Déesse égyptienne, dont le culte, hellénisé après la fondation d'Alexandrie (332 av. J.-C.), se répandit, avec celui de ses parèdres, Sérapis, Harpocrate et Anubis, dans le monde gréco-romain tout entier.

I. Histoire

C'est chez les Phéniciens qu'apparaissent les premières traces de l'influence que la religion égyptienne exerça sur les peuples étrangers ; Byblos notamment en conserva le souvenir durable ; des images divines, manifestement copiées sur celles de l'Isis pharaonique, ont été fabriquées à Tyr, à Sidon et dans les colonies phéniciennes dès le VIIe ou le VIe siècle avant notre ère, puis transportées par le commerce jusqu'en Etrurie et dans le Latium. Il n'est pas impossible que la Grèce elle-même, comme on a essayé de l'établir par des rapprochements ingénieux, ait emprunté à l'Egypte, vers la même époque, les idées et les pratiques essentielles des mystères d'Eleusis. Mais il n'est pas question d'Isis dans la littérature grecque avant Hérodote ; quand il visita l'Egypte au milieu du Ve siècle, il nota les tentatives que les colons grecs établis à Naucratis, dans le Delta, avaient déjà faites pour identifier leurs divinités nationales et celles de leurs hôtes ; alors commença à se répandre à travers le monde hellénique l'idée qu'Isis, dans ses attributions principales, correspondait à Déméter, et qu'elle présentait aussi certaines analogies avec Io. Cependant un long espace de temps s'écoula encore avant qu'Isis fût reçue dans l'enceinte des cités grecques ; elle eut à vaincre la résistance de leurs gouvernements, qui, au nom des lois et de la tradition, la tinrent obstinément à l'écart comme une étrangère, dont l'influence pouvait présenter de graves dangers pour les moeurs. Vers l'an 350, l'assemblée du peuple d'Athènes, par une faveur spéciale, autorisa les marchands égyptiens, que les besoins de leur négoce amenaient dans l'Attique, à élever un temple d'Isis au Pirée, dans le faubourg où on reléguait les cultes exotiques. Les railleries des poètes comiques peuvent nous donner une idée des luttes que ses prêtres durent encore soutenir contre l'opinion publique avant de faire un nouveau progrès. A l'origine, les lois athéniennes punissaient de mort tout citoyen qui avait cherché à introduire dans la cité une divinité étrangère. A quelle date Isis fut-elle exceptée de cette proscription, ou, plus exactement, à quelle date son culte, jusque-là toléré dans le faubourg du Pirée comme culte de métèques, put-il être exercé librement par des citoyens à l'intérieur de la ville ? Nous manquons des documents nécessaires pour l'établir d'une manière précise ; mais ce ne fut certainement qu'après qu'il eut été hellénisé par les Lagides ; on fonda alors au pied de l'Acropole un Sérapéum pour le grand dieu envoyé d'Alexandrie ; cet événement peut dater du règne de Ptolémée Philadelphe, mais nous inclinerions plutôt à le rapporter à celui de Soter, son prédécesseur (323-285) ; Nicocréon, roi de Chypre, semble avoir à cette époque introduit officiellement les dieux égypto-grecs dans ses Etats ; bientôt après nous les voyons établis dans la Pérée rhodienne, à Antioche, à Smyrne, à Halicarnasse, dans l'île de Céos et en Béotie. Au second siècle, nous constatons leur présence à Délos, à Ténédos, en Thessalie, en Macédoine et dans le Bosphore de Thrace. Ainsi ce culte n'a reçu droit de cité chez les Grecs qu'après la conquête d'Alexandre ; mais il a pris aussitôt en Orient une extension considérable ; sa fortune en Occident allait devenir prodigieuse.

