romains, adressez-leur vos prières et vos hommages ; implorez-les, afin que cette ville qu'ils ont voulu rendre la plus belle, la plus riche, la plus puissante, qu'ils ont fait triompher de tous ses ennemis sur terre et sur mer, ils la sauvent de l'attentat sacrilège de quelques citoyens pervers.


(1)  Quirites. C'était l'un des noms du peuple romain. Il désignait plus spécialement les citoyens vivant dans la vie privée, les bourgeois ; mais appliqué, comme ici, aux membres d'une assemblée publique, il comprenait toute la population romaine, le peuple, dans l'acception la plus étendue de ce mot.

(2)  Vel emisimus, vel ... prosecuti sumus. La cause du départ de Catilina était diversement appréciée ; les uns disaient que le consul avait chassé Catilina (ejecimus) ; les autres, qu'il l'avait invité à partir en lui ouvrant les portes (emisimus). A ces deux suppositions, Cicéron en joint ironiquement une troisième, celle du départ volontaire du chef des conjurés.

(3)  Non in campo. Allusion aux différentes tentatives de Catilina contre la vie du consul (voy. le premier discours contre Catilina, ch. IV et V).

(4)  Mos majorum. Cicéron avait cité dans son premier discours (ch. I et II) des exemples célèbres de perturbateurs punis de mort par leurs propres concitoyens.

(5)  In praetexta. La toge faisait partie du costume ordinaire des citoyens romains. Elle consistait en une grande pièce d'étoffe de laine blanche, taillée extérieurement en demi-cercle. Elle se portait sur l'épaule gauche, et enveloppait le corps ; un de ses pans traversait la poitrine, passait sous le bras droit, qu'elle laissait entièrement libre, et revenait tomber derrière l'épaule gauche. La prétexte n'était autre chose que la toge ordinaire, bordée d'une bande de pourpre. Elle était portée par trois classes de citoyens :
1° Les magistrats ; elle constituait une des marques distinctives de leur dignité ;
2° Les pontifes maximes, qui sans être magistrats (voy. le premier discours, ch. 1), partageaient la même considération et portaient comme eux la toge prétexte ;
3° Enfin les enfants, pour lesquels elle était sans doute un signe du respect que l'on devait à l'innocence et à la pureté de leur lige. Ils ne la quittaient qu'en passant dans la classe des adolescents, à dix sept ans, pour prendre la toge virile, qui était toute blanche, et que, pour cette raison, on appelait aussi toga pura.

(6)  Gallicanis legionibus. C'étaient des légions composées de soldats romains tenant garnison dans les Gaules. Celles qui se formaient de soldats gaulois s'appelaient Gallicae legiones. On sait que la légion comprenait six mille hommes et se partageait en dix cohortes. La cohorte, à son tour, se divisait en trois manipules, et le manipule en deux centuries. La cohorte contenait de plus un corps de cavalerie partagé en turmes qui correspondaient aux centuries de l'infanterie.

(7)  Q. Metellus. Salluste dit (Cat., ch. xxx) que Q. Métellus Céler fut envoyé dans le Picénum avec le pouvoir de lever une armée suivant les besoins de la circonstance. - Ager Gallicus, la Gaule Cisalpine, comprise entre les Alpes et le Rubicon.

(8)  Vadimonia deserere. On appelait vadimonium le renvoi à jour fixe que le préteur prononçait pour les parties qui s'étaient présentées à son tribunal ; c'était pour elles l'autorisation légale de s'éloigner, vadendi. Vadimonia deserere, c'était ne pas se rendre à cette assignation, conduite ordinaire des débiteurs insolvables.

(9)  Edictum praetoris. C'était le préteur urbain qui, dans le cas où le débiteur ne pouvait pas satisfaire à la réclamation de son créancier dans le délai de trente jours accordé par la loi des Douze Tables, prononçait contre lui la peine qu'il avait encourue, en le livrant à son créancier, qui lui faisait subir d'abord une servitude de trente jours, puis enfin, s'il n'avait pas pu s'acquitter, pouvait après un nouveau délai le faire transporter au delà du Tibre, comme en pays étranger, et le vendre comme esclave.

(10)  Qui fulgent purpura. Les Romains portaient sous la toge une tunique sans manches, qui servait aussi à distinguer les trois ordres : celle des plébéiens était tout unie ; celle des patriciens était bordée d'une large bande de pourpre, qui lui faisait donner le nom de laticlave, celle des chevaliers, d'une bande plus étroite, d'où elle s'appelait angusticlave. La tunique laticlave se serrait sur les hanches avec une ceinture, et l'angusticlave se portait sans ceinture. Par-dessus l'angusticlave, les chevaliers portaient une trabea, toge en pourpre marine, rayée de bandes d'écarlate, courte, comme il convenait à des cavaliers, et s'agrafant sur l'épaule droite.

