© Agnès Vinas

L'érection de l''Ara Pacis Augustae (l'autel de la Paix d'Auguste) a été décidée le 4 juillet 13 avant JC par le Sénat en l'honneur d'Auguste revenant victorieux d'Espagne et de Gaule. Le sacrifice offert par le princeps ce jour-là est représenté sur les murs externes du monument, qui fut dédié le 30 janvier 9 avant JC.

Ce monument fait partie d'un complexe érigé de part et d'autre de la via Flaminia, au nord du Champ de Mars, dans un espace normalement consacré à la célébration des victoires militaires, mais ici surtout conçu pour mettre en scène la puissance d'Auguste, présenté comme un homme providentiel. L'autel était en effet étroitement associé à l'Horologium, dans un complexe astronomique voire astrologique. Plus loin, se trouvait le mausolée d'Auguste, un autre monument exceptionnel.

Ainsi, cet ensemble est fondamental pour comprendre les différents aspects de la propagande augustéenne dans les années 10 avant JC.



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L'Ara Pacis augustae était constitué d'un autel de sacrifices entouré d'une enceinte à ciel ouvert de 6 mètres de hauteur, avec une entrée principale et frontale, et une entrée à l'arrière. Les dimensions globales du périmètre étaient d'à peu près 12 x 11 mètres. Autel, enceinte intérieure et extérieure étaient en marbre blanc et couverts de bas-reliefs de facture classique d'une qualité tout à fait remarquable, qui font de cet ensemble le chef d'œuvre absolu de l'art augustéen.

Reconstitution de Guglielmo Gatti



Retour à la simplicité rustique des premiers âges

Si l'on ne se laisse pas impressionner par la somptuosité du programme iconographique, la première caractéristique du monument est sa relative affectation de simplicité. Si on le compare en effet aux réalisations des deux pôles du règne d'Auguste, le Mausolée de la jeunesse et le temple de Mars Ultor de la vieillesse, les dimensions de l'Ara Pacis sont tout à fait modestes : il fait figure de petit bijou à côté de deux colosses peu élégants.

D'autre part, le côté intérieur de l'enceinte, quoiqu'en marbre, reproduit le motif d'une palissade rustique sur laquelle auraient été accrochés bucranes et guirlandes. Il s'agirait donc de figurer l'enceinte des sacrifices des premiers temps, d'un âge où la religion était respectée, et où les valeurs dominantes étaient celles de pietas et de simplicitas. Cet Age d'Or réputé disparu est précisément celui qu'Auguste prétend avoir restauré, et qu'il évoque sur les bas-reliefs extérieurs de l'enceinte.

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Retour aux origines mythiques de Rome et de la gens Julia

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Sur la façade de l'entrée, de part et d'autre de l'accès à l'espace intérieur du sacrifice, deux bas-reliefs rappellent la relation affichée par Auguste entre sa famille et les héros des âges mythiques. Si ces deux bas-reliefs ont actuellement la simple couleur du marbre, il est certain qu'ils étaient peints dans l'antiquité, et même si les reconstitutions proposées dans le musée sont purement hypothétiques, elles donnent tout de même une bonne idée de l'impression que pouvaient produire sur les spectateurs ces tableaux de pure propagande.

 

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Le panneau de droite, assez bien conservé, représente Enée, l'ancêtre de la gens Julia, préparant un sacrifice aux Pénates, dieux de la patrie, à son arrivée dans le Latium. Il vient de trouver sous un chêne la laie et tous ses petits qui, dans l'oracle d'Hélénus (Enéide, III), lui avaient été annoncés. Il ne s'agit donc pas ici d'un héros guerrier, mais d'un personnage prédestiné et d'un prêtre d'âge mûr, profondément pieux (le pius Aeneas de Virgile), en somme la projection mythique d'Auguste, ayant hérité de son ancêtre sa grande attention aux rites et son sens des responsabilités.

