(Dionusia) - Les Dionysies ou fêtes de Dionysos ont existé dans tous les lieux où le dieu a été honoré, c'est-à-dire dans tout le monde grec. On sait que la religion de Dionysos [Bacchus], originaire de la Thrace, dont il était une des principales divinités, fut transportée par les tribus méridionales de ce pays dans la région du Parnasse et de l'Hélicon. De là elle se répandit, d'abord chez les races éoliennes et ioniennes, qui l'admirent plus facilement, puis chez les Achéens et les Doriens, où elle eut à triompher d'une hostilité plus vive. Un travail mystérieux d'association, d'un côté avec Zeus et Apollon, de l'autre avec Déméter et Cora, amena Dionysos à s'établir glorieusement à Delphes même, le grand sanctuaire dorien, puis en Attique, vers le commencement de la période la plus brillante d'Athènes. Par suite de progrès plus ou moins anciens et de nature diverse, son culte fut en honneur, pendant toute la durée des temps helléniques, dans le Péloponnèse, vers l'est, dans les lies de la mer Egée et sur les côtes de l'Asie Mineure, vers l'ouest, en Sicile et dans le sud de l'Italie, d'où il s'étendit jusqu'en Etrurie et jusqu'à Rome.

Dans la multiplicité des aspects de Dionysos il y en a deux principaux qui déterminent le caractère de ses fêtes : c'est un dieu des mystères et un dieu de la campagne. Il peut être les deux à la fois, et l'on ne doit jamais oublier ses rapports originels et persistants avec la vigne et avec le vin ; mais une preuve que la distinction est très ancienne, c'est que dans Homère le côté agraire est presque completement effacé, tandis que le seul passage explicite où il soit question de Dionysos le présente au milieu de la célébration d'un culte enthousiaste. C'est ce culte qui paraît remonter le plus haut ; c'est lui surtout que les Thraces semblent avoir apporté du Pangée et de l'Olympe dans l'intérieur de la Grèce.

En Thessalie on ne trouve guère à le signaler que sur un point de l'Achaie Phthiotique. Diodore parle des rites orgiastiques célébrés par les nourrices du dieu sur le mont Brios. Mais en Béotie les fêtes sombres et exaltées de Dionysos se multiplient. A Orchomène se célèbrent les Agrionies [Agrionia], fêtes d'un caractère primitivement sauvage et sanguinaire, en rapport avec une légende des filles de Minyas analogue à celle d'Agavé et de Penthée. Encore au temps de Plutarque un prêtre poursuivait l'épée à la nain les femmes de la race des Minyades et pouvait tuer celle qu'il réussissait à saisir. Il y avait aussi des Agrionies à Thèbes, à Argos, et probablement encore dans d'autres villes. Une fête mystique célébrée par les femmes à Tanagre s'en rapprochait. Des victimes humaines avaient de même été sacrifiées au dieu, au moins à l'origine, à Potniae en Béotie, à Patrae dans le Péloponnèse, dans les îles de Chios, de Lesbos, de Ténédos, de Crète.

Ce sont les triétérides thébaines [Trieterides] qui dans les traditions religieuses et littéraires de l'antiquité représentent principalement le culte orgiastique de Dionysos. Elles se célébraient dans les replis du Cithéron, surtout pendant la nuit, à la clarté des torches. Les femmes seules y prenaient part ; couronnées de lierre, revêtues de nébrides, la chevelure flottante, agitant des thyrses et frappant sur des tambours, elles se livraient à des danses et à une agitation furieuse sur la montagne, en invoquant le dieu à grands cris. La poésie et l'art ont souvent traité, en l'embellissant et avec une liberté croissante, un sujet si favorable aux effets plastiques.

Dans le bas-relief qui est ici reproduit on voit des Ménades dansant ; plusieurs d'entre elles tiennent dans leurs mains des couteaux et des animaux qu'elles ont mis en pièces ; celle qui est au milieu dans la gravure paraît être l'imitation d'une oeuvre célèbre de Scopas, qui donna à ce type sa plus belle expression ; les autres femmes, dans le bas-relief, portent des couronnes et des thyrses et conservent une certaine gravité dans leur vêtement et leur attitude, qui contraste avec les mouvements désordonnés des bacchantes dans la plupart des scènes semblables représentées par la sculpture et par la peinture [Maenades, Thiasus].

Les actes les plus saints et les plus secrets de ces fêtes enthousiastes s'accomplissaient la nuit. C'était vers le solstice d'hiver, pendant les nuits les plus longues et les plus froides de l'année. On y faisait des sacrifices avec des rites particuliers, auxquels servaient divers objets mystiques. Nous ne pouvons déterminer ces différents points avec précision. Indépendamment de l'insuffisance des témoignages, ces cultes mystiques de Dionysos ont varié suivant les lieux et les temps ; ici plus sauvages, là plus adoucis, ils ont subi l'influence des religions voisines ou analogues, par exemple de Cybèle, de Sabazios, de Zagreus, le dieu crétois adopté par l'orphisme. Ce qui paraît vraisemblable, c'est que ces rites divers se rapportaient à deux idées mystiques principales, qui elles-mêmes relevaient d'une idée commune. Dionysos était considéré comme le dieu de la nature, de la végétation, pendant sa période annuelle de mort, c'est-à-dire pendant l'hiver : il la représentait dans sa souffrance et dans sa mort, il mourait, il disparaissait lui-même. Les rites étaient en partie la reproduction des différentes légendes. Le récit le plus explicite est donné par un écrivain chrétien du IVe siècle, Julius Firmicus Maternus. Il est intéressant d'y voir combien la mythologie orphique avait pénétré dans les triétérides crétoises. On y représentait la mort de Bacchus enfant. On arrachait avec les dents la chair d'un taureau vivant ; on remplissait de lamentations furieuses la solitude des forêts ; on portait en procession la ciste où Pallas avait caché le coeur de son frère déchiré par les Titans ; on imitait avec le son des flûtes et des cymbales celui des jouets qui leur avait servi à tromper le jeune dieu. Le Dionysos thébain d'Euripide déchire des boucs et mange leur chair crue. C'est l'omophagie telle que nous la montre la peinture d'un vase de l'ancienne collection Blasas, actuellement au Musée Britannique.

On y voit Dionysos, debout devant un autel, tenant dans ses deux mains les morceaux d'un faon lacéré ; il est entouré de Satyres et de Ménades.

Il y a à distinguer les traditions barbares ou mythologiques, conservées dans certaines contrées ou recueillies par les poètes, des rites imitatifs accomplis aux temps historiques dans la Grèce civilisée. Cependant les transports faisaient réellement partie de toutes ces fétes. Les femmes, à qui la célébration en était exclusivement confiée, étaient les Bacchantes, héritières des anciennes Ménades, les Thyiades, comme on les nommait à Delphes, les Lénées, nom d'origine arcadienne ; mots qui expriment tous clairement, sauf le dernier, le caractère d'emportement violent et d'enthousiasme du culte qu'elles rendaient. Le dieu lui-même, auquel s'adressent leurs invocations passionnées, c'est Bacchos, Baccheus, Baccheios, Bacchios, c'est-à-dire le dieu des transports. Plusieurs points importants paraissent bien établis, surtout par les études de A. Rapp. Au moins dans la Grèce propre, dont il faut distinguer la Macédoine et l'Epire, les Thyiades étaient en nombre restreint, désignées dans les différentes villes pour cet emploi, réunies en collège ou formant une théorie d'où les vierges étaient exclues ; enfin, d'après les témoignages historiques qu'il faut bien séparer des fictions de la poésie et de l'art, l'enthousiasme des Bacchantes était beaucoup plus réglé qu'on ne le suppose communément. Les Bacchantes en Macédoine s'appelaient Clodones et Mimallones, en Thrace Bassarides. Chez elles la fureur bachique atteignait le dernier degré. Au témoignage de Plutarque, toutes les femmes de ces pays en étaient possédées, et Olympias, la mère d'Alexandre, se distinguait entre toutes par sa passion. Au milieu des évolutions des thiases qu'elle organisait, on voyait sortir du lierre et des vans mystiques de grands serpents apprivoisés qui s'enroulaient autour des thyrses et des couronnes.

Dans la Grèce propre, avec les triétérides thébaines, les plus célèbres étaient celles de Delphes. Elles ont été souvent chantées par les poètes. La troupe des Thyiades, composée de femmes d'Athènes et de Delphes, parcourait avec des torches la région du Parnasse voisine de la grotte Corycienne, souvent dans la neige, pendant les nuits glacées d'hiver. Elles appelaient à grands cris Bacchus enfant, porté dans le van mystique, et elles imploraient son réveil, c'est-à-dire le réveil de la nature endormie et morte. A Delphes même, le collège des Purs (Osioi) offrait un sacrifice au tombeau de Bacchus, qui était dans le temple d'Apollon. A ce moment, sans doute, retentissait le dithyrambe, le chant de Dionysos, qui dans ce partage du culte entre les deux divinités remplaçait, nous dit-on, le péan pendant les trois mois d'hiver [Dithyrambus].

Les triétérides dionysiaques étaient célébrées dans beaucoup de villes grecques. Il semble naturel de supposer qu'elles existaient partout où un culte enthousiaste et sombre du dieu nous est indiqué par des rites et par des noms particuliers. Ainsi, pour le Péloponnèse, les noms de Baccheios à Sicyone et à Corinthe, de Nyctélios à Mégare, de Mélanaigis à Hermione, sous lesquels Dionysos était honoré, sont par eux-mêmes significatifs. Il en est de même de la fête très importante des Thyia en Elide, où les femmes appelaient le dieu-taureau qui précipite sa marche furieuse, de la fête nommée Skiéria qui se célébrait à Aléa, en Arcadie, et qui comprenait parmi ses rites une flagellation de femmes, de la fête nocturne célébrée à Pallène, en Achaïe, en l'honneur de Dionysos Lampter. Argos, qui était, avec l'Elide, le principal siège du culte enthousiaste de Bacchus dans le Péloponnèse, célébrait des agrionies, où la légende remplaçait les trois Minyades d'Orchomène par les trois Proetides et attribuait au devin Mélampus un rôle capital. La même ville consacrait encore à Dionysos deux autres fêtes qui paraissent avoir été orgiastiques. L'une, à l'embouchure de l'Erasinus, portait le nom caractéristique de Tyrbé ; l'autre, près de Lerne, marquait fortement dans ses rites et ses symboles, dans des mystères où se trouve aussi la trace des rapports du dieu avec la grande déesse d'Eleusis, le caractère de Bacchus, considéré comme dieu de la vie animale et végétale. C'est ce qu'exprimaient des rites phalliques en rapport avec l'obscène légende de Prosymnos et un genre particulier d'invocation adressé à Dionysos Bougénès. Les Argiens l'appelaient au son des trompettes ; ils l'invitaient à sortir des marais de Lerne, des eaux sans fond, où ils avaient précipité une brebis noire pour fléchir Hadès Pylaochos, le gardien de la porte des enfers. Sparte elle-même admit le culte orgiastique de Bacchus, si l'on en croit le témoignage de Virgile, et le Taygète vit les transports des vierges lacédémoniennes.

On ne peut oublier dans la liste des fêtes dionysiaques celles qui se célébraient à Delphes tous les neuf ans et qui portaient les noms d'Heroïs et de Charila. Peut-être faudrait-il y joindre les i, célébrées à Eleusis et probablement ailleurs, qui, d'après A. Mommsen, avaient trait à la seconde naissance de Bacchus. Ce savant pense même que ce nom a été communément donné en Attique, et par extension dans d'autres pays grecs, aux triétérides.