(11)  Cui Apulia sit attributa. C'était C. Julius (voy. Sall, Cat., ch. XXVII). L'Etrurie avait été assignée à Mallius, et le Picénum à Septimius.

(12)  Superioris noctis signifie évidemment ici, non pas la nuit de la veille, mais celle de l'avant-veille, puisque ce n'était que le lendemain du départ de Catilina, que Cicéron prononçait son discours au peuple. Dans le premier discours, le mot superior indiquait la seconde nuit en remontant ; dans celle-ci, il désigne la troisième, celle du 6 au 7 novembre.

(13)  Exhausto. Continuation énergique de la métaphore sentinam hujus urbis.

(14)  Testamentorum subjector, celui qui substitue un testament faux, qui est son ouvrage, à un testament vrai. C'était un genre d'industrie fort exploité à Rome.

(15)  Juventutis illecebra. Sur les efforts de Catilina pour séduire et corrompre la jeunesse, voyez dans Sall, Cat., le ch. XIV, que nous avons eu déjà occasion de citer, et le ch. XVI.

(16)  Industriae subsidia atque instrumenta virtutis. Cicéron, comme Salluste, accordait à Catilina des qualités qui, mieux dirigées, auraient pu faire de lui un homme distingué et un citoyen utile. (Voltaire, Rome sauvée, acte I, scènes III et V.)

(17)  Unius. Cn. Pompée qui achevait à cette époque de soumettre l'Orient dans la guerre contre Mithridate, après avoir chassé d'abord les pirates qui infestaient les mers d'Italie.

(18)  Paene interfectus essem. Voy. le premier discours, ch. IV. Tous les détails qui suivent se trouvent également dans le discours tenu la veille au sénat.

(19)  Fasces. Salluste dit en effet (Cat., ch. XXXVI : Cum fascibus atque aliis imperii insignibus in castra ad Mallium contendit.)

(20)  Massiliam. Catilina lui-même avait écrit à plusieurs consulaires et à d'autres personnages qu'il allait se retirer à Marseille, et ses partisans ne manquaient pas de répandre ce bruit (Sall, Cat., ch. XXXIV). Cette ville était toujours choisie pour résidence par les plus illustres exilés, tels que L. Scipion l'Asiatique et T. Milon. A l'époque de la formation de la province romaine de la Gaule, Marseille n'y avait pas été comprise, mais était restée ville libre alliée de Rome.

(21)  Dissolvi. Ce mot a ici une double signification qu'il est impossible de rendre ; il se rapporte à la fois et aux propriétés dont ils ne veulent pas être séparés, et aux dettes dont ils ne peuvent pas être affranchis.

(22)  Tabulas novas. Indépendamment des autres précautions que les créanciers prenaient contre la fidélité toujours soupçonnée de leurs débiteurs, ils ne manquaient pas de rendre leur prêt authentique, en le faisant transcrire sur des tables publiques conservées par l'Etat. Aussi, toutes les fois que le peuple réclamait l'abolition totale ou partielle des dettes, il le faisait en demandant l'établissement de nouvelles tables, c'est-à-dire la suppression des anciennes. Ce qui justifiait ces sortes de banqueroutes au préjudice des créanciers, c'est que, dans certaines circonstances, on les regardait comme une mesure d'intérêt général, dont le but était de conserver à la république un grand nombre de citoyens tombés ou sur le point de tomber en esclavage comme débiteurs insolvables. Par exemple, sous le consulat de Valérius Flaccus, qui avait succédé à Marius, l'an de Rome 667, les débiteurs furent libérés en payant le quart seulement de leurs dettes. Argentum aere solutum est, dit Salluste (ch. xxx), c'est-à-dire qu'on paya un as, qui était de cuivre, pour un sesterce, qui était d'argent et valait quatre as.

(23)  Verum auctionariae. Lorsque les créanciers avaient épuisé sans succès contre un débiteur de mauvaise foi tous les moyens que la loi leur donnait, ils s'adressaient au préteur pour lui deman der la mise en possession des biens, et ils en obtenaient la saisie en sauvant la justice de leurs réclamations. La saisie décrétée, on annonçait aussitôt la vente des biens au moyen de tables d'enchères apposées dans les places publiques et dans les lieux les plus fréquentée.

(24)  Aut gladiatori. Catilina avait en effet réuni dans son armée un grand nombre d'esclaves et de gladiateurs avec lesquels il aurait partagé les fruits de sa victoire plutôt qu'avec ceux de ses partisans qui, restés dans Rome, se seraient contentés de faire des voeux pour sa cause.

(25)  Aetate jam affectum. Affectus n'est pas ici le synonyme de confectus ; il signifie seulement atteint, mais non pas accablé par l'âge.

