VI - Tarquin l'Ancien (an de Rome 137 et suiv.)

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Lucius Tarquin, l'ancien, était fils de Damaratus de Corinthe, qui, fuyant la tyrannie de Cypselus (1) se retira en Etrurie. Lucumon était son premier nom. Sous le règne d'Ancus il quitta la ville de Tarquinie et se retira à Rome. Comme il approchait de cette ville, un aigle lui enleva son chapeau, et, après s'être élevé à une grande hauteur, vint le lui replacer sur la tête. Sa femme Tanaquil, savante dans l'art des augures (2), comprit que cet événement lui présageait le rang suprême. Bientôt Tarquin, par ses richesses et par son industrie, obtint une grande considération auprès du roi Ancus, et entra même dans la familiarité de ce prince, qui, en mourant, le nomma tuteur de ses fils. Après s'être servi de cette qualité pour usurper (3) la souveraine puissance, il en usa néanmoins comme si elle lui eût légitimement appartenu. Au nombre des sénateurs nominés par Romulus, il en ajouta cent autres qui furent appelés pères du second ordre (4). Il doubla le nombre des centuries de chevaliers, mais il ne put en changer les noms, ayant été détourné de la pensée qu'il en avait par l'augure Accius Naevius qui, pour lui inspirer une grande confiance dans son art, coupa avec un rasoir la pierre qui servait à le repasser. Ce même prince dompta les Latins, bâtit le grand cirque (5), institua les grands jeux, triompha des Sabins et des anciens Latins, enferma la ville d'un mur de pierres, fit prendre la prétexte et la bulle (6) à son fils, âgé de treize ans, parce qu'il avait tué un ennemi en combattant. Alors commença la coutume d'accorder ces marques distinctives aux enfants des personnes libres. Quelque temps après, des assassins, envoyés par les fils d'Ancus, l'attirèrent par un stratagème hors de son palais (7) et le mirent à mort.


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(1)  Selon Eusèbe, ce Cypselus fut le fondateur de Byzance. Il s'empara du pouvoir suprême à Corinthe, six cent cinquante-trois ans avant Jésus-Christ. Damanatus avait quitté cette ville, vingt-trois ans auparavant. Comment expliquer cet anachronisme ?

(2)  Cette science était en grande considération en Etrurie, patrie de Tanaquil. Les Romains empruntèrent de ce pays presque toutes leurs superstitions.

(3)  Aurelius Victor n'a pas tout-à-fait raison. Tarquin l'Ancien monta sur le trône par le consentement du peuple, par l'autorité du sénat, et après toutes les cérémonies usitées à cette époque.

(4)  Romulus avait choisi cent sénateurs du premier ordre, ou des plus grandes familles, majorum gentium, et leur avait donné ce nom. Ceux que Brutus ajouta à ce nombre furent appelés minorum gentium, ou pères des moindres familles.

(5)  Les cirques étaient construits en forme de cercles allongés. Ils étaient destinés à la célébration des jeux. A l'entour s'élevaient, les uns au-dessus des autres, des gradins d'où les spectateurs, assis commodément, pouvaient voir tout ce qui se passait dans leur enceinte. Au milieu il y avait deux bornes autour desquelles les chevaux tournaient. La longueur du grand cirque était de trois stades et demi, ou de près de quatre cent cinquante pas géométriques, et sa largeur de quatre jugères. Il était entouré de portiques et de magnifiques colonnes. Du temps de Pline, il pouvait contenir aisément deux cent soixante mille personnes assises. Il est probable qu'il ne fut appelé maximes que longtemps après Tarquin l'Ancien, d'après ces paroles de Tite-Live, qui nunc maximus dicitur, lesquelles portent à croire que cette dénomination était moderne au temps où écrivait cet historien. Il était situé entre les monts Aventin et Palatin. Il y aurait beaucoup d'autres détails à donner sur les cirques ; mais une simple note s'y oppose. On célébrait ces jeux en l'honneur des grands dieux, tels que Jupiter, Junon, Minerve, etc. Les Romains les avaient empruntés des Etrusques.

(6)  La prétexte était une robe blanche, bordée de pourpre, que les enfants de famille portaient jusqu'à l'âge de dix-sept ans. La bulle était un ornement de forme ronde, un anneau en forme de coeur qu'on suspendait au cou des enfants de qualité. Semblable aux bulles qu'on forme en soufflant dans l'eau de savon, elle servait de talisman ou amulette pour résister aux épreuves de la magie.

(7)  Ces assassins étaient deux pâtres qui firent semblant de se prendre de querelle dans le vestibule du palais. Ayant été introduits devant Tarquin, l'un deux saisit l'instant où ce prince venait de se détourner pour écouter l'autre, et le frappa sur la tête d'un coup de hache. Au lieu des mots, per dolum regno exutus, qui se trouvent dans l'édition d'Arntzen, on lit dans d'autres éditions conformes à plusieurs manuscrits, notamment dans celles de Pitiscus et de Juncker, per dolum regia excitus, etc. J'ai suivi cette dernière leçon. Schott pense néanmoins que ces mots, regia excitus, ont été ajoutés par un copiste très ancien, et qu'il faut lire interfectus est, aussitôt après per dolum.