Toutes ces fêtes étaient des formes mystiques des Dionysies. Les énumérer toutes, si nous étions en état de le faire, ce serait suivre dans une grande partie de son développement la religion de Bacchus. On les retrouverait dans les îles de la mer Egée, où partout la culture de la vigne était florissante ; particulièrement à Naxos, grand centre dionysiaque, célèbre par la légende d'Ariane, une des patries prétendues du dithyrambe, où l'on mentionne une statue de Dionysos Baccheus en bois de vigne, et à Rhodes, où Dionysos Thyonidas était honoré avec des rites phalliques dans des fêtes brillantes. En Asie Mineure elles s'unirent avec les cultes mystiques de Mysie, de Bithynie, de Phrygie et de Lydie.

De même, dans l'ouest, le culte mystique de Dionysos dut se propager en suivant le mouvement de la colonisation. Il pénétra ainsi à Corcyre, en Sicile, dans l'Italie méridionale, en Campanie, en Etrurie, et jusqu'à Rome, où ses excès furent réprimés par le sénatus-consulte sur les Bacchanales rendu en l'année 186 av. J.-C. [Bacchanalia]. Aux fêtes enthousiastes de Dionysos Baccheios se liait et s'opposait à la fois le culte de Dionysos Lysios, le dieu qui délivre, soulage et calme. Ce nom, qu'on a quelquefois entendu dans un sens politique ou moral, avait une signification religieuse : il exprimait la délivrance de la fureur dionysiaque, l'apaisement des âmes qui en étaient possédées. A Thèbes, le temple de Dionysos Lysios, élevé près des portes Proetides, ne s'ouvrait qu'une fois par an. De Thèbes, son culte s'était transporté à Phlionte, à Sicyone, où il donnait lieu à une procession nocturne, et à Corinthe. Le même sens paraît devoir être attribué aux noms Meilichios à Naxos, Saôtès à Trézène et à Lerne, Eleuthéreus à Eleuthères, Eleuthéros à Platée et Epéleuthéros à Naupacte. La légende du Dionysos Eleuthéreus, c'est-à-dire simplement du Dionysos d'Eleuthères, est significative. Le dieu apparaît revêtu d'une peau de chèvre noire (Mélanaigis) aux filles d'Eleuther. Elles se moquent de ce costume et il les punit en les livrant à un égarement qui ne prend fin que lorsque leur père, obéissant à un oracle d'Apollon, a fait accepter, le culte de Dionysos Mélanaigis et accompli des rites de purification. Bacchus apaise donc, par le ministère de son prêtre, les transports furieux qu'il a excités. Eleuthères, situé dans un défilé du Cithéron, était le siège d'un culte enthousiaste de Dionysos, où le symbole phallique était admis, et qui se terminait sans doute par une cérémonie de purification dans le sanctuaire du dieu libérateur. Ce culte de Dionysos Eleuthéreus mérite une attention particulière à cause de ses rapports avec le théâtre athénien à son origine.

Dionysos, dieu de la vie, préside à la végétation ; il est particulièrement le dieu de la vigne et du vin. Cette conception entra pour beaucoup dans la pensée et dans les rites de ses têtes orgiastiques ; mais il était naturel qu'elle eût son expression particulière dans des fêtes agraires, nullement sombres, au contraire joyeuses, en rapport avec la culture de la vigne et la fabrication du vin. Ces fêtes, célébrées à la campagne, pénétrèrent aussi dans les villes. Il y avait des fêtes du vin, nommées Théodaisia, à Mitylène ; on y distribuait du vin dans un banquet. Il y en avait à Andros, où le vin coulait d'une source merveilleuse, à Cyrène, en Crète. La dorienne mais voluptueuse Tarente était, nous dit Platon, tout entière ivre pendant les Dionysies. A Mycone, une inscription prescrit pour le douzième jour du mois Lénaeon un sacrifice à Dionysos Lénéen. La fête argienne appelée Tyrbé, qui a été mentionnée plus haut comme ayant peut-être un caractère orgiastique, justifierait encore mieux son nom, si on l'expliquait par le bruit et les danses folles de ceux qui célébraient la fête du vin.

La partie la plus caractéristique de ces fêtes, rurales ou urbaines, qui avaient lieu dans presque toute la Grèce, consistait en phallophories, c'est-à-dire en processions où l'on portait le phallus, symbole de la force productrice.

A la campagne, le cortège joyeux, formé des gennêtai et réunissant toute la famille, hommes et femmes, maîtres et esclaves, s'avançait vers l'autel ou le temple de Dionysos. Des jeunes filles [Canephorae] portaient sur leur tête dans des corbeilles les ustensiles du sacrifice et des gâteaux pour les offrandes ; on apportait aussi des vases pleins de vin, des paniers de figues, des pommes ; on conduisait la victime, un bouc. La marche était accompagnée par les chants phalliques en l'honneur de Phalès, le gai et licencieux compagnon de Dionysos, personnification du phallus. Il faut se figurer, en outre, des bouffonneries de toute sorte, favorisées par des déguisements et des costumes, des plaisanteries tirées de la fête, des échanges de raillaries entre les acteurs et les spectateurs. Ainsi était reproduit d'une manière grotesque le thiase de la mythologie [Thiasus], c'est-à-dire la troupe des suivants de Bacchus, satyres, ménades, etc.

Il ne faut pas douter que les sujets bachiques représentés sur un si grand nombre de monuments, où l'on voit des satyres, des silènes, des nymphes, des ménades, etc., ne rappellent ce qui se passait en réalité dans les Dionysies. Les auteurs nous apprennent que ceux qui prenaient part aux fêtes revêtaient tous ces déguisements. Ces bouffonneries grossières, phallophories, danses et chants licencieux, n'ont jamais cessé de faire partie du culte attique dont elles sont une partie essentielle. Après le banquet, suite naturelle du sacrifice, le cortège revenait, excité par le vin, plus hardi et plus agressif. C'était proprement le cômos. Les phallophories pénétrèrent dans les villes. Elles existaient dans un grand nombre d'entre elles au temps d'Aristote.

C'est d'un développement des chants phalliques et du cômos, suscité par la licence d'une révolution démocratique vers la 45e olympiade, que naquirent à Mégare les premières ébauches de la comédie grecque. Susarion passait pour les avoir transportées vers la 50e olympiade dans le dème attique d'Icaria [Comoedia].

Une autre ville dorienne, Sicyone, était célèbre par l'éclat de ses phallophories. Un témoignage explicite les montre en possession du théâtre au IIIe siècle, dans un temps où le drame avait achevé son développement. On y voit décrit le costume des phallophories et des ithyphalles avec la marche de la fête ; on y trouve des chants traditionnels, et le souvenir du Tôthasmos, c'est-à-dire de ces apostrophes mordantes et souvent obscènes adressées aux spectateurs, dont l'ancienne comédie attique avait conservé aussi la tradition.

Sicyone n'avait pas obtenu une moindre célébrité par l'importance qu'y avait prise dans les fêtes de Bacchus le dithyrambe, le chant particulièrement consacré à ce dieu [Dithyrambus, Tragoedia]. Hérodote nous fait connaître à la fois le caractère dramatique que le dithyrambe avait déjà avant la tyrannie de Clisthène au VIe siècle, et la passion qu'excitaient ces sortes de représentations, qui formaient sans doute dès ce temps la partie principale de la fête. Il nous apprend aussi que le dieu admit au partage de son culte un héros, d'abord Adraste l'argien, puis le thébain Mélanippos. Enfin Hérodote désigne les choeurs cycliques du dithyrambe par le nom de tragiques, qui nous reporte en même temps au dithyrambe d'Arion et à la tragédie. Avec Sicyone, il faut rappeler, comme sièges de fêtes brillantes où l'on chantait des dithyrambes, Naxos, Thèbes, Corinthe, qui se disputaient l'honneur d'avoir inventé ce genre de poésie. A Corinthe avaient été exécutés les dithyrambes d'Arion ; au nom de cette ville il est naturel de joindre celui de Phlionte, qui lui était unie ainsi qu'à Sicyone par le rapport des cultes dionysiaques et qui fut la patrie de Pralinas, célèbre par ses drames satyriques.

DIONYSIES ATTIQUES

De toutes les fêtes de Dionysos, les plus importantes, de beaucoup, furent les fêtes athéniennes. Leur développement coïncide avec celui de la puissance d'Athènes ; elles furent le témoignage le plus éclatant de sa prospérité et de sa grandeur politique, et c'est grâce à elles que les oeuvres qui ont fait sa gloire poétique purent se produire.

Cependant le dieu ne fut pas admis de bonne heure dans la cité, et il dut se contenter, pendant longtemps, des humbles fêtes de la campagne. Les dèmes de la Diacrie, particulièrement favorables à la culture de la vigne et voisins de la Béotie (Sémachidae, Icaria, Phlya, Oenoé, Marathon, etc.), reçurent d'abord le nouveau culte et se distinguèrent, surtout les deux premiers, par leurs fêtes. Une légende qui fait de Sémachos l'hôte de Dionysos, sous le règne d'Amphictyon, et où le dieu fait cadeau de la nébride aux filles de celui-ci, qui deviennent les prêtresses du nouveau culte, autorise à penser que les triétérides orgiastiques pénétrèrent très anciennement dans le dème de Sémachidae. Sans doute aussi ce dème fournit un contingent à la troupe des thyiades athéniennes envoyées au Parnasse.

Icaria avait une légende analogue à celle de Sémachidae. De même, dans une très haute antiquité, sous le règne de Pandion, Dionysos, arrivant en Attique, avait pour hôte l'éponyme du dème, Icarios, et reconnaissait son hospitalité par un présent. De même aussi à ce présent est attachée l'idée de rites et de fureurs orgiastiques. Le meurtre d'Icarios par les bergers ivres, la mort d'Erigone qui cherche son père et se pend de désespoir quand la chienne Maira lui a montré le cadavre, l'égarement des jeunes filles qui vont elles-mêmes se pendre dans le bois, enfin le sacrifice et la fête expiatoire prescrits par l'oracle d'Apollon, tous ces détails de la légende éveillent l'idée de cultes analogues à ceux de Dionysos Baccheus et de Dionysos Lysios, bien que ces noms ne figurent pas dans les témoignages des auteurs. Aux fêtes d'Icaria, un rite symbolique de purification consistait à suspendre aux branches des arbres, en souvenir du genre de mort des jeunes filles, des poupées qui se balancaient. C'est ce qu'on appelait Aiora. Les Oscilla chez les Latins étaient la reproduction de cette coutume. C'était de même une image mythique ou un symbole de la vigne suspendue aux arbres. Peut-être chantait-on dans ces cérémonies l'Alêtis, le chant de l'errante, c'est-à-dire le chant sur Erigone errant à la recherche de son pire.

Il semble probable cependant que dans les fêtes d'Icaria, l'expression de la joie fut dominante. Entre autres divertissements, les vignerons dansaient sur des outres gonflées d'air et enduites d'huile. C'était l'ascoliasmos, dont l'origine était attribuée à Icarios [Askolia]. L'importance des Dionysies d'Icaria s'accrut encore lorsque Susarion y eut apporté, vers la 50e olympiade, la farce mégarienne. Quelques années après, l'icarien Thespis tirait du dithyrambe les premiers essais du drame tragique. Ainsi ce dème, qui réunissait les deux aspects des fêtes de Dionysos, eut le double honneur d'attacher son nom à l'apparition de la comédie en Attique et à la naissance de la tragédie.

