Chapitre 31

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Les Espagnols caressaient toujours l'idée que le bâtiment et sa cargaison pourraient être confisqués ; une commission vint de Girone pour nous interroger. Elle se composait de deux juges civils et d'un Inquisiteur. Je servais d'interprète. Lorsque le tour de M. Berthemie fut arrivé, j'allai le chercher, et lui dis : «Faites semblant de parler styrien, et soyez tranquille, je ne vous compromettrai pas en traduisant vos réponses.»

Il fut fait ainsi qu'il avait été convenu ; malheureusement, la langue que partait M. Berthemie était très peu variée, et les sacrement der teufel (qu'il avait appris en Allemagne lorsqu'il était aide de camp de d'Hautpoul), dominaient trop dans ses discours. Quoi qu'il en soit, les juges reconnurent qu'il y avait une trop grande conformité entre ses réponses et celles que j'avais faites moi-même pour qu'il fût nécessaire de continuer un interrogatoire qui, pour le dire en passant, m'inquiétait beaucoup. Le désir de le terminer fut encore plus vif de la part des juges, lorsque arriva le tour d'un matelot, nommé Méhémet. Au lieu de le faire jurer sur le Koran de dire la vérité, le juge s'obstina à lui faire placer le pouce sur l'index de manière à figurer la croix. Je l'avertis qu'il allait en résulter un grand scandale ; et, en effet, lorsque Méhémet s'aperçut de la signification de ce signe, il se mit à cracher dessus avec une inconcevable violence. La séance fut levée incontinent.

Le lendemain, les choses avaient totalement changé de face ; un des juges de Girone vint nous déclarer que nous étions libres de partir, et de nous rendre avec notre bâtiment où bon nous semblerait. Quelle était la cause de ce brusque revirement ? La voici.

Pendant notre quarantaine dans le moulin à vent de Rosas, j'avais écrit, au nom du capitaine Braham, une lettre au dey d'Alger. Je lui rendais compte de l'arrestation illégale de son bâtiment et de la mort d'un des lions que le dey envoyait à l'Empereur. Cette dernière circonstance transporta de fureur le monarque africain. Il manda sur-le-champ le consul d'Espagne, M. Onis, réclama des dédommagements pécuniaires pour son cher lion, et menaça de la guerre si l'on ne relâchait pas sur-le-champ son bâtiment. L'Espagne avait alors à pourvoir à trop de difficultés pour s'en mettre, de gaieté de coeur, une nouvelle sur les bras, et l'ordre de relâcher le navire si vivement convoité arriva à Girone et de là à Palamos.


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