Le fils de saint Louis, Philippe le Hardi, revenant de cette
triste croisade de Tunis, déposa cinq cercueils aux
caveaux de Saint-Denis. Faible et mourant lui-même, il se
trouvait héritier de presque toute sa famille. Sans
parler du Valois qui lui revenait par la mort de son
frère Jean Tristan, son oncle Alphonse lui laissait tout
un royaume dans le midi de la France (Poitou, Auvergne,
Toulouse, Rouergue, Albigeois, Quercy, Agénois, Comtat).
Enfin, la mort du comte de Champagne, roi de Navarre, qui
n'avait qu'une fille, mit cette riche héritière
entre les mains de Philippe, qui lui fit épouser son
fils.
Par Toulouse et la Navarre, par le Comtat, cette grande
puissance regardait vers le midi, vers l'Italie et l'Espagne.
Mais, tout puissant qu'il était, le fils de saint Louis
n'était pas le chef véritable de la maison de
France. La tête de cette maison, c'était le
frère de saint Louis, Charles d'Anjou. L'histoire de
France, à cette époque, est celle du roi de Naples
et de Sicile. Celle de son neveu, Philippe III, n'en est qu'une
dépendance.
Charles avait usé, abusé d'une fortune
inouïe. Cadet de France, il s'était fait comte de
Provence, roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem, plus
que roi, maître et dominateur des papes. On pouvait lui
adresser le mot qui fut dit au fameux Ugolin. «Que me
manque-t-il ? demandait le tyran de Pise. - Rien que la
colère de Dieu.»
On a vu comment il avait trompé la pieuse
simplicité de son frère, pour détourner la
croisade de son but, pour mettre un pied en Afrique et rendre
Tunis tributaire. Il revint le premier de cette
expédition faite par ses conseils et pour lui ; il se
trouva à temps pour profiter de la tempête qui
brisa les vaisseaux des croisés, pour saisir leurs
dépouilles sur les rochers de la Calabre, les armes, les
habits, les provisions. Il attesta froidement contre ses
compagnons, ses frères de la croisade, le droit de bris,
qui donnait au seigneur de l'écueil tout ce que la mer
lui jetait.
C'est ainsi qu'il avait
recueilli le grand naufrage de l'Empire et de l'église.
Pendant près de trois ans, il fut comme pape en Italie,
ne souffrant pas que l'on nommât un pape après
Clément IV. Clément, pour vingt mille
pièces d'or que le Français lui promettait de
revenus, se trouvait avoir livré, non seulement les
Deux-Siciles, mais l'Italie entière. Charles
s'était fait nommer par lui sénateur de Rome et
vicaire impérial en Toscane. Plaisance, Crémone,
Parme, Modène, Ferrare et Reggio, plus tard même
Milan, l'avaient accepté pour seigneur, ainsi que
plusieurs villes du Piémont et de la Romagne. Toute la
Toscane l'avait choisi pour pacificateur. «Tuez-les
tous,» disait ce pacificateur aux Guelfes de Florence qui
lui demandaient ce qu'il fallait faire des Gibelins prisonniers
(1).
Mais l'Italie était trop petite. Il ne s'y trouvait pas
à l'aise. De Syracuse, il regardait l'Afrique, d'Otrante
l'empire grec. Déjà il avait donné sa fille
au prétendant latin de Constantinople, au jeune Philippe,
empereur sans empire.
Les papes avaient lieu de se
repentir de leur triste victoire sur la maison de Souabe. Leur
vengeur, leur cher fils, était établi chez eux et
sur eux. Il s'agissait désormais de savoir comment ils
pourraient échapper à cette terrible
amitié. Ils sentaient avec effroi l'irrésistible
force, l'attraction maligne que la France exerçait sur
eux. Ils voulaient, un peu tard, s'attacher l'Italie.
Grégoire X essayait d'assoupir les factions que ses
prédécesseurs avaient nourries si soigneusement ;
il demandait qu'on supprimât les noms de Guelfes et de
Gibelins. Les papes avaient toujours combattu les empereurs
d'Allemagne et de Constantinople ; Grégoire se
déclara l'ami des deux empires. Il proclama la
réconciliation de l'église grecque. Il vint
à bout de terminer le grand interrègne
d'Allemagne, faisant du moins nommer un empereur tel quel, un
simple chevalier dont la maigre et chauve figure, dont les
coudes percés, rassuraient les princes électeurs
contre ce nom d'Empereur naguère si formidable. Ce pauvre
empereur fut pourtant Rodolphe de Habsbourg ; sa maison fut la
maison d'Autriche, fondée ainsi par les papes contre
celle de France
(2).
Le plan de Grégoire X était de mener
lui-même l'Europe à la croisade avec son nouvel
Empereur, de relever ainsi l'Empire et la Papauté.
Nicolas III, romain, et de la maison Orsini, eut un autre projet
: il voulait fonder en faveur des siens un royaume central
d'Italie. Il saisit le moment où Rodolphe venait de
remporter sa grande victoire sur le roi de Bohême. Il
intimida Charles par Rodolphe. Le roi de Naples, qui ne
rêvait que Constantinople, sacrifia le titre de
sénateur de Rome et de vicaire impérial. Et
cependant Nicolas signait secrètement avec l'Aragon et
les Grecs une ligue pour le renverser.
Conjuration au dehors, conjuration au dedans. Les Italiens se
croient maîtres en ce genre. Ils ont toujours
conspiré, rarement réussi ; mais, pour ce peuple
artiste, une telle entreprise était une oeuvre d'art
où il se complaisait, un drame sans fiction, une
tragédie réelle. Ils y cherchaient l'effet du
drame. Il y fallait de nombreux spectateurs, une occasion
solennelle, une grande fête, par exemple ; le
théâtre était souvent un temple, le moment
celui de l'élévation (3).
La conjuration dont nous allons parler était bien autre
chose que celle des Pazzi, des Olgiati. Il ne s'agissait pas de
donner un coup de poignard, et de se faire tuer en tuant un
homme, ce qui d'ailleurs ne sert jamais à rien. Il
fallait remuer le monde et la Sicile, conspirer et
négocier, encourager l'une par l'autre la ligue et
l'insurrection ; il fallait soulever un peuple et le contenir,
organiser toute une guerre, sans qu'il y parût. Cette
entreprise, si difficile, était aussi de toutes la plus
juste ; il s'agissait de chasser l'étranger.
