I. Les ancêtres de Vespasien. - II. Sa naissance. Il est élevé par son aïeule maternelle. Son mépris pour les dignités est combattu par sa mère. Ses premiers emplois. - III. Son mariage et ses enfants. Sa maîtresse Cénis. - IV. Il se signale, sous le règne de Claude, par plusieurs exploits militaires, et il vit ensuite dans la retraite. Il reçoit de Néron le gouvernement de l'Afrique. Son intégrité. Il tombe dans la disgrâce de Néron, qui l'envoie commander en Judée. - V. Plusieurs prodiges lui promettent l'empire. Il en reçoit l'assurance de l'historien Josèphe. - VI. Il est proclamé empereur par les armées d'Orient. - VII. Il commence la guerre civile, et guérit un aveugle et un boiteux. - VIII. Son retour à Rome. Ses consulats. Son gouvernement. - IX. Ses constructions. Il épure et complète les premiers ordres de l'Etat. - X. Ses améliorations judiciaires. - XI. Ses règlements contre le luxe et la débauche. - XII. Sa modestie. - XIII. Sa clémence. - XIV. Sa clémence. - XV. Sa clémence. - XVI. Son amour pour l'argent. - XVII. Ses libéralités. - XVIII. II se fait le protecteur des arts et de tous les talents. - XIX. Ses récompenses aux artistes. Sa cupidité inspire un bon mot à un pantomime. - XX. Son portrait. Son caractère. - XXI. Sa manière de vivre. - XXII. Ses plaisanteries. - XXIII. Ses citations. Ses bons mots. - XXIV. Sa dernière maladie et sa mort. Son plus beau mot. - XXV. Sa confiance dans la destinée promise à ses fils et à lui. -
I. Le sceptre
impérial, qui s'était comme égaré
entre les mains de trois princes dont la rébellion et
la mort violente ébranlèrent longtemps le
pouvoir, se fixa enfin et s'affermit dans la maison Flavia.
Cette famille était, à la vérité,
obscure et sans aucune illustration ; mais elle n'en fut pas
moins chère aux Romains, quoiqu'elle eût produit
Domitien, dont la barbarie et la cupidité furent
justement punies. Un certain Titus Flavius Pétron, du
municipe de Réate, servit sous Pompée, comme
centurion ou comme soldat d'élite, pendant la guerre
civile. Il prit la fuite à la bataille de Pharsale, et
se retira dans sa patrie, où, après avoir
obtenu son pardon et son congé, il devint receveur des
enchères. Son fils, surnommé Sabinus, ne porta
point les armes, quoique certains auteurs aient dit qu'il fut
centurion primipilaire, et d'autres, qu'étant encore
en possession de ce grade, il fut dégagé du
serment militaire, à cause de sa mauvaise
santé. Il fut receveur du quarantième en Asie,
et l'on vit subsister longtemps les statues que plusieurs
villes de cette province lui avaient décernées,
avec cette inscription en grec : AU RECEVEUR INTEGRE. Il fit
ensuite la banque en Helvétie, où il mourut,
laissant deux enfants de sa femme Vespasia Polla ;
l'aîné, appelé Sabinus, s'éleva
jusqu'à la préfecture de Rome, et le second,
Vespasien, jusqu'à l'empire. Polla était d'une
honnête famille de Nursie : son père, Vespasius
Pollion, avait été trois fois tribun des
soldats et préfet des camps. Elle avait un
frère sénateur, qui avait géré la
préture. Il subsiste encore aujourd'hui, au sommet
d'une montagne, près du sixième milliaire, sur
la route de Nursie à Spolète, un endroit qui
porte le nom de Vespasia, et où se voient plusieurs
monuments des Vespasius, qui attestent la splendeur et
l'ancienneté de cette famille. On a prétendu,
il est vrai, que le père de Pétron, né
au delà du Pô, était le chef de ces
ouvriers qui passent, tous les ans, de l'Ombrie dans le pays
des Sabins, pour cultiver les terres ; qu'il se fixa dans la
ville de Réate, et s'y maria. Mais, malgré les
plus minutieuses recherches, je n'ai trouvé aucun
vestige de ce fait.
II. Vespasien naquit dans le
pays des Sabins, au delà de Réate, dans un
petit bourg que l'on appelle Phalacrine, le quinze des
calendes de décembre, à la fin du jour, sous le
consulat de Q. Sulpicius Camérinus et de C.
