Diomède (à gauche) et Ulysse (à droite) volent les chevaux de Rhesos |
La Dolonie et la mort de Rhésos
L'Iliade évoque des incursions chez l'ennemi, de part et d'autre, au cours du siège de Troie ; le chant X en évoque une que l'on intitule couramment la Dolonie, parce qu'elle commence par mettre en scène un espion troyen, Dolon. Après une action guerrière particulièrement favorable aux Troyens, Hector promet une grosse récompense à qui acceptera une mission d'espionnage. C'est Dolon qui part en reconnaissance, de nuit, auprès des nefs achéennes pour savoir si elles sont bien gardées. Mais il est surpris par Ulysse et Diomède, intercepté, interrogé puis décapité : les deux compères ont appris ce qu'ils voulaient savoir. Ils décident alors de se rendre dans le camp des Thraces alliés des Troyens : ils y font un véritable massacre, s'emparent du char et des chevaux du roi Rhésos, qui venait tout juste d'arriver et qu'ils tuent dans son sommeil, et s'en retournent tout joyeux, avec leur butin, au camp des Achéens.
A l'époque classique, cet épisode homérique a fourni l'argument d'une tragédie, Rhésos, que les critiques hésitent à attribuer à Euripide. Cette fois, l'action se situe la nuit dans le camp troyen : Hector projette une attaque contre les Grecs, mais accepte d'envoyer un espion au préalable. Avec forfanterie, Dolon se porte volontaire et promet de ramener la tête d'Ulysse. Arrive à présent le roi thrace, Rhésos, un autre fanfaron qui se fait fort, devant Hector, de mettre un terme à la guerre en un jour (v.443-453) :
ἀλλ’ ὕστερος μὲν ἦλθον, ἐν καιρῶι δ’ ὅμως· σὺ μὲν γὰρ ἤδη δέκατον αἰχμάζεις ἔτος κοὐδὲν περαίνεις, ἡμέραν δ’ ἐξ ἡμέρας ῥίπτεις κυβεύων τὸν πρὸς Ἀργείους Ἄρη· ἐμοὶ δὲ φῶς ἓν ἡλίου καταρκέσει πέρσαντι πύργους ναυστάθμοις ἐπεσπεσεῖν κτεῖναί τ’ Ἀχαιούς· θατέραι δ’ ἀπ’ Ἰλίου πρὸς οἶκον εἶμι, συντεμὼν τοὺς σοὺς πόνους. ὑμῶν δὲ μή τις ἀσπίδ’ ἄρηται χερί· ἐγὼ γὰρ †ἕξω† τοὺς μέγ’ αὐχοῦντας δορὶ πέρσας Ἀχαιούς, καίπερ ὕστερος μολών. |
C'est vrai que je viens tard, encore à temps toutefois pour vous, |
En attendant ce glorieux moment, Rhésos installe ses tentes. Arrivent Ulysse et Diomède, qui viennent de tuer Dolon. Athéna leur apparaît et leur recommande, sans entrer dans les détails, de tuer Rhésos sans plus tarder (v.598-605 et 616-621) :
ἄνδρα δ’ οὐ πέπυσθε σύμμαχον Τροίαι μολόντα Ῥῆσον οὐ φαύλωι τρόπωι; ὃς εἰ διοίσει νύκτα τήνδ’ ἐς αὔριον, οὔτ’ ἄν σφ’ Ἀχιλλεὺς οὔτ’ ἂν Αἴαντος δόρυ μὴ πάντα πέρσαι ναύσταθμ’ Ἀργείων σχέθοι, τείχη κατασκάψαντα καὶ πυλῶν ἔσω λόγχηι πλατεῖαν ἐσδρομὴν ποιούμενον. τοῦτον κατακτὰς πάντ’ ἔχεις· [...] πέλας δὲ πῶλοι Θρηικίων ἐξ ἁρμάτων λευκαὶ δέδενται, διαπρεπεῖς ἐν εὐφρόνηι· στίλβουσι δ’ ὥστε ποταμίου κύκνου πτερόν. ταύτας, κτανόντε δεσπότην, κομίζετε, κάλλιστον οἴκοις σκῦλον· οὐ γὰρ ἔσθ’ ὅπου τοιόνδ’ ὄχημα χθὼν κέκευθε πωλικόν. | Situle de Naples (détail) |
N'avez-vous pas appris qu'un allié |
Ainsi les injonctions d'Athéna confirment curieusement ce qui apparaissait chez Rhésos comme de pures rodomontades. Rhésos est donc assassiné dans son sommeil, et les chevaux volés. Mais le poète tragique ne donne aucune explication explicite au pouvoir qu'aurait eu Rhésos de sauver Troie s'il avait survécu jusqu'au jour.