Ces joyeuses fêtes de la campagne s'appelaient Theoinia, fêtes du dieu du vin. Elles prirent le nom de petites Dionysies, lorsque les grandes Dionysies eurent été instituées à Athènes. On en attribue l'introduction au roi Amphictyon, contemporain d'Erechthée. Elles existaient dans beaucoup de dèmes, même dans ceux où la culture de la vigne ne parait pas avoir été bien florissante. Ainsi l'on se figure difficilement des vignobles dans le dème de Collyte, qui n'était qu'un faubourg d'Athènes. Il faut bien cependant qu'il ait eu ses Dionysies, puisque c'est là que l'orateur Eschine jouait dans sa jeunesse les pièces de Sophocle et fournissait à Démosthène l'occasion de l'appeler Oenomaüs de campagne. On ne donnait dans les dèmes que des pièces qui avaient été représentées à la ville. Il est question aussi de représentations à Phlyes, à Salamine, à Eleusis, à Aixoné et ailleurs, où leur existence est attestée par des inscriptions ou par des restes de théâtres. Celles du Pirée, grâce à son importance et à sa proximité, en vinrent à rivaliser avec celles d'Athènes. On dit qu'Euripide y donna des pièces. Les Dionysies du Pirée devinrent des fêtes officielles soutenues par 1'Etat. Des actes publics les mentionnent dans leur ordre, avant les Lenéennes. Les éphèbes, comme des inscriptions d'époque postérieure en font foi, portèrent des offrandes et sacrifièrent au Dionysos du Pirée comme au dieu de la ville. L'omission des Lénéennes dans la suite de fêtes donnée par une inscription a fait supposer que la fête athénienne avait pu alors être éclipsée par la fête du Pirée.

Les Dionysies de la campagne et les Dionysies du Pirée avaient lieu en Posidéon. Le démarque dans chaque dème présida toujours aux premières. C'étaient des fêtes d'hiver, où l'on goûtait, sur le lieu de production, le vin nouveau déjà fermenté.

Parmi les fêtes locales, une place particulière doit être réservée aux Brauronies. ha divinité principale de Brauron était Artémis ; mais après que la statue d'Artémis Brauronienne eut été enlevée par les Perses et son sanctuaire transporté dans l'acropole d'Athènes, le culte d'Artémis déclina à Brauron, et celui de Dionysos, qui était alors dans toute sa force d'expansion, s'y substitua, au moins en grande partie. La fête se célébrait, à une date que nous ignorons, tous les cinq ans. Athènes y envoyait une députalion sacrée et la faisait rentrer dans l'administration des Hiéropes. Elle se distinguait par son caractère licencieux. Des hommes ivres y enlevaient, des courtisanes ; souvenir très dénaturé sans doute d'un rite du culte d'Artémis et du fait, raconté par Hérodote, qui y avait donné lieu. On y célébrait des jeux, parmi lesquels il y avait un concours de rapsodes [Brauronia].

Oschophories

C'était une fête brillante qui se célébrait dans les premiers jours de Pyanepsion et par laquelle on préludait aux vendanges. Son nom venait, de ce qu'on y portait en procession des pampres garnis de grappes (oschas ou oschous). Thésée, disait-on, l'avait instituée à son retour de Crète, et Ariane était associée à Dionysos dans cet hommage d'un genre particulier. Cependant c'était Athéna Skiras, protectrice des oliviers, qui occupait avec le dieu la place principale dans la fête. Son temple était à Phalère ; c'est au port de Phalère, le plus rapproché d'Athènes, que Thésée avait abordé. Nous avons sur les Oschophories un certain nombre de renseignements qu'on a pu rapprocher et interpréter de manière à essayer de rétablir l'ensemble des cérémonies. Chacune des dix tribus de Clisthènes choisissait deux éphèbes appartenant aux meilleures familles et ayant leurs pères et leurs mères, dignes, par conséquent, d'après les idées grecques, de représenter la cité. C'étaient les oschophores, au nombre de vingt. ils représentaient les enfants que Thésée avait emmenés en Crète et qu'il avait rendus, contre toute espérance, à leurs parents. D'après la légende, l'envoi destiné au Minotaure devait se composer de sept garçons et de sept filles, mais Thésée avait augmenté de deux le nombre des premiers, en les habillant en femmes. C'est en souvenir de cette ruse, que deux éphèbes portaient des costumes féminins. D'après le texte de Plutarque, il semble que seuls ils étaient, à proprement parler, les oschophores. Seuls ils portaient les ceps garnis de grappes ; ils s'avancaient les premiers et étaient suivis par sept compagnons, les sept garçons traditionnels. Si l'on suppose qu'un huitième faisait le rôle du héraut que Thésée avait envoyé à la ville porter la nouvelle du retour et qui était revenu vers lui sans couronne sur la tête, à cause de la mort d'Egée, mais son sceptre tout orné de feuillage, à cause de l'heureux retour des enfants, on complète le nombre de dix, ce qui fait la moitié des oschophores. On arrivera au chiffre total, si l'on admet qu'ils se divisaient en deux troupes, dont chacune remplissait les dix rôles qui viennent d'être indiqués. Dans la procession figuraient encore les deipnophores, nom donné aux mères des vingt éphèbes. Elles portaient des vivres qui leur étaient destinés, en souvenir des mères qui avaient accompagné jusqu'au rivage les enfants emmenés par Thésée et leur avaient porté des provisions.

La procession s'avançait en chantant les chants oschophoriques et se rendait du temple de Dionysos à Athènes, probablement le vieux temple de Limnae, au temple d'Athéna Skiras à Phalère. Pendant ce long trajet, il y avait des courses ; les éphèbes luttaient deux à deux, et chacun des dix vainqueurs obtenait pour prix le droit de goûter d'une boisson composée de vin, d'huile, de miel, de farine et de fromage, les cinq produits principaux. Les ceps de vigne étaient déposés dans l'Oschophorion, et des cérémonies que nous ne connaissons pas se célébraient dans l'intérieur du temple. Elles s'appelaient Skira. Ce nom s'étendait peut-être à toute la fête. Il y avait sans doute un banquet fait avec les vivres fournis par les deipnophores, et peut-être le retour s'accomplissait-il sous la forme libre du cômos. A. Mommsen suppose avec vraisemblance, d'après quelques indications, que, de même qu'on portait à Athéna le cep garni de grappes, attribut de Dionysos, de même on rapportait à Apollon, dieu des Pyanepsies, le rameau d'olivier entrelacé de laine (eiresiônê), attribut d'Athéna Skiras. Le retour des oschophores de Phalère à Athènes figurait celui de Thésée accompagné des enfants. Arrivé dans la ville, le héros avait rendu les derniers devoirs à son père Egee : il y avait des rites funèbres et un banquet, le banquet de Thésée, qu'organisaient les Phytalides et auquel les oschophores prenaient part ainsi que les deipnophores. Soit dans les cérémonies de la ville, soit plutôt, dans celles qui avaient eu lieu dans le temple d'Athéna, la libation était accompagnée de cris de douleur et rie joie (eleleu, iou, iou), en souvenir de la mort d'Egée et de l'heureux retour des enfants. Dans un calendrier liturgique, dont les figures sont disposées en frise, découvert à Athènes, le mois Pyanepsion est caractérisé par un homme qui tient une branche de vigne avec ses grappes et qui foule le raisin ; il est placé entre un jeune garcon qui porte l'eiresioné et une femme chargée d'une corbeille, sans doute une deipnophore.

Les trois grandes fêtes de Dionysos à Athènes étaient les Anthestéries, les Lénéennes et les Grandes Dionysies. Les deux premières, plus anciennes, avaient le caractère le plus religieux.

ANTHESTERIES

Thucydide dit que les Anthestéries sont les plus anciennes Dionysies ; par rapport, sans doute, aux deux autres grandes fêtes urbaines. Le culte de Dionysos s'est introduit en Attique par les dèmes, et la tradition suivant laquelle Pegasos apporta la statue du dieu d'Eleuthères dans le temple de Limnae et Apollon imposa aux Athéniens le culte de la nouvelle divinité, éveille l'idée de fêtes antérieures à l'organisation des Anthestéries, où le Bacchus Eleuthérien joue un rôle important. Il n'en est pas moins vrai qu'un caractère d'antiquité est fortement marqué dans les Anthestéries par la double nature de la fête, gaie et brillante comme il convient à la fête des fleurs, mais aussi mystérieuse et triste. Les jours pendant lesquels elle se célébrait étaient néfastes (miarai, apophrades) ; on fermait les temples et certains rites s'adressaient aux morts. Sous ces formes s'exprimait un sentiment profond, une émotion, une crainte en présence du double mystère de la nature renaissante et de la fermentation du vin accomplie. Il fallait conjurer la colère des puissantes divinités qui présidaient à ces grands faits. Il fallait aussi s'associer aux épreuves de certaines d'entre elles et à leur étrange destinée. Cette religion complexe comprenait beaucoup d'idées qu'il est difficile d'analyser avec précision. Les plus anciennes avaient pu s'effacer dans l'esprit des Athéniens eux-mêmes. D'autres étaient venues les remplacer ou les modifier, par le mouvement des croyances, par l'action du temps et des changements politiques.

Les Anthestéries duraient trois jours, du 11 au 13 du mois Anthestérion, qui leur devait son nom. Chacun de ces jours avait un nom particulier : la Pithoigia, les Choes, les Chutroi.

La Pithoigia, c'est-à-dire l'ouverture des vases où se conserve le vin. - Le travail de la fermentation est assez avancé pour que l'on commence à boire. C'est une fête pour toute la famille. Tous sont admis au sacrifice ; les enfants, à partir de l'âge de trois ans, y assistent, couronnés de fleurs : tous, ce jour-là, et sans doute aussi les deux jours suivants, ont leur part des présents nouveaux du dieu, de l'abondance, de la joie, de la liberté qu'il dispense. Les esclaves eux-mêmes n'en sont pas exclus ; de là le proverbe : «Dehors, Cariens (c'est-à-dire esclaves) ! les Anthestéries sont finies». Il semble, en effet, que le lendemain des Anthestéries soit la date où recommencent les travaux des champs, et aussi des travaux d'un autre genre, puisque c'était le moment où se payaient les honoraires des sophistes. Eux-mêmes ils avaient l'habitude d'inviter leurs amis pendant ce temps de vacances, sans doute le second jour.

La Pithoigia était par nature une fête domestique, primitivement célébrée à la campagne près des lieux de production de la vigne. Elle était devenue aussi une fête urbaine et une fête publique. L'archonte-roi y présidait, comme au reste des Anthestéries, dont elle était, en quelque sorte, la préparation. Il se tenait à la ville un marché, où se vendaient le vin nouveau apporté de la campagne, les vases en terre qui devaient servir pour les Choes et pour les Chytres, et d'autres ustensiles. D'où la présence d'agoranomes, attestée par une inscription de l'époque impériale. C'était des chariots qui avaient transporté ces différentes marchandises que partaient les plaisanteries libres et les quolibets grossiers dont il est souvent question (ta ek tôn amazôn skômmata).

Il est difficile de dire à quel jour des fêtes il faut rapporter les représentations que l'on rencontre sur un assez grand nombre de vases peints. Dans quelques-uns on voit des femmes occupées à puiser dans des cratères ou des amphores du vin qu'elles versent dans des vases à boire. Ces vases servant de cratères sont placés sur une table devant une image grossière de Bacchus, consistant en un pilier ou un pieu enveloppé d'une draperie, avec un masque et une barbe ; d'autres femmes, prêtresses ou ménades, apportent des offrandes ou dansent en agitant des thyrses, des flambeaux et des instruments de musique.

Dans ces peintures on retrouve sans doute un souvenir des rites des Dionysies agraires, qui s'accomplissaient soit au jour de la Pithoigia, soit dans celui des Choes. Dans d'autres peintures le dieu n'a plus la même forme primitive et rustique ; il est figuré comme un beau jeune homme imberbe, ordinairement nu ; devant lui est placé un cratère dans lequel une prêtresse verse le vin avec une patère, an lieu de puiser et de remplir d'autres vases, comme dans les peintures précédemment citées. C'est sans doute le mélange du vin avec l'eau, qui se faisait pour la première fois le jour de la Pithoigia.