Poppéus Sabinus, cinq ans avant la mort d'Auguste. Il
fut élevé chez son aïeule paternelle
Tertulla, dans ses domaines de Cosa. Aussi, même
empereur, il alla visiter souvent ce séjour de son
enfance, et il laissa la maison telle qu'elle était,
ne voulant rien changer à des objets que ses yeux
avaient accoutumé d'y voir. La mémoire de cette
aïeule lui était si chère, qu'il continua
pendant toute sa vie, même les jours de fêtes
solennelles, à boire dans une petite coupe d'argent
qui lui avait appartenu. Revêtu de la toge virile,
Vespasien éprouva longtemps de l'aversion pour le
laticlave, quoique son frère l'eût
déjà reçu. Il n'y eut que sa mère
qui put enfin le contraindre à briguer cette
distinction ; victoire tardive, qu'elle dut moins encore
à ses prières ou à son autorité,
qu'à ses railleries et aux reproches humiliants
qu'elle ne cessait de lui faire, en l'appelant l'appariteur
de son frère. Il servit en Thrace, comme tribun des
soldats. Questeur, il reçut du sort la province de
Crète et de Cyrène. Candidat pour
l'édilité, puis pour la préture, il
n'obtint la première qu'avec beaucoup de peine,
après plusieurs échecs et au sixième
rang, tandis qu'il parvint de prime abord à la
seconde, et des premiers. Pendant sa préture, il
chercha par tous les moyens à plaire à
Caligula, qui était alors irrité contre le
sénat : il demanda des jeux extraordinaires pour
célébrer la victoire de cet empereur sur les
Germains ; il proposa d'ajouter, au supplice des citoyens
condamnés pour conjuration, l'ignominie d'être
privés de sépulture ; il le remercia, en plein
sénat, de l'honneur qu'il avait daigné lui
faire en l'invitant à souper.
III. Il épousa vers ce
temps Flavia Domitilla, autrefois la maîtresse de
Statilius Capella, chevalier romain, de la ville de Sabrata,
en Afrique. Elle n'avait que les droits de bourgeoisie latine
; mais un jugement de réintégration lui rendit
bientôt, avec l'entière liberté, le droit
de cité romaine, sur la réclamation de son
père Flavius Libéralis, de Férentum,
lequel n'était que le greffier d'un questeur. Il en
eut trois enfants, Titus, Domitien et Domitilla. Il
survécut à sa femme et à sa fille, qu'il
perdit avant d'arriver à l'empire. Après la
mort de sa femme, il reprit avec lui son ancienne
maîtresse Cénis, affranchie d'Antonia, à
qui elle servait de secrétaire ; et même quand
il fut empereur, elle tint, en quelque façon,
auprès de lui le rang d'une épouse
légitime.
IV. Sous le règne de
Claude, il fut envoyé en Germanie par le crédit
de Narcisse, comme lieutenant de légion. Il passa
ensuite en Bretagne, où il se battit trente fois
contre l'ennemi. Il réduisit à
l'obéissance deux peuples très belliqueux,
s'empara de plus de vingt villes, et soumit l'île de
Vecte, voisine de la Bretagne, tantôt sous le
commandement d'Aulus Plautius, lieutenant consulaire,
tantôt sous celui de Claude lui-même. Aussi le
vit-on recevoir les ornements triomphaux, et, en fort peu de
temps, un double sacerdoce ; il fut, en outre,
créé consul pour les deux derniers mois de
l'année. Depuis cette époque jusqu'à son
proconsulat, il vécut dans la retraite et le repos,
craignant Agrippine, qui avait encore beaucoup de pouvoir sur
son fils, et qui, même après la mort de
Narcisse, poursuivait ceux qui avaient été ses
amis. Le sort lui ayant assigné le gouvernement de
l'Afrique, il administra cette province avec beaucoup
d'intégrité, et il s'y acquit le respect des
peuples ; ce qui n'empêcha pas que, dans une
sédition à Adrumète, on ne lui
jetât des raves. Il ne revint pas plus riche qu'il
n'était parti : il fut même bientôt
obligé, son crédit étant
épuisé, d'engager toutes ses terres à
son frère, et, pour soutenir son rang, de descendre au
métier de maquignon ; ce qui le fit surnommer le
muletier. Il fut aussi convaincu, dit-on, d'avoir
extorqué à un jeune homme deux cent mille
sesterces, pour lui faire obtenir le laticlave, contre la
volonté de son père ; exaction qui lui valut un
blâme sévère. Il accompagna Néron
dans son voyage en Achaïe ; et comme il lui arriva
souvent de sortir du théâtre ou de s'y endormir
quand l'empereur chantait, il encourut la plus dure des
disgrâces : il fut non seulement exclu de son commerce
intime, mais condamné à ne plus paraître
devant lui. Il se retira donc dans une petite ville à
peu près ignorée, et c'est dans cette retraite
qu'au moment même où il craignait le plus pour
sa vie, on vint lui offrir un gouvernement et une
armée. C'était une antique et ferme croyance
répandue dans tout l'Orient, que l'empire du monde
appartiendrait vers ce temps à un homme parti de la
Judée. Cet oracle, qui regardait un
général romain, comme le prouva
l'événement, les Juifs se l'appliquèrent
à eux-mêmes : ils se révoltèrent,
et, après avoir tué leur gouverneur, ils mirent
en fuite le lieutenant consulaire de Syrie qui venait
à son secours, et auquel ils prirent une aigle. Pour
comprimer ce mouvement, il fallait une armée
considérable et un chef courageux, à qui
pourtant l'on pût confier sans crainte une entreprise
de cette importance. Néron choisit, entre tous,
Vespasien, qui, avec des talents dont il pouvait tout
espérer, avait une origine et un nom dont il pensait
n'avoir rien à craindre. L'armée fut donc
renforcée de deux légions, de huit escadrons et
de dix cohortes ; et Vespasien partit, emmenant avec lui,
parmi ses lieutenants, l'aîné de ses fils. Il
sut, dès son arrivée, se concilier l'estime de
sa province et même des provinces voisines, en
rétablissant la discipline militaire, en combattant
partout à la tête de ses troupes et avec tant
d'ardeur, qu'au siège d'un petit fort il fut
blessé au genou d'un coup de pierre, et reçut
plusieurs flèches dans son bouclier.