Diomède tue Rhésos dans son sommeil, sous l'oeil d'Athéna |
Il faut attendre une allusion de Virgile dans l'Enéide (I, 469 sqq) pour comprendre qu'une prophétie liait le sort de Troie à cette fameuse nuit que devait passer Rhésos (ou plus exactement son attelage) sur le sol troyen. Enée, arrivé à Carthage, découvre une fresque représentant la prise de Troie, et il reconnaît en particulier l'épisode de Rhésos :
Nec procul hinc Rhesi niueis tentoria uelis En pleurant, Énée identifie non loin de là les tentes de Rhésus, |
Un commentaire de Servius sur ce vers (I, 469) confirme l'information :
nec procul hinc rhesi : Rhesus rex Thraciae fuit qui cum ad Troiae venisset auxilia clausisque iam portis tentoria locavisset in litore, Dolone prodente Troiano, qui missus fuerat speculator, a Diomede et Vlixe est interfectus, qui et ipsi speculatum venerant ; abductique sunt equi, quibus pendebant fata Troiana, ut, si pabulo Troiano usi essent vel de Xantho Troiae fluvio bibissent, Troia perire non posset. |
Mais en l'absence de sources plus complètes, il est impossible de déterminer à quand remonte cette prédiction... une de plus ! mais pas la dernière...
Ulysse et le vol du Palladium
Diomède (à gauche) et Ulysse (à droite) séparés par quatre hommes se disputent le Palladium |
L'incursion d'Ulysse et de Diomède dans les tentes des alliés thraces n'est en effet pas la seule dont rendent compte les épopées homériques. Un autre exploit d'Ulysse est raconté par Hélène au chant IV de l'Odyssée. A Télémaque venu demander à Sparte des nouvelles de son père disparu, elle raconte la dernière fois qu'elle a vu Ulysse (v.240-258) :
πάντα μὲν οὐκ ἂν ἐγὼ μυθήσομαι οὐδ’ ὀνομήνω, ὅσσοι Ὀδυσσῆος ταλασίφρονός εἰσιν ἄεθλοι· ἀλλ’ οἷον τόδ’ ἔρεξε καὶ ἔτλη καρτερὸς ἀνὴρ δήμῳ ἔνι Τρώων, ὅθι πάσχετε πήματ’ Ἀχαιοί. αὐτόν μιν πληγῇσιν ἀεικελίῃσι δαμάσσας, σπεῖρα κάκ’ ἀμφ’ ὤμοισι βαλών, οἰκῆϊ ἐοικώς, ἀνδρῶν δυσμενέων κατέδυ πόλιν εὐρυάγυιαν. ἄλλῳ δ’ αὐτὸν φωτὶ κατακρύπτων ἤϊσκε Δέκτῃ, ὃς οὐδὲν τοῖος ἔην ἐπὶ νηυσὶν Ἀχαιῶν· τῷ ἴκελος κατέδυ Τρώων πόλιν, οἱ δ’ ἀβάκησαν πάντες· ἐγὼ δέ μιν οἴη ἀνέγνων τοῖον ἐόντα, καί μιν ἀνειρώτευν· ὁ δὲ κερδοσύνῃ ἀλέεινεν. ἀλλ’ ὅτε δή μιν ἐγὼ λόεον καὶ χρῖον ἐλαίῳ, ἀμφὶ δὲ εἵματα ἕσσα καὶ ὤμοσα καρτερὸν ὅρκον, μή με πρὶν Ὀδυσῆα μετὰ Τρώεσσ’ ἀναφῆναι, πρίν γε τὸν ἐς νῆάς τε θοὰς κλισίας τ’ ἀφικέσθαι, καὶ τότε δή μοι πάντα νόον κατέλεξεν Ἀχαιῶν. πολλοὺς δὲ Τρώων κτείνας ταναήκεϊ χαλκῷ ἦλθε μετ’ Ἀργείους, κατὰ δὲ φρόνιν ἤγαγε πολλήν. |