La forte tête qui
conçut cette grande chose et la mena à bout, une
tête froidement ardente, durement opiniâtre et
astucieuse, comme on en trouve dans le Midi, ce fut un
Calabrois, un médecin
(4). Ce médecin était un seigneur de la
cour de Frédéric II. Il était seigneur de
l'île de Prochyta, et, comme médecin, il avait
été l'ami, le confident de Frédéric
et de Manfred. Pour plaire à ces libres penseurs du XIIIe
siècle, il fallait être médecin, arabe ou
juif. On entrait chez eux par l'école de Salerne
plutôt que par l'église. Vraisemblablement, cette
école apprenait à ses adeptes quelque chose de
plus que les innocentes prescriptions qu'elle nous a
laissées dans ses vers léonins.
Après la ruine de Manfred, Procida se réfugia en
Espagne. Examinons quelle était la situation des divers
royaumes espagnols, ce qu'on pouvait attendre d'eux contre la
maison de France.
D'abord, la Navarre, le petit et vénérable
berceau de l'Espagne chrétienne, était sous la
main de Philippe III. Le dernier roi national avait
appelé contre les Castillans les Maures, puis les
Français. Son neveu, Henri, comte de Champagne, n'ayant
qu'une fille, remit en mourant cette enfant au roi de France,
qui, comme nous l'avons dit, la donna à son fils.
Philippe III, qui venait d'hériter de Toulouse, se
trouvait bien près de l'Espagne. Il n'avait, ce semble,
qu'à descendre des pors des Pyrénées dans
sa ville de Pampelune, et prendre le chemin de Burgos.
Mais l'expérience a
prouvé qu'on ne prend pas l'Espagne ainsi. Elle garde mal
sa porte ; mais tant pis pour qui entre. Le vieux roi de
Castille, Alphonse X, beau-père et beau-frère du
roi de France, voulut en vain laisser son royaume aux fils de
son aîné, qui, par leur mère, étaient
fils de saint Louis. Alphonse n'avait pas bonne
réputation chez son peuple, ni comme Espagnol, ni comme
chrétien. Grand clerc, livré aux mauvaises
sciences de l'alchimie et de l'astrologie, il s'enfermait
toujours avec ses juifs
(5), pour faire de la fausse monnaie (6) ou de fausses lois, pour
altérer d'un mélange romain le droit gothique (7). Il n'aimait pas
l'Espagne ; sa manie était de se faire Empereur. Et
l'Espagne le lui rendait bien. Les Castillans se
donnèrent eux-mêmes pour roi, conformément
au droit des Goths, le second fils d'Alphonse, Sanche le Brave,
le Cid de ce temps-là
(8). Déshérité par son père,
menacé à la fois par les Français et par
les Maures, de plus excommunié par le pape pour avoir
épousé sa parente, Sanche fit tête à
tout, et garda sa femme et son royaume. Le roi de France fit de
grandes menaces, rassembla une grande armée, prit
l'oriflamme, entra en Espagne jusqu'à Salvatierra.
Là, il s'aperçut qu'il n'avait ni vivres ni
munitions, et ne put avancer. C'était une glorieuse
époque pour l'Espagne. Le roi d'Aragon, D. Jayme, fils du
roi troubadour qui périt à Muret en
défendant le comte de Toulouse, venait de
conquérir sur les Maures les royaumes de Majorque et de
Valence. D. Jayme avait, telle est l'emphase espagnole,
gagné trente-trois batailles, fondé ou repris deux
mille églises. Mais il avait, dit-on, encore plus de
maîtresses que d'églises. Il refusait au pape le
tribut promis par ses prédécesseurs. Il avait,
osé faire épouser à son fils D. Pedro la
propre fille de Manfred, le dernier rejeton de la maison de
Souabe.
Les rois d'Aragon, toujours
guerroyant contre Maures ou chrétiens, avaient besoin
d'être aimés de leurs hommes, et l'étaient.
Lisez le portrait qu'en a tracé le brave et naïf
Ramon Muntaner, l'historien soldat, comme ils rendaient bonne
justice, comme ils acceptaient les invitations de leurs sujets,
comme ils mangeaient en public devant tout le monde, acceptant,
dit-il, ce qu'on leur offrait, fruit, vin ou autre chose, et ne
faisant pas difficulté d'en goûter (9). Muntaner oublie une
chose, c'est que ces rois si populaires n'étaient pas
renommés par leur loyauté. C'étaient de
rusés montagnards d'Aragon, de vrais Almogavares,
demi-Maures, pillant amis et ennemis.
Ce fut près du jeune roi D. Pedro que se retira d'abord
le fidèle serviteur de la maison de Souabe, près
de la fille de ses maîtres, la reine Constance.
L'Aragonais le reçut bien, lui donna des terres et des
seigneuries. Mais il accueillit froidement ses conseils
belliqueux contre la maison de France ; les forces
étaient trop disproportionnées. La haine de la
chrétienté contre cette maison avait besoin
d'augmenter encore. Il aima mieux refuser et attendre. Il laissa
l'aventurier agir, sans se compromettre. Pour éviter tout
soupçon de connivence, Procida vendit ses biens d'Espagne
et disparut. On ne sut ce qu'il était devenu. Il
était parti secrètement en habit de franciscain.
Cet humble déguisement était aussi le plus
sûr. Ces moines allaient partout : ils demandaient, mais
vivaient de peu, et partout, étaient bien reçus.
Gens d'esprit, de ruse et de faconde, ils s'acquittaient
discrètement de maintes commissions mondaines. L'Europe
était remplie de leur activité. Messagers et
prédicateurs, diplomates parfois, ils étaient
alors ce que sont aujourd'hui la poste et la presse. Procida
prit donc la sale robe des Mendiants, et s'en alla, humblement
et pieds nus, chercher par le monde des ennemis à Charles
d'Anjou.
Les ennemis ne manquaient pas. Le difficile était de les
accorder et de les faire agir de concert et à temps.