V. Après Néron
et Galba, Olhon et Vitellius se disputant l'empire, il
conçut l'espérance d'y parvenir
lui–même ; espérance fondée depuis
longtemps sur les prodiges que voici. Il y avait dans une
maison de campagne des Flavius, près de Rome, un vieux
chêne consacré à Mars, et qui, chaque
fois que Vespasia accouchait, poussait aussitôt un
rejeton, indice certain des destinées de l'enfant
qu'elle avait mis au jour. Le premier était faible et
se dessécha bientôt : aussi la fille qui venait
de naître ne passa-t-elle pas l'année ; le
second, robuste et élancé, promettait une
grande prospérité ; le troisième
était aussi fort qu'un arbre. Sabinus, père de
Vespasien, alla, dit-on, sur la foi d'un aruspice, annoncer
à sa mère «qu'il lui était
né un petit-fils qui serait empereur» ; elle ne
fit qu'en rire, «étonnée,
répondit-elle, de voir que son fils radotait
déjà, quand elle-même avait encore toute
sa raison». Dans la suite, lorsque Vespasien fut
édile, C. César, furieux de ce qu'il n'avait
pas fait balayer les rues, ordonna de lui jeter de la boue ;
ce que les soldats exécutèrent ; et comme il en
tomba par-dessus sa toge, jusque sur sa poitrine, des
témoins de ce fait l'interprétèrent en
disant qu'un jour la république, foulée aux
pieds, déchirée par la guerre civile, se
réfugierait sous sa protection et comme dans son sein.
Une autre fois, pendant qu'il dînait, un chien
étranger apporta de la rue une main humaine, qu'il
déposa sous sa table. Un soir qu'il était
à souper, un boeuf de labourage ayant rompu son joug,
se précipita dans la salle à manger, mit en
fuite tous les esclaves, et, se laissant tout à coup
tomber, comme de fatigue, aux pieds de Vespasien, baissa
devant lui la tête. A la campagne de son aïeul, un
cyprès déraciné, enlevé de terre
et jeté à bas, sans que ce fût par la
violence d'aucune tempête, se releva, le lendemain,
plus vert et plus robuste. En Achaïe, Vespasien
rêva qu'une ère de prospérité
commencerait pour lui et pour les siens, le jour où
l'on aurait enlevé une dent à Néron ; et
le lendemain, lorsqu'il entra dans l'antichambre de ce
prince, le médecin lui montra une dent qu'il venait de
lui arracher. Comme il consultait, près de la
Judée, l'oracle du dieu du Carmel, les sorts lui
répondirent que, quelque grand dessein qu'il
méditât, il pouvait être sûr du
succès. Josèphe, un des prisonniers juifs les
plus distingués, ne cessa d'affirmer, pendant qu'on le
chargeait de chaînes, qu'il en serait bientôt
délivré par Vespasien lui-même, par
Vespasien empereur. On lui annonçait aussi de Rome des
présages favorables : que Néron, dans ses
derniers jours, avait été averti en songe de
tirer du sanctuaire la statue du grand Jupiter, et de la
porter dans la maison de Vespasien, puis au Cirque ; que, peu
de temps après, comme Galba réunissait les
comices pour son second consulat, la statue de Jules
César s'était tournée d'elle-même
vers l'Orient ; enfin, qu'avant la bataille de
Bétriacum, deux aigles s'étaient battus en
présence des deux armées, et que l'un d'eux
ayant été vaincu, il en était venu du
côte de l'Orient un troisième, qui avait mis en
fuite le vainqueur.
