Les Templiers et la noblesse
hérétique |
Croix templière d'Alcúdia |
En ce début du treizième siècle, un
certain nombre des familles nobles qui constituent le vivier
dans lequel se recrutent les Templiers, en même temps que
le milieu qui les alimente en donations de tout genre, sont
touchés par l'hérésie cathare. Les
études de Jordi Ventura Subirats sur les Cathares en
Catalogne ne laissent plus aucun doute sur la
pénétration de l'hérésie en
Roussillon, Cerdagne et Fenouillèdes. Les liens
féodaux s'ajoutant aux liens de parenté expliquent
que la contagion ait été facile. Les relations de
fraternité d'armes, surtout à l'époque
où le seigneur du Roussillon, Nuno Sanç,
amène avec lui, à la conquête de
Majorque et de Valence, nombre de seigneurs
roussillonnais et occitans, les ont encore resserrés. La
propre soeur de Nuno est même mariée à un
membre de la famille de Niort, bien connue pour avoir
protégé les hérétiques.
Le roi Jaume
Ier lui même, au moins jusqu'au traité de
Corbeil, ne laisse pas l'Inquisition fonctionner librement puis
temporise dans la lutte contre l'hérésie,
malgré les demandes réitérées du
Pape et du roi de France et ce, malgré ses promesses
officielles. Trop de ses grands vassaux et de ses bonnes
épées auraient été mis en
difficulté. Des seigneurs comme Pons de Vernet au
début du siècle, puis plus tard Oliver de Termes,
Chatbert de
Barbaira ou Bernat Hug de Serrallonga, apparaissent
constamment comme hommes de confiance et témoins des
actes du roi. Les grands procès de Perpignan ne viendront
que plus tard, dans les années 1260 et suivantes.
Les liens particuliers avec le Temple de certaines familles
notoirement touchées par l'hérésie sont
visibles à travers les actes de donation ou les
affiliations comme confrères. Dans le pays de
Fenouillèdes, les Templiers reçoivent des
donations des familles du Vivier et de Cucugnan, qui comptent
des hérétiques avérés. Mais parfois
même un membre de la famille se fait templier, ce qui peut
constituer une protection encore plus efficace en cas de besoin.
C'est ainsi que nous trouvons parmi les frères du
Masdéu, peu après 1250, le nom de Raimon de
Peyrepertuse, parent de ce Guillem de Peyrepertuse qui rendit
son château aux forces du roi Louis IX. La famille de
Barbaira apparaît aussi, représentée par
Berenguer, bouteiller du Masdéu en 1271. A la fin du
treizième siècle, la famille de Canet, si
liée au Temple et si proche des Saguardia, dont le plus
illustre représentant
Ramon sera le dernier précepteurs du
Masdéu, est également atteinte par
l'hérésie.
Car pour certains membres de cette noblesse notoirement
liée à l'hérésie, entrer dans la
confraternité du Temple, terminer ses jours à la
maison du Masdéu, s'y faire ensevelir en terre
chrétienne après avoir généreusement
donné, constitue une protection sérieuse contre
procès, interdits, confiscations et même
excommunications. Ces pratiques ont eu cours en Roussillon,
elles n'ont toutefois pas permis à certains
d'éviter les procès post mortem dont les
archives gardent la trace.
Des exemples fameux
Ce sont les cas des trois chevaliers roussillonnais
taxés d'hérésie par les inquisiteurs et
jugés post mortem à partir de 1260, Pons de
Vernet, Arnau de Mudagons et Pere de Fonollet, qui ont
laissé le plus de traces dans nos archives.
Pons III de Vernet fut vers 1200-1210 l'un des
bienfaiteurs des Templiers du Masdéu, comme l'avait
été son père Ermengau, dont nous avons
possédons l'acte d'affiliation au Temple, et comme le
sera son fils également nommé Pons. Il
était aussi confrère du Temple et se retira au
Masdéu où il mourut en 1223. La lecture de son
testament montre qu'il avait, en dehors de
l'hérésie, beaucoup à se faire pardonner.
Après un procès conduit par les Dominicains Pere
de Cadireta et Bernat de Bac, il est jugé post
mortem, condamné, et ses restes sont
brûlés en 1263.
Arnau de Mudagons est membre d'une famille de
bienfaiteurs du Temple, très liée avec celle de
Pons de Vernet. Son procès post mortem, instruit
par le frère Ferrer, se termine par la même
sentence.
