A côté des cérémonies et des fêtes de la religion publique, il y avait des cérémonies et des fêles d'une forme secrète, les Mystères, qui exigeaient une préparation spéciale, une initiation, et comportaient des révélations particulières avec l'obligation du secret. L'histoire des Mystères est un des chapitres les plus obscurs de la religion grecque. Le secret a été bien gardé. Nous sommes réduits sur la plupart des points à des conjectures et nous n'avons de renseignements étendus que pour les Mystères de Déméter à Eleusis, des Cabines à Samothrace, et d'Isis.

I. Caractères généraux

Les rapports des peuples primitifs avec la divinité se présentent, en général, sous deux formes principales, selon que la divinité est conçue comme un être fini, voisin et parent de l'homme, ou comme un être infini, redoutable. A la première forme correspondent la religion simple, la mythologie épique avec son monde déterminé de dieux et de héros, les représentations anthropomorphiques, les rites précis, un état d'esprit calme ; à la deuxième la religion mystique, la conception plus ou moins panthéiste des dieux comme forces naturelles, les représentations allégoriques de leur passion, les attributs symboliques, l'exaltation de l'âme. Les Mystères ne sont donc pas un accident, mais une forme générale et nécessaire de la vie religieuse. Historiquement, ils se sont développés plus rapidement chez les peuples orientaux, phrygiens, lydiens, thraces et dans la race dite pélasgique que chez les peuples grecs, romains et germains primitifs : mais, même chez ces derniers, ils devaient nécessairement apparaître avec le développement de la pensée religieuse et philosophique.

II. Origines

Les Mystères ne sont donc ni d'anciennes incantations, analogues à celles des peuples sauvages, destinées, par exemple à Eleusis, à faire obtenir de bonnes récoltes ; ni d'anciens cultes locaux qui seraient devenus, à l'époque historique, l'apanage de familles sacerdotales et qui auraient imposé aux étrangers des formalités d'initiation.

La nécessité d'un enseignement préalable s'explique naturellement par le caractère de la religion à laquelle correspondent les Mystères. Comment s'expliquer l'obligation du secret, maintenue, par exemple à Eleusis, jusqu'à une époque où presque tous étaient initiés et où il n'y avait plus rien à cacher ? Est-ce parce que chaque ville avait ses dieux protecteurs, qu'elle devait cacher aux étrangers, qu'il fallait préserver de tout dégât, de tout enlèvement, et qu'ainsi beaucoup de temples ne s'ouvraient qu'une fois par an ou, en général, aux seuls prêtres parce qu'ils renfermaient des Palladia de ce genre ? Mais on a fait remarquer justement que ce genre de secret était plus exclusif que mystérieux, qu'il ne tenait qu'à des raisons politiques et qu'à l'époque historique tous les cultes auraient dû devenir mystérieux, puisqu'ils avaient tous eu, à l'époque primitive, ce caractère local et exclusif. Il ne faut pas attacher plus d'importance aux raisons locales ou fondées sur le caractère d'un culte qui excluaient du sanctuaire ou de certains actes religieux telle ou telle catégorie de personnes, par exemple du temple de Leukothéa à Chéronée les esclaves et les Etoliens, de celui d'Athéna sur l'Acropole d'Athènes les Doriens, de celui d'Héra à Argos et à Amorgos les étrangers. Nous rejetons également l'hypothèse que d'anciens cultes des Pélasges seraient devenus mystérieux parce que ces peuples vaincus et asservis auraient continué à les pratiquer en secret. L'hypothèse la plus probable est celle de Preller : l'obligation du secret découle de la sainteté même des rites. Le silence est nécessaire dans la cérémonie, comme marque d'attention ; il est encore nécessaire après la cérémonie, parce qu'on ne doit pas profaner les choses saintes en les répétant, en les imitant en dehors de l'initiation.