D'abord il se rend en Sicile, au volcan même de la
révolution, voit, écoute et observe. Les signes de
l'éruption prochaine étaient visibles, rage
concentrée, sourd bouillonnement, et le murmure et le
silence. Charles épuisait ce malheureux peuple pour en
soumettre un autre. Tout était plein de
préparatifs et de menaces contre les Grecs. Procida passe
à Constantinople, il avertit Paléologue, lui donne
des renseignements précis. Le roi de Naples avait
déjà fait passer trois mille hommes à
Durazzo. Il allait suivre avec cent galères et cinq cents
bâtiments de transport. Le succès de l'affaire
était sûr, puisque Venise ne craignait pas de s'y
engager. Elle donnait quarante galères avec son doge, qui
était encore un Dandolo. La quatrième croisade
allait se renouveler. Paléologue éperdu ne savait
que faire. «Que faire ? Donnez-moi de l'argent. Je vous
trouverai un défenseur qui n'a pas d'argent mais qui a
des armes.»
Procida emmena avec lui un secrétaire de
Paléologue, le conduisit en Sicile, le montra aux barons
siciliens, puis au pape, qu'il vit secrètement au
château de Soriano. L'empereur grec voulait avant tout la
signature du pape, avec lequel il était nouvellement
réconcilié. Mais Nicolas hésitait à
s'embarquer dans une si grande affaire. Procida lui donna de
l'argent. Selon d'autres, il lui suffit de rappeler à ce
pontife, Romain et Orsini de naissance, une parole de Charles
d'Anjou. Quand le pape voulait donner sa nièce Orsini au
fils de Charles d'Anjou, Charles avait dit : «Croit-il,
parce qu'il a des bas rouges, que le sang de ses Orsini peut se
mêler au sang de France ?»
Nicolas signa, mais mourut bientôt. Tout l'ouvrage
semblait rompu et détruit. Charles se trouvait plus
puissant que jamais. Il réussit à avoir un pape
à lui. Il chassa du conclave les cardinaux gibelins et
fit nommer un Français, un ancien chanoine de Tours,
servile et tremblante créature de sa maison.
C'était se faire pape soi-même. Il redevint
sénateur de Rome ; il mit garnison dans tous les Etats de
l'église. Cette fois le pape ne pouvait lui
échapper. Il le gardait avec lui à Viterbe, et ne
le perdait pas de vue. Lorsque les malheureux Siciliens vinrent
implorer l'intervention du pape auprès de leur roi, ils
virent leur ennemi auprès de leur juge, le roi
siégeant à côté du pape. Les
députés, qui étaient pourtant un
évoque et un moine, furent, pour toute réponse,
jetés dans un cul de basse-fosse.
La Sicile n'avait pas de
pitié à attendre de Charles d'Anjou. Cette
île, à moitié arabe, avait tenu
opiniâtrement pour les amis des Arabes, pour Manfred et sa
maison. Toute insulte que les vainqueurs pouvaient faire au
peuple sicilien ne leur semblait que représailles. On
connaît la pétulance des Provençaux, leur
brutale jovialité. S'il n'y eût eu encore que
l'antipathie nationale, et l'insolence de la conquête, le
mal eût pu diminuer. Mais ce qui menaçait
d'augmenter, de peser chaque jour davantage, c'était un
premier, un inhabile essai d'administration, l'invasion de la
fiscalité, l'apparition de la finance dans le monde de
l'Odyssée et de l'Enéide. Ce peuple de laboureurs
et de pasteurs avait gardé sous toute domination quelque
chose de l'indépendance antique. Il y avait eu
jusque-là des solitudes dans la montagne, des
libertés dans le désert. Mais voilà que le
fisc explore toute l'île ; Curieux voyageur, il mesure la
vallée, escalade le roc, estime le pic inaccessible. Le
percepteur dresse son bureau sous le châtaignier de la
montagne, ou poursuit, enregistre le chevrier errant aux
corniches des rocs entre les laves et les neiges. Tâchons
de démêler la plainte de la Sicile à travers
cette forêt de barbarismes et de solécismes, par
laquelle écume et se précipite la torrentueuse
éloquence de Barthélemi de Nécocastro :
«Que dire de leurs inventions inouïes ? de leurs
décrets sur les forêts ? de l'absurde interdiction
du rivage ? de l'exagération inconcevable du produit des
troupeaux ? Lorsque tout périssait de langueur sous les
lourdes chaleurs de l'automne, n'importe, l'année
était toujours bonne, la moisson abondante..... Il
frappait tout à coup une monnaie d'argent pur, et pour un
denier sicilien s'en faisait ainsi payer trente.....Nous avions
cru recevoir un roi du Père des Pères, nous avions
reçu l'Anti-Christ» (10).
«Il fallait, dit un autre, représenter chaque
troupeau au bout de l'an ; et, en outre, plus de petits que le
troupeau n'en pouvait produire. Les pauvres laboureurs
pleuraient. C'était une terreur universelle chez les
bouviers, les chevriers, chez tous les pasteurs. On les rendait
responsables de leurs abeilles, même de l'essaim que le
vent emporte. On leur défendait la chasse, et puis on
allait en cachette porter dans leurs huttes des peaux de cerfs
de daims, pour avoir droit de confisquer. Toutes les fois qu'il
plaisait au roi de frapper monnaie neuve, on sonnait de la
trompette dans toutes les rues ; et de porte en porte, il
fallait livrer l'argent»
(11).
Voilà le sort de la Sicile depuis tant de
siècles. C'est toujours la vache nourrice,
épuisée de lait et de sang par un maître
étranger. Elle n'a eu d'indépendance, de vie forte
que sous ses tyrans, les Denys, les Gélon. Eux seuls la
rendirent formidable au dehors. Depuis toujours esclave. Et
d'abord, c'est chez elle que se sont décidées
toutes les grandes querelles du monde antique : Athènes
et Syracuse, la Grèce et Carthage, Carthage et Rome ;
enfin, les guerres serviles. Toutes ces batailles solennelles du
genre humain ont été combattues en vue de l'Etna,
comme un jugement de Dieu par-devant l'autel. Puis viennent les
Barbares, Arabes, Normands, Allemands. Chaque fois la Sicile
espère et désire, chaque fois elle souffre ; elle
se tourne, se retourne, comme Encelade sous le volcan.
Faiblesse, désharmonie incurable d'un peuple de vingt
races, sur qui pèse si lourdement une double
fatalité d'histoire et de climat.