VI. Cependant, malgré
l'ardeur et les instances de ses partisans, il fallut, pour
le déterminer, que le hasard fît déclarer
en sa faveur des troupes éloignées, et qui ne
le connaissaient même pas. Deux mille hommes
tirés des trois légions de l'armée de
Mésie, et envoyés au secours d'Othon, apprirent
en route sa défaite et sa mort. Ils ne
laissèrent pas de s'avancer jusqu'à
Aquilée, comme s'ils n'eussent pas cru à cette
nouvelle. Là, s'étant livrés, par
désoeuvrement, à toutes sortes d'excès
et de rapines, et craignant d'être forcés, au
retour, à rendre compte de leur conduite et
d'être punis, ils prirent le parti d'élire et de
créer un empereur : «car étaient-ils
moins que les légions d'Espagne, qui avaient
élu Galba ? que les prétoriens, qui avaient
proclame Othon ? que l'armée de Germanie, qui avait
couronné Vitellius ?» Ils passèrent donc
en revue les noms de tous les lieutenants consulaires,
à quelque armée qu'ils appartinssent alors. Ils
les avaient rejetés successivement pour un motif ou
pour un autre, lorsque des soldats de la troisième
légion, laquelle avait passé de la Syrie dans
la Mésie vers le temps de la mort de Néron,
leur firent un grand éloge de Vespasien. Tous alors
d'applaudir, et le nom de Vespasien fut inscrit sur les
enseignes. Toutefois cette élection n'eut pas de
suite, ces cohortes étant bientôt
rentrées dans le devoir. Mais la nouvelle s'en
étant répandue, Tibère Alexandre,
préfet d'Egypte, fut le premier qui fit prêter
serment à Vespasien par ses légions :
c'était aux calendes de juillet, jour qui, depuis, fut
religieusement fêté comme celui de son
avénement. L'armée de Judée lui jura
fidélité à lui-même le cinq des
ides de juillet. Plusieurs circonstances favorisèrent
à la fois son entreprise : la copie, répandue
avec profusion, d'une lettre, vraie ou supposée,
d'Othon à Vespasien, dans laquelle il le chargeait, en
mourant, du soin de le venger, et exprimait le voeu qu'il
vînt au secours de la république ; le bruit qui
se répandit que Vitellius, vainqueur d'Othon, avait
dessein de changer les quartiers d'hiver des légions,
et de faire passer en Orient celles de Germanie, pour leur
assurer un service plus tranquille et plus doux ; enfin
l'appui qu'il trouva dans un gouverneur de province, Licinius
Mucianus, et dans le roi des Parthes Vologèse ; dont
l'un abjurant l'ancienne et éclatante inimitié
que la jalousie avait fait naître entre eux, lui promit
alors l'armée de Syrie, et dont l'autre lui offrit
quarante mille archers.
VII. Il se résolut donc
à commencer la guerre civile ; et ayant envoyé
ses lieutenants en Italie avec des troupes, il se rendit
à Alexandrie, pour s'emparer des barrières de
l'Egypte. Là, voulant consulter les oracles sur la
durée de son règne, il entra seul dans le
temple de Sérapis, dont il fit sortir tout le monde.
Après s'être rendu le dieu propice, il se
retourna, et crut voir l'affranchi Basilidès qui lui
présentait, comme c'est l'usage dans ce temple, des
branches de verveine, des couronnes et des gâteaux.
Personne pourtant n'y avait introduit ce Basilidès,
qu'une maladie de nerfs empêchait depuis longtemps de
marcher, et que l'on savait être fort loin de
là. Il lui arriva aussitôt des lettres annoncant
que les troupes de Vitellius avaient été
défaites à Crémone, et que ce prince
avait été tué dans Borne. Une
circonstance singulière vint imprimer à la
personne de Vespasien le caractère de grandeur et de
majesté qui manquait à ce prince encore
nouveau, et en quelque sorte improvisé. Deux hommes du
peuple, l'un aveugle, l'autre boiteux, se
présentèrent ensemble devant son tribunal, en
le suppliant de les guérir ; car, pendant leur
sommeil, Sérapis leur avait, disaient-ils,
donné l'assurance, à l'un qu'il recouvrerait la
vue si l'empereur crachait sur ses yeux, à l'autre
qu'il marcherait droit s'il voulait lui donner un coup de
pied. Ne pouvant croire au succès d'un tel
remède, Vespasien n'osait pas même l'essayer ;
enfin, sur les instances de ses amis, il tenta cette
guérison devant toute l'assemblée, et
réussit. Vers le même temps les devins
ordonnèrent de faire des fouilles à
Tégée, en Arcadie ; on y trouva, enfouis dans
un lieu consacré, des vases antiques sur lesquels
était gravée une figure qui ressemblait
à Vespasien.