Une de ces peintures ici reproduite montre, avec le mélange du vin en présence de Dionysos et des ménades dansant au son des cymbales et des tambourins, le sacrifice d'un bouc sur un autel devant l'image archaïque de Dionysos barbu, et sur une table adossée à l'autel sont apportées les offrandes non sanglantes. Enfin une ménade tient un flambeau au-dessus de la tête d'un personnage assis dans une attitude qui, dans l'art ancien, caractérise ordinairement la douleur : c'est la lustration par le feu, ei le masque (oscillum) suspendu auprès du même groupe rappelle la lustration par l'air également usitée dans les rites bachiques [Lustratio, Aiora, Ooscilla]. Les rites expiatoires sont mis ici en connexité avec les fêtes du vin, comme ils l'étaient réellement aux Anthestéries. Les Choes et les Chytres étaient des jours néfastes en même temps que des jours de réjouissance.

Les Choes - C'était le jour le plus important. Le nom s'employait pour désigner toute la fête. Si les Chytres prêtent peut-être à la même observation, le fait est certain pour les Choes ; et cette confusion ajoute à la difficulté que l'on éprouve à répartir exactement dans les trois jours les détails transmis par les témoignages anciens.

Il y avait sur l'origine de la fête des Choes une antique légende conservée par Phanodème. Le roi Démophon, voulant donner l'hospitalité au parricide Oreste, sans cependant l'admettre aux cérémonies sacrées ni aux libations avant le jugement de l'aréopage, institua à cet effet un banquet d'une espèce particulière. Il fit fermer les temples, ordonna de placer près de chaque convive un grand pot de vin (choa) et proposa pour prix un gâteau, destiné à celui qui aurait bu tout son vin le premier. Après le banquet, les buveurs, ayant été sous le même toit qu'Oreste, ne pouvaient pas pénétrer dans le temple pour y déposer les couronnes qui avaient ceint leurs têtes ; mais chacun devait mettre la sienne autour de son pot et la porter dans l'enceinte sacrée du temple de Limnae pour la remettre à la prêtresse. Ensuite il offrait au dieu en libation ce qui était resté au fond du vase.

C'est ce retour des buveurs qui est représenté sur un petit chous athénien : on les voit portant leurs pots couronnés de lierre ; le personnage principal est désigné par le nom de KOMOS ; celui qui le soutient porte le nom de NEANIAS ; devant eux est PAIAN, qui les éclaire avec un flambeau. Euripide n'a pas manqué d'introduire ces souvenirs dans son Iphigénie en Tauride et de décrire les rites de ce banquet d'Oreste. Si l'on tient sa description pour exacte, les convives buvaient en silence et isolés, chacun à sa table.

Cette lutte de buveurs était présidée par l'archonte-roi lui-même. Chacun apportait ses provisions et son pot de vin. Ce n'en était pas moins une fête publique, à laquelle l'Etat subvenait par une distribution d'argent, et que dirigeait le prêtre de Dionysos. Le héraut proclamait le commencement, la trompette donnait le signal, et la lutte avait lieu. «Ecoutez, peuple, dit le héraut d'Aristophane : selon la coutume des ancêtres, buvez les pots au son de la trompette...» Les juges décidaient et le vainqueur recevait de l'archonte-roi une outre de vin. Phanodème indique pour prix un gâteau. L'outre de vin a-t-elle été, à une époque quelconque, disputée par une sorte d'ascoliasmos ? C'est ce qu'affirme Suidas. Bien qu'un pareil divertissement ne s'accorde guère avec le caractère du rite primitif, il semble que le banquet ait été l'occasion d'amusements et de fantaisies joyeuses inspirées par le vin. Ce banquet public des Choes avait lieu dans le Lénaeon. A. Mommsen s'efforce de prouver que c'était dans le théâtre même de Bacchus.

Il y avait en outre des banquets particuliers, que préféra sans doute, avec le temps, la partie la plus distinguée de la société athénienne. On invitait ses amis pour fêter avec eux le retour du printemps. Les enfants jouaient un rôle important dans cette partie des Anthestéries. Tous ceux qui avaient plus de trois ans étaient couronnés de fleurs et recevaient des cadeaux de leurs proches, plasmata pêlou, des terres cuites en forme de petits chariots et de poupées, des gâteaux, etc. On trouve des allusions à cette fête sur un grand nombre de petits vases attiques dont la forme est précisément celle du chous. Les enfants s'y livrent à toutes sortes de jeux et portent de petites enochoés, qui sont elles-mêmes ornées d'une couronne, peutètre par allusion au rite institué par Démophon, d'après la légende que nous rapportions plus haut. La peinture d'un de ces petits vases a été reproduite plus haut ; un autre, au musée du Louvre, paraît offrir sous une forme enfantine la reproduction de l'entrée triomphale du char de Dionysos encadré dans des pampres et des feuillages, qui constituait un des actes principaux de la fête des Choes.

Quel était le sens de ce banquet des Choés ? Welcker remarque ingénieusement que, dans la légende de la fondation, le rôle du fils d'Agamemnon est un élément postiche. Oreste, Orestès, c'est le montagnard, le berger, le vigneron qui habite les parties hautes du pays et que les nobles n'admettent qu'avec peine à la communauté du culte dans la cité ; c'est Dionysos lui-même, le dieu des vignerons et des bergers. Le banquet des coupes marque donc un premier degré dans l'admission de Dionysos aux honneurs rendus officiellement par l'Etat. Il est à remarquer que le souvenir de l'admission de Dionysos dans la cité avait contribué aussi à l'organisation des Apaturies [Apaturia]. Son admission complète était la pensée fondamentale de l'autre grande cérémonie de la fête des Choes, le mariage de Dionysos. Bien qu'ici en particulier il ne soit pas facile de retrouver et de distinguer les éléments primitifs et les conceptions diverses, il est clair que l'on fètait surtout la réception solennelle du dieu dans la cité. L'antique statue en bois (xoanon) de Dionysos Eleuthéreus était tirée du vieux temple de Limnae et transportée dans un petit temple du Céramique extérieur. C'est de là qu'elle partait pour faire son entrée dans la ville et revenir an temple de Limnae, où elle était censée être introduite pour la première fois. Elle s'avançait en grande pompe, suivant les rites de la cérémonie nuptiale, portée sur un char, accompagnée d'un brillant cortège. A côté d'elle était assise la femme de l'archonte-roi, qui figurait l'épouse.

Que représentait la femme de l'archonte-roi, la reine ? Sans doute la cité. Sous le régime démocratique, l'archonte-roi, par une sorte d'héritage de la monarchie, présidait à certaines cérémonies religieuses traditionnelles et les accomplissait au nom de l'Etat. C'était aussi au nom de l'Etat que la reine accomplissait les rites des Anthestéries ; l'auteur du discours contre Néère le répète avec insistance. Personnifiant la ville et le pays, elle s'unissait au dieu de la fertilité, au dieu du vin, au dieu éleuthérien qui agite et calme les Aines. C'est la forme du contrat qu'Athènes conclut avec Dionysos pour l'année qui se renouvelle.

Les explications mythologiques doivent être rejetées ou mises tout à fait en seconde ligne. On a supposé que la reine représentait Ariane ; ce qui ne paraît pas admissible. O. Müller pense que l'épouse de Dionysos est Coré, remontant du monde infernal et ranimant la nature. On ne peut affirmer que cette conception soit complètement étrangère aux Anthestéries. L'union des deux divinités de la végétation à la fête du printemps parait en soi une idée naturelle, et nous savons que Dionysos avait un rôle dans les mystères d'Agrae, dont la célébration était très voisine de celle des Anthestéries et dont la tille de Déméter était la déesse principale. Cependant ce qui paraît dominer dans la partie symbolique et mystérieuse des Anthestéries, organisées comme elles l'ont été sans doute vers la fin du VIe siècle et le commencement du Ve, c'est la théogonie orphique, où Perséphoné est, non pas l'épouse, mais la mère de Dionysos-Zagreus, comme A. Mommsen l'a remarqué. Un témoignage nous apprend qu'à l'époque impériale, il est vrai, la récitation des poèmes orphiques accompagnait au théâtre des danseurs qui représentaient des Heures, des Nymphes, des Bacchantes. Mais l'orphisme paraît dans les rites principaux qui sont accomplis, aux meilleurs temps d'Athènes, par la reine et par les Gérares (gerarai). Ce dernier nom désigne quatorze femmes qui assistent la reine dans ses fonctions religieuses. Elles ont été choisies par l'archonte-roi. La reine, avec le ministère du héraut sacré, leur fait prêter dans le vieux temple de Limnae un serment dont la formule est conservée sur une antique stèle qui se dresse près de l'autel. La main sur la corbeille qui lui servira pour les offrandes, chacune jure qu'elle est pure et chaste et s'engage à célébrer, selon la coutume des ancêtres, régulièrement aux temps fixés, les Théoynies et les Iobacchies, c'est-à-dire les rites qui se rapportent à la seconde naissance et à la glorification de Bacchus dans la fête de Zeus en Maimactérion et dans les grands mystères. Aux Anthestéries, les Gérares accomplissent avec la reine des cérémonies mystérieuses dans l'intérieur du temple, qui ne s'ouvre dans toute l'année que pendant cette fête ; elles en accomplissent aussi d'autres au dehors, qui se rapportent, comme les premières, à la mort de Bacchus : elles sacrifient à quatorze autels, dressés sans doute en souvenir des quatorze morceaux du corps de Zagreus que s'étaient partagés, en le déchirant, les sept Titans et leurs sept soeurs. Ces cérémonies extérieures, et sans doute aussi celles de l'intérieur du temple, avaient lieu le 13 Anthestérion, dernier jour de la fête, jour des Chytres.

Les Chytres devaient leurs noms à une espèce de vase de terre, analogue à nos marmites (chytra) qui servait à la cuisson des aliments. Elles succédaient immédiatement au banquet du jour précédent, qui probablement avait lieu le soir. Aristophane parle du cômos aviné des saintes Chytres : ce cômos servait sans doute de conclusion au banquet, qui se prolongeait pendant toute la nuit. Mais les Chytres avaient surtout un caractère funèbre. Suivant la légende inventée pour expliquer le nom de la fête et le rite caractéristique, après le déluge de Deucalion, les survivants avaient offert à Hermès infernal le reste de leurs provisions cuit dans un vase de terre (chutra). De 1à l'usage, au jour anniversaire, de faire cuire dans des marmites des semences de toute sorte, qu'on offrait exclusivement à Hermès infernal et à Dionysos et dont personne ne goûtait. Ce rite, accompli dans toutes les maisons, se complétait par l'hydrophoria, fête funèbre en l'honneur des victimes du déluge. C'était sans doute particulièrement ce jour-là qu'on croyait que les Ames des morts remontaient des enfers.

En outre on élevait quatorze autels : c'était la cérémonie appelée Hidrysis, et les Gérares y offraient à Dionysos les sacrifices funèbres dont il aété déjà question. Elles étaient elles-mêmes quatorze et représentaient les sept Titans et les sept Titanides qui avaient surpris et déchiré Bacchus enfant. Ainsi Dionysos avait remplacé les morts en général et les puissances infernales qui présidaient à la fois à la paix des morts et à la fécondité de la terre ; c'était sa mort qu'on pleurait, et c'était la théologie orphique qui était mise en action dans les cérémonies du culte. Le jour des Chytres, avait aussi lieu ce qu'on appelait le Périschoinisma : on entourait d'une corde les temples, qui restaient fermés. C'était, paraît-il, la coutume pour les jours néfastes. Elle devait s'étendre aux trois jours des Anthestéries.