Tout cela ne paraît
que trop bien dans la belle et molle lamentation par laquelle
Falcando commence son histoire
(12) : «Je voulais, mon ami, maintenant que
l'âpre hiver a cédé sous un souffle plus
doux, je voulais t'écrire et t'adresser quelque chose
d'aimable, comme prémices du printemps. Mais la lugubre
nouvelle me fait prévoir de nouveaux orages ; mes chants
se changent en pleurs. En vain le ciel sourit, en vain les
jardins et les bocages m'inspirent une joie importune, et le
concert renouvelé des oiseaux m'engage à reprendre
le mien. Je ne puis voir sans larmes la prochaine
désolation de ma bonne nourrice, la Sicile. - Lequel
embrasseront-ils du joug ou de l'honneur ! Je cherche en
silence, et ne sais que choisir... - Je vois que dans le
désordre d'un tel moment, nos Sarrasins sont
opprimés. Ne vont-ils pas seconder l'ennemi ?... Oh ! si
tous, Chrétiens et Sarrasins, s'accordaient pour
élire un roi !... - Qu'à l'orient de l'île,
nos brigands siciliens combattent les barbares, parmi les feux
de l'Etna et les laves, à la bonne heure. Aussi bien
c'est une race de feu et de silex. Mais l'intérieur de la
Sicile, mais la contrée qu'honore notre belle Palerme, ce
serait chose impie, monstrueuse, qu'elle fût
souillée de l'aspect des barbares... Je n'espère
rien des Apuliens, qui n'aiment que nouveauté. Mais toi,
Messine, cité puissante et noble, songes-tu donc à
te défendre, à repousser l'étranger du
détroit ? Malheur à toi, Catane ! Jamais, à
force de calamités, tu n'as pu satisfaire et
fléchir la fortune. Guerre, peste, torrents
enflammés de l'Etna, tremblement de terre et ruines ; il
ne te manque plus que la servitude. Allons, Syracuse, secoue la
paix, si tu peux ; cette éloquence dont tu te pares,
emploie-la à relever le courage des tiens. Que te sert de
t'être affranchie des Denys !... Ah ! qui nous rendra nos
tyrans !... J'en viens maintenant à toi, ô Palerme,
tête de la Sicile ! Comment te passer sous silence, et
comment te louer dignement !... " Mais dès que Falcando a
nommé la belle Palerme, il ne pense plus à autre
chose, il oublie les barbares et toutes ses craintes. Le
voilà qui décrit insatiablement la voluptueuse
cité, ses palais fantastiques, son port, ses merveilleux
jardins, soyeux mûriers, orangers, citronniers, cannes
à sucre. Le voilà perdu dans les fruits et les
fleurs. La nature l'absorbe, il rêve, il a tout
oublié. Je crois entendre dans sa prose l'écho de
la poésie paresseuse, sensuelle et mélancolique de
l'idylle grecque : "Je chanterai sous l'antre, en te tenant dans
mes bras, et regardant les troupeaux qui s'en vont paissant vers
les bords de la mer de Sicile» (13).
C'était le lundi, 30 mars 1282, le lundi de
Pâques. En Sicile, c'est déjà
l'été, comme on dirait chez nous la Saint-Jean,
quand la chaleur est déjà lourde, la terre moite
et chaude, qu'elle disparaît sous l'herbe, l'herbe sous
les fleurs. Pâques est un voluptueux moment dans ces
contrées. Le carême finit ; l'abstinence aussi ; la
sensualité s'éveille ardente et âpre,
aiguisée de dévotion. Dieu a eu sa part, les sens
prennent la leur. Le changement est brusque; toute fleur perce
la terre, toute beauté brille. C'est une triomphante
éruption de vie, une revanche de la sensualité,
une insurrection de la nature.
Ce jour donc, ce lundi de
Pâques, tous et toutes montaient, selon la coutume, de
Palerme à Monréale, pour entendre vêpres,
par la belle colline. Les étrangers étaient
là pour gâter la fête. Un si grand
rassemblement d'hommes ne laissait pas de les inquiéter.
Le vice-roi avait défendu de porter les armes et de s'y
exercer, comme c'était l'usage dans ces jours-là.
Peut-être avait-il remarqué l'affluence des nobles
; en effet, Procida avait eu l'adresse de les réunir
à Palerme ; mais il fallait l'occasion. Un
Français la donna mieux que Procida n'eût
souhaité. Cet homme, nommé Drouet, arrête
une belle fille de la noblesse que son fiancé et toute sa
famille menaient à l'église. Il fouille le
fiancé et ne trouve pas d'armes ; puis il prétend
que la fille en a sous ses habits, et il porte la main sous sa
robe. Elle s'évanouit. Le Français est à
l'instant désarmé, tué de son
épée. Un cri s'élève : «A
mort, à mort les Français (14) !» Partout on les
égorge. Les maisons françaises étaient,
dit-on, marquées d'avance (15). Quiconque ne pouvait
prononcer le c ou ch italien (ceci, ciceri)
était tué à l'instant (16). On éventra des
femmes siciliennes pour chercher dans leur sein un enfant
français.
Il fallut tout un mois pour que les autres villes,
rassurées, par l'impunité de Palerme, imitassent
son exemple. L'oppression avait pesé inégalement.
Inégale aussi fut la vengeance, et quelquefois il y eut
dans le peuple une capricieuse magnanimité (17). A Palerme même,
le vice-roi, surpris dans sa maison, avait été
outragé, mais non tué ; on voulait le renvoyer
à Aigues-Mortes. A Calatafimi, les habitants
épargnèrent leur gouverneur, l'honnête
Porcelet, et le laissèrent aller avec sa famille.
Peut-être était-ce crainte des vengeances de
Charles d'Anjou. Le peuple était déjà
refroidi et découragé, telle est la
mobilité méridionale. Les habitants de Palerme
envoyèrent au pape deux religieux pour demander
grâce. Ces députés n'osèrent dire
autre chose que ces paroles des litanies : «Agnus Dei, qui
tollis peccata mundi, miserere nobis.» Et ils
répétèrent ces mots trois fois. Le pape
répondit en prononçant, par trois fois aussi, ce
verset de la Passion : «Ave, rex Judaeorum, et dabant ei
alapam.» Messine ne réussit pas mieux auprès
de Charles d'Anjou. Il répondit à ses
envoyés qu'ils étaient tous des traîtres
à l'église et à la couronne, et leur
conseilla de se bien défendre, comme ils pourraient (18).