VIII. Tel était
Vespasien, telle était sa réputation, quand il
revint à Rome, où il triompha des Juifs. Il
ajouta huit consulats au premier qu'il avait obtenu
autrefois, et géra aussi la censure. Pendant tout le
temps de son règne, il n'eut rien de plus à
coeur que de raffermir la république
ébranlée et chancelante, et d'en assurer
ensuite la prospérité. Les soldats
étaient parvenus au comble de la licence et de
l'audace, les uns par l'entraînement de la victoire,
les autres par le ressentiment de leur défaite. Le
plus grand désordre régnait dans les provinces,
dans les villes libres et dans quelques royaumes. Vespasien
licencia une grande partie des soldats de Vitellius, et
réprima l'autre. Quant à ceux qui avaient
vaincu sous lui, il fut si loin de leur accorder aucune
grâce extraordinaire, qu'il leur fit même
longtemps attendre les récompenses qui leur
étaient dues. Il ne laissait échapper aucune
occasion de réformer les moeurs. Un jeune homme
étant venu, tout parfumé, le remercier du don
d'une préfecture, il se détourna d'un air de
dégoût, en lui disant d'une voix
sévère : «J'aimerais mieux que vous
sentissiez l'ail», et il révoqua sa nomination.
Les matelots qui viennent tour à tour à pied
d'Ostie et de Pouzzoles à Rome demandaient
«qu'il leur fût alloué désormais
une gratification pour indemnité de chaussures».
Il ne crut pas que ce fût assez de les renvoyer sans
réponse ; il ordonna qu'à l'avenir ils feraient
pieds nus cette course ; et c'est encore ainsi qu'ils vont
aujourd'hui. Il priva de la liberté l'Achaïe, la
Lycie, Rhodes, Byzance, Samos, qu'il réduisit en
provinces romaines, ainsi que la Thrace, la Cilicie et la
Commagène, qui avaient été
gouvernées jusque-là par des rois. Il augmenta
le nombre des légions de Cappadoce, à cause des
continuelles incursions des barbares, et il y envoya, au lieu
d'un chevalier romain, un gouverneur consulaire. Des ruines
et des incendies déjà anciens donnaient
à Rome un aspect désagréable : il permit
à qui voudrait d'occuper les terrains vacants et d'y
bâtir, si les propriétaires négligeaient
de le faire. Lui-même entreprit la restauration du
Capitole ; il mit le premier la main à l'oeuvre pour
déblayer les décombres, et il porta des pierres
sur son dos. Il fit refaire aussi trois mille tables d'airain
détruites dans l'embrasement du Capitole, et où
étaient gravés, depuis la fondation de Rome,
les sénatus-consultes et les plébiscites sur
les alliances, les traités et les privilèges
accordés à chaque peuple. Il en fit rechercher
de tous côtés des copies, et reconstruisit ainsi
le plus beau et le plus ancien monument de l'empire.
IX. Il entreprit aussi des
constructions nouvelles, telles que le temple de la Paix,
voisin du Forum ; celui de l'empereur Claude, sur le mont
Célius, commencé, il est vrai, par Agrippine,
mais presque entièrement détruit par
Néron ; un amphithéâtre au milieu de
Rome, d'après le plan qu'Auguste en avait
laissé. Des meurtres sans nombre avaient
épuisé les premiers ordres de l'Etat, et
d'anciens abus en avaient terni la splendeur : Vespasien
épura et compléta ces différents ordres,
en faisant le recensement des sénateurs et des
chevaliers ; il en expulsa les plus indignes ; il y admit les
citoyens les plus recommandables de l'Italie et des
provinces. Enfin, voulant faire sentir que la
différence entre ces deux ordres consistait moins dans
la liberté que dans la dignité, il jugea, dans
la querelle d'un sénateur et d'un chevalier,
«qu'il n'était pas permis de dire des injures
aux sénateurs, mais qu'il était juste et
légal de leur en répondre».
X. Le nombre des
procès s'était partout accru d'une
manière effrayante, les anciennes contestations
étant restées suspendues par suite de
l'interruption de la justice, et le trouble des temps en
ayant sans cesse amené de nouvelles. Il établit
une commission de juges tirés au sort, et
chargés de restituer ce qui avait été
arraché de force pendant les guerres civiles,
d'expédier extraordinairement et de réduire
autant que possible le nombre des causes portées
devant les centumvirs, lesquelles étaient en effet si
nombreuses, que la vie des plaideurs paraissait à
peine devoir y suffire.
XI. Le luxe et la
débauche ne trouvant de répression nulle part,
avaient fait de rapides progrès. Vespasien fit statuer
par le sénat que toute femme qui se marierait à
l'esclave d'autrui serait elle-même
réputée esclave ; et que les usuriers qui
prêteraient aux fils de famille ne pourraient, en aucun
cas, exiger le remboursement de leurs créances, pas
même après la mort des pères.