Les détails manquent pour reconstituer complètement et suivant l'ordre des cérémonies la fête des Chytres. On voit par le ton de la lettre de Ménandre dans Alciphron et par certaines expressions que l'on rencontre ailleurs, que c'était une fête solennelle, ou il y avait beaucoup pour le spectacle, et qui intéressait vivement les Athéniens. Les thesmothètes y figuraient couronnés de lierre. Y exécutait-on des dithyrambes ? Cette opinion a été soutenue ; mais elle ne s'appuie sur aucune preuve. Le texte d'Aristophane qui est invoqué comme argument mentionne un cômos et non un dithyrambe. La discussion est plus autorisée au sujet des concours des Chytres (chutrinoi agônes), dont il est question dans Philochorus et dans l'auteur de la Vie des dix orateurs. Il est dit par ce dernier que Lycurgue fit rétablir par une loi le concours au sujet des comédiens, qui était tombé en désuétude (ton peri tôn kômôdôn agôna). Le mot grec kômôdos signifie aussi poète comique, et, comme l'auteur ajoute que les concours avaient lieu dans le théâtre, on en a conclu qu'il s'agissait de représentations de comédies. Une phrase dans Diogène de Laërte attribue aux Chytres et aux Panathénées des représentations dramatiques ; mais elle est généralement considérée comme apocryphe. En réalité il s'agit d'un concours entre des acteurs comiques. Il semble, d'après les derniers mots de la phrase de la vie de Lycurgue, qui sont très obscurs, que les vainqueurs étaient désignés pour prendre part aux représentations des Grandes Dionysies, qui avaient lieu le mois suivant. Cette dernière fête, il est vrai, est d'origine plus récente que les Anthestéries ; mais il résulterait seulement de cette observation que le concours entre les acteurs comiques n'avait pas existé primitivement, et qu'on l'aurait institué au temps où la comédie devint florissante. Un fait mentionné par Pollux paraît se rapporter à ce genre de lutte préliminaire.

Comme il a été indiqué plus haut, le Bacchus des Chytres était en relation avec les Petits Mystères, les mystères d'Agrae [Eleusinia] qui se célébraient dans le mois Anthestérion et fêtaient le retour de Coré sur la terre. Un auteur appelle les Petits Mystères «une représentation de la destinée de Bacchus». Sans doute il s'agissait de sa seconde génération. Neuf mois après, le 20 Maimactérion, aux fêtes mystérieuses de Zeus Maimactès, sa seconde naissance avait eu lieu, le vin doux s'était déjà transformé par la fermentation, les souffrances du dieu avaient pris fin, et bientôt allaient venir les réjouissances des Dionysies rurales.

Les Anthestéries, fête nationale attique et ionienne, se célébraient sur plusieurs points occupés par les Ioniens ou soumis à l'influence athénienne. L'existence en est attestée à Téos, à Cyzique, à Marseille. Thémistocle institua à Magnésie un sacrifice en l'honneur de Dionysos Choopotès et la célébration de la fête des Choes. Un banquet analogue à celui des Cimes fut magnifiquement organisé à Alexandrie, par la reine Arsinoé, sous le règne de Ptolémée Philadelphe.

LENEENNES (Lênaia)

Les Lénéennes, par leur origine et par leur nature, paraissent avoir été en rapport étroit avec les Dionysies de la campagne. Elles en furent à la fois un développement et une conclusion. Après que les fêtes locales du vin avaient eu lieu dans les dèmes, une fête générale réunissait dans le Lénaeon les habitants de la campagne à ceux de la ville. On a vu que quelques-unes de ces fêtes particulières des dèmes avaient une légende : les Lénéennes, d'institution plus récente, n'en avaient pas ; mais il importe de constater qu'elles avaient conservé le double caractère de ces fêtes, où la gaieté, qui dominait dans toutes, admettait, au moins dans certaines, un élément enthousiaste et pathétique.

Les Lénéennes formaient une fête distincte de toutes les autres où l'on honorait Bacchus. C'est ce qui a été bien établi par Boeckh. On ne doit les confondre ni avec les Authestéries ni même avec les Dionysies champêtres ; on ne doit pas non plus les faire entrer dans un système qui réunirait les Dionysies champêtres, les Lénéennes et les Anthestéries. Tandis que les Dionysies champêtres se célébraient au mois de Posidéon, les Lénéennes avaient lieu en Gamélion vers le solstice d'hiver. La date du mois est incertaine. Elles commençaient probablement le 20, suivant l'opinion de Boeckh. Le 19 avait lieu une cérémonie qui consistait à couronner de lierre l'image de Dionysos (kittôseis Dionusou), et qu'il est naturel de rapprocher de la fête. De même le 20 Boédromion, dans les Eleusinies, était le jour consacré à Bacchus. Il est vrai qu'une inscription mentionne au 21 Gamélion une vente publique qui coïnciderait avec les représentations dramatiques des Lénéennes. Mais, d'après d'autres inscriptions, des séances du Conseil et de l'Assemblée auraient coïncidé avec les dates préférées par A. Mommsen, soit 8-13, soit 11-14, et la difficulté ne paraît pas moindre.

Nous sommes encore moins renseignés sur l'origine des Lénéennes que sur leur date. D'un mot d'Apollodore conservé dans Etienne de Byzance, on devrait conclure qu'il y avait un dème des Lénéens. Les Lénéennes auraient donc été primitivement la fête particulière des Lénéens. Mais l'existence de ce dème est plus que douteuse. Les Lénéennes signifient la fête célébrée dans le Lénaeon, comme le prouvent les locutions que l'on rencontre souvent : Dionusiôn tôn epi Lênaiô ; o tôn Dionusiôn agôn o epi Lênaiô legomenos ; epi Lênaiô agôn ; epi Lênaiô. Le Lénaeon était, nous dit-on, une grande enceinte ; elle faisait partie de Limnae, quartier primitivement suburbain, où était le plus ancien temple de Dionysos, et rentrait dans le domaine du dieu.

D'où vient le nom de Lénaeon ? L'explication la plus répandue, celle qui paraît avoir eu cours dans l'antiquité classique, le fait venir du mot qui signifie pressoir (lênos). Dionysos Lénaeos est considéré généralement comme dieu du pressoir ; c'est ainsi que l'entendait Virgile dans l'invocation qui commence la seconde Géorgique : «Huc pater, o Lenaee,... » et où il s'agit des vendanges. Une scholie des Acharniens (v. 202) indique, comme origine du nom du Lénaeon, le fait qu'on aurait établi dans cet endroit le premier pressoir. Boeckh en fait le fondement d'une hypothèse. Les Lénéennes auraient été une fête instituée en commémoration de l'établissement du premier pressoir. On y pressait du raisin conservé, et l'excellent vin doux qui en sortait était offert en prix aux poètes. Cette liqueur était une boisson des dieux, de l'ambroisie : de là le nom donné aussi à la fête elle-même, Ambrosia. Le choix du lieu pour ce premier pressoir pouvait avoir été déterminé par l'abondance de l'eau qui se trouvait dans cette région de Limnae, l'eau étant indispensable pour la fabrication du vin. O. Jahn pense que les Lénéennes doivent avoir été l'occasion d'une sorte de mise en scène de l'opération du pressoir. Il se fonde sur le grand nombre de monuments où on la voit représentée.

A. Mommsen pense, de son côté, qu'il peut bien y avoir eu sur l'emplacement du Lénaeon un pressoir commun ou public, qui serait devenu naturellement un centre de réunion pour la fête du dieu, appelée, pour cette raison, la fête près du pressoir, la fête du lieu où il était, la fête du Lénaeon ; ou plutôt, prenant le mot lênos dans le sens de cuve et invoquant une certaine analogie avec les usages des Grecs modernes, il supposerait volontiers qu'il y avait eu là une grande cuve commune qui, après avoir servi aux vendanges, aurait conservé une certaine quantité de vin doux laissée par les propriétaires de vignes. Au bout de trois ou quatre mois environ, ce vin modifié par la fermentation aurait été bu dans une fête, la fête de la cuve. Cette fête ayant pris plus d'importance, la quantité de vin conservée dans la cuve serait devenue insuffisante pour ceux qui y prenaient part, il aurait fallu en faire venir du dehors sur des chariots, et c'est ainsi que se serait établie, à l'imitation des Anthestéries, cette coutume d'échanger du haut des chariots des plaisanteries et des brocards. Ainsi, par l'effet du vin fermenté, s'expliquerait l'ivresse inséparable de l'idée d'une fête bachique primitive ; ainsi s'expliquerait aussi comment les bacchantes elles-mêmes sont désignées par le nom de Lénées (Lênai).

A. Mommsen sent lui-même que ces explications ont un caractère trop particulier pour rendre compte de ce mot de Lénaeon, employé comme nom de mois sur tant de points de la Grèce. If faudrait trouver une raison genérale, fournie par un fait commun à tous les lieux où l'on fait du vin. Partout on emploie le pressoir ; mais comment a-t-on pu tirer du pressoir le nom d'un mois où, depuis longtemps, on a fini de presser la vendange ?

Cette objection disparaîtrait, si l'on admettait ]'étymologie proposée par O. Ribbeck qui dérive le mot Lénées (Lênai, lênis) d'une racine signifiant saisir, et pense que ce nom est l'appellation précise des ménades poursuivant et saisissant les bêtes sauvages qu'elles déchirent. Les Lénéennes seraient donc la fête des Lénées, et il résulterait de leur nom qu'au moins à l'origine l'enthousiasme y dominait. Mais cela ne paraît pas s'accorder avec ce que nous savons de la fête aux temps historiques.

Les Lénéennes furent sans doute le résultat d'un travail complexe qui rapprocha et confondit les idées et les mots, par des causes et des influences qui nous échappent ; sans doute aussi elles ne s'organisèrent complètement que sous Pisistrate. C'est pendant sa seconde tyrannie qu'elles prirent un accroissement considérable par l'introduction des représentations tragiques, en 536 av. J.-C. (ol. 61). Un fait qu'il importe de remarquer d'abord dans la constitution des Lénéennes, c'est qu'elles réunissaient les deux caractères du culte de Dionysos, la gaieté et l'enthousiasme sombre. La procession, puis plus tard la comédie et, en général, une bonne partie de la célébration lui donnaient le premier caractère. Le second aussi, bien que la fête ne fût en rien mystérieuse, y était fortement imprimé. Elle n'est cependant pas tout à fait sans relation avec les mystères mêmes. Dionysos Lénéen est associé, à Myconos, avec Zeus Chthonios et Gê Chthonié. Ce sont les épimélètes des mystères qui, à Athènes, s'occupent de l'achat des victimes pour les fêtes des Lénéennes. Le caractère enthousiaste pouvait venir primitivement de ces Lénées dont il a été question plus haut et qu'il parait difficile de séparer complètement de l'idée des Lénéennes. Il vint sans doute par transmission des dèmes où se célébraient les Dionysies rurales et principalement d'Icaria, où le dithyrambe s'était particulièrement développé et où venaient de se produire les premiers essais tragiques de Thespis. On exécutait aux Lénéennes des dithyrambes, et il est à croire que, chantés au coeur de l'hiver, ils avaient, comme ceux de Delphes, un caractère plus pathétique que ceux des grandes Dionysies ou des Thargélies, chantés au printemps. C'est là qu'on représenta à Athènes les premières tragédies. Il y a enfin ce point capital que Dionysos Eleuthéreus, dont le caractère a été indiqué plus haut, était le dieu des Lénéennes, qu'elles se célébraient chez lui et que son prêtre occupait au théâtre la place d'honneur. Au côté plus particulièrement religieux des Lénéennes se rapporte encore le fait qu'elles étaient du ressort de l'archonte-roi. Il les dirigeait avec l'assistance des épimélètes.

La durée de la fête est incertaine. A. Mommsen lui attribue au moins quatre jours, sur lesquels il en réserve trois pour les représentations dramatiques, par analogie avec les grandes Dionysies. Le nombre parait avoir varié suivant les temps. Il semble que dans la période qui précède l'institution de cette dernière fête et pendant une bonne partie du ve siècle, deux jours aient dû suffire pour les représentations dramatiques. La durée des concours a varié comme le nombre des pièces présentées. C'est ce qu'indiquent des inscriptions, malheureusement peu nombreuses et mutilées, sans permettre de résoudre la question avec précision.