Les gens de Messine se hâtèrent de profiter de
l'avis. Tout fut préparé pour faire une
résistance désespérée. Hommes,
femmes et enfants, tous portaient des pierres. Ils
élevèrent un mur en trois jours, et
repoussèrent bravement les premières attaques. Il
en resta une petite chanson : «Ah ! n'est-ce pas
grand'pitié des femmes de Messine, de les voir
échevelées et portant pierre et chaux ?... Qui
veut gâter Messine, Dieu lui donne trouble et
travail.»
Il était temps
toutefois que l'Aragonais arrivât. Le prince rusé
s'était tenu d'abord en observation, laissant les risques
aux Siciliens. Ceux-ci s'étaient irrévocablement
compromis par le massacre ; mais comment allaient-ils soutenir
cet acte irréfléchi, c'est ce que D. Pedro voulut
voir. Il se tenait toutefois en Afrique avec une armée,
et faisait mollement la guerre aux infidèles. Cet
armement avait inquiété le roi de France et le
pape. Il rassura le premier en prétextant la guerre des
Maures, et pour le mieux tromper il lui emprunta de l'argent ;
il en emprunta même à Charles d'Anjou (19). Ses barons ne purent
ouvrir qu'en mer les ordres cachetés qu'il leur avait
donnés, et ils n'y lurent rien que la guerre d'Afrique (20). Ce ne fut qu'au
bout de plusieurs mois, et lorsqu'il eut reçu deux
députations des Siciliens, qu'il se décida, et
passa dans l'île
(21).
L'Aragonais envoya son défi devant Messine à
Charles d'Anjou, mais il ne se pressa pas d'aller se mettre en
face de son terrible ennemi. En bon toréador, il piqua,
mais éluda le taureau. Seulement il expédia au
secours de la ville quelques-uns de ses brigands almogavares,
lestes et sobres piétons qui firent en trois jours les
six journées qu'il y a de Palerme à Messine (22). La flotte
catalane, sous le Calabrais Roger de Loria, était un
secours plus efficace encore. Elle devait occuper le
détroit, affamer Charles d'Anjou, lui fermer le retour.
Le roi de Naples se défiait avec raison de ses forces de
mer. Il repassa le détroit pendant la nuit, sans pouvoir
enlever ni ses tentes, ni ses provisions. Au matin, les
Messinois émerveillés ne virent plus d'ennemis.
Ils n'eurent plus qu'à piller le camp.
Si l'on en croit Muntaner, les Catalans n'avaient que
vingt-deux galères contre les quatre-vingt-dix de Charles
d'Anjou. Sur celles-ci, il y en avait dix de Pise, qui
s'enfuirent les premières, quinze de Gênes qui les
suivirent. Les Provençaux, sujets de Charles, en avaient
vingt, et ne tinrent pas davantage. Les quarante-cinq qui
restèrent étaient de Naples et de Calabre ; elles
se crurent perdues, et se jetèrent à la
côte. Mais les Catalans les poursuivirent, les prirent, y
tuèrent six mille hommes. Les vainqueurs,
écartés par la tempête, se trouvèrent
à la pointe du jour devant le phare de Messine.
«Quand le jour fut arrivé, ils se
présentèrent à la tourelle. Les gens de la
ville, voyant un si grand nombre de voiles,
s'écrièrent : «Ah ! Seigneur ! ah ! mon
Dieu, qu'est-ce cela ? Voilà la flotte du roi Charles
qui, après s'être emparée des galères
du roi d'Aragon, revient sur nous.»
Le roi était levé, car il se levait constamment
à l'aube du jour, soit l'été, soit l'hiver
; il entendit le bruit, et en demanda la cause. «Pourquoi
ces cris dans toute la cité ? - Seigneur, c'est la flotte
du roi Charles qui revient bien plus considérable, et qui
s'est emparée de nos galères.»
Le roi demanda un cheval, et sortit du palais suivi à
peine de dix personnes. Il courut le long de la côte,
où il rencontra un grand nombre d'hommes, de femmes et
d'enfants au désespoir. Il les encouragea, en leur disant
: «Bonnes gens, ne craignez rien, ce sont nos
galères qui amènent la flotte du roi
Charles.» Il répétait ces mots en courant
sur le rivage de la mer ; et tous ces gens s'écriaient :
«Dieu veuille que cela soit ainsi !» Que vous
dirai-je, enfin ? Tous les hommes, les femmes et enfants de
Messine couraient après lui, et l'armée de Messine
le suivait aussi. Arrivé à la Fontaine d'Or, le
roi, voyant approcher une si grande quantité de voiles
poussées par le vent des montagnes,
réfléchit un moment, et dit à part soi :
«Dieu, qui m'a conduit ici, ne m'abandonnera point, non
plus que ce malheureux peuple ; grâces lui en soient
rendues !»
Tandis qu'il était
dans ces pensées, un vaisseau armé, pavoisé
des armes du seigneur roi d'Aragon, et monté par En
Cortada, vint devers le roi, que l'on voyait au-dessus de la
Fontaine d'Or, enseignes déployées, à la
tête de la cavalerie. Si tous ceux qui étaient
là avec le roi furent transportés de joie, en
apercevant ce vaisseau avec sa bannière, c'est ce qu'il
ne faut pas demander. Le vaisseau prit terre. En Cortada,
débarqua et dit au roi : «Seigneur, voilà
vos galères; elles vous amènent celles de vos
ennemis. Nicotera est prise, brûlée et
détruite, et il a péri plus de deux cents
chevaliers français.» A ces mots, le roi descendit
de cheval et s'agenouilla. Tout le monde suivit son exemple. Ils
commencèrent à entonner tous ensemble le Salve
regina. Ils louèrent Dieu, et lui rendirent grâces
de cette victoire, car ils ne la rapportaient point à
eux, mais à Dieu seul. Enfin, le roi répondit
à En Cortada : «Soyez le bienvenu.» Il lui
dit ensuite de retourner sur ses pas, et de dire à tous
ceux qui se trouvaient devant la douane de s'approcher en louant
Dieu ; il obéit, et les vingt-deux galères
entrèrent les premières, tramant après
elles chacune plus de quinze galères, barques ou
bâtiments ; ainsi elles firent leur entrée à
Messine, pavoisées, l'étendard
déployé, et traînant sur la mer les
enseignes ennemies. Jamais on ne fut témoin d'une telle
allégresse. On eût dit que le ciel et la terre
étaient confondus ; et au milieu de tous ces cris, on
entendait les louanges de Dieu, de madame Sainte Marie et de
toute la cour céleste... Quand on fut à la douane,
devant le palais du roi, on poussa des cris de joie ; et les
gens de mer et les gens de terre y répondirent, mais
d'une telle force, vous pouvez m'en croire, qu'on les entendait
de la Calabre»
(23).