Introduit en Sicile sous Agathocle ou Hiéron II, il passe de là dans l'Italie méridionale ; Pouzzoles et Pompéi ont dès le second siècle un temple alexandrin. Il faut supposer aussi qu'il se trouvait bien déjà quelques adorateurs d'Isis et de Sérapis au milieu de la population cosmopolite d'Ostie, et même dans les faubourgs de Rome ; mais aucune loi n'autorisait encore les Isiaques à former des associations et à célébrer leur culte à frais communs dans l'enceinte de la capitale. Ce fut seulement au temps de Sylla que, pour la première fois, ils essayèrent d'y fonder un collège ; en dépit des influences puissantes dont ils disposaient, ils eurent à soutenir, avant d'arriver à leurs fins, une lutte acharnée contre le sénat et contre les magistrats suprêmes de la République ; les autels, qu'ils avaient élevés jusque sur le Capitole, furent renversés par ordre des consuls en 58, en 51, en 50 et en 48. Cette persécution, certainement approuvée par beaucoup de Romains, et non des moindres, risquait, malgré tout, de prendre fin à bref délai, tant était ardent le zèle du parti contraire ; la défaite de la reine d'Egypte à Actium retarda le triomphe définitif des dieux alexandrins ; Auguste les renvoya dans les faubourgs de Rome, au delà de l'enceinte du Pomoerium (28 av. J.-C.), leur enlevant ainsi tout le terrain qu'ils avaient conquis depuis Sylla. En l'an 21, Agrippa, plus sévère encore, interdit de leur élever des sanctuaires dans un rayon d'un mille autour de Rome. La littérature du temps témoigne à quel point toutes ces mesures furent inutiles. Sous Tibère, il y avait un temple alexandrin dans la capitale ; l'empereur prit prétexte d'un scandale dont il avait été le théâtre pour le faire démolir ; les prêtres furent déportés et l'exercice même du culte interdit aux citoyens de Rome par sénatus-consulte (19 ap. J.-C.). Cette persécution devait être la dernière ; Caligula et Claude laissèrent tomber dans l'oubli les arrêts rigoureux de leurs prédécesseurs et Néron probablement les rapporta. Othon fut un Isiaque fervent ; en 70, Isis et Sérapis avaient de nouveau dans la ville un sanctuaire public ; c'est de là que partit la procession triomphale de Vespasien et de Titus le jour où ils célébrèrent leur victoire sur les Juifs. Dès lors, nous n'aurions plus à enregistrer que les témoignages de la dévotion avec laquelle les mystères isiaques furent célébrés par la cour impériale et par la plus haute société de Rome. Cependant, même à cette époque, le culte alexandrin ne fut point compris parmi les cultes officiels, c'est-à-dire parmi ceux dont l'Etat faisait les frais ; de quelque splendeur que l'entourât la libéralité des Césars, il fut toujours desservi par des confréries privées, qui subvenaient à tous ses besoins et nommaient elles-mêmes leurs prêtres. Bafoué par les apologistes du christianisme, il n'en fut pas moins un de ceux qui lui résistèrent avec le plus de succès ; la chute du Sérapéum d'Alexandrie (an 397) porta un coup fatal aux dieux égypto-grecs ; les autels qu'on leur avait dédiés dans le monde romain durent être à peu près tous abandonnés par leurs derniers défenseurs vers le milieu du Ve siècle ; Rutilius Namatianus vit encore célébrer une de leurs fêtes à Faléries (Etrurie) en 416.

II. Attributions et images d'Isis

Dans la religion pharaonique, Isis n'était à l'origine que la divinité de Bouto, ville du Delta ; sans époux, par sa seule puissance, elle avait enfanté Horus ; de bonne heure on l'unit à son voisin Osiris, dieu de Busiris et de Mendès, et ainsi se forma une triade analogue à celles qui étaient adorées dans d'autres parties de l'Egypte ; cette triade n'embrassait point dans ses attributions l'ensemble des forces de la nature ; Isis représentait simplement la terre du Delta, Osiris le Nil. Mais, avec le temps, les théologiens mèlêrent des conceptions cosmogoniques aux légendes toutes locales enfantées par le peuple ; la triade du Delta subit d'abord l'influence du culte solaire en honneur à Héliopolis ; Horus devint le dieu-soleil ; puis plusieurs divinités secondaires furent groupées autour d'Isis et de sa famille, on leur prêta un rôle dans un drame mystique qui expliquait la formation et l'ordre de l'univers ; le culte d'Isis, sans détruire les autres, déborda en dehors de ses anciennes limites ; enfin vinrent les Grecs, qui, lui donnant la première place à Alexandrie, combinèrent les doctrines des prêtres égyptiens avec celles de leurs philosophes, de manière à en former un système qui pût s'adapter aux croyances de tous les peuples. Les résultats de ce travail de condensation sont exposés dans le traité de Plutarque sur Isis et Osiris ; s'il nous permet si facilement de ramener à l'unité la religion égyptienne, il ne faut pas oublier qu'à côté de renseignements puisés à une source ancienne, l'auteur y a fait aussi une place aux spéculations de l'époque gréco-romaine. En réalité, les recherches des égyptologues nous montrent dans le pays des Pharaons une multitude de cultes locaux, tout aussi indépendants les uns des autres que l'étaient ceux de l'Hellade primitive. Suivant la tradition la plus générale, Osiris a été traîtreusement mis à mort par Set (Typhon) son ennemi ; son cadavre est enfermé dans un coffre et jeté au Nil, qui le porte vers la mer ; les flots le poussent sur la côte de Phénicie, à Byblos. Isis se met à sa recherche et finit par le découvrir ; elle le ramène en Egypte ; mais tandis qu'elle se relâche de sa surveillance, Set le coupe en morceaux et le disperse. Isis, après de nouvelles pérégrinations, retrouve les membres de son époux et leur donne la sépulture ; elle met au monde un fils, nommé Horus, qui venge son père les armes à la main et reconquiert le pouvoir suprême. Cette légende, à l'origine, ne faisait peut-être que traduire certaines croyances populaires sur l'histoire locale. Quand elle prit un sens symbolique, Isis représenta la terre d'Egypte annuellement fécondée par les eaux du Nil. Dans une conception plus générale, Osiris étant le soleil, Isis est la terre habitable, qu'il échauffe de ses rayons ; s'il est le père, elle est la mère de tous les êtres. Le mythe peut aussi s'appliquer à la destinée humaine ; comme Osiris, chacun de nous meurt, mais il renaît dans ses enfants ; Isis est dans la génération le principe femelle, indispensable à la perpétuité de l'espèce. Enfin, si l'on voit dans la lutte d'Osiris et de Set, la lutte du bien et du mal, Isis est la divinité tutélaire qui permet au bien de triompher ; l'homme lui doit la civilisation ; elle a inventé tous les arts, elle a des moyens puissants de punir et de récompenser. Il suit de là qu'Isis finit par absorber en elle les attributions de toutes les déesses grecques.