Certes, je ne pourrais vous dire, vous énumérer |
Si ce texte indique clairement une collusion entre Ulysse et Hélène, qui sentant le vent tourner prépare son retour en grâce auprès des Grecs, il indique aussi qu'Ulysse ne ramène de cette expédition qu'un "butin de nouvelles". Il n'est pas encore question d'un objet qui apparaît dans la Petite Iliade de Leschès résumée par Proclus, et qui est appelé à connaître une très grande fortune, le Palladium :
Ὀδυσσεύς τε αἰκισάμενος ἑαυτὸν κατάσκοπος εἰς Ἴλιον παραγίνεται, καὶ ἀναγνωρισθεὶς ὑφ’ Ἑλένης περὶ τῆς ἁλώσεως τῆς πόλεως συντίθεται κτείνας τέ τινας τῶν Τρώων ἐπὶ τὰς ναῦς ἀφικνεῖται. καὶ μετὰ ταῦτα σὺν Διομήδει τὸ παλλάδιον ἐκκομίζει ἐκ τῆς Ἰλίου. |
Ulysse se défigure lui-même et se rend à Troie pour espionner ; reconnu par Hélène, il complote la prise de la ville. Puis après avoir tué quelques Troyens, il retourne aux navires. Après quoi, avec Diomède il emporte le Palladium hors d'Ilion. |
Le Cycle indique donc bien qu'il y a eu deux incursions d'Ulysse à l'intérieur des murailles de Troie : dans la première, il est seul à repérer les lieux et probablement à préparer un plan, en accord avec Hélène. C'est au cours de la deuxième qu'il volera le Palladium avec son compagnon Diomède. La première incursion est aussi mentionnée dans l'Hécube d'Euripide (v.239-248) :
[Εκ.] οἶσθ’ ἡνίκ’ ἦλθες Ἰλίου κατάσκοπος δυσχλαινίαι τ’ ἄμορφος ὀμμάτων τ’ ἄπο φόνου σταλαγμοὶ σὴν κατέσταζον γένυν; [Οδ.] οἶδ’· οὐ γὰρ ἄκρας καρδίας ἔψαυσέ μου. [Εκ.] ἔγνω δέ σ’ Ἑλένη καὶ μόνηι κατεῖπ’ ἐμοί; [Οδ.] μεμνήμεθ’ ἐς κίνδυνον ἐλθόντες μέγαν. [Εκ.] ἥψω δὲ γονάτων τῶν ἐμῶν ταπεινὸς ὤν; [Οδ.] ὥστ’ ἐνθανεῖν γε σοῖς πέπλοισι χεῖρ’ ἐμήν. [Εκ.] ἔσωσα δῆτά σ’ ἐξέπεμψά τε χθονός; [Οδ.] ὥστ’ εἰσορᾶν γε φέγγος ἡλίου τόδε. [Εκ.] τί δῆτ’ ἔλεξας δοῦλος ὢν ἐμὸς τότε; [Οδ.] πολλῶν λόγων εὑρήμαθ’ ὥστε μὴ θανεῖν. |
HECUBE- Tu te souviens qu'un jour tu vins à Troie en éclaireur, sous des haillons, méconnaissable ? Des filets de sang coulaient de tes yeux sur ta barbe. |
Belle preuve d'ingratitude, puisqu'Ulysse, aujourd'hui vainqueur, s'apprête à venir chercher Polyxène pour qu'on l'égorge sur le tombeau d'Achille.