Mais le cas qui a laissé le plus de traces dans les
archives et qui situe le plus nettement la position des
Templiers est celui de Pere de Fonollet, dont les
démêlés avec Nuno Sanç pour la
souveraineté sur le Fenouillèdes ont agité
la région pendant de longues années au
début du treizième siècle.
Pere de Fonollet est un grand seigneur très
lié aux familles hérétiques du Languedoc
tout proche. On trouve sa trace à Montségur, en
compagnie de Chatbert de Barbaira vers 1226. Il est aussi, avec
Raimon Trencavel, Oliver de Termes, Bernat Hug de Serrallonga et
quelques autres, dans cette équipée de 1240 au
cours de laquelle ils parviennent à reconquérir le
Razès et à prendre la ville basse de Carcassonne,
jusqu'au moment où ils sont obligés de s'enfuir en
Roussillon.
Le procès que lui fait après sa mort, en
1262-1263, l'inquisiteur Pons du Pouget, celui auquel
échappe de justesse son fils, Hug de Saissac, grâce
à la protection royale, les demandes en révision
introduites plus tard par sa famille et en particulier par son
petit-fils Pere, alors procureur du roi de Majorque en
Roussillon, en 1309, ont laissé des traces dans nos
archives et permettent d'établir des faits
indubitables.
Il est mort au Masdéu, où il s'était
retiré, en 1242. «Après avoir reçu
les sacrements ecclésiastiques à la maison du
Temple du Masdéu, son corps y a reçu une
sépulture écclésiastique». C'est ce
qu'affirme sa famille lorsqu'elle demande la révision du
procès. Toutefois la sentence de l'inquisiteur Pons du
Pouget se fonde sur des faits solides. «Pere de Fonollet,
de son vivant, a vu les hérétiques et leur a
maintes fois rendu visite. Selon leur rite hautement condamnable
il les a adorés, leur demandant de le bénir
après avoir fléchi les genoux trois fois devant
eux et ajouté : Seigneur, demandez à Dieu pour ce
pécheur qu'il fasse de moi un bon chrétien et
qu'il me conduise vers la vraie foi. Les
hérétiques lui ayant répondu à leur
manière, il a écouté leurs sermons. C'est
ainsi que durant la maladie qui le conduisit à la mort,
quatre hérétiques vinrent, deux par deux,
l'hérétiquer». Cela se passait au
Masdéu. Pons du Pouget condamne donc Pere de Fonollet
manifestement mort dans l'hérésie, et
décide que «ses os seront, si on peut les
reconnaître et les mettre à part,
déterrés du cimetière des fidèles et
brûlés».
On voit bien que les thèses de la famille et celles de
l'Inquisition étaient très
éloignées, et que les Templiers étaient
bien tolérants pour les confrères qu'ils
recevaient dans leurs maisons.
Mais ces faits, pas plus que la découverte dans un
bâtiment de la commanderie de Douzens, près de
Carcassonne, d'une cassette pleine de reconnaissances de dons
à l'église cathare, ne suffisent pas pour faire du
Masdéu ou de toute autre commanderie templière un
repaire d'hérétiques. Simplement
l'hérésie n'était pas la priorité
des Templiers. C'est pourquoi la présence à
Carcassonne en février-mars 1236 du précepteur du
Masdéu, le frère Pere de Malon, comme
témoin de la condamnation à la prison
perpétuelle pour catharisme et complicité avec des
personnalités cathares de Bernat Oth de Niort de sa
mère et de ses frères nous intrigue. Quel soudain
intérêt pour le catharisme ! Venait-il comme
témoin à décharge comme le frère
Pere, prieur des Hospitaliers de Pexiora ? A moins qu'il ne
fût là que pour veiller sur les
intérêts matériels du Temple, Bernat Oth de
Niort étant alors en litige pour la possession de
Campagne sur Aude avec les Templiers de Douzens qui finiront par
récupérer ce bien en 1243.
Mais après le procès du Temple, la monarchie
passera l'éponge et les descendants retrouveront souvent
de bonnes places à la cour des rois de Majorque.
L'exemple des Fonollet le montre bien car, ironie de l'histoire,
on trouve un Galceran de Fonollet, Hospitalier, Commandeur du
Masdéu dès le milieu du XIVeme siècle,
quatre générations après la condamnation de
son ancêtre.
© Robert Vinas
A lire :
Robert Vinas, L'ordre du Temple
en Roussillon, Editions Trabucaïre, Perpignan
(2001)