Ses images, il est vrai, se distinguent de toutes les autres à quelques signes certains. Comme indice de son origine, elle tient dans la main droite le sistre (sistrum), sorte de crécelle, dont le son accompagnait les cérémonies du culte égyptien ; à sa main gauche est suspendu un petit seau de forme arrondie, propre à contenir l'eau sacrée [cymbium, situla). Sur son front se dresse la fleur de lotus, emblème de résurrection. Comme les déesse-mères, elle porte une longue robe qui tombe jusqu'à ses pieds et ne laisse à découvert que les avant-bras ; son manteau, souvent garni de franges, est noué sur le devant de la poitrine, entre les deux seins ; ce noeud volumineux et très apparent est, de tous les attributs d'Isis, celui auquel on la reconnaît le plus sûrement. Sa chevelure retombe en boucles le long de son cou ; elle est la déesse euplokamos.

Quelquefois on place un voile sur sa tête pour indiquer que la nature dissimule à l'homme ses secrets. Comme ses prêtres, Isis était «vêtue de toile», suivant la coutume égyptienne, d'où ses surnoms de linoplepos, linostolos, linigera. La figure à gauche reproduit une statue conservée au Musée du Capitole, à Rome, la figure à droite une statue de la glyptothèque de Munich : toutes deux offrent sous une forme élégante le type communément adopté par les artistes grecs. Mais, outre ses attributs propres, Isis en emprunta à certaines divinités, avec lesquelles elle a été plus spécialement mise en rapport.

Isis règne sur la voûte céleste et préside aux révolutions des astres qui déterminent la succession des jours et des nuits et l'ordre des saisons : aussi avait-on coutume de représenter des étoiles ou un croissant à côté de ses images ou sur leur parure. Une étoile lui était particulièrement consacrée en Egypte, celle de Sothis, identifiée par les Grecs avec leur Sirius ; son lever marquait le commencement de l'année égyptienne, dite sothiaque ; de là le type d'Isis assise sur le chien Sirius ; ce sujet ornait le fronton de la porte principale, dans l'Isium du Champ de Mars, à Rome ; il est reproduit sur les monnaies de plusieurs empereurs.

Les astronomes alexandrins attribuaient aussi à Isis le signe de la Vierge. Il était beaucoup plus ordinaire, si nous en jugeons par les monuments, de la considérer comme la déesse de la Lune, quoiqu'elle ne semble pas avoir été adorée sous cette forme à l'époque pharaonique ; le disque du Soleil, qu'elle portait sur le front dans les représentations symboliques de l'ancienne Egypte, fut pris sans doute par les Grecs pour celui de la Lune, et, ainsi compris, resta son attribut ; mais, en général, pour éviter la confusion qui aurait pu se faire entre ses fonctions et celles du Soleil-Sérapis, son époux, on orna plutôt son front d'un croissant, ce qui lui donnait une certaine ressemblance avec Artémis. Les Egyptiens s'étaient figuré Isis, «la dame du ciel», sous la forme d'une vache ; le firmament parsemé d'étoiles était son ventre, ses jambes en supportaient le poids comme des piliers. Les images de cet animal symbolique furent parmi les premières qui frappèrent l'imagination des Grecs en Egypte ; une de leurs légendes nationales affirmait qu'Io, changée en génisse et poursuivie à travers le monde par la colère de Junon, s'était arrêtée sur les bords du Nil ; vers le VIe siècle, on eut l'idée d'identifier Isis avec Io. Dans l'art inspiré par la mythologie alexandrine, il est assez ordinaire de les voir s'emprunter mutuellement leurs attributs distinctifs ; l'une et l'autre elles ont le front surmonté des cornes de vache, souvent très semblables au croissant de la Lune ; Io, comme Isis, a pu être, en effet, à l'origine, une divinité lunaire. Une peinture découverte dans l'Isium de Pompéi montre Io, la fille d'Inachus (Inachiê), arrivant en Egypte ; le dieu du Nil la porte sur ses épaules ; l'Egypte personnifiée lui tend la main.

L'Isis des Egyptiens présentait de nombreux rapports avec Déméter ; aussi l'identification de ces deux divinités était-elle déjà chose faite au temps d'Hérodote ; elle serait même plus ancienne encore, si l'on admet que le culte mystérieux d'Eleusis a subi dès le VIIe siècle l'influence de la religion égyptienne. Dans l'Isis alexandrine, comme dans leur Déméter, les Grecs adorent la terre nourricière ; sa puissance productrice est soumise aux vicissitudes des saisons ; il y a une période dans l'année où elle est en deuil ; c'est celle où Déméter cherche sa fille, celle où Isis cherche son mari. Aussi donne-t-on à Isis tous les attributs de Déméter, les flambeaux, les épis de blé, les têtes de pavots, les serpents et la ciste mystique [Ceres, cista]. Comme présidant à l'agriculture (karpotokos), elle porte sur son bras la corne d'abondance remplie de fruits. C'est elle qui, détournant les hommes de l'anthropophagie, leur a enseigné à cultiver le blé (stachumêtôr) ;) c'est elle qui a établi les lois (thesmophoros) et qui fait régner la justice (Dikaiosunê) ; c'est elle qui a répandu l'usage de l'écriture, établi le culte et fondé les mystères où se révèle dans l'ombre le sens caché de ses tragiques aventures. Comme Déméter, ou encore comme Hécate, elle joue un rôle dans le royaume des morts : elle veille sur le monde souterrain et préside, par conséquent, à la vie d'outre-tombe ; les sépultures sont mises sous sa protection. Pour représenter cette déesse infernale, vêtue de deuil (melanêphoros, melanostolos, furva), les artistes ont quelquefois taillé ses images dans des matières de couleur sombre, telles que le marbre noir ou le basalte ; d'autres l'ont sculptée sur les vases funéraires appelés canopes.