Quant à la deuxième incursion, qui a le Palladium pour objet, elle est signalée dans le Rhésos : "C'est lui qui pénétra de nuit au temple d'Athéna, pour voler son image qu'il emporta vers les navires".
Qu'est-ce que ce Palladium, et pourquoi justifie-t-il qu'on prenne pour lui tant de risques ? Apollodore dans sa Bibliothèque (III, 12, 3) évoque son origine :
ἱστορία δὲ ἡ περὶ τοῦ παλλαδίου τοιάδε φέρεται: φασὶ γεννηθεῖσαν τὴν Ἀθηνᾶν παρὰ Τρίτωνι τρέφεσθαι, ᾧ θυγάτηρ ἦν Παλλάς: ἀμφοτέρας δὲ ἀσκούσας τὰ κατὰ πόλεμον εἰς φιλονεικίαν ποτὲ προελθεῖν. μελλούσης δὲ πλήττειν τῆς Παλλάδος τὸν Δία φοβηθέντα τὴν αἰγίδα προτεῖναι, τὴν δὲ εὐλαβηθεῖσαν ἀναβλέψαι, καὶ οὕτως ὑπὸ τῆς Ἀθηνᾶς τρωθεῖσαν πεσεῖν. Ἀθηνᾶν δὲ περίλυπον ἐπ᾽ αὐτῇ γενομένην, ξόανον ἐκείνης ὅμοιον κατασκευάσαι, καὶ περιθεῖναι τοῖς στέρνοις ἣν ἔδεισεν αἰγίδα, καὶ τιμᾶν ἱδρυσαμένην παρὰ τῷ Διί. ὕστερον δὲ Ἠλέκτρας κατὰ τὴν φθορὰν τούτῳ προσφυγούσης, Δία ῥῖψαι [μετ᾽ Ἄτης καὶ] τὸ παλλάδιον εἰς τὴν Ἰλιάδα χώραν, Ἶλον δὲ τούτῳ ναὸν κατασκευάσαντα τιμᾶν. καὶ περὶ μὲν τοῦ παλλαδίου ταῦτα λέγεται. |
Une autre tradition est longuement rapportée par Denys d'Halicarnasse dans les Antiquités romaines (I, 68-69). Elle est précieuse parce qu'elle permet de faire le point sur l'état du mythe au Ier siècle avant JC, donc à l'époque de Virgile, en un temps où la légende des origines troyennes de Rome connaissait un remarquable développement :