Le nom d'ambrosia était-il appliqué à la fête tout entière ou au moins à un des jours dont elle se composait, comme l'admet Preller ? Les scholies d'Hésiode, sur lesquelles il se fonde, ne parlent que d'une fête célébrée dans le mois Lénaeon, et rien ne prouve qu'il s'agisse de l'Attique.

Les Lénéennes se composaient d'une procession, d'un sacrifice, de concours dithyrambiques et dramatiques.

La procession avait lieu probablement le premier jour ainsi que le sacrifice. Elle se faisait dans l'intérieur du Lénaeon. C'est sans doute la gaieté qui y dominait. Peut-être, après le sacrifice, prenait-elle un caractère bachique qui la transformait en cômos, quoique nous n'ayons aucun renseignement sur ce point. Peut-être aussi était-ce alors qu'étaient lancées du haut des chariots les plaisanteries autorisées par l'usage.

Le vainqueur au concours dithyrambique recevait, indépendamment du prix, une couronne de lierre, comme les vainqueurs des concours dramatiques.

Les représentations dramatiques consistèrent d'abord seulement en tragédies et en drames satyriques. La comédie n'était pas encore admise dans la ville. C'est sans doute pour cela que, dans l'ordre officiel qui nous est donné dans la loi d'Evégoros, la tragédie précède la comédie aux Lénéennes, tandis que le contraire a lieu aux Grandes Dionysies. La tragédie est donc en rapport direct d'origine avec la première de ces fêtes : elle y parut pour la première fois, et elle n'aurait pas eu d'autre occasion de se produire pendant la longue période qui s'étend depuis le début de Thespis en 536 jusqu'après les guerres Médiques, si l'on admettait que les Grandes Dionysies n'ont été instituées qu'après cette dernière date. Cependant l'examen des didascalies, des documents qui s'y rapportent et des inscriptions, amène M. A. Müller à remarquer que la fête des Lénéennes, éclipsée par sa brillante rivale, semble avoir été aussitôt dépossédée des représentations tragiques jusque vers la fin du Ve siècle. Il est plus prudent de conclure avec Madvig que pendant cette période on n'y aurait pas donné de tragédies nouvelles. Agathon, d'après Athénée, remporta aux Lénéennes sous l'archontat d'Euphémos (417-6) la victoire dont il est question dans le Banquet de Platon. Aux tragédies s'étaient ajoutées les comédies, également représentées aux deux fêtes, depuis qu'à une époque inconnue, mais antérieure à 458, date d'une victoire de Magnès, elles avaient obtenu l'entrée de la ville et étaient passées sous la direction de l'Etat.

Si l'on ajoute foi à divers renseignements qui ne paraissent pas dignes d'une entière confiance, les tragédies des Lénéennes se donnèrent d'abord sur un échafaud construit dans l'ancienne agora, au sud-ouest de l'acropole, tout près du Lénaeon. Sous les Pisistratides, quand on construisit une nouvelle agora au Céramique et que la vie se retira de l'ancienne, les échafaudages de spectacle furent transportés dans le Lénaeon lui-même. Tout près de l'enceinte sacrée (plêsion tou ierou) aurait été le peuplier noir, où l'on grimpait, dit-on, quand on n'avait pas de place pour voir le spectacle. Le théâtre en bois, élevé pour chaque représentation au Lénaeon, s'écroula en 478 (01. 70,1) pendant une représentation où concouraient Pratinas, Eschyle et Choerilos. On en construisit un en pierre, tout à côté du Lénaeon, sur la pente du rocher de l'Acropole. C'est le théâtre de Bacchus, achevé seulement sous l'administration de l'orateur Lycurgue, orné de nouvelles décorations au commencement de l'empire, dont les restes considérables ont été complètement dégagés par les fouilles de 1862 [Theatrum].

GRANDES DIONYSIES ou DIONYSIES URBAINES

(Dionusia ta megala, ta en astei, ta astika, ou simplement Dionusia) - C'est la moins religieuse des fêtes de Dionysos, en ce sens qu'elle laisse moins de place aux sentiments violents ou profonds excités par le dieu, et qu'elle a moins de racines dans le passé. Aucune légende religieuse ne s'y rattache. Mais c'est la plus brillante de toutes ces fêtes. Elle ne le cède pas aux Eleusinies, la grande fête mystérieuse, ni aux Panathénées, la grande fête de la cité : elle représente particulièrement l'éclat de la prospérité athénienne. C'est le premier magistrat de l'Etat, l'archonte éponyme, qui en a la haute direction.

Son institution est de date récente. On l'a fait descendre jusqu'au temps de Cimon, et cette opinion a été récemment adoptée par A. Müller. Il est probable qu'elle remonte plus haut, jusqu'à Pisistrate ou au moins aux Pisistratides. C'est le temps des grandes innovations religieuses, surtout au profit du culte de Bacchus en Attique. En l'absence de toute preuve directe, il n'est pas indifférent de remarquer que les dithyrambes des Dionysies urbaines ont sans doute existé avant l'expulsion des Perses. Le fragment de la pièce composée par Simonide en l'honneur des victoires dithyrambiques de la tribu Acamantide paraît se rapporter à des dithyrambes du printemps, c'est-à-dire exécutés aux grandes Dionysies. Or Simonide avait lutté avec Lasus d'Hermione, dont le nom nous reporte au VIe siècle. La longue vie du premier de ces poètes s'étend, il est vrai, jusque vers 469 ; ce qui ne permet pas de fixer avec certitude la date de son dithyrambe avant la seconde guerre Médique. Il est cependant assez naturel de supposer que la tradition de ces dithyrambes du printemps, qui répondaient si bien à des idées essentielles de la religion de Bacchus, remonte plus haut, et jusqu'à Lasus, qui inaugura à Athènes les concours dithyrambiques [Dithyrambus]. Mais, si la fondation des Dionysies du printemps date de la fin du VIe siècle, elles ne prirent leur importance qu'au moment où s'établit l'hégémonie d'Athènes. Alors la puissante république les transforma et en fit la plus magnifique occasion d'étaler le spectacle de sa grandeur devant les alliés qui apportaient à ce moment leurs tributs.

Les grandes Dionysies se célébraient probablement dans la première moitié d'Elaphébolion. Leurs limites sont marquées par deux fêtes, les Asclépiéia, dont nous avons la date précise, le 8 Elaphébolion, et les Pandia, dont la date est incertaine, mais qui paraissent, au moins dans la pensée première de la fête, avoir dû coïncider avec la pleine lune et s'être placées vers le milieu du mois. Cependant il n'est pas facile de déterminer exactement la durée des grandes Dionysies. Si l'on met les Pandia juste à la pleine lune, c'est-à-dire au 14, on tombe sur la date positivement assignée par Thucydide à une assemblée importante, celle où fut ratifiée la trêve de 423, conclue avec les Lacédémoniens pendant la guerre du Péloponnèse, et de prime abord il n'est guère vraisemblable que les deux faits aient eu lieu le même jour. Cette objection n'arrête pas A. Mommsen, et il pense que la ratification du traité se fit dans l'assemblée qui se tenait régulièrement après les Pandia. Le sacrifice avait lieu d'abord, puis le peuple se réunissait au théâtre. A. Mommsen ne tient pas plus de compte d'une autre objection. D'après un texte de loi cité dans la Midienne, l'assemblée se tenait le lendemain des Pandia : il regarde, après d'autres, cette pièce comme une interpolation ; mais comme il n'y a pas d'ailleurs de raison qui autorise à en nier l'authenticité, il vaut mieux accepter ce témoignage jusqu'à nouvel ordre. Faut-il admettre pour cela que, l'assemblée se tenant le 14, les Pandia se célébraient le 13 et que les Dionysies se terminaient le 12 ?

Mais voici une nouvelle difficulté : du 9 au 12 il n'y a que quatre jours, et cet espace est insuffisant. Les représentations dramatiques ne peuvent pas prendre moins de trois jours, les trois derniers ; il faudrait donc que dans le premier eussent trouvé place tous les autres actes de la fête, la procession, le concours dithyrambique et le cômos ; ce qui paraît beaucoup, même en calculant la longueur des jours, qui était plus grande aux Dionysies qu'aux Lénéennes, et en tenant compte de ce fait qu'une des cérémonies s'accomplissait pendant les premières heures de la nuit à la clarté des torches. De plus, un texte de Plaute attribue six jours aux Dionysies, et si l'on comprend dans le nombre le 8 Elaphébolion, où avait lieu, avec les Asclépiéia, le Proagon, espèce d'introduction à la fête dionysiaque, on n'arrive encore qu'au chiffre de cinq. Enfin, comme on le verra plus loin, trois jours n'auraient pas suffi pour les représentations dramatiques. Il en fallait quatre. Par conséquent, les fêtes, en y comprenant les Asclépiéia, duraient du 8 au 14 ; les Pandia se célébraient le 15 et l'assemblée régulière se tenait le 16. L'assemblée que Thucydide place le 14 et qui avait un objet tout particulier était une assemblée extraordinaire. Resterait à expliquer comment le peuple put être convoqué en assemblée le dernier jour des concours dramatiques. Ce serait un point particulier de la question générale sur la manière dont la vie politique pouvait continuer malgré les fêtes ; ce qui était indispensable, surtout en temps de guerre. De nouvelles découvertes épigraphiques aideront peut-être à dissiper ces obscurités.

Les différentes parties des grandes Dionysies viennent d'être énumérées : le proagon, la procession, le concours dithyrambique, le cômos, les représentations dramatiques.

Proagon (Proagôn)

Après la célébration des Asclépiéia où nous savons seulement qu'on chantait un péan et qu'on faisait au nom de l'Etat un sacrifice en l'honneur d'Esculape, sans doute pour demander la santé de la cité au moment où l'année se renouvelait avec l'arrivée du printemps, la foule se rendait au Proagon.

Qu'était-ce que le Proagon ? On a tenté diverses explications. Le document le plus explicite est une scholie d'Eschine où il est dit que, quelques jours avant les grandes Dionysies, avaient lieu dans l'Odéon un concours des tragédiens et une exhibition des pièces qu'ils devaient représenter au théâtre, tôn tragôdôn agôn kai epideixis ôn mellousi dramatôn agônizesthai en tô thearô, et que les acteurs paraissaient sans masques et sans costumes. Ces renseignements ont besoin d'être contrôlés et interprétés. Ils renferment d'abord, semble-t-il, une inexactitude : le Proagon, à moins de reculer la date des Pandia et d'admettre que l'assemblée où fut conclue la trêve de 423 se tint un jour de représentations dramatiques, doit se placer la veille des Dionysies proprement dites, et non quelques jours auparavant. Maintenant qu'est-ce qui est indiqué par les mots agôn et epideixis ?

De quel genre de concours et d'exhibition peut-il être question ? Evidemment on ne doit songer à une répétition, ni de toutes les pièces destinées aux représentations, ce qui est matériellement impossible en un seul jour, ni d'une pièce de chaque trilogie, ce qui, pour Eschyle, eût détruit en grande partie l'intérêt dramatique, d'autant plus que les costumes et l'illusion scénique étaient supprimés. Il n'est pas vraisemblable non plus que le public ait eu à juger, non pas la valeur dramatique de représentations tronquées, mais le talent, le débit, le chant des acteurs et des choreutes dans une espèce d'épreuve préliminaire. L'explication la plus plausible est donnée par Rhode. Le Proagon, premier acte de la fête, qui précédait l'Agon, le concours tragique, et lui servait d'introduction, était à la fois une annonce des pièces qui devaient être jouées, et une présentation au public de chaque troupe tragique et de chaque poète. C'était une annonce (apaggelia), une proclamation du titre des tragédies et du nom des poètes, qui devait se renouveler plus simplement au théâtre. A l'Odéon, le poète, ses acteurs et son choeur s'avançaient devant le public, revêtus, non de costumes de théâtre, mais d'habits de fête, et la tête couronnée. Il cherchait à se concilier ainsi la faveur de ses juges ; de là le sens figuré que prend le mot proagôn. C'est dans ce genre d'exhibition, qui faisait l'objet principal du Proagon, que parut Sophocle après la mort d'Euripide, et qu'Agathon eut l'occasion de montrer en face du public cette intrépidité dont Socrate le félicite dans le Banquet de Platon.