Désignée par l'épithète de pelagia, Isis préside à la navigation ; le nom de Pharia (Phariê), qui rappelle son origine égyptienne, semble lui avoir convenu particulièrement quand on l'envisageait comme divinité marine ; adorée dans la petite île de Pharos, en avant d'Alexandrie, à côté du fameux phare de Sostrate, Pharus, elle veillait sur les matelots en danger. De là son culte se propagea rapidement le long des côtes de la Méditerranée. On lui dédiait des ex-voto quand on avait échappé à la tempête ; dans les ports on trouvait des peintres qui avaient pour spécialité de représenter sur des tableaux votifs les naufragés secourus par Isis pelagia ; suivant Juvénal, c'était un métier qui nourrissait son homme.

On donnait le nom d'Isis à des navires. Dans ce rôle, on l'associait souvent aux Dioscures. Son image est très commune sur les monnaies ; elle est généralement représentée debout, avec une voile que le vent fait flotter derrière elle ; à ses côtés on aperçoit divers attributs marins.

Isis aux belles formes (pagkalos) est la déesse de l'amour. C'est elle qui a institué le mariage et qui donne aux femmes la grâce et la séduction. Par là elle est identique à Vénus, comme son fils Harpocrate est identique à l'Amour. Une Vénus d'un type connu, telle que la Vénus de Cnide, devient une Isis, pourvu qu'on lui mette au front la fleur de lotus et le disque lunaire ; on dédie à Isis des images de Vénus, à Vénus des images d'Isis ; nous voyons à Délos la déesse alexandrine adorée dans un temple contigu à celui où on adore la Vénus asiatique, la déesse syrienne. Mais la protection qu'Isis accorde aux femmes et à la vie du ménage s'étend encore plus loin ; comme Ilithye, elle assiste la mère dans ses couches ; elle reçoit l'enfant qui vient au monde, et, sous le nom de puellaris ou d'educatrix, elle surveille son éducation.

Elle est elle-même le type divin de l'amour maternel ; sur quelques monuments de style égyptisant, sa coiffure est formée de la dépouille d'un vautour, parce que, dans l'écriture hiéroglyphique, le vautour représentait le mot mère. A l'image d'Isis, les artistes associent souvent celle de son fils Harpocrate ; tantôt c'est un nourrisson qu'elle serre contre sa poitrine, rappelant par son attitude les déesses kourotrophoi ; tantôt c'est un jeune garçon, presque un adolescent, qui se tient debout à ses côtés. On voit aussi groupés les trois personnages de la triade divine, type idéal de la famille, Sérapis, Isis et Harpocrate.

Isis domina, regina (basileia, anassa, despoina) n'est pas seulement l'antique reine de l'Egypte, c'est la reine des cieux, la reine du monde ; elle partage l'empire avec Sérapis, comme Junon avec Jupiter, et par conséquent les attributs de cette déesse lui conviennent encore, notamment la couronne (basilium), soit que cet insigne se compose, suivant la coutume égyptienne, des uraeus et des plumes d'autruche, soit qu'il affecte la forme du diadème hellénique. Isis-Junon est fréquemment identifiée, notamment sur les médailles, avec les souveraines de la famille des Lagides, puis avec les impératrices romaines et, en sa qualité de protectrice du foyer impérial, elle devient une déesse augusta. Les documents où elle reçoit les surnoms de nikê, victrix, invicta, triumphalis, sont inspirés de cette conception ; il s'y joint l'idée qu'Isis est par excellence la divinité bienfaisante, qui écarte des hommes, lorsqu'ils mettent en elle leur confiance, le mal physique et le mal moral. Comme telle elle a des analogies avec Athéna Niké.

Pour la même raison, elle est encore la déesse de la santé (sôteira, epêkoos, sospitatrix, restitutrix salutis, etc.). Le secours qu'elle apportait aux malades a été certainement une des principales raisons de l'empressement avec lequel Grecs et Romains se sont approchés de ses autels. Associée comme divinité médicale à Sérapis-Esculape, elle indiquait des remèdes à ceux qui venaient la consulter dans ses temples ; ils y passaient la nuit ; pendant leur sommeil, elle leur apparaissait et leur dictait ses ordonnances. Nous possédons un grand nombre d'inscriptions dédiées par des malades à qui ce traitement était censé avoir réussi ; ils croyaient avoir été guéris grâce à ses conseils, ex ejus monitu, jussu ou imperio (kata prostagma). Isis-Hygie comptait le serpent dans ses attributs, comme les autres divinités médicales ; mais la présence de cet animal sur les monuments qui la représentent s'explique en grande partie par les superstitions propres à l'Egypte ; le serpent y était considéré à divers titres comme sacré ; on en faisait le gardien des temples. Celui d'Isis, c'est le redoutable aspic, appelé par les Grecs ouraios (uraeus) d'après l'égyptien ouraït ; on le reconnaît aisément à son cou, qui se gonfle sous l'influence de la colère jusqu'à dépasser en grosseur la tête et le ventre.