XII. Dans tout le reste, il
montra, dès le commencement de son règne
jusqu'à la fin, de la modération et de la
bonté. Il ne dissimula jamais la bassesse de son
extraction ; souvent même il en fit vanité, et
il tourna lui-même en ridicule quelques flatteurs, qui
voulaient faire remonter l'origine de la maison Flavia aux
fondateurs de Réate, et jusqu'à un compagnon
d'Hercule, dont on voit le monument sur la voie Salaria. Il
avait si peu de goût pour tout ce qui tient à la
pompe extérieure, que, le jour de son triomphe,
fatigué de la lenteur de la marche et ennuyé de
la cérémonie, il ne put s'empêcher de
dire, «qu'il était justement puni d'avoir eu,
à son âge, la sottise de souhaiter le triomphe,
comme si cet honneur eût été dû
à son nom, ou qu'il eût jamais pu
l'espérer». Il ne consentit que fort tard
à accepter la puissance tribunitienne et le titre de
Père de la patrie. Quant à l'usage de
fouiller ceux qui venaient saluer l'empereur, il l'avait
aboli dès le temps même de la guerre
civile.
XIII. Il endurait fort
patiemment la franchise de ses amis, les apostrophes hardies
des avocats et les invectives des philosophes. Licinius
Mucianus, dont les moeurs infâmes étaient bien
connues, mais que ses services avaient enorgueilli, affectait
pour lui fort peu de respect : l'empereur ne le reprit jamais
qu'en particulier ; et lorsqu'il parlait de Licinius à
quelqu'un de leurs amis communs, il se contentait d'ajouter :
«Pour moi, du moins, je suis un homme». Il
félicita Salvius Libéralis d'avoir osé
s'écrier, dans la défense d'un riche client :
«Qu'importe à César qu'Hipparque ait cent
millions de sesterces ?» Il trouva un jour, assis sur
son chemin, Démétrius le cynique, qui venait
d'être condamné par ses juges ; et celui-ci,
loin de se lever en sa présence ou de le saluer,
s'étant mis à aboyer je ne sais quelles
injures, Vespasien se contenta de l'appeler chien.
XIV. Il n'avait ni
mémoire ni ressentiment pour les offenses et les
inimitiés. Il maria magnifiquement la fille de
Vitellius, son ennemi, la dota et lui fit de riches
présents. Sous Néron, à l'époque
où l'accès de la cour lui était
interdit, un des huissiers du palais, à qui il
demandait tout tremblant ce qu'il ferait désormais et
où il irait, lui avait répondu, en le mettant
à la porte : «Allez-vous-en à
Morbonia». Dans la suite, quand cet homme vint lui
demander grâce, il lui fit à peu près la
même réponse, et se crut assez vengé.
Incapable de sacrifier quelqu'un à ses craintes ou
à ses soupçons, il fit consul Métius
Pomposianus, dont ses amis l'avertissaient de se
défier, parce que son horoscope l'appelait, disait-on,
à l'empire : «Eh bien, dit alors Vespasien, il
se souviendra du bien que je lui aurai fait».
XV. On citerait
difficilement un innocent puni sous son règne, si ce
n'est en son absence, à son insu, et, dans tous les
cas, contre son gré ou parce qu'on le trompait. Quand
il revint de Syrie, Helvidius Priscus fut le seul qui ne le
salua que du nom de Vespasien ; et, pendant sa
préture, il affecta de ne lui rendre aucun hommage et
de ne jamais le nommer dans ses édits. Vespasien ne se
fâcha qu'après avoir été
poussé à bout, et ravalé au dernier rang
des citoyens par l'insolence effrénée de ses
invectives. Si d'abord il l'exila, si même il donna
ensuite l'ordre de le tuer, il fit tout pour le sauver : il
dépêcha aussitôt des courriers
chargés de ramener les exécuteurs de cet ordre
; et il eût certainement sauvé Helvidius, si
l'on n'était revenu lui faire le mensonge qu'il
n'était plus temps. Du reste, bien loin de se
réjouir du meurtre de personne, il déplorait
même les supplices les plus justes.
XVI. Le seul reproche qu'on
lui fasse avec raison, c'est d'avoir aimé l'argent. En
effet, non content de rétablir les impôts abolis
sous Galba, d'en créer de nouveaux et de plus pesants,
d'augmenter les tributs des provinces et de les doubler
quelquefois, il fit ouvertement des trafics honteux
même pour un particulier, achetant, par exemple,
certaines choses en bloc, dans le seul but de les revendre
plus cher en détail. Il vendait les magistratures aux
candidats et les absolutions aux accusés, qu'ils
fussent innocents ou coupables. On prétend même
qu'il donnait les plus grands emplois aux plus rapaces de ses
agents, afin de les condamner quand ils se seraient enrichis.
