Avertissement de l'édition Garnier - Paris
(1865) |
Tous conseils fort sages assurément, et dont
quelques-uns ont été mis en pratique par
César ; mais qui les donne ? est-ce le spoliateur de
l'Afrique ; l'homme qui avait dilapidé les deniers du
fisc et ceux des particuliers ? Oui, c'est bien le même
personnage ; c'est le sénateur, chassé du
sénat pour ses désordres ; c'est aussi le
tribun factieux qui, de démagogue devenu partisan du
pouvoir, en même temps qu'il parle des moyens de
rétablir la liberté de Rome, conseille à
César de transformer la république en
monarchie, et s'emporte par avance contre ceux à qui
ce changement pourrait ne pas agréer : «Je ne
l'ignore pas, dit-il, quand ce changement s'opérera,
les nobles deviendront furieux, indignés qu'ils seront
que tout soit ainsi confondu, et qu'une telle servitude soit
imposée aux citoyens». Les nobles qui, pour
renverser la tyrannie que Salluste encourageait, eussent,
selon son expression, excité des tempêtes,
n'auraient-ils pas bien plus naturellement invoqué,
pour justifier leur conduite, cette même
liberté, que ne l'invoquait Salluste pour justifier la
domination de César ?
La seconde lettre fut
évidemment écrite après la bataille de
Pharsale, peut-être même après l'entier
achèvement de la guerre civile. L'auteur s'attache
à montrer à César les difficultés
qui doivent naître sous ses pas, à mesure qu'il
voudra affermir sa puissance ; ce qu'il y a à
craindre, ce n'est plus la paix, mais la guerre. Pour sortir
heureusement de cette position périlleuse, il doit
calmer les haines, faire taire ses propres vengeances : la
clémence, en ramenant la concorde, peut seule assurer
l'existence de la république. A ces conseils de
modération, Salluste joint des avis plus pratiques :
il veut que l'on augmente le nombre des sénateurs, et
qu'on établisse le scrutin secret ; il
s'élève de nouveau contre la fureur des
richesses et demande qu'on abolisse l'usure pour
l'avenir.
Deux commentateurs, Cortius et Carrion, ont, nous l'avons
dit, contesté à Salluste ce titre
littéraire. Carrion en a donné pour preuve
qu'aucun grammairien n'a cité ces deux Lettres. Mais
ce silence n'est pas très concluant ; car, quand la
Grande Histoire de Salluste, quand son Catilina
et son Jugurtha fournissaient aux scoliastes tant
d'exemples, ils ont bien pu négliger ces deux Lettres,
qui, par leur sujet, n'eurent sans doute que peu de
publicité, et ne pouvaient guère devenir
classiques dans les écoles de Rome ; ce ne sont en
effet que deux pamphlets politiques. Il faut donc, bien que
l'on puisse avoir quelques doutes, se ranger à
l'opinion générale, qui les a attribuées
à Salluste et les lui maintient.
Cependant je ne saurais partager l'avis de certains
traducteurs qui trouvent que dans aucun de ses écrits
Salluste ne déploie plus d'énergie de style,
plus de concision et plus de profondeur. Sans doute on y
retrouve cette vigueur d'expression et ce relief de la phrase
que l'on admire dans le Jugurtha et le Catilina
; mais souvent aussi l'obscurité et l'embarras s'y
font sentir. Les idées surtout me paraissent manquer
d'ordre et de clarté ; c'est, si je l'ose dire, une
brochure vive et quelquefois éloquente, mais encore
plus violente et déclamatoire.
Traduction de Charles Durosoir, 1865.