Alb. Müller pense que le Proagon avait lieu dans l'ancien Odéon, et non dans l'édifice construit par Périclès, dont la forme circulaire se serait moins prêtée au genre de spectacle qu'on offrait au public. C'était une fête importante, qui demandait les soins de l'agonothète et pouvait être pour lui, quand il avait réussi, un titre à la reconnaissance publique, comme en témoigne une inscription du commencement du nie siècle av. J.-C. 192. Cette inscription et une phrase de Platon montrent qu'il y avait d'autres proagons que celui des Dionysies. Il y en avait sans doute avant les Lénéennes ; il devait aussi y en avoir avant les Panathénées, car il semble que dans la pensée de Platon il s'agisse surtout des concours gymniques, et les deux fêtes dionysiaques n'avaient que des concours musicaux, au sens grec, c'est-à-dire de musique et de poésie.

Procession (Pompê)

La procession des Dionysies paraît avoir été une reproduction partielle de celle des Anthestéries. De même la statue de Dionysos Eleuthéreus était tirée d'un temple de Limnae et transportée à un autre sanctuaire du dieu, voisin de l'Académie. De là il revenait en grande pompe au Lénaeon pour présider à sa fête. La procession était magnifique ; toute la cité, les prêtres, les magistrats, les chevaliers, les citoyens, rangés par tribus, les éphèbes, y prenaient part. On y voyait des canéphores, portant dans des corbeilles d'or des prémices de toute sorte ; elles étaient choisies parmi les vierges d'Athènes par l'archonte éponyme. Les offrandes précieuses envoyées par les alliés et les colonies, des objets d'or, les nombreuses victimes fournies par l'Etat pour le sacrifice, défilaient dans le cortège. Des inscriptions mentionnent un beau taureau et une phiale d'or offerts par les éphèbes. S'autorisant sans doute d'une phrase de Plutarque, Mommsen suppose qu'après le cortège officiel et régulièrement ordonné, venait à pied ou en voiture une foule bigarrée, avec des masques et des costumes. Mais il n'est pas certain que Plutarque parle des grandes Dionysies. Il y avait dans la marche de la procession des évolutions et des haltes auprès de différents autels ou édifices sacrés ; particulièrement sur l'agora, où des choeurs dansaient près de l'autel des douze dieux. La plus importante de ces haltes, peut-être au point d'arrivée, avait lieu près d'un autel à feu, sur la plate-forme duquel se dressait la statue de Dionysos. C'est là sans doute qu'on sacrifiait les victimes, avec un hymne et des prières. C'était une des cérémonies les plus importantes de la fête, à en juger par les termes d'Alciphron dans la lettre qu'il prête à Ménandre. M. Foucart, dans son interprétation de la loi d'Evégoros, le seul document qui nous donne l'ordre des actes accomplis dans les grandes Dionysies, place l'autel, non pas dans le Lénaeon, mais à l'Académie, et suppose que l'hymne était chanté par les enfants, qui sont mentionnés sans aucune explication dans la loi. Cette dernière hypothèse semble autorisée par une inscription trouvée dans les ruines du théâtre de Dionysos à Athènes, qu'explique un rapprochement avec deux inscriptions de Stratonicée et de Téos. Mais il est peut-être plus naturel de rapporter la mention des enfants à l'exécution des dithyrambes. Il semble aussi qu'il vaut mieux mettre l'autel au Lénaeon, car des témoignages nous apprennent que les éphèbes partaient de l'autel après avoir sacrifié leur victime, pour transporter le dieu au théâtre, le soir, à la clarté des torches. C'était un acte distinct de la procession et qu'on se représente mieux accompli tout entier dans le voisinage du théâtre.

La statue qui figurait dans ces diverses cérémonies était consacrée au Dionysos d'Eleuthères. Mais il y en avait deux dans ce cas, toutes deux à Limnae, chacune dans son temple : quelle était celle que l'on choisissait ? A. Mommsen dit avec vraisemblance que ce ne pouvait être l'antique idole en bois, le xoanon, qui était dans le plus vieux temple, puisqu'il nous est positivement affirmé que ce temple ne s'ouvrait qu'une fois par an, aux Anthestéries. C'était donc l'autre statue, faite en or et en ivoire, oeuvre d'Alcamène, qui d'ailleurs convenait mieux à la magnificence déployée aux grandes Dionysies.

Une fois installé dans son théâtre, Dionysos y recevait encore des libations et assistait aux différents concours qui avaient lieu en son honneur. Les premiers étaient les concours dithyrambiques [Dithyrambus, cyclicus chorus].

Il y avait celui des enfants et celui des hommes. C'est aux grandes Dionysies que fut exécuté le dithyrambe de Pindare dont nous possédons un beau fragment, tout pénétré du souffle embaumé et de la lumière du printemps, brillante image des sentiments de la foule qui, sans aucun mysticisme, s'abandonnant aux impressions présentes de la nature, reconnaissait la puissance du divin fils de Sémélé. De cette fête musicale paraît être venu ce surnom attique de chanteur (Melpomenos) donné à Dionysos, qui nous a été conservé par Pausanias et qui se retrouve sur deux trônes du théâtre d'Athènes. C'était une fort belle fête pour laquelle le goût des Athéniens s'accrut de plus en plus. Au quatrième siècle, Démosthène rappelle comme un fait notoire que les frais de la chorégie sont plus élevés pour les dithyrambes que pour les tragédies ; ce qui s'explique d'abord par le nombre des choreutes à équiper et à entretenir et par le temps nécessaire pour les exercer.

D'après l'ordre indiqué par la loi d'Evégoros, aux dithyrambes succédait un cômos, qui se rattachait probablement à des banquets où se célébraient les victoires dithyrambiques. Pendant toute cette fête de Bacchus, on mangeait et on buvait. Les spectateurs arrivaient au théâtre «repus et abreuvés, et la tête ceinte de couronnes, et pendant tonte la représentation on leur versait du vin et on leur donnait des friandises». Sous l'empire, Atticus, pendant une halte de la procession au Céramique, fit servir du vin à toute la foule des citoyens et des étrangers, étendus sur des couches de lierre.

Représentations dramatiques

Les représentations dramatiques duraient au moins pendant trois jours. Au quatrième siècle, le rapport du théoricon (1 drachme) avec le prix d'entrée du théâtre, tel qu'il nous est donné par Démosthène (2 oboles), amène à ce nombre. Plutarque raconte qu'un des deux acteurs célèbres qui portèrent le nom de Polus joua, à l'âge de soixante-dix ans, dans huit tragédies en quatre jours. Mais il faudrait savoir si ce fut au théâtre d'Athènes pendant les Dionysies. Au Ve siècle, trois poètes, pour la tragédie et pour la comédie, étaient admis à concourir. Chaque poète tragique présentait une trilogie, ou plutôt, en comptant le drame satyrique, une tétralogie. Les juges assignaient les rangs dans chacun des deux concours et désignaient le vainqueur. Ces faits sont donnés par les didascalies bien comprises. Au commencement du IVe siècle, la transformation de la comédie, en supprimant les chants du choeur et diminuant la durée de la représentation, conduisit à augmenter le nombre des concurrents. Quatre poètes sont nommés dans la didascalie du Plutus d'Aristophane (ol. 97, 4 = 389/8) ; bientôt on en admit cinq, et ce nombre se retrouve encore au second siècle. Ces faits se rapportent aussi bien aux Lénéennes qu'aux grandes Dionysies.

Le temps apporta aussi des changements aux concours tragiques. Le système de la tétralogie eschyléenne fut bouleversé. Des didascalies conservées par des inscriptions nous apprennent que vers le milieu du IVe siècle, au moins de 342/1 à 340/39, on joua un seul drame satyrique au commencement du concours, qu'en l'année 342/1 on donna trois trilogies de tragédies nouvelles, et que, l'année suivante, chacun des trois poètes ne fit représenter que deux tragédies. De plus, au même temps, l'habitude était établie de jouer avant les tragédies nouvelles une ancienne tragédie d'Euripide ou de Sophocle. De même, mais plus tard à ce qu'il semble, on reprit, avant le concours des poètes comiques, une ancienne comédie de Ménandre ou de Philémon. On en trouve le témoignage dans des inscriptions du second siècle.

Il est assez difficile de déterminer dans quel ordre avaient lieu les représentations des tragédies et des comédies et comment elles se répartissaient entre les jours attribués aux concours dramatiques. Sauppe, après d'autres, et, à sa suite, Mommsen, pensent que, pendant chacun des trois jours de représentations, on donnait, le matin, une trilogie dramatique, et, l'après-midi, une comédie. Mais cette disposition contredit formellement le témoignage de la loi d'Evégoros, confirmé par des inscriptions de la première et de la seconde moitié du ve siècle, ainsi que du IVe siècle et du second. La comédie y est placée avant la tragédie, comme aux Dionysies du Pirée. Il faut s'en tenir à ce témoignage, comme l'ont fait Boeckh, Otfr. Müller, d'autres et, tout récemment, Alb. Müller. Seulement, s'il n'y avait que trois jours de représentations et que le premier fût pris par la comédie, il faudrait mettre deux tétralogies dans un seul des deux autres jours, ce qui parait matériellement impossible. Il semble donc qu'il vaudrait mieux attribuer quatre jours aux concours dramatiques des grandes Dionysies.

Ce sont les tragédies qui contribuèrent le plus à l'éclat de cette grande fête. Au IVe siècle, c'était le moment de la représentation des tragédies nouvelles, ainsi nommées par opposition avec l'ancienne tragédie que l'on reprenait d'abord, qui était choisi pour la proclamation des couronnes décernées par le peuple, comme celle qui donna lieu au procès de Ctésiphon. Cette proclamation se faisait avant le concours. De même, c'était devant cette foule d'Athéniens et d'étrangers, réunis pour assister aux drames tragiques, que paraissaient, au moins au Ve siècle, les fils des citoyens tués à la guerre, que l'Etat avait nourris jusqu'à l'âge de l'éphébie. Ils se présentaient, à la voix du héraut, revêtus de l'armure complète que la cité leur octroyait avant de les livrer à la vie et à ses devoirs, et allaient prendre les places qui leur étaient réservées.

Probablement le soir du dernier jour des représentations dramatiques, les juges prononçaient leurs décisions. Le surlendemain, après les Pandia, une assemblée du peuple, réunie au théâtre, entendait les plaintes auxquelles la célébration de la fête avait pu donner lieu et décidait, à mains levées, s'il y avait délit et si l'on pouvait poursuivre ; ce qui donnait à la poursuite devant les tribunaux une grande force en la revêtant d'un caractère politique et religieux. Au nombre de ces plaintes se trouvaient peut-être celles qui pouvaient amener la condamnation des juges des concours eux-mêmes, s'ils étaient, convaincus de s'être laissé corrompre. Ce qui paraît plus vraisemblable, c'est que dans cette assemblée tenue après les Dionysies se rendaient les décrets qui conféraient des éloges, des couronnes et même des statues au Conseil, à l'agonothète, aux épimélètes.