Ils étaient pour lui, disait-on communément,
comme des éponges qu'il savait emplir et presser tour
à tour. Cette cupidité lui était, selon
quelques-uns, naturelle et lui fut reprochée, un jour,
par un vieux bouvier, qui, ne pouvant en obtenir gratuitement
la liberté, après son avénement à
l'empire, s'écria «que le renard pouvait bien
changer de poil, mais non pas de moeurs». D'autres
pensent, au contraire, que l'extrême pénurie du
trésor et du fisc lui fit une nécessité
du pillage et de la rapine ; aussi avait-il dit, au
commencement de son règne, «que l'Etat avait
besoin, pour se soutenir, de quatre milliards de
sesterces». Cette dernière opinion me
paraît d'autant plus vraisemblable, qu'il employa
très bien ce qu'il avait mal acquis.
XVII. Ses
libéralités s'étendaient sur tout le
monde sans distinction : il compléta le cens de
quelques sénateurs ; il fonda un revenu annuel de cinq
cent mille sesterces pour les consulaires pauvres et dans
tout l'empire il fit rebâtir, plus belles qu'elles
n'étaient, un grand nombre de villes détruites
par des tremblements de terre ou par des incendies.
XVIIl. Il protégea
surtout les talents et les arts : il constitua le premier,
sur le trésor public, une pension annuelle de cent
mille sesterces aux rhéteurs grecs et latins, et il
accorda de riches gratifications et de magnifiques
présents aux poètes célèbres et
aux artistes fameux ; par exemple, à celui qui fit la
Vénus de Cos, et à celui qui répara le
Colosse. Un mécanicien s'était engagé
à transporter à peu de frais, dans le Capitole,
des colonnes immenses ; Vespasien lui fit payer une forte
somme pour son projet ; mais il en ajourna
l'exécution, en disant : «Permettez que je
nourrisse le pauvre peuple».
XIX. Aux jeux
célébrés pour la dédicace du
théâtre de Marcellus, qu'on avait
restauré, il fit jouer aussi d'anciennes
pièces. Il fit présent au tragédien
Apollinaris de quatre cent mille sesterces ; les musiciens
Terpnus et Diodore en eurent deux cent mille ; quelques-uns,
cent mille ; d'autres, quarante mille au moins, sans compter
un grand nombre de couronnes d'or. Il donnait souvent des
repas, et il les commandait somptueux et magnifiques, pour
faire gagner les marchands de comestibles. Il faisait des
présents de table aux hommes le jour des Saturnales,
et aux femmes le jour des calendes de Mars. Mais il ne put,
malgré ces libéralités, se laver du
reproche d'avarice ; et les habitants d'Alexandrie
l'appelèrent toujours Cybiosacte, du nom d'un
de leurs rois, qui avait été d'une
cupidité sordide. Le jour de ses funérailles,
le chef des pantomimes, nommé Favor, qui faisait le
personnage de l'empereur, et parodiait, selon la coutume, ses
manières et son langage, demanda publiquement aux
intendants du défunt combien coûtaient ses
obsèques et son convoi ; et quand on lui eut
répondu : «Dix millions de sesterces», il
s'écria : «Donnez-m'en cent mille, et jetez-moi,
si vous le voulez, dans le Tibre».
XX. Il avait la taille
carrée, les membres robustes et épais ; la
figure comme celle d'un homme qui fait de violents efforts.
Aussi un railleur, qu'il pressait de dire contre lui un bon
mot, lui répondit assez plaisamment : «J'en
dirai un, quand vous aurez fini de pousser votre
selle». Il jouit toujours d'une excellente
santé, quoiqu'il ne fît rien pour l'entretenir,
que de se frotter lui-même, dans une salle d'exercice,
le cou et les membres un certain nombre de fois, et de faire
diète un jour par mois.
XXI. Voici, à peu
près, quelle était sa manière de vivre.
Depuis son avénement, il se levait toujours de bonne
heure et même avant le jour, pour travailler. Quand il
avait lu toutes ses lettres et les rapports des officiers du
palais, il faisait entrer ses amis, et, tout en recevant
leurs salutations, il se chaussait et s'habillait
lui-même. Ensuite, après avoir
expédié toutes les affaires qui pouvaient
survenir, il se promenait en litière ; puis il
revenait prendre un peu de repos, ayant à
côté de lui, sur son lit, quelqu'une des
nombreuses concubines qu'il avait choisies, après la
mort de Cénis, pour la remplacer. Il passait de
là dans la salle de bain et dans la salle à
manger : c'était, dit-on, le moment où il
était de l'humeur la plus douce et la plus facile, et
que les gens de sa maison avaient soin de choisir pour lui
adresser leurs demandes.
