XXVIII - Les deux Philippes (an de Rome 997)

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M. J. Philippe était natif de la Trachonitide, contrée de l'Arabie. Après avoir associé à l'empire son fils Philippe, réglé les affaires de l'Orient, et bâti en Arabie la ville de Philippopolis (1), il se rendit à Rome. Comme les campagnes situées sur la rive droite du Tibre manquaient d'eau, ces deux princes y firent creuser un vaste réservoir. Ensuite ils célébrèrent par toutes sortes de jeux la dixième année séculaire de la fondation de Rome. Cette circonstance me rappelle que, de notre temps, la dernière année du onzième siècle de cette fondation s'est écoulée sous le consulat d'un autre Philippe, sans qu'on l'ait solennisée avec les anciennes cérémonies ; tant l'intérêt dont la ville de Rome était l'objet s'affaiblit de jour en jour ! Ce malheur fut annoncé, dans le temps dont nous avons parlé, par des prodiges dont nous ne rapporterons que le suivant. Un jour que, d'après l'ordre des pontifes, on immolait des victimes, un porc mâle parut tout à coup avec les parties naturelles d'une truie. Les aruspices (2) consultés sur ce prodige, affirmèrent qu'il était le signe avant-coureur d'une grande dissolution et de vices énormes dont les générations futures se souilleraient. Voulant empêcher l'effet de ce présage, ou même indigné d'avoir vu, en passant devant un lieu de débauche, un jeune garçon qui se mettait à prix, et dont la ressemblance avec son fils était frappante, il interdit la licence du crime contre nature, infamie qui néanmoins subsiste encore de notre temps. S'il ne peut plus se commettre publiquement, il est porté à un plus grand excès qu'auparavant, par la raison que les hommes se livrent en secret avec plus de passion à ce qu'on leur défend, et qu'ils ne peuvent faire sans danger ; et de plus, que les Etrusques avançaient avec assurance dans leurs prédictions, dans le temps même que toutes les vertus étaient foulées aux pieds, que l'homme le moins vertueux était le plus heureux. Quant à moi, je pense qu'ils ont parfaitement ignoré en quoi consiste le vrai bonheur. En effet, peut-il être heureux, l'homme à qui tout réussit au gré de ses désirs, lorsqu'il a perdu cette pudeur avec laquelle toutes les autres pertes sont supportables ? Après les actions dont nous venons de parler, Philippe, le père, laissa son fils à Rome ; et, quoique affaibli par l'âge, il marcha contre Dèce. Dansla bataille qu'il lui livra près de Vérone, son armée fut mise en déroute, et lui-même y perdit la vie. Cette nouvelle étant parvenue à Rome, son fils fut aussitôt mis à mort auprès du camp des prétoriens. Son règne avait duré cinq ans.

Philippe le père
Musée du Louvre


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(1)  Sur les ruines de Bostra ou Bosra, ville principale de l'Idumée, et célèbre dans la Sainte-Ecriture.

(2)   Les aruspices cherchaient à connaître l'avenir par l'inspection des victimes. Si celle qu'on devait immoler ne suivait qu'avec peine le prêtre qui la conduisait à l'autel, si elle prenait la fuite, si elle évitait le coup, si elle ne rendait qu'une petite quantité de sang, si elle se débattait en expirant, c'étaient autant de mauvais présages. Mais nul signe n'était plus heureux, si d'elle-même elle s'avançait vers l'autel ; si elle recevait tranquillement la mort, et si, après être tombée, elle expirait sans agitation. Lorsqu'on avait ouvert la victime, l'haruspice, armé d'un couteau de bois, en retournait toutes les parties pour examiner le foie, le coeur, 1es poumons, les reins, les entrailles, la langue. Si ces parties étaient saines, elles annonçaient quelque chose d'heureux ; si elles étaient gâtées, elles présageaient quelque malheur. Quant aux augures, ils prédisaient l'avenir par le vol et le chant des oiseaux, par des signes qu'ils observaient dans les autres animaux, et par certains événements auxquels la superstition attachait de l'importance.