On voit dans la figure ci-jointe, d'après un bronze de Cyzique, Isis et Sérapis, sous la forme de deux aspics enlacés. Isis n'a pas seulement pour fonction de rendre la santé à ceux qui l'ont perdue ; elle préserve encore de tout mal les gens bien portants ; elle les met à l'abri des accidents et des sortilèges ; nulle protection n'est aussi efficace que la sienne contre le mauvais oeil (fascinum). Aussi multiplie-t-on ses images sur les bagues, les amulettes et les pierres gravées, notamment sur celles qu'on a appelées abraxas ; de là, encore le grand nombre de formules propitiatoires où son nom est invoqué. Inversement, Isis-Némésis poursuit ses ennemis avec un acharnement impitoyable ; celui qui s'est souillé par des crimes ou qui a méconnu sa puissance sentira sûrement s'appesantir sur lui la main de la déesse ; elle punit les coupables en les privant de la vue.

Mais aucune divinité n'a été plus souvent identifiée avec Isis que la Fortune, surtout sous l'Empire, lorsque la Fortune, souveraine dispensatrice des biens de ce monde, fut devenue de son côté l'objet d'un culte universel. Dès lors, Isis-Tyche, ou, comme on dit même d'un seul mot, Isityche, réunit sur sa personne les attributs de l'une et de l'autre ; elle a généralement le costume d'Isis ; mais, comme la Fortune, elle tient de la main droite le gouvernail et de la gauche la corne d'abondance.

Ainsi, on peut dire que, dès le Ier siècle de notre ère, Isis joue à elle seule le rôle des principales déesses du paganisme, et, s'il n'est pas question des autres, c'est qu'elles n'en valent pas la peine. Elle est la Déesse, comme Sérapis est le Dieu ; à cette condensation aboutit l'effort tenté par les derniers païens pour marier les doctrines philosophiques avec les cultes populaires. Isis est la divinité favorite du syncrétisme ; elle a une quantité infinie de noms et de formes (poluônumos, muriônumos, muriomorphos). Une inscription de Capoue l'appelle «una quae es omnia». L'art lui-même a essayé de rendre dans une figure unique cette multiplicité ; Isis-Panthée joint aux attributs particuliers de la déesse égyptienne ceux de toutes les déesses que nous venons de passer en revue ; ce personnage mystérieux, surchargé de symboles, qui lui donnent un aspect plus étrange qu'élégant, apparait surtout sur les lampes, les monnaies, les gemmes et autres petits objets de nos collections.

III. Les mystères

Apulée nous a laissé, dans le onzième livre des Métamorphoses, un curieux tableau des mystères d'Isis ; grâce à lui, nous pouvons constater qu'ils présentaient avec ceux d'Eleusis une étroite ressemblance [Eleusinia], quoiqu'il soit lui-même, suivant l'usage, très réservé sur la partie secrète de leur célébration. Son héros, Lucius, soudainement éclairé par la grâce d'Isis, a décidé de se faire initier dans le temple de Kenchrées, près Corinthe ; sur le conseil du grand prêtre, il y loue une chambre, et là il passe dans la retraite, dans les austérités et les pratiques de dévotion une période de recueillement. La date du grand jour lui est fixée par la déesse elle-même pendant son sommeil. Alors commence pour lui une suite de cérémonies, qui vont durer à peu près deux semaines ; nous y retrouvons toutes les péripéties des mystères éleusiniens. Ici aussi, l'initiation comprend une partie publique et une partie secrète, réglées l'une et l'autre par le mystagogue. D'abord a lieu, en présence d'un nombreux cortège, la purification par l'eau (katharsis) ; Lucius est conduit à une vasque voisine du temple, et le mystagogue, après avoir prononcé une prière, lui verse de l'eau sur le corps. On le ramène devant l'image d'Isis, où il reste prosterné. Vient ensuite un intervalle de dix jours, consacré au jeûne ; le néophyte se met en état de recevoir la grande révélation ; c'est la sustasis. Quand cette nouvelle période préparatoire est expirée, ses amis viennent lui apporter des présents dans le temple ; bientôt après, les profanes s'étant retirés, Lucius célèbre la grande veillée (pannuchis), la partie essentielle et décisive de l'initiation ; au milieu de clartés soudaines qui illuminent les ténèbres de la nuit, il assiste à des spectacles merveilleux, où sont condensés tous les secrets de la religion isiaque ; c'est proprement la muêsis. Le lendemain, au lever du soleil, on le donne en spectacle à la foule, revêtu d'un costume splendide, portant sur la tête une couronne de palmier et à la main une torche allumée. Pendant trois jours encore, il fête par des banquets son nouveau titre d'initié (mustês). Cependant, ce n'est pas tout encore ; il quitte Kenchrées et il se rend à Rome ; là, dans le temple alexandrin du Champ de Mars, il apprend qu'il peut aspirer à un degré supérieur de sainteté ; après un an révolu, il se fait initier aux mystères de Sérapis ; il devient epoptês.