[68] Ἃ δὲ αὐτός τε ἰδὼν ἐπίσταμαι καὶ δέος οὐδὲν ἀποκωλύει με περὶ αὐτῶν γράφειν τοιάδε ἐστί· νεὼς ἐν Ῥώμῃ δείκνυται τῆς ἀγορᾶς οὐ πρόσω κατὰ τὴν ἐπὶ Καρίνας φέρουσαν ἐπίτομον ὁδὸν ὑπεροχῇ σκοτεινὸς ἱδρυμένος οὐ μέγας. λέγεται δὲ κατὰ τὴν ἐπιχώριον γλῶτταν ὑπ’ Ἐλαίας τὸ χωρίον. ἐν δὲ τούτῳ κεῖνται τῶν Τρωικῶν θεῶν εἰκόνες, ἃς ἅπασιν ὁρᾶν θέμις, ΔΕΝΑΣ ἐπιγραφὴν ἔχουσαι δηλοῦσαν τοὺς Πενάτας. [δοκοῦσι γάρ μοι τοῦ θ μήπω γράμματος εὑρημένου τῷ δ δηλοῦν τὴν ἐκείνου δύναμιν οἱ παλαιοί.] εἰσὶ δὲ νεανίαι δύο καθήμενοι δόρατα διειληφότες, τῆς παλαιᾶς ἔργα τέχνης. πολλὰ δὲ καὶ ἄλλα ἐν ἱεροῖς ἀρχαίοις εἴδωλα τῶν θεῶν τούτων ἐθεασάμεθα, καὶ ἐν ἅπασι νεανίσκοι δύο στρατιωτικὰ σχήματα ἔχοντες φαίνονται. ὁρᾶν μὲν δὴ ταῦτα ἔξεστιν, ἀκούειν δὲ καὶ γράφειν ὑπὲρ αὐτῶν, ἃ Καλλίστρατός ἀκούειν δὲ καὶ γράφειν ὑπὲρ αὐτῶν, ἃ Καλλίστρατός τε ὁ περὶ Σαμοθρᾴκης συνταξάμενος ἱστορεῖ καὶ Σάτυρος ὁ τοὺς ἀρχαίους μύθους συναγαγὼν καὶ ἄλλοι συχνοί, παλαιότατος δὲ ὧν ἡμεῖς ἴσμεν ποιητὴς Ἀρκτῖνος. λέγουσι γοῦν ὧδε· Χρύσην τὴν Πάλλαντος θυγατέρα γημαμένην Δαρδάνῳ φερνὰς ἐπενέγκασθαι δωρεὰς Ἀθηνᾶς τά τε Παλλάδια καὶ τὰ ἱερὰ τῶν μεγάλων θεῶν διδαχθεῖσαν αὐτῶν τὰς τελετάς. ἐπειδὴ δὲ τὴν ἐπομβρίαν φεύγοντες Ἀρκάδες Πελοπόννησον μὲν ἐξέλιπον, ἐν δὲ τῇ Θρᾳκίᾳ νήσῳ τοὺς βίους ἱδρύσαντο, κατασκευάσαι τὸν Δάρδανον ἐνταῦθα τῶν θεῶν τούτων ἱερὸν ἀρρήτους τοῖς ἄλλοις ποιοῦντα τὰς ἰδίους αὐτῶν ὀνομασίας καὶ τὰς τελετὰς αὐτοῖς τὰς καὶ εἰς τόδε χρόνου γινομένας ὑπὸ Σαμοθρᾴ κων ἐπιτελεῖν. ὡς δὲ μετῆγε τοῦ λεὼ τὴν πλείω μοῖραν εἰς τὴν Ἀσίαν τὰ μὲν ἱερὰ τῶν θεῶν καὶ τὰς τελετὰς τοῖς ὑπομείνασιν ἐν τῇ νήσῳ καταλιπεῖν· τὰ δὲ Παλλάδια καὶ τὰς <τῶν> θεῶν εἰκόνας κατασκευασάμενον ἀγαγέσθαι μετ’ αὐτοῦ. διαμαντευόμενον δὲ περὶ τῆς οἰκήσεως τά τε ἄλλα μαθεῖν καὶ περὶ τῶν ἱερῶν τῆς φυλακῆς τόνδε τὸν χρησμὸν λαβεῖν·