Charles d'Anjou vit du rivage le désastre de sa flotte.
Il vit incendier sans pouvoir les défendre ces vaisseaux,
construits naguère pour la conquête de
Constantinople. On dit qu'il mordait de rage le sceptre qu'il
tenait à la main, et qu'il répétait le mot
qu'il avait déjà dit en apprenant le massacre :
«Ah, sire Dieu, moult m'avez offert à surmonter !
Puisqu'il vous plaît de me faire fortune mauvaise, qu'il
vous plaise aussi que la descente se fasse à petits pas
et doucement»
(24).
Mais l'orgueil l'emporta bientôt sur cette
résignation. Charles d'Anjou, déjà vieux et
pesant, proposa au jeune roi d'Aragon de décider leur
querelle par un combat singulier, auquel auraient pris part cent
chevaliers des deux royaumes. L'Aragonais accepta une
proposition si favorable au plus faible, et qui lui donnait du
temps (25). Les deux
rois s'engagèrent à se trouver à Bordeaux
le 15 mai 1283, et à combattre dans cette ville sous la
protection du roi d'Angleterre. A l'époque
indiquée. D. Pedro bien monté, voyageant de nuit,
et guidé par un marchand de chevaux qui connaissait
toutes les routes, tous les pors des Pyrénées, se
rendit, lui troisième, à Bordeaux. Il y arriva le
jour même de la bataille, protesta devant un notaire que
le roi de France étant près de Bordeaux avec ses
troupes, il n'y avait pas de sûreté pour lui.
Pendant que le notaire écrivait, le roi fit le tour de la
lice, puis il piqua son cheval, et fit sans s'arrêter
près de cent milles sur la route d'Aragon.
Charles d'Anjou, ainsi joué, prépara une nouvelle
armée en Provence. Mais avant qu'il fût de retour
à Naples, l'amiral Roger de Loria lui avait porté
le coup le plus sensible. Il vint avec quarante-cinq
galères parader devant le port de Naples, et braver
Charles le Boiteux, le fils de Charles d'Anjou. Le jeune prince
et ses chevaliers ne tinrent pas à un tel outrage. Ils
sortirent avec trente-cinq galères qu'ils avaient dans le
port.
Au premier choc, ils furent
défaits et pris. Charles d'Anjou arriva le lendemain.
«Que n'est-il mort !» s'écria-t-il, quand on
lui apprit la captivité de son fils (26). Il se donna la
consolation de faire pendre cent cinquante Napolitains.
Le roi de Naples avait été rudement frappé
de ce dernier coup. Son activité l'abandonnait. Il perdit
l'été à négocier par l'entremise du
pape un arrangement avec les Siciliens. L'hiver, il fit de
nouveaux préparatifs ; mais ils ne devaient pas lui
servir. La vie lui échappait, ainsi que l'espoir de la
vengeance. Il mourut avec la piété et la
sécurité d'un saint, se rendant ce
témoignage, qu'il n'avait fait la conquête du
royaume de Sicile que pour le service de l'église. (7
janvier 1285).
Cependant le pape, tout Français de naissance et de
coeur, avait déclaré D. Pedro déchu de son
royaume d'Aragon (1283), assurant les indulgences de la croisade
à quiconque lui courrait sus. L'année suivante il
adjugea ce royaume au jeune Charles de Valois, second fils de
Philippe le Hardi, et frère de Philippe le Bel.
Ce fut en effet une vraie
croisade. La France n'avait point guerroyé depuis
longtemps. Tout le monde voulut en être, la reine
elle-même et beaucoup de nobles dames. L'armée se
trouva la plus forte qui fût jamais sortie de France
depuis Godefroi de Bouillon. Les Italiens la portent à
vingt mille chevaliers, quatre mille fantassins. Les flottes de
Gênes, de Marseille, d'Aigues-Mortes et de Narbonne,
devaient suivre les rivages de Catalogne, et seconder les
troupes de terre. Tout promettait un succès facile. D.
Pedro se trouvait abandonné de son allié, le roi
de Castille, et de son frère même, le roi de
Majorque (27). Ses
sujets venaient de former une hermandad contre lui. Il se trouva
réduit à quelques Almogavares, avec lesquels il
occupait les positions inattaquables, observant et
inquiétant l'ennemi.
Elna fit quelque résistance, et tout y fut cruellement
massacré. Gironne résista davantage. Le roi de
France, qui avait fait voeu de la prendre, s'y obstina, et y
perdit un temps précieux. Peu à peu le climat
commença à faire sentir son influence malfaisante.
Des fièvres se mirent dans l'armée. Le
découragement augmenta par la défaite de
l'armée navale ; l'amiral vainqueur, Roger de Loria,
exerça sur les prisonniers d'effroyables cruautés.
Il fallut songer à la retraite, mais tout le monde
était malade ; les soldats se croyaient poursuivis par
les saints dont ils avaient violé les tombeaux. Tous les
passages étaient occupés. Les Almogavares,
attirés par le butin, croissaient en nombre à vue
d'oeil. Le roi revenait mourant sur un brancard au milieu de ses
chevaliers languissants. La pluie tombait à torrents sur
cette armée de malades. La plupart restèrent en
route. Le roi atteignit Perpignan, mais pour y mourir. Il ne lui
restait pas un pouce de terre en Espagne.