Ottfried Müller a démontré que c'était dans le culte des divinités chthoniennes et productrices, essentiellement pélasgiques, qu'avaient dû se développer le plus particulièrement et le plus tôt les rites mystiques. Mais il a tiré de ce principe juste des conséquences exagérées en considérant comme chthoniennes toutes les divinités pour lesquelles il y a eu des Mystères. Si Déméter et le Dionysos primitif, celui des plus anciennes fêtes triétériques, ont eu ce caractère, nous ne savons pas exactement quel était celui du Zeus crétois dont les Mystères passaient pour très anciens.

L'apparition des rites mystiques remonte probablement à une très haute antiquité, à l'époque même de l'établissement des tribus grecques dans la Grèce. Si l'époque homérique les passe presque entièrement sous silence, c'est sans doute parce que les rhapsodes ont compris que l'élément héroïque s'accommode mal de l'élément mystique ; d'ailleurs les rites de l'évocation des morts par Ulysse et les épithètes que porte Dionysos laissent voir que l'épopée suppose déjà les plus importants des dogmes et des mythes des Mystères.

III. Développement historique et influences étrangères.

Comme le montrent les Mystères de l'Asie Mineure et de la Phrygie, nés du fonds de traditions religieuses commun à ces peuples et aux Grecs, les cultes pélasgiques pouvaient spontanément donner naissance aux Mystères grecs. Mais cependant il faut faire ici une large part aux influences étrangères, mémo pour l'époque primitive. On a mis hors de doute l'influence de la Thrace pour les Mystères de Dionysos. Celle de l'Egypte pour Déméter est également certaine. C'est à tort qu'on a souvent rejeté sur ce point les assertions unanimes des auteurs grecs, en prétendant qu'ils avaient été trompés par des analogies superficielles, par les assertions mensongères, les rapprochements arbitraires des prêtres égyptiens. Les témoignages qu'on a sur la marine égyptienne pour la sixième dynastie, surtout pour Thoutmès III, sur l'existence d'un empire égyptien dans le bassin de la mer Egée du XVIIe au XIIIe siècle, les découvertes d'objets égyptiens dans la tombe dite de Minyas à Orchomène, dans celles de Mycènes, dans une nécropole d'Eleusis antérieure au VIIIe siècle, et surtout les découvertes récentes faites à Cnossos en Crète ont confirmé les textes classiques et prouvé que l'Egypte a été en rapports directs avec la Grèce au moins dès le XVIe siècle. Ce n'est donc pas sans raison que les Grecs ont assimilé Déméter et Dionysos avec Isis et Oisiris. Isis et Déméter sont toutes les deux des déesses de l'agriculture et de la civilisation. Il y a une ressemblance étroite entre la mission de Triptolème et celle d'Osiris. Osiris est aussi, en Egypte, le roi des Enfers. Nous savons, d'autre part, que la religion d'Isis avait, en Egypte, des représentations sacrées de l'histoire de la déesse, que ne connaissaient pas les profanes et que les initiés ne devaient pas révéler, et que l'initiation garantissait le bonheur dans l'autre monde. Certains rites grecs, la nécessité pour l'hiérophante d'avoir une voix juste, pour les mystes d'avoir une voix intelligible, l'obligation de ne révéler qu'aux initiés le nom véritable des dieux des Mystères paraissent également s'expliquer par des croyances égyptiennes.