XXII. Il était d'une
grande familiarité dans ses entretiens, principalement
à table, où il se permettait une foule de
plaisanteries. Il avait, en effet, beaucoup de
causticité, et il descendait parfois à de
grossières bouffonneries, ne s'abstenant même
pas des plus sales expressions. On a toutefois
conservé de lui d'assez heureuses saillies, entre
autres celles-ci. Le consulaire Mestrius Florus l'avait, un
jour, averti de dire plaustra (des chariots) et non
pas plostra ; Vespasien le salua, le lendemain, du nom
de Flaurus. Une femme ayant feint pour lui une passion
violente et ayant triomphé de ses dédains, il
se la fit amener, et lui donna, pour une nuit, quatre cent
mille sesterces : son intendant lui ayant ensuite
demandé comment il fallait inscrire cette
dépense dans ses comptes : «Ecrivez, dit-il,
pour une passion inspirée par Vespasien».
XXIII. Il citait avec assez
d'à-propos des vers grecs ; témoin celui dont
il fit l'application à quelqu'un de grande stature, et
que la nature avait, sous un certain rapport, traité
avec largesse :
Il s'avance à grands pas, brandissant un long dard.
Un riche affranchi, nommé Cérulus, se disait
de condition libre, afin de frauder plus tard les droits du
fisc, et commençait même, laissant là son
nom, à se faire appeler Lachès ; Vespasien
s'écria en grec : «0 Lachès !
Lachès ! quand tu seras mort, tu te retrouveras
Cérulus comme devant». Il cherchait surtout la
plaisanterie à propos de ses honteuses exactions, afin
de couvrir par un trait d'esprit ce qu'elles avaient
d'odieux, et d'y attacher le souvenir d'un bon mot. Un de ses
serviteurs les plus chers lui demandait une place d'intendant
pour quelqu'un qu'il disait être son frère :
Vespasien ajourna sa réponse, fit venir l'aspirant lui
même ; et s'étant fait donner la somme que
celui-ci avait promise à son protecteur, il l'installa
sur-le-champ. Lorsque le solliciteur lui en reparla :
«Cherchez, lui dit-il, un autre frère ; celui
que vous croyiez le vôtre est tout à coup devenu
le mien». Ayant vu, dans un de ses voyages, son
muletier s'arrêter brusquement pour faire ferrer ses
mules, et le soupçonnant d'avoir voulu donner ainsi,
à un plaideur dont ils avaient fait rencontre, le
temps de lui parler de son affaire, il lui demanda
«combien il avait reçu pour les fers», et
il se fit payer une partie de la somme. Son fils Titus
l'ayant blâmé d'avoir établi un
impôt jusque sur l'urine, il lui mit sous le nez le
premier argent de cet impôt, et lui demanda «s'il
sentait mauvais». Titus ayant répondu que non,
«C'est pourtant de l'urine», lui dit Vespasien.
Des députés étaient venus lui annoncer
que leurs concitoyens lui avaient décerné une
statue colossale d'un prix considérable, il dit, en
leur montrant le creux de sa main : «Qu'on la pose donc
ici, le piédestal est prêt». La crainte
même de la mort ni les approches de ce moment fatal ne
purent l'empêcher de plaisanter. Entre autres prodiges
qui annoncèrent sa fin, le Mausolée s'ouvrit
tout à coup, et une étoile chevelue parut dans
le ciel : il prétendit que le premier de ces
présages regardait Junia Calvina, qui était de
la race d'Auguste, et que l'autre concernait le roi des
Parthes, qui avait une longue chevelure. Il dit, au
début de sa dernière maladie :
«Hélas ! je crois que je deviens
dieu».
XXIV. Il était consul
pour la neuvième fois, lorsqu'il ressentit, en
Campanie, de légers mouvements de fièvre : il
revint sur-le-champ à Rome, d'où il se rendit
à Cutilies et dans ses terres de Réate,
où il avait coutume de passer l'été.
Là, son mal augmenta, grâce à l'usage
immodéré de l'eau froide, qui lui
détruisit l'estomac. Il n'en remplissait pas moins les
devoirs de sa dignité avec autant d'exactitude
qu'auparavant : il recevait même au lit les
députations qu'on lui envoyait. Mais se sentant tout
à coup défaillir à la suite d'un flux de
ventre, «un empereur, dit-il, doit mourir
debout», et, dans le moment même où il
s'efforçait de se lever, il expira entre les bras de
ceux qui l'y aidaient, le neuf des calendes de juillet,
âgé de soixante-neuf ans sept mois et sept
jours.
XXV. Tout le monde s'accorde
à dire qu'il avait une telle confiance dans la
destinée promise à ses enfants et à lui,
que, malgré de fréquentes conspirations
formées contre sa vie, il ne craignit pas d'affirmer
en plein sénat «qu'il aurait pour successeurs
ses fils ou personne». On dit aussi qu'il vit, une
fois, en songe une balance suspendue, dans un parfait
équilibre, au vestibule du palais, et portant dans
l'un des bassins Claude et Néron, dans l'autre lui et
ses fils : égalité qui se retrouva dans la
supputation des années, puisque la durée des
règnes fut la même de part et d'autre.
Traduit par Théophile Baudement (1845)