(26)  Quas Sulla consistitit. Sylla, après sa victoire, avait témoigné une reconnaissance très généreuse à ses partisans : les uns avaient été comblés d'honneurs et de richesses ; les autres, envoyés en colonie dans un grand nombre de villes de l'Italie, s'étaient partagé les maisons et les terres des anciens habitants. De là les désordres de cette vie nouvelle qu'ils trouvaient si commode, et leur désir de s'en refaire une semblable par tous les moyens, lorsque leurs folles dissipations les eurent fait retomber dans la misère.

(27)  Proscriptionibus bonorum. C'était l'annonce de la vente des biens. Voyez la note 23.

(28)  Inficiatores lentos. Les débiteurs de mauvaise foi qui nient leurs obligations ; lentos, parce qu'ils ne s'émeuvent d'aucun affront, d'aucune poursuite.

(29)  De complexu... ac sinu. Cicéron emploie cette expression pour désigner les personnes tout à fait intimes, à en juger par ce passage d'une de ses lettres, où il dit, en parlant de son frère : Iste vero sit in sinu semper et complexu meo.

(30)  Aut imberbes, aut bene barbatos. Longtemps les Romains de tout âge avaient porté leur barbe et leurs cheveux. Mais, l'an 454 de Rome (voy. Pline, liv. VII, 34), un certain Ticinius Ménas eut l'idée d'amener de Sicile à Rome des barbiers. La mode d'avoir le menton ras et les cheveux courts régnait depuis longtemps en Grèce, d'où elle avait passé en Sicile. Elle devint bientôt générale à Rome. Le raffinement consistait, pour certains hommes, à se faire arracher la barbe ; et c'est probablement de ceux-là que Cicéron parle ici, plutôt que des jeunes gens qui n'en avaient pas encore. Comme on laissait généralement croître sa barbe jusqu'à vingt ou vingt-cinq ans, et que certains jeunes gens la peignaient et l'arrangeaient avec recherche, l'expression de bene barbatos doit s'entendre de ces derniers, chez lesquels ce soin était regardé comme un signe de mollesse.

(31)  Manicatis et talaribus tunicis. Nous avons dit plus haut (note 10) que la tunique était un vêtement sans manches ; de plus elle ne dépassait pas le genou. Les femmes seules avaient des tuniques longues et à manches, et les hommes qui en adoptaient de semblables étaient regardés comme des efféminés.

(32)  Velis... non togis. Parce que la finesse des tissus conviendrait mieux pour des voiles de femmes que pour des vêtements d'hommes.

(33)  His ... jam noctibus. On était alors dans les premiers jours de novembre, et par conséquent dans les nuits longues et froides.

(34)  Coloniarum ac municipiorum. Les villes des colonies étaient romaines d'origine, et présentaient autant de petites images de Rome même ; elles observaient les mêmes lois, avaient la même religion, et jouissaient de tous les privilèges de la métropole, à l'exception seulement du droit de suffrage et du droit d'honneurs à Rome. Comme elles étaient établies pour surveiller et contenir les peuples conquis, on ne pouvait pas laisser les colons en jouissance de deux droits qu'ils n'auraient pu venir exercer qu'en abandonnant leur poste. Les municipes étaient des villes de pays conquis, que, par une faveur toute spéciale, Rome avait gratifiées des droits de cité romaine. Leur constitution, assez semblable à celle des colonies, se rapprochait encore davantage sous certains rapports de celle de Rome même.

(35)  Tumulis silvestribus. Seule position convenable à une armée de brigands qui recherche plutôt les embuscades que les combats à découvert.

(36)  Quemadmodem jam antea. Sous-entendu defendistis, et non pas dixi. L'orateur rappelle par ces mots les mesures extraordinaires de précaution et de défense qui avaient été prises au moment de la découverte de la conjuration (voy. le premier discours, ch.1)

(37)  Noctuna excursione désigne le départ précipité de Catilina, dans la nuit qui avait suivi la fameuse séance du sénat.

(38)  Nullus insidiator viae. Personne ne les attendra sur la route pour leur faire violence ou pour les empêcher de rejoindre Catilina.

(39)  Togato. Sans quitter la toge, qui était l'habit de la paix, le costume des fonctions civiles. L'habit de guerre s'appelait sagum. Il faut remarquer, toutefois, que, même en temps de guerre, les consuls ne quittaient pas la toge, et que par conséquent l'orateur ne songe ici qu'au sens figuré du mot togatus.

(40)  Significationes, les prodiges par lesquels les Romains pensaient que les dieux manifestaient leurs volontés, leurs dispositions favorables ou contraires. Ainsi Plutarque raconte, dans sa Vie de Cicéron, que ce fut un prodige de ce genre qui mit fin aux doutes et aux hésitations du consul. Pendant que les vestales offraient le sacrifice annuel à la bonne déesse, pour le salut du peuple, dans la maison même du consul et en présence de Térentia sa femme, au moment où le feu de l'autel paraissait éteint, une vive flamme jaillit tout à coup des cendres, ce qui fut interprété comme le plus favorable augure.