Ce qu'Apulée ne nous dit pas dans ce récit, ou ce qu'il dit d'une manière ambiguë, on peut le reconstituer sommairement. Tout le monde est à peu près d'accord aujourd'hui que, pendant la grande veillée, le néophyte assistait à une représentation des mythes sacrés, tandis que le mystagogue en expliquait brièvement le sens symbolique ; tous les secrets de la nature et de la destinée humaine étaient résumés sous la forme d'un drame, où une divinité juvénile, après une série d'épreuves, disparaissait de la surface de la terre pour reparaître triomphante. Il est probable aussi que la vie de l'âme au delà de la tombe fournissait en grande partie le sujet de ces tableaux émouvants. C'est ce qu'Apulée indique assez clairement quand il fait dire à son héros : «J'approchai des limites du trépas ; je foulai du pied le seuil de Proserpine et j'en revins porté à travers tous les éléments ; au milieu de la nuit, je vis le soleil briller de son éblouissant éclat : je m'approchai des dieux de l'enfer, des dieux du ciel ; je les vis face à face ; je les adorai de près». Dans ce rite essentiel, les mystères gréco-romains d'Isis ressemblaient donc encore beaucoup à ceux de Déméter, ce qui s'expliquera tout naturellement si l'on suppose que les uns et les autres ont leur source commune dans la religion pharaonique. Mais, quoi qu'il en soit, les mystères isiaques devaient différer de ceux d'Eleusis ; sans aucun doute, ils en différaient d'abord par la légende mise en action dans les drames sacrés ; on voyait d'une part Déméter cherchant à travers le monde sa fille Kora enlevée par Pluton, de l'autre Isis cherchant le corps de son époux. Il devait y avoir aussi d'autres différences dans le costume, dans le décor, dans les images qui entouraient les initiés ; Apulée parle d'écritures hiéroglyphiques consultées par les mystagogues ; les débris des temples égypto-grecs retrouvés hors de l'Egypte nous permettent de nous faire une idée de cette mise en scène particulière, où se mêlaient les arts des deux races.

La figure ci-jointe reproduit un curieux bas-relief d'époque romaine, découvert récemment à Hiérapytna, sur la côte méridionale de la Crète, un des premiers points du monde grec où dut se faire sentir l'influence égyptienne. Peut-être avons-nous là une scène d'initiation. Sous une voûte très ornée on aperçoit, entre une Isis et un Horus à tête d'épervier, un jeune homme vêtu d'une tunique et coiffé d'un pschent, sur lequel se dresse un uraeus ; il semble faire un geste d'étonnement autant que d'adoration en se trouvant en présence d'Horus ; derrière lui, le boeuf Apis se dresse sur une base. Dans le registre inférieur sont sculptés à une plus petite échelle un personnage vêtu à l'égyptienne, deux Anubis drapés dans un grand manteau, et deux éperviers.

IV. Le culte

Les dieux alexandrins ont dû d'abord, à l'époque de la persécution, être adorés à titre privé à l'intérieur des familles ; leur premier succès a été de prendre place sur l'autel domestique à côté des lares et des génies protecteurs du foyer ; c'est un rôle qu'ils ont toujours conservé depuis. Quand les associations d'isiaques furent parvenues à se faire tolérer, elles élevèrent des temples à frais communs et le culte y reçut une organisation régulière. Il comprenait deux cérémonies par jour ; la première commençait au lever du soleil ; le prêtre ouvrait les portes, et il «éveillait le dieu», en présence du public ; après quelques instants d'adoration, il faisait le tour des autels et y répandait des libations ; puis on annonçait par des chants la première heure du jour. L'autre cérémonie, qui avait lieu dans l'après-midi, était probablement affectée à l'adoration de l'eau sacrée ; le prêtre, tourné vers les assistants, offrait à leur vénération un vase rempli d'eau, cet élément étant considéré comme le principe de toutes choses et comme une émanation d'Osiris. Une fresque d'Herculanum nous a peut-être conservé l'image de cette scène.

Les grandes fêtes du culte isiaque étaient précédées d'une retraite, qui durait généralement dix jours entiers ; les initiés allaient s'enfermer dans les dépendances du temple et ils s'y préparaient par le jeûne et la prière à la solennité prochaine. Le 5 mars avait lieu la fête du Vaisseau d'Isis (Navigium Isidis) ; c'était une date très importante pour les populations des bords de la Méditerranée. Ce jour-là les vaisseaux, qu'on avait tirés à sec au commencement de la mauvaise saison, étaient relancés à la mer. Il faut lire, dans le roman d'Apulée, la longue description qu'il nous a laissée des cérémonies célébrées à Kenchrées, le port de Corinthe. Elles se composaient principalement d'une procession, qui partait de l'Isium, précédée d'une mascarade, et se rendait au rivage en portant la statue de la déesse, parée de ses plus beaux atours ; là on mettait à l'eau en grande pompe un navire neuf, auquel on avait donné le nom d'Isis. C'était le signal attendu par la navigation pour reprendre son cours.