Δάρδανον μὲν ἐν τῇ κτισθείσῃ τε ὑφ’ἑαυτοῦ καὶ ὀνομασίας ὁμοίας τυχούσῃ πόλει τὰ ἕδη καταλιπεῖν, Ἰλίου δ’ ἐν ὑστέρῳ χρόνῳ συνοικισθέντος ἐκεῖσε μετενεχθῆναι πρὸς τῶν ἐγγόνων αὐτοῦ τὰ τος ἐκεῖσε μετενεχθῆναι πρὸς τῶν ἐγγόνων αὐτοῦ τὰ ἱερά. ποιήσασθαι δὲ τοὺς Ἰλιεῖς νεών τε καὶ ἄδυτον αὐτοῖς ἐπὶ τῆς ἄκρας καὶ φυλάττειν δι’ ἐπιμελείας ὅσης ἐδύναντο πλείστης θεόπεμπτά τε ἡγουμένους εἶναι καὶ σωτηρίας κύρια τῇ πόλει. ἁλισκομένης δὲ τῆς κάτω πόλεως τὸν Αἰνείαν καρτερὸν τῆς ἄκρας γενόμενον, ἄραντα ἐκ τῶν ἀδύτων τά τε ἱερὰ τῶν μεγάλων θεῶν καὶ ὅπερ ἔτι περιῆν Παλλάδιον (θάτερον γὰρ Ὀδυσσέα καὶ Διομήδην νυκτός φασιν εἰς Ἴλιον ἀφικομένους κλοπῇ λαβεῖν) οἴχεσθαί τε κομίσαντα [τὸν Αἰνείαν] ἐκ τῆς πόλεως καὶ ἐλθεῖν ἄγοντα εἰς Ἰταλίαν. Ἀρκτῖνος δέ φησιν ὑπὸ Διὸς δοθῆναι Δαρδάνῳ Παλλάδιον ἓν καὶ εἶναι τοῦτο ἐν Ἰλίῳ τέως ἡ πόλις ἡλίσκετο κεκρυμμένον ἐν ἀβάτῳ· εἰκόνα δ’ ἐκείνου κατεσκευασμένην ὡς μηδὲν τῆς ἀρχετύπου διαφέρειν ἀπάτης τῶν ἐπιβουλευόντων ἕνεκεν ἐν φανερῷ τεθῆναι καὶ αὐτὴν Ἀχαιοὺς ἐπιβουλεύσαντας λαβεῖν. τὰ μὲν οὖν εἰς Ἰταλίαν ὑπ’ Αἰνείου κομισθέντα ἱερὰ τοῖς εἰρημένοις ἀνδράσι πειθόμενος γράφω τῶν τε μεγάλων θεῶν εἰκόνας εἶναι, οὓς Σαμοθρᾷκες Ἑλλήνων μάλιστα ὀργιάζουσι, καὶ τὸ μυθευόμενον Παλλάδιον, ὅ φασι τὰς ἱερὰς φυλάττειν παρθένους ἐν ναῷ κείμενον Ἑστίας,
ἔνθα καὶ τὸ ἀθάνατον διασώζεται πῦρ· ὑπὲρ ὧν ἐν ὑστέρῳ λεχθήσεται λόγῳ. εἴη δ’ ἂν καὶ παρὰ ταῦτα τοῖς βεβήλοις ἡμῖν ἄδηλα ἕτερα. καὶ περὶ μὲν τῶν
Τρωικῶν ἱερῶν τοσαῦτα εἰρήσθω.
