Chapitre 9

Chapitre 8 Sommaire Chapitre 10

Ici se place, par sa date, une circonstance qui aurait pu avoir pour moi les conséquences les plus fatales ; voici le fait.

J'ai raconté plus haut la scène qui fit expulser le fils de Brissot de l'École polytechnique. Je l'avais totalement perdu de vue depuis plusieurs mois, lorsqu'il vint me rendre visite à l'Observatoire, et me plaça dans la position la plus délicate, la plus terrible où un honnête homme se soit jamais trouvé.

«Je ne vous ai pas vu, me dit-il, parce que, depuis ma sortie de l'Ecole, je me suis exercé chaque jour à tirer le pistolet ; je suis maintenant d'une habileté peu commune, et je vais employer mon adresse à débarrasser la France du tyran qui a confisqué toutes ses libertés. Mes mesures sont prises ; j'ai loué une petite chambre sur le Carrousel, tout près de l'endroit où Napoléon, après être sorti de la cour, vient passer la revue de la cavalerie : c'est de l'humble fenêtre de mon appartement que partira la balle qui lui traversera la tête.»

Je laisse à deviner avec quel désespoir je reçus cette confidence. Je fis tous les efforts imaginables pour détourner Brissot de son sinistre projet ; je lui fis remarquer que tous ceux qui s'étaient lancés dans des entreprises de cette nature avaient été qualifiés par l'histoire de nom odieux d'assassins. Rien ne parvint à ébranler sa fatale résolution ; j'obtins seulement de lui, sur l'honneur, la promesse que l'exécution serait quelque peu ajournée, et je me mis en quête des moyens de la faire avorter.

L'idée de dénoncer le projet de Brissot à l'autorité ne traversa pas même ma pensée. C'était une fatalité qui venait me frapper, et dont je devais subir les conséquences, quelque graves qu'elles fussent.

Je comptais beaucoup sur les sollicitations de la mère de Brissot, déjà si cruellement éprouvée pendant la révolution ; je me rendis chez elle, rue de Condé, et la priai à mains jointes de se réunir à moi pour empêcher son fils de donner suite à sa résolution sanguinaire. «Eh ! Monsieur, me répondit cette femme, d'ailleurs modèle de douceur, si Sylvain (c'était le nom de l'ancien élève de l'École) croit qu'il accomplit un devoir patriotique, je n'ai ni l'intention, ni le désir de le détourner de ce projet.»

C'était en moi-même que je devais désormais puiser toutes mes ressources. J'avais remarqué que Brissot s'adonnait à la composition de romans et de pièces de vers. Je caressai cette passion, et tous les dimanches, surtout quand je savais qu'il devait y avoir une revue, j'allais le chercher, et l'entraînais à la campagne dans les environs de Paris. J'écoutais alors complaisamment la lecture des chapitres de ses romans qu'il avait composés dans la semaine.

Les premières courses m'effrayèrent un peu ; car, armé de ses pistolets, Brissot saisissait toutes les occasions de montrer sa grande habileté ; et je réfléchissais que cette circonstance me ferait considérer comme son complice, si jamais il réalisait son projet. Enfin, sa prétention à la gloire littéraire, que je flattai de mon mieux, les espérances que je lui fis concevoir sur la réussite d'une passion amoureuse dont il m'avait confié le secret, et à laquelle je ne croyais nullement, lui firent recevoir avec attention les réflexions que je lui présentais sans cesse sur son entreprise. Il se détermina à faire un voyage d'outre-mer, et me tira ainsi de la plus grave préoccupation que j'ai éprouvée dans ma vie.

Brissot est mort après avoir couvert les murs de Paris d'affiches imprimées en faveur de la restauration bourbonnienne.


Chapitre 8 Haut de la page Chapitre 10