On a répondu victorieusement à l'objection que chez les Egyptiens il y a le couple Isis et Osiris, tandis que chez les Grecs Osiris a disparu et n'a été remplacé que plus tard par Dionysos : le culte classique d'Eleusis a caché le culte plus ancien d'une divinité chthonienne, mâle et femelle, appelée «le dieu et la déesse» (o theos kai ê thea), qui figure sur une inscription du Ve siècle av. J.-C. à côté de Déméter, Coré, Triptolème et Eubouleus, sur des bas-reliefs où le dieu s'appelle Pluton ; elle a encore un prêtre à l'époque d'Hadrien, et le culte de Pluton a été restauré sous l'administration de l'orateur Lycurgue. Dans l'Attique, le dieu mâle, que le dieu des Enfers Aidoneus représente encore dans l'hymne homérique à Déméter, a été démembré de bonne heure en héros Triptolemos et Eubouleus, synonyme de Pluton, et la déesse s'est décomposée en deux déesses, Déméter et Coré, dont le rôle est devenu prépondérant. Nous constatons la même évolution dans les îles où le culte primitif s'est souvent mieux conservé. A Myconos on trouve, d'une part, Zeus Chthonios et Gè Chthonia, de l'autre Déméter, Coré et Zeus Bouleus ; à Paros, où Hérodote appelle Déméter une divinité chthonienne, on trouve Déméter, Coré, Zeus Eubouleus. Amorgos, Délos, Cnide possèdent la même triade ; à Hermione et Asiné, la vieille divinité tellurique dont on célèbre encore très tard la fête, les chthonia, a formé aussi une Déméter Chthonia, une Coré et un dieu infernal, Clymenos.

A quel moment la divinité primitive a-t-elle subi la transformation et les dédoublements qu'on vient de voir et reçu la légende de Déméter et de Coré ? On peut remonter jusqu'à l'époque probable de la fondation des colonies ioniennes de l'Asie Mineure et de l'Archipel, jusqu'au XIe siècle. C'est vraisemblablement par les fondateurs de ces colonies que la triade dite éleusinienne, de Déméter, de Coré et de Zeus Eubouleus, a été importée dans les Cyclades, et ailleurs, ainsi à Ephèse et à Milet. Elle s'est propagée rapidement aussi dans les autres parties du monde grec. Eleusis parait tirer son nom d'une épithète de la divinité, enêlusiê, eileithuia, qui rappelle son séjour légendaire dans beaucoup de localités. Déméter avait le surnom d'Eleusinie dans plusieurs endroits de la Laconie, de la Béotie, de l'Arcadie, et on ne peut admettre que cette épithète soit venue partout d'Eleusis ; il y avait le mois Eleusinios à Théra et à Olus en Crète ; en Béotie, près du lac Copaïs, il y avait eu une Eleusis disparue ; une inscription archaïque de Laconie mentionne le concours des Eleuhynia. Beaucoup de Mystères, par exemple ceux de Despoina dans l'Arcadie, paraissent aussi anciens que ceux d'Eleusis.

L'influence de l'Egypte sur les Mystères de Déméter parait donc incontestable. Mais peut-être y a-t-il eu aussi l'influence simultanée des Mystères béotiens de Dionysos. Les plus anciennes fêtes de Dionysos, du dieu de la végétation, les Triétériques du Cithéron et du Parnasse, les Aiôleiai d'Orchomène avaient en effet aussi un caractère mystérieux par l'exclusion des hommes, l'inspiration divine, les rites purificatoires, les initiations. Euripide, dans les Bacchantes, y voit de vrais Mystères soumis à la loi du secret.

Pendant cette période, le caractère agraire domine encore dans les fêtes de ces divinités chthoniennes transformées. Ce sont les Haloa, les Chloia, les Kalamaia, et en général les Thesmophoria. Les Haloa ont gardé jusqu'à la fin le caractère de Mystères, avec une initiation accessible aux femmes seules, un échange d'apostrophes grossières, la représentation des organes des deux sexes, l'interdiction d'un certain nombre d'aliments, tels que la grenade, la pomme, les oiseaux de basse cour, les oeufs, le rouget, le squale. Il en est de même des Thesmophories : partout elles sont célébrées exclusivement par les femmes, de naissance civique, mariées légalement et qui doivent s'abstenir de rapports charnels pendant la fête et sans doute quelque temps auparavant. Elles comportent certainement une initiation ; c'est attesté pour Smyrne, pour Myconos, et plusieurs textes appellent cette fête de l'Attique les Mystères d'Halimus ; à Athènes, la direction, le droit de sacrifier et d'initier appartiennent à la prêtresse de Déméter. Ces Mystères n'ont pas encore de rapport avec la vie future ; ils n'expriment symboliquement que la fécondité universelle.