LXIX. 1. Ainsi Dardanos installa les objets sacrés dans la ville qu'il avait fondée et à qui il donna son nom ; mais par la suite, après la fondation d'Ilion, ses descendants y transportèrent les statues. Les habitants d'Ilion leur firent un temple et un sanctuaire dans la citadelle, et les gardèrent avec tout le soin possible, dans la pensée qu'elles étaient envoyées des dieux et que d'elles dépendait le salut de la cité. |
C'est à peu près la même histoire dont rendra compte Ovide, quelques années plus tard, dans les Fastes (VI, 417 sqq), A la même époque, voilà ce que fait dire Virgile à Sinon, le traître chargé par les Grecs de persuader les Troyens de faire entrer le cheval de bois dans leurs murailles (Enéide, II, 162-194 :
"Omnis spes Danaum et coepti fiducia belli "Tout l'espoir des Danaens, leur confiance dans la guerre entreprise |
Ainsi Sinon parvient, non sans quelques invraisemblances, à relier Palladium et cheval de Troie. Commentant ce passage, Servius fera le point, au Ve siècle, sur la somme impressionnante de versions qui au fil des siècles se sont additionnées :
[166] palladium Helenus apud Arisbam captus a Graecis est et indicavit coactus fata Troiana, in quibus etiam de Palladio. Unde dicitur a Pyrrho regna meruisse: quamquam praestiterit Pyrrho, ut per terram rediret, dicens omnes Graecos, quod et contigit, naufragio esse perituros. Alii dicunt Helenum non captum, sed dolore, quod post mortem Paridis Helena iudicio Priami non sibi, sed Deiphobo esset adiudicata, in Idam montem fugisse, atque exinde monente Calchante productum de Palladio pro odio prodidisse. Tunc Diomedes et Ulixes, ut alii dicunt, cuniculis, ut alii, cloacis ascenderunt arcem, et occisis custodibus sustulere simulacrum ; qui cum reverterentur ad naves, Ulixes, ut sui tantum operis videretur effector, voluit sequens occidere Diomedem: cuius ille conatum cum ad umbram lunae notasset, religatum prae se usque ad castra Graecorum egit. Ideo autem hoc negotium his potissimum datur, quia cultores fuerunt Minervae. Hoc cum postea Diomedes haberet, ut quidam dicunt: quod et Vergilius ex parte tangit, et Varro plenissime dicit: credens sibi non esse aptum, propter sua pericula, quibus numquam cariturum responsis cognoverat, nisi Troianis Palladium reddidisset, transeunti per Calabriam Aeneae offerre conatus est. Sed cum se ille velato capite sacrificans convertisset, Nautes quidam accepit simulacrum: unde Minervae sacra non Iulia gens habuit, sed Nautiorum. Hinc est illud in quinto (704) videbatur : "Tum senior Nautes, Unum Tritonia Pallas Quem docuit". Quamquam alii dicant simulacrum hoc a Troianis absconditum fuisse intra extructum parietem, postquam agnoverunt Troiam esse perituram ; quod postea bello Mithridatico dicitur Fimbria quidam Romanus inventum indicasse ; quod Romam constat advectum. Et cum responsum fuisset illic imperium fore ubi et Palladium, adhobito Mamurio fabro, multa similia facta sunt. Verumtamen agnoscitur hastae oculorumque mobilitate. Une est : "hastamque ferentem". Sed ab una tantum sacerdote visa est : ut Lucanus (I, 598) : "Troianam soli cui fas vidisse Minervam". Dicunt sane alii, unum simulacrum caelo lapsum, quod nubibus advectum et in ponte depositum, apud Athenas tantum fuisse, unde et γεφυριστὴς dicta est. Ex qua etiam causa pontifices a ponte sublicio, qui primus Tybri impositus est, appellatos tradunt, sicut Saliorum carmina loquuntur. Sed hoc Atheniense Palladium a veteribus Troianis Ilium translatum. Alii duo volunt : hoc de quo diximus, et illud Atheniense. Alii, cum ab Ilo Ilium conderetur, hoc Troianum caelo lapsum dicunt. Alii a Dardano de Samothracia Troiam translatum. Alii multa fuisse Palladia, sed hoc a Diomede et Ulixe furto ablatum tradunt. |
Servius ignore apparemment une dernière version sur l'origine du Palladium, mentionnée par un scholiaste d'Homère (Scholia in Iliadem 6.88b) et plus qu'étrange puisqu'elle n'associe plus du tout l'objet à Pallas :
φασὶν Ἥφαιστον ἐκ τῶν ὀστῶν Πέλοπος πεποιηκέναι τὸ Παλλάδιον. |
On dit qu'Héphaïstos avait fait le Palladium avec les os de Pélops. |
Le professeur Chiappinelli, qui nous a signalé cette rareté, la commente ainsi : «J’imagine que les Grecs voulaient s'attribuer l’origine d’un si célèbre talisman».