Le nouveau roi, Philippe le
Bel, trouva moyen d'armer le roi de Castille contre son
allié d'Aragon. Le fils de Charles d'Anjou obtint sa
liberté avec un parjure. La Sicile et ses nouveaux rois,
cadets de la maison d'Aragon, se virent abandonnés de la
branche aînée, qui prit même les armes contre
eux. Cependant le petit-fils de Charles d'Anjou, fils de Charles
le Boiteux, fut pris par les Siciliens, comme son père
l'avait été. Un traité suivit (1299),
d'après lequel le roi Frédéric (28) devait garder
l'île sa vie durant. Mais ses descendants l'ont
gardée pendant plus d'un siècle.
Cette royauté de Naples, si mal acquise, ne fut pas
renversée entièrement, mais du moins
mutilée et humiliée. Il y eut quelque
réparation pour les morts. «Le pieux Charles,
aujourd'hui régnant (le fils de Charles d'Anjou), dit un
chroniqueur, qui mourut vers l'an 1300, a construit une
église de Carmes sur les tombeaux de Conradin et de ceux
qui périrent avec lui» (29).
(1) On
n'épargna qu'un enfant qu'on envoya au roi de
Naples, et qui mourut en prison dans la tour de
Capoue. |
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(2) Schmidt. |
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(3) Ce fut en
effet ce moment que prirent les Pazzi pour assassiner les
Médicis, et Olgiati pour tuer Jean Galeas
Sforza. |
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(4) Procida
était tellement distingué comme
médecin, qu'un noble napolitain demanda à
Charles II d'aller trouver Procida en Sicile, pour se
faire guérir d'une maladie. |
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(5) «Les
rois d'Espagne les employaient de préférence
aux XIIIe et XIVe siècles. Les Aragonais se
plaignaient aussi à la même époque des
trésoriers et receveurs que eran judios.»
Curita. |
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(6) Ferreras. |
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(7) Je ne
prétends pas déprécier ici le code
dos Siete Partidas, j'espère que mon ami M. Rossew
Saint-Hilaire nous le fera bientôt connaître
dans le second volume de son Histoire d'Espagne, que nous
attendons impatiemment. Je n'ai prétendu exprimer
sur les lois d'Alphonse, que le jugement plus patriotique
qu'éclairé de l'Espagne d'alors. Il est
juste de reconnaître d'ailleurs que ce prince, tout
clerc et savant qu'il était, aima la langue
espagnole. «Il fut le premier des rois d'Espagne qui
ordonna que les contrats et tous les autres actes publics
se fissent désormais en espagnol. Il fit faire une
traduction des livres sacrés en castillan... Il
ouvrit la porte à une ignorance profonde des
lettres humaines et des autres sciences, que les
ecclésiastiques aussi bien que les séculiers
ne cultivèrent plus, par l'oubli de la langue
latine.» Mariana, III, p. 188 de la traduction (note
de 1837). |
|
(8) C'est ce
Sanche qui répondait aux menaces de Miramolin :
«Je tiens le gâteau d'une main et le
bâton de l'autre ; tu peux choisir.» Ferreras.
- Il se sentit assez populaire pour ôter toute
exemption d'impôt aux nobles et aux ordres
militaires. |
|
(9) «Si
les sujets de nos rois savaient combien les autres rois
sont durs et cruels envers leurs peuples, ils baiseraient
la terre foulée par leurs seigneurs. Si l'on me
demande : «Muntaner, quelles faveurs font les rois
d'Aragon à leurs sujets, plus que les autres rois
?» Je répondrai, premièrement ; qu'ils
font observer aux nobles, prélats, chevaliers,
citoyens, bourgeois et gens des campagnes, la justice et
la bonne foi, mieux qu'aucun autre seigneur de la terre ;
chacun peut devenir riche sans qu'il ait à craindre
qu'il lui soit rien demandé au delà de la
raison et de la justice, ce qui n'est pas ainsi chez les
autres seigneurs ; aussi les Catalans et les Aragonais ont
des sentiments plus élevés, parce qu'ils ne
sont point contraints dans leurs actions, et nul ne peut
être bon homme de guerre, s'il n'a des sentiments
élevés. Leurs sujets ont de plus cet
avantage, que chacun d'eux peut parler à son
seigneur autant qu'il le désire, étant bien
sûr d'être toujours écouté avec
bienveillance, et d'en recevoir des réponses
satisfaisantes. D'un autre côté, si un homme
riche, un chevalier, un citoyen honnête, veut marier
sa fille, et les prie d'honorer la cérémonie
de leur présence, ces seigneurs se rendront, soit
à l'église, soit ailleurs ; ils se
rendraient de même au convoi ou à
l'anniversaire de tout homme, comme s'il était de
leurs parents, ce que ne font pas assurément les
autres seigneurs, quels qu'ils soient. De plus, dans les
grandes fêtes, ils invitent nombre de braves gens,
et ne font pas difficulté de prendre leur repas en
public ; et tous les invités y mangent, ce qui
n'arrive nulle part ailleurs. Ensuite, si des hommes
riches, des chevaliers, prélats, citoyens,
bourgeois, laboureurs ou autres, leur offrent en
présent des fruits, du vin ou autres objets, ils ne
feront pas difficulté d'en manger ; et dans les
châteaux, villes, hameaux et métairies, ils
acceptent les invitations qui leur sont faites, mangent ce
qu'on leur présente, et couchent dans les chambres
qu'on leur a destinées ; ils vont aussi à
cheval dans les villes, lieux et cités, et se
montrent à leurs peuples ; et si de pauvres gens,
hommes ou femmes, les invoquent, ils s'arrêtent, ils
les écoutent, et les aident dans leurs besoins. Que
vous dirai-je enfin ? ils sont si bons et si affectueux
envers leurs sujets, qu'on ne saurait le raconter, tant il
y aurait à faire ; aussi leurs sujets sont pleins
d'amour pour eux, et ne craignent point de mourir pour
élever leur honneur et leur puissance, et rien ne
peut les arrêter quand il faut supporter le froid et
le chaud, et courir tous les dangers.» Ramon
Muntaner, I, ch. xx, p, 60, trad. de M. Buchon. |
|
(10) «Regni Siculi Antichristum.»
Bart à Neocastro, ap. Muratori, XIII, 1026.