Nous reproduisons un bas-relief du Vatican, qui, s'il n'a point de rapport avec le Navigium Isidis, représente certainement une procession d'isiaques. Les calendriers romains mentionnent encore dans le courant de mars et d'avril trois fêtes de leur culte. Une autre, plus importante, se célébrait en novembre ; c'était celle qui commémorait la Passion et l'Invention d'Osiris ; ces Isia commençaient le 12 par des cérémonies lugubres entourées de tout l'appareil du deuil ; on «cherchait Osiris», c'est-à-dire que les prêtres et les membres des confréries représentaient, avec accompagnement de chants funèbres, le douloureux voyage d'Isis, cherchant le corps de son époux (Zêtêsis). Le 14 novembre avait lieu «l'Invention du dieu» (Eurêsis, Heuresis); aux témoignages de douleur succédait brusquement une explosion d'allégresse (Hilaria) ; les initiés parcouraient les rues en criant : «Nous l'avons trouvé, nous nous réjouissons !» Puis on se réunissait pour prendre part à des banquets ; à la fin de l'Empire, on y ajouta même des jeux dans le cirque. D'autres fêtes locales, qui nous sont moins bien connues, admettaient des rites d'un caractère plus singulier.

L'animal que l'on immolait le plus ordinairement à Isis dans les sacrifices, c'était l'oie ; aussi ce volatile est-il assez souvent représenté sur les monuments du culte alexandrin.

V. Les associations

Les premières associations, fondées dans le monde grec au IIIe siècle pour desservir les autels d'Isis et de Sérapis, furent organisées sur le même modèle que tous les éranes et les thiases, qui honoraient à la même époque les autres divinités orientales ; celles que nous voyons alors se réunir à Cius (Bithynie), dans l'île de Céos, au Pirée, sont présidées par une femme (proeranistria), qu'assistent dans ses fonctions un trésorier (tamias), un secrétaire (grammateus), des commissaires (epimelêtai) et des sacrificateurs (ieropoioi). En Occident, nous voyons paraître un peu plus tard les Isiaci, les collegia Isidis, les Anubiaci, les associés qui se désignent eux-mêmes comme faisant partie «sacrorum Isidis», ou, dans des termes plus vagues, que précise d'ordinaire sur les monuments l'image des attributs de leur culte, telestini, corporati, cultores sacrorum, etc. Le président s'appelle le père (pater) ; il a auprès de lui, pour la besogne administrative, un trésorier (quaestor) ; les associations qui comptent un très grand nombre de membres sont divisées par decuriae, ayant chacune à sa tête un decurio, nominé en certains endroits pour cinq ans. Elles se recrutent par voie de cooptation, en déléguant à un des leurs le pouvoir de faire les choix qu'il jugera bons. Mais toutes les confréries isiaques n'étaient pas organisées partout sur le même modèle. Quelques-unes paraissent avoir tiré leur nom de certains rites qui étaient plus particulièrement en honneur chez elles ; ici ce sont les pausarii Isidis, ainsi nommés parce qu'ils célébraient les processions en s'arrêtant à des reposoirs (pausae), préparés le long de leur route ; là ce sont les pastophores (pastophoroi), qui portaient sur des brancards de petites chapelles légères (pastoi), contenant les images sacrées ; ailleurs, nous rencontrons des thérapeutes (therapeutai), chargés de la toilette et de la nourriture de leurs dieux ; ailleurs encore, des mélanéphores (melanêphoroi), sortes de pénitents vêtus de noir, qui devaient jouer un grand rôle dans les cérémonies lugubres de la Passion d'Osiris. Les confréries religieuses, qui se donnent le titre de matelots à Ephèse (naubatountes) et à Gallipoli (sunnautai), pourraient avoir un rapport avec la fête du Vaisseau d'Isis : pourtant M. Foucart les rattache d'une manière plus vraisemblable aux représentations périodiques du drame osirien ; on racontait que les membres du dieu ayant été dispersés et jetés dans le Nil, Isis les y avait repêchés avec un filet ; en effet, la scène à Gallipoli a lieu dans le Nilaeum, bassin rempli d'eau du Nil, ou qui figurait le Nil ; parmi les associés sont inscrits le chef du collège (archônôn), cinq chefs pour la manoeuvre des filets (diktuarchountes), deux guetteurs (skopiazontes), deux pilotes (kubernôntes), un homme chargé de jeter le filet (phellokalastôn), un veilleur (ephêmereuôn), cinq patrons de chaloupes (lembarchountes), un contrôleur (antigraphomenos). Tous ces personnages avaient dû représenter l'équipage de la barque d'Isis, lancée à la recherche du corps d'Osiris.

VI. Le sacerdoce

Les membres des associations choisissent parmi eux ceux qui doivent exercer les dignités sacerdotales ; les titres portés par les prêtres d'Isis et de Sérapis aux divers degrés de la hiérarchie correspondent à peu près à tous ceux que l'on peut relever dans les autres cultes, et notamment dans les cultes mystérieux [sacerdos, mysteria]. L'organisation du ministère sacré semble avoir varié beaucoup suivant le nombre des adeptes et l'importance du temple ; ici les prêtres étaient nommés pour un an, là ils étaient nommés à vie ; quelquefois il y avait parmi eux des égypto-grecs, qui ne semblent pas avoir eu d'autre profession ; même ceux qui vivaient dans le monde pouvaient toujours aller faire de longues retraites ou fixer momentanément leur domicile dans le pastophorion, corps de bâtiment divisé en cellules qui servait d'annexe à l'Isium. Les femmes étaient admises à la plupart des fonctions sacerdotales ; elles semblent même, en certains endroits, avoir occupé le premier rang dans la hiérarchie.