Une autre anecdote avait cours sur cette expédition de Diomède et Ulysse et sur leur trajet de retour. Elle développait celle qu'atteste Servius en lui donnant plus de piquant, et était racontée par l'historien augustéen Conon (livre 34), dont Photius nous a conservé l'Epitomé dans sa Bibliothèque (186) :
Στέλλονται οὖν ἐπὶ τῇ κλοπῇ τοῦ Παλλαδίου Διομήδης καὶ Ὀδυσσεύς, καὶ ἀναβαίνει ἐπὶ τὸ τεῖχος Διομήδης, ἐπιβὰς τῶν ὤμων Ὀδυσσέως· ὁ δὲ οὐκ ἀνελκύσας Ὀδυσσέα καίτοι τὰς χεῖρας ὀρέγοντα, ᾔει τὴν ἐπὶ τὸ Παλλάδιον, καὶ ἀφελόμενος αὐτὸ πρὸς Ὀδυσσέα ἔχων ὑπέστρεφε. Καὶ διὰ τοῦ πεδίου κατιόντων πυνθανομένῳ ἕκαστα τῷ Ὀδυσσεῖ Διομήδης, τὸ δόλιον τἀνδρὸς εἰδώς, οὐχ ὅπερ ἔφησεν Ἕλενος Παλλάδιον λαβεῖν αὐτόν, ἀλλ’ ἀντ’ ἐκείνου ἕτερον ἀποκρίνεται. Κινηθέντος δὲ τοῦ Παλλαδίου κατά τινα δαίμονα, γνοὺς Ὀδυσσεὺς αὐτὸ ἐκεῖνο εἶναι καὶ κατόπιν γεγονὼς σπᾶται τὸ ξίφος, ἐκεῖνον μὲν ἀνελεῖν βουληθείς, αὐτὸς δ’ Ἀχαιοῖς τὸ Παλλάδιον κομίζειν. Καὶ αὐτοῦ μέλλοντος πληγὴν ἐμβαλεῖν (ἦν γὰρ σελήνη) ὁρᾷ Διομήδης τὴν αὐγὴν τοῦ ξίφους. Ὀδυσσεὺς δ’ ἀναιρεῖν μὲν ἀπέσχετο ἀντισπασαμένου κἀκείνου ξίφος, δειλίαν δ’ ὀνειδίσας πλατεῖ τῷ ξίφει οὐκ ἐθέλοντα προϊέναι τύπτων τὰ νῶτα ἤλαυνεν. Ἐξ οὗ ἡ παροιμία «ἡ Διομήδειος ἀνάγκη» ἐπὶ παντὸς ἀκουσίου λεγομένη. |
Il est décidément impossible de se fier à cette fripouille d'Ulysse !
Quant à la présence à Rome du Palladium, nous avons vu qu'une autre version supposait que Diomède aurait été averti par un oracle, et aurait apporté le Palladium à Enée en Italie. Cette version est abondamment développée, avec une variante, par Silius Italicus :
Et pour en revenir à Ulysse, voici la version plus classique de Quintus de Smyrne (X, 343-354). Quant à celle, bien plus originale, de Dictys de Crète (Ephemerides, V, 5-8) qui donne à Anténor un rôle auquel jusqu'alors les différentes variantes de l'histoire du Palladium n'avaient pas pensé, vous la trouverez dans la contribution de notre ami le professeur Chiappinelli :
Références des traductions
- Traduction de Rhesos : Marie Delcourt (1962)
- Traductions de l'Enéide : Itinera electronica
- Traductions des commentaires de Servius : Agnès Vinas (2009)
- Traduction de l'Odyssée : Philippe Jaccottet (1955)
- Traduction de la Chrestomathie de Proclus : Agnès Vinas (2009)
- Traduction d'Hécube : Marie Delcourt (1962)
- Traduction d'Apollodore : Ugo Bratelli (2001-2003) sur le site Nimispauci
- Traductions des Antiquités romaines de Denys d'Halicarnasse : Agnès Vinas (2009)
- Traduction de l'Histoire de Conon rapportée par Photius : Agnès Vinas (2009)