 

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Le panneau de gauche en revanche est très ruiné. Ne subsistent réellement qu'une belle tête du dieu Mars et que la silhouette du berger Faustulus, heureusement attestée par ailleurs en abondance. La scène n'est donc pas non plus guerrière : elle représente la découverte des deux jumeaux Romulus et Rémus, tétant une louve sous le figuier du Lupercal (ficus ruminalis). Fils de Mars et de la Vestale Rhea Silvia, les bébés ont été exposés et auraient dû périr. Leur père assiste donc ici au miracle de leur salut, dont il n'est évidemment pas responsable : il peut reconnaître les Destins à l'oeuvre et il comprend alors que ces enfants auront une histoire extraordinaire. Nous nous trouvons aux origines mythiques de l'histoire de Rome, évoquée sur un monument qui induit une relation étroite entre le passé et le présent.



Mise en scène des valeurs augustéennes : Pietas et Familia

Les côtés de l'enceinte extérieure mettent justement en scène ce présent, ou en tout cas un passé très proche, puisqu'il s'agit de la procession qui conduisit au sacrifice du 4 juillet 13. L'idéalisation classique, qui rappelle la procession des Panathénées sur le Parthénon d'Athènes, va ici de pair avec un réalisme qui devait permettre en son temps à n'importe quel spectateur de reconnaître chacune des figures. Ce qui nous importe aujourd'hui est de repérer dans ce programme iconographique :

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Célébration du retour de l'Age d'Or

Dans cette mise en scène, les enfants sont mis en avant de manière systématique. Le bas-relief le mieux conservé de tout le monument, et de loin le plus spectaculaire, est celui qui se trouve à l'arrière et représente Tellus, la terre nourricière, symbolisée par une femme épanouie, chargée d'enfants et entourée de tout ce qui peut symboliser la fertilité et la Paix sur terre : animaux et végétaux.

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Par ailleurs, le thème végétal du retour de l'Age d'Or est décliné tout autour du monument, dans sa partie basse, par des bas-reliefs qui déroulent des volutes symétriques d'acanthes (plantes d'Apollon, d'Auguste, de l'ordre). Dans cette construction savante, le lierre et la vigne, plantes de Dionysos (et d'Antoine, qui était associé au chaos de la guerre civile), sont soigneusement circonscrits, réduits à la place que l'acanthe consent à leur laisser.

Manifeste politique, moral et religieux, l'Ara Pacis est donc aussi un manifeste esthétique : retour à l'ordre et au classicisme. L'esthétique baroque et chaotique des temps de guerre civile est dénoncée. Que peut en penser Ovide, l'empêcheur de suivre les chemins bien balisés de l'ordre et du conformisme ?


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L'Ara Pacis Augustae avait disparu sous le palais Peretti Fiano-Almagià et n'était plus connu que par des fragments trouvés à la Renaissance et éparpillés dans de nombreux musées. Au début du XXe siècle, ni Reinach ni Platner n'en connaissaient autre chose que ces quelques épaves.

Il fallut l'intervention énergique de Mussolini, qui désirait se poser en nouvel Auguste, pour qu'en 1937 l'équipe de Giuseppe Moretti effectue enfin une fouille complète. On décida alors de reconstruire le monument, mais à côté du Mausolée d'Auguste, au bord du Tibre, dans un emplacement où son orientation serait modifiée de 90°. Pendant la guerre, le précieux ensemble fut soigneusement protégé par des sacs de sable. Puis des restaurations successives après guerre permirent de le reconstituer presque dans son entier.

Aujourd'hui, l'Ara Pacis est mis en valeur dans un tout nouveau musée, conçu par l'architecte Richard Meier. En 2014, pour célébrer le bimillénaire de la mort d'Auguste en 14 après JC, un programme de colorisation de l'Ara Pacis par laser a permis de proposer une reconstitution en polychromie tout à fait spectaculaire.





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