Bartolomeo et Ramon Muntaner ne font nulle mention de
Procida. L'un veut donner toute la gloire aux Siciliens,
l'autre au roi d'Aragon, D. Pedro. |
|
(11) Nic.
Specialis. |
|
(12) Hugo
Falcandus, ap. Muratori, VII, 252. La latinité de
ce grand historien du XIIe siècle est
singulièrement pure, si on la compare à
celle de Bartolomeo, qui écrit pourtant cent ans
plus tard. |
|
(13) Théocrite. |
|
(14) «Moriantur Galli»
Bartolomeo. |
|
(15) «Ceulx de Palerme et de Meschines, et
des autres bonnes villes, signèrent les huys de
Francoys de nuyt ; et quant ce vint au point du jour
qu'ils purent voir entour eux, si occirent tous ceulx
qu'ils peurent trouver, et ne furent
épargnés ne vieulx ne jeunes que tous ne
fussent occis.» Chroniques de S. Denis. Anno
1282. |
|
(16) Simple
tradition. |
|
(17) Fazello
assure que Sperlinga fut la seule ville qui ne
massacrât pas les Francs. De là le dicton
sicilien : «Quod Siculis placuit, sola Sperlinga
negavit.» |
|
(18) Villani
ajoute avec une prudence toute machiavélique :
«Onde fue, et sera sempre grande esempio a quelli,
che sono et che saranno, di prendere i patti, che si
possono havere de' nimici, potendo havere la terra
assediata.» Vill., l.VII c. LXV, p. 281-282. - Le
légat engageait Charles à accepter les
conditions des habitants : «Pero che, poi che
fossino indurati, ognidi peggiorerebbono i patti ; ma
riavendo egli la terra, con volontà de' cittadini
medesimi ogni di li potrebbe alargaro : il quale era sano
et buono consiglio.» Id. l.VII, c. LXV, p.
281. |
|
(19) Villani. |
|
(20) Muntaner. |
|
(21) Rien de
plus romanesque et toutefois de plus vraisemblable que le
tableau du chroniqueur sicilien, lorsque le froid
Aragonais se hasarda à descendre sur cette terre
ardente, où tout était passion et
péril. Il allait entrer sur le territoire de
Messine, et déjà il était parvenu
à une église de Notre-Dame, ancien temple
situé sur un promontoire d'où l'on voit la
mer et la fumée lointaine des îles de Lipari.
Il ne put s'empêcher d'admirer cette vue, et alla
camper dans la vallée voisine. C'était le
soir, et déjà tout le monde reposait. Un
vieux mendiant s'approche et demande humblement à
parler au roi des choses qui touchent l'honneur du royaume
: «Excellent prince, dit-il, ne dédaignez pas
d'écouter cet homme couvert de la cape des
chevriers de l'Etna. J'aimais votre beau-frère, le
roi Manfred, d'éternelle mémoire. Proscrit
et dépouillé pour lui, j'ai visité
les royaumes chrétiens et barbares. Mais je voulais
revoir la Sicile, je me suis hasardé à y
revenir ; j'y ai vécu avec les bergers, changeant
de retraite dans les gorges et les bois. Vous ne
connaissez pas les Siciliens sur lesquels vous allez
régner, vous ignorez leur duplicité. Comment
vous fier, par exemple, au léontin Alayme, et
à sa femme Machalda, qui le gouverne ? Ne
savez-vous pas qu'il a été proscrit par
Manfred ? ramené, enrichi par Charles d'Anjou ? Sa
femme saura bien encore le tourner contre vous-même.
- Qui es-tu, mon ami, toi qui veux nous mettre en
défiance do nos nouveaux sujets ? - Je suis Vitalis
de Vitali. Je suis de Messine...» - A l'instant
même arrive Machalda, vêtue en amazone ; elle
venait hardiment prendre possession du jeune roi :
«Seigneur, dit-elle avec la vivacité
sicilienne, j'arrive la dernière. Tous les logis
sont pris, je viens vous demander l'hospitalité
d'une nuit.» Le roi lui céda le logis
où il devait reposer. Mais ce n'était pas
son affaire, elle ne partait pas. Vainement dit-il
à son majordome : «Il est temps de prendre du
repos.» Elle resta immobile. Alors le roi prend son
parti : «Eh bien, dit-il, causons jusqu'au jour.
Madame, que craignez-vous le plus ? - La mort de mon mari.
- Qu'aimez-vous le plus ? - Ce que j'aime n'est point
à moi.» - Le roi, prenant alors un ton plus
grave, raconte les phénomènes
étranges qui ont, dit-il, accompagné sa
naissance : il est venu au monde pendant un tremblement de
terre ; désigné ainsi par la Providence, il
n'a pris les armes que pour accomplir le saint devoir de
venger Manfred. Machalda, ainsi éconduite, devint
l'ennemie implacable du roi. «Plût au ciel,
dit naïvement l'historien patriote, qu'elle eût
séduit le roi ! Elle n'eût pas troublé
le royaume.» Barthol. à Neoc, apud Muratori,
XIII, 1060-63, |
|
(22) «Ce que les autres ne pouvaient
supporter était pour eux comme régal et
passe-temps... Leur extérieur était
étrange et sauvage, et comme ils étaient
très noirs, maigres et mal peignés, les
Siciliens étaient en grande admiration et souci, ne
voyant venir qu'eux pour défenseurs...»
Curita. |
|
(23) Muntaner. |
|
(24) «...Piacciati, che'l mio calare sia a
petit passi.» Villani. |
|
(25) «Cio fece per grande sagacità
di guerra et per suo gran senno, conciosia cosa ch'egli
era molto povero di moneta et da non potere respondere al
soccorso et riparo de' Ciciliani... Onde timea che... non
si arrendessono... per che non li senti va constanti ne
fermi... et cosi el savio suo provedimento venne bene
adoperato.» Villani, c. LXXXV, p. 296. |
|
(26) «Lo re Carlo... disse con irato animo
: Or fosi il mort, porse a fali nostre mandement».
Villani |
|
(27) Don
Jayme (Note de l'éditeur.) |
|
(28) Il est
question ici de Frédéric d'Aragon,
frère de don Pedro d'Aragon, et qui pendant quelque
temps avait été vicaire de son frère
en Sicile (Note de l'éditeur). |
|
(29) Ricobald
Ferrar. |