Nous possédons un très grand nombre de monuments où sont représentées des dames isiaques ; elles portent toujours le costume et les attributs de leur déesse, si bien qu'il est quelquefois difficile de décider si l'on a affaire à une image divine ou à un portrait ; sur les monuments de l'Empire, cependant, les dames affiliées au culte d'Isis sont plus facilement reconnaissables à leur coiffure étagée suivant la mode de leur temps, et leur visage a souvent un caractère individuel, ou du moins l'artiste a fait effort pour imiter leurs traits véritables. Le bas-relief ci-joint représente une dame romaine, Babullia Varilla, femme d'un augustale, qui fut initiée aux mystères d'Isis, comme l'indiquent le sistre dans sa main droite et le petit seau dans la gauche.

La figure ci-dessus reproduit un bas-relief de Rome, où une isiaque du nom de Galatea est représentée avec son mari ; elle porte sur sa poitrine un insigne tout à fait remarquable ; c'est une sorte d'étole, ornée d'étoiles et de croissants. Les hommes qui acceptaient des fonctions sacerdotales devaient se raser complètement les cheveux et la barbe, porter un vêtement de toile et se soumettre à certains principes d'abstinence. Cette nécessité du reste n'était pas incompatible avec l'exercice d'une profession ; lorsque le héros d'Apulée a passé par tous les degrés de l'initiation, il entre dans la confrérie des pastophores, où il est élevé bientôt à la dignité de décurion quinquennal ; à partir de ce jour, il se fait raser la tête : «Loin de chercher à couvrir ou à dissimuler sa calvitie, il se présentait à tous les regards avec allégresse» ; or, il était en même temps avocat. Dans l'Isium de Pompéi, on a trouvé le buste en bronze d'un certain C. Norbanus Sorex, qui a dû y remplir quelque sacerdoce ; il est entièrement dépourvu de cheveux. Quelquefois les Isiaques réservaient seulement sur leur tête rasée une longue mèche, qu'ils laissaient pendre du côté droit ; on peut voir à l'article Ferrum un forgeron de Sens qui avait adopté ce mode de coiffure.

VII. Les temples

Nous avons dans l'Isium de Pompéi un exemple très curieux des temples qui furent consacrés hors de l'Egypte aux divinités alexandrines. Sur l'emplacement de cet édifice, il y en avait un autre plus ancien ; il avait été construit au IIe siècle av. J.-C. ; le tremblement de terre de l'an 63 l'avait renversé. Celui dont les ruines sont encore debout se compose d'un naos (6) prostyle tétrastyle (5), précédé d'un escalier de sept marches ; ce naos occupe le centre d'une cour (4) entourée d'un portique (3). Plusieurs autels se dressent le long de la colonnade (10) ; dans un coin on remarque une édicule (1) conduisant à un petit caveau (13), destiné peut-être aux incubations sacrées, et en face une construction carrée (11) dont on n'a pu jus-qu'ici déterminer l'usage. En arrière du temple est une salle (15), communiquant avec la cour par cinq arcades ; c'était sans doute la schola, où s'assemblait le collège des Isiaques pour ses délibérations et ses banquets. Plus loin vient une pièce qui devait servir de trésor (16) ; à l'extrémité opposée, on peut reconnaître le logement du gardien, et peut-être de quelques prêtres, dans un ensemble de petites chambres, comprenant une salle à manger, une cuisine et une cage d'escalier (18 à 22). Mais ce qui fait surtout l'intérêt du monument, ce sont les peintures qui décoraient les murs, et les nombreux objets relatifs au culte isiaque qu'on y a découverts ; il suffit d'en parcourir la description pour comprendre comment les adorateurs des dieux alexandrins mêlaient l'art de l'Egypte à celui de la Grèce. A côté de figures dont tous les traits sont empruntés à la mythologie hellénique, on a recueilli dans ce lieu et transporté au musée de Naples plusieurs statuettes égyptiennes et trois tables couvertes d'hiéroglyphes. Dans la ville de Rome, il y avait à la fin de l'Empire sept temples consacrés à Isis et à Sérapis ; le plus important, celui dont nous connaissons le mieux l'histoire, s'élevait au Champ de Mars, dans la IXe région, tout près du Panthéon d'Agrippa ; des fouilles pratiquées sur son emplacement à diverses époques, mais surtout celles qu'a dirigées M. Lanciani en 1883, ont rendu à la lumière un grand nombre de monuments de proportions beaucoup plus considérables que ceux de l'Isium de Pompéi. Dans le nombre on remarque des statues du Nil et du Tibre et d'autres figures de style gréco-romain, mais aussi des obélisques, des cynocéphales, des sphinx, qui remontent à l'époque pharaonique, comme l'attestent les hiéroglyphes sculptés à leur surface. Il est donc bien évident que les antiquités d'origine égyptienne qu'on retrouve partout dans le sol de l'empire romain ont été importées, comme nous le voyons à Pompéi et à Rome, pour servir d'objets de dévotion dans des temples ou des chapelles d'Isis, et non pas uniquement pour satisfaire la curiosité des amateurs d'objets exotiques.


Article de Georges Lafaye