Il est probable que les Mystères des Grands Dieux ont eu la même origine et le même développement. C'est sur le culte d'une divinité pélasgique et chthonienne antérieure que s'est greffé partout, à Samothrace, à Délos, à Imbros, à Lemnos, à Thèbes, à Andania, le culte des Cabires phéniciens devenus les Grands Dieux. A Samothrace, la déesse femelle s'est décomposée en deux déesses, Axieros, Axiokersa (Déméter, Coré), et les dieux mâles les Cabires ont été assimilés à d'autres dieux d'origine pélasgique, Axiokersos à Zeus, Hadès ou Hephaistos, plus tard à Dionysos, et Casmilos à Hermès, plus tard à Dionysos jeune. Nous ne savons rien de précis sur Délos, ni sur Imbros où la vieille divinité était sans doute Hermès Imbramos. A Lemnos c'est à Héphaistos, le dieu chthonien du feu, qu'avait été assimilé le principal Cabire, et ce sont probablement les Mystères d'Héphaistos qui ont subsisté sous le nom de Mystères des Grands Dieux. A Thèbes, les Mystères des Cabires remonteraient, d'après Pausanias, à une très haute antiquité ; mais la partie la plus ancienne du Cabirion qu'on a retrouvé ne paraît pas antérieure au VIe ou au Ve siècle av. J.-C., et l'existence de deux fosses à sacrifices prouve qu'ici encore le culte des Cabires s'était ajouté à un vieux culte chthonien ; le Cabire principal fut identifié avec Dionysos et le Cabire secondaire avec un Dionysos jeune, car une coupe représente le premier avec les traits de Dionysos et le second comme un enfant jouant. Nous savons d'autre part que Déméter Kabeiria et Coré avaient un temple voisin du Cabirion ; elles avaient donc été associées au culte des Cabires, plus tôt que ne le dit la légende rapportée par Pausanias, et c'est probablement dans leur temple qu'avaient lieu les Mystères ; le Cabirion n'était qu'un temple secondaire. A Andania nous ne savons pas exactement quels étaient les dieux des Mystères ; Pausanias donne Déméter et Coré (Hagna) ; l'inscription ne cite que les Grands Dieux auxquels sont associés plusieurs dieux et déesses qui reçoivent des sacrifices au moment de la fête, Déméter, Apollon Carneios, Hermès, Hagna, la nymphe de la source. Les vrais dieux des Mystères paraissent donc être les Grands Dieux ; cependant le rôle que jouent des figurantes dans la représentation sacrée nous fait croire que Déméter y avait sa place. Nous trouvons donc probablement ici encore une triade mystique composée de Déméter et des Cabires, dont le culte a continué un ancien culte chthonien.

IV. Le problème de la vie future

Nous arrivons ensuite à une deuxième période, où dans tous les Mystères en général s'introduit un élément nouveau, le problème de la destinée humaine, la croyance à l'immortalité de l'âme. Le terrain avait été préparé par les progrès de la civilisation, de la pensée religieuse et philosophique. Mais faut-il croire que cette notion de l'immortalité de l'âme serait sortie par une évolution naturelle de la religion primitive et naturaliste des Grandes Déesses d'Eleusis, ou faut-il encore ici admettre l'emprunt à l'Egypte de la doctrine de la vie future ? La seconde opinion parait la plus vraisemblable. Elle est fortifiée par l'extraordinaire ressemblance qu'il y a entre les Mystères d'Isis et ceux de Déméter. A quelle époque s'est produite cette innovation ? Quand apparaissent, à côté des anciens Mystères, des Haloa, des Thesmophoria les nouveaux Mystères, ouverts aux deux sexes, qui comportent plusieurs degrés d'initiation et garantissent 1e bonheur après la mort ? A propos du culte éleusinien Hésiode ne cite pas les Mystères, mais ils sont dans l'hymne homérique à Déméter. On peut donc accepter la date du VIIe siècle av. J.-C. pour Eleusis. Le même changement a dit aussi se produire à Samothrace. Le VIIe siècle est précisément 1a date où les Ioniens d'Asie Mineure et les Grecs insulaires entrent en contact direct et définitif avec l'Egypte, par la fondation de Naucratis et de Daphnae, dans le Delta du Nil. C'est probablement un peu plus tard, dans la première moitié du VIe siècle, qu'il y eut une sorte de fusion des Mystères dionysiaques et des Mystères des Grandes Déesses, que Dionysos, encore absent dans l'hymne homérique, supplanta définitivement le vieux dieu pélasgique Pluton-Hadès, et que dans certains endroits, comme à Lerne, à ses anciennes fêtes furent associées Déméter et Coré.