Les juges étaient désignés par le sort, mais avec certaines garanties. Les membres du conseil des Cinq Cents, assistés des chorèges, choisissaient avant le commencement de la fête, dans chacune des dix tribus un certain nombre de citoyens regardés comme capables de remplir cet office. Les noms étaient enfermés dans des urnes, une pour chaque tribu, scellées par les prytanes et par les chorèges, et placées à l'Acropole sous la garde des trésoriers. Le jour des concours, l'archonte tirait de chaque urne un nom pour chacun, en sorte que ces dix noms représentaient toutes les tribus et, par conséquent, toute la cité. Les juges ainsi désignés s'engageaient par serment à juger conformément à leur conscience. Des places leur étaient réservées, et après le concours, chacun, au milieu des cris et des injonctions passionnées de la foule, écrivait sur une tablette le rang qu'il assignait aux concurrents. Puis un second tirage au sort désignait parmi eux les cinq juges définitifs dont le suffrage décidait, et le nom du vainqueur était proclamé. Sans doute il était couronné sur la scène par l'archonte. Il recevait une couronne de lierre.

Une épigramme de Simonide parle de cinquante-six trépieds qu'il avait remportés comme prix de ses victoires dithyrambiques. D'après le marbre de Paros, primitivement le prix de la tragédie était un bouc, et celui de la comédie un panier de figues et une amphore de vin. Des inscriptions du Ve siècle et des siècles suivants prouvent qu'un trépied était décerné au chorège vainqueur, qui prenait soin de le placer à ses frais, quelquefois dans un beau monument, comme celui de Lysicrate, soit dans la rue des Trépieds, voisine du théâtre, soit dans un emplacement ménagé sur le rocher même de l'Acropole (katatomê), au-dessus du dernier rang de sièges des spectateurs.

Les trépieds donnés en prix sont souvent figurés sur les vases peints : on y voit aussi les taureaux que chaque tribu offrait et qui étaient destinés au sacrifice. Quelquefois la Victoire est représentée auprès du trépied qu'elle consacre, ou elle amène un taureau devant Dionysos.

Les poètes vainqueurs recevaient-ils de l'Etat une somme d'argent, comme prix de leur victoire, ainsi que l'affirme A. Müller ? Ce qui paraît mieux prouvé, c'est que des honoraires étaient attribués à tous les concurrents. L' Etat payait sans doute aussi les acteurs des concours dramatiques et les joueurs de flûte. Puisque c'était lui qui les fournissait aux poètes, il ne semble pas que cet ordre de dépenses ait dû regarder les chorèges. De plus, on décernait des prix aux acteurs. Le protagoniste vainqueur est nominé dans un fragment de didascalie qui remonte à l'année 422/1. L'importance des acteurs, dès le Ve siècle, s'accrut encore naturellement après la disparition des maîtres de la tragédie. C'étaient eux qui renouvelaient l'intérêt des aiciennes pièces, en les reprenant, et qui faisaient le succès des nouvelles. Ils étaient mandés par les rois comme Philippe II de Macédoine, appelés par les villes qui voulaient donner plus d'éclat à la célébration du culte de Bacchus ou même d'autres divinités, et recevaient des sommes considérables. Puis vinrent les associations d'artistes dionysiaques [Dionysiaci artifices], dont on peut suivre l'histoire jusqu'au VIe siècle après J.-C., et où l'on reconnaît encore mieux à quel point la décadence de la poésie réduisit les poètes à un rôle subalterne par rapport aux exécutants, acteurs et musiciens.

Si Athènes, aux époques classiques, fut moins prodigue d'argent et d'honneurs pour ceux qui prenaient part aux concours dionysiaques, cependant elle conservait aussi dans ses monuments épigraphiques le souvenir de leurs efforts et de leurs succès. Les chorèges vainqueurs, en consacrant le trépied, prix de leur victoire, inscrivaient d'abord le nom de leur tribu avec la désignation particulière paidôn ou andrôn, si c'était un concours dithyrambique, puis leur propre nom et celui du maître du choeur, le didascalos. Telle était la matière de l'inscription et tel était l'ordre des noms au ve siècle Au siècle suivant, le chorège est nommé avant sa tribu, et deux noms nouveaux paraissent, celui de l'archonte et, plus fréquemment, celui du joueur de flûte. Celui-ci, à partir de la seconde moitié du IVe siècle, prend le pas sur le didascalos et même sur l'archonte [Choregia]. Ce sont des conséquences du changement des moeurs politiques et du développement de la musique.

De même, pour les concours dramatiques, les didascalies [Didaskalia], officiellement rédigées par les soins de l'archonte, perpétuèrent la mémoire des poètes, de la date et du nom de leurs oeuvres, et du rang qui leur avait été attribué par les juges. Les stèles où étaient gravées ces inscriptions étaient placées dans l'enceinte sacrée de Dionysos. Il est probable que cet usage s'établit pour les Lénéennes aussi bien que pour les grandes Dionysies.

Il a été dit plus haut que les grandes Dionysies étaient placées sous la direction supérieure du premier magistrat de la cité, l'archonte éponyme [Archontes]. C'était à lui que les tribus proposaient les citoyens qu'elles jugeaient aptes à remplir les fonctions de chorèges : il les nommait pour la fête suivante dans le mois qui venait après la dernière fête célébrée, et il assignait l'un d'eux à chacun des poètes admis à concourir. C'était lui aussi qui autorisait les poètes à présenter des pièces au concours. D'après les expressions consacrées, ceux-ci lui demandaient et il leur accordait un choeur (choron aitein, choron didonai), probablement après communication des pièces présentées. Assez longtemps d'avance pour que les études pussent être suffisantes, il présidait au tirage au sort des joueurs de flûte pour les dithyrambes et des protagonistes pour les représentations dramatiques. Il résulte d'une expression des lexicographes qui parlent du tirage au sort des protagonistes, que ceux-ci, avant d'être attribués aux poètes, étaient choisis après une épreuve dont les protagonistes proclamés vainqueurs aux Dionysies étaient exemptés pour l'année suivante.

L'archonte était assisté par les épimélètes [Epimeletes]. Il y en avait deux de chaque tribu ; ils étaient désignés par le vote à mains levées. Dans le discours de Démosthène contre Midias (§ 13), on voit qu'ils s'occupaient avec l'archonte du choix des chorèges. Pendant la fête elle-même, leurs fonctions paraissent s'être particulièrement exercées dans l'organisation de la procession et du sacrifice. Plus tard, on retrouve le titre d'épimélète donné à l'administrateur général que le collège des artistes dionysiaques d'Athènes élisait tous les ans. On voit que les attributions de l'épimélète étaient principalement financières, niais que cependant il était aussi chargé d'accomplir des actes religieux au nom de l'association, et qu'elle avait soin de choisir pour cette fonction supérieure un personnage dont la fortune et la générosité pussent être protitables à ses intérêts.

Il a existé encore dans les concours dionysiaques un autre magistrat important, c'était l'agonothète. Ce nom paraît si étroitement lié à l'institution même des concours, qu'on est surpris de ne pas le rencontrer plus tôt chez les Athéniens. Il ne paraît qu'à partir de l'administration de Démétrius de Phalère, vers la fin du IVe siècle ou le commencement du IIIe. On voit par les inscriptions que, par suite de la diminution du nombre des citoyens assez riches pour se charger de la chorégie, c'est l'Etat qui alors fut amené à se faire chorège [Choregia]. L'agonothète était son délégué ; il était élu pour un an et chargé de pourvoir à l'équipement des choeurs et à d'autres frais, d'organiser les concours et de faire les sacrifices traditionnels dans les différentes fêtes. La partie financière de sa charge l'obligeait naturellement à une reddition de comptes.

Les inscriptions nous permettent de constater l'existence des Dionysies, en dehors de l'Attique, à Abdère, Amorgos, Astypalae, Chios, Cnide, Corcyre, Cos, Delphes, Délos, Imbros, Erythrae d'Asie Mineure, Lemnos, Lesbos, Naxos, Opus, Pergame, Phigalie, Ptolémaïs d'Egypte, Smyrne, Téos, etc., et il est certain que tous les grands centres grecs avaient institué des fêtes de ce genre. Les succès dramatiques d'Athènes eurent pour effet de multiplier les théâtres et les représentations dans toute l'étendue de la Grèce et des pays où pénétrait l'influence grecque. Ces représentations devinrent l'élément nécessaire de beaucoup de fêtes, même en dehors du culte de Bacchus. Quant aux grandes Dionysies elles-mêmes, comme elles s'étaient développées, peut-être même étaient nées sous l'empire d'une pensée d'ostentation plutôt que d'une pensée religieuse, elles étaient destinées à se prêter aux innovations et aux fantaisies les moins propres à édifier des fidèles. Déjà au Ve siècle, Nicias, dans une de ses somptueuses chorégies, imaginait de faire paraître sous le costume de Dionysos un jeune esclave d'une beauté remarquable, dont la vue excita les transports des Athéniens. Il mettait ainsi la procession dionysiaque au service de ses intérêts politiques : elle devint, à la fin du siècle suivant, une forme d'impudente flatterie. Les Athéniens, pour recevoir dignement Démétrius Poliorcète, formèrent des choeurs de danse et le saluèrent dans un ithyphallos où ils le chantaient comme le seul dieu réel. C'était un mélange de la procession dionysiaque et de la procession des Eleusinies. Les rythmes, les chants, les costumes, les mythes consacrés à Dionysos et à ses fêtes étaient devenus une matière banale, prête pour les cérémonies de toute nature ; elle était particulièrement propre aux étalages de magnificences. Athénée nous a conservé la description détaillée des merveilles de la procession dionysiaque dans la grande procession qui eut lieu à Alexandrie, par l'ordre de Ptolémée Philadelphe. L'entrée d'Antoine à Ephèse, après la bataille de Philippes, fut une sorte de pompe bachique, où il représentait lui-même le dieu s'avançant au milieu de bacchantes, de satyres et de son cortège habituel. Dans une inscription éphébique d'Athènes, il est appelé nouveau Dionysos, et il est probable que sa fête, les Antoniées (Antônieia), qui était célébrée par les éphèbes le 17 Anthestérion, n'était pas sans analogie avec certaines parties de la fête dionysiaque des Anthestéries, ou tout au moins qu'elle avait elle-même un caractère dionysiaque. La célébration des fêtes régulières continua du reste pendant longtemps ; mais on ne peut douter que le changement des moeurs et des conditions politiques ne leur ait fait subir d'importantes modifications.

Un très grand nombre de monuments représentent Dionysos entouré de la troupe des satyres, des silènes, des bacchants et des bacchantes et de tous ses suivants ordinaires. On sait que tous ces déguisements étaient pris par ceux qui participaient aux fêtes, pour imiter, non seulement aux grandes Dionysies, mais aussi aux Lénéennes et aux Anthestéries le ieros kômos et le thiase du dieu [Thiasus]. Sans doute on ne peut donner ces monuments, où la fantaisie des artistes s'est donné libre carrière, pour des images exactes des fêtes, mais ils conservent certainement le souvenir de ce qui s'y passait en réalité. C'est le cômos qui est ordinairement rappelé sur les vases peints, avec une grande variété de costumes et d'attributs, tandis que dans les oeuvres de la sculpture la procession bachique a toutes les apparences d'un triomphe. Dionysos y paraît sur un char, ayant auprès de lui Ariadne, Sémélé ou Nysa ; des ménades ou d'autres femmes y figurent aussi sur des chars ; on y voit des masques tragiques et comiques, qui semblent destinés à rappeler les représentations dramatiques. Enfin, comme dans la pompe ordonnée par Ptolémée Philadelphe, on y voit parfois des éléphants, des chameaux et d'autres animaux exotiques, des captifs d'Asie ou d'Afrique, des objets précieux de toutes sortes simulant les dépouilles de peuples vaincus. Ces représentations paraissent avoir été en faveur sous les successeurs d'Alexandre : on affectait alors d'assimiler les conquêtes des héros macédoniens à celles de Bacchus dans l'Inde.


Article de Jules Girard