A partir de ce moment nous assistons à un immense développement des Mystères que favorisent l'extension du commerce, des relations de la Grèce avec les pays voisins, l'affluence des métèques et des esclaves étrangers, les nouveaux besoins moraux, le progrès de la croyance à l'immortalité de l'âme qui exige de nouvelles purifications, de nouvelles garanties pour la vie future. La religion d'Eleusis s'étend dans tout le monde grec, soit par la fondation de Mystères similaires, soit par la transformation d'anciens cultes pélasgiques. On s'efforce partout, au détriment de la vérité historique, comme le montrent les traditions recueillies par Pausanias, d'assimiler à Déméter et à Coré de vieilles divinités locales, d'attribuer à Eleusis l'origine de tous les Mystères.

D'autre part les Orphiques introduisent quelques innovations dans les Mystères. On a souvent exagé l'influence de l'orphisme sur ce point [Orpheus]. La cosmogonie de l'orphisme, sa doctrine de l'autre vie fondée sur la métempsycose et la palingénésie n'ont certainement jamais pénétré dans les Mystères. Mais c'est l'orphisme qui a fait entrer à Eleusis la légende du Dionysos Zagreus, très probablement représentée dans les Mystères, qui, n'étant au fond que la légende d'Osiris, venait probablement aussi de l'Egypte, peut-être par l'intermédiaire de la Crète. L'orphisme a dû aussi influer sur d'autres Mystères, par exemple à Samothrace ; une coupe trouvée au Cahirion de Thèbes montre des personnages et des noms orphiques, l'homme primitif Pratolaos, un personnage féminin Prateia, le mot Mitos (semence).

A partir de la guerre du Péloponnèse, la Grèce est envahie par les Mystères étrangers, de plus en plus compliqués, déréglés ; la Phrygie, l'Asie Mineure, la Syrie, l'Egypte introduisent les cultes de Sabazios, d'Attis, de Cybèle, d'Aphrodite, d'Isis, soit publiquement, soit dans les thiases. Ils agissent et réagissent les uns sur les autres.

V. Les Mystères dans le monde romain

Le monde romain recoit dès la République et agrandit considérablement sous l'Empire cet héritage de la Grèce, de l'Orient et de l'Egypte. Le syncrétisme religieux qui se développe surtout à partir du IIe siècle ap. J.-C., la préoccupation de plus en plus marquée de la vie future, la multiplication des confréries religieuses favorisent encore l'extension des Mystères. C'est dans les Mystères que les dévots cherchent l'union mystique avec la divinité. Ce sont les Mystères que les païens opposent au christianisme. Ils sont plus populaires que jamais ; presque tous les dieux ont les leurs ; il en naît de nouveaux, par exemple ceux de Mithra. C'est une mode que de se faire initier au plus grand nombre possible de Mystères pour y trouver la vérité universelle. Les doctrines philosophiques affectent des formes mystérieuses. Les charlatans font des parodies des Mystères : sous Marc-Aurèle, Alexandre le Paphlagonien institue à Abon les Mystères de son dieu Glycon, en exclut les chrétiens, les épicuriens, les athées, célèbre la naissance d'Apollon, d'Esculape et de Glycon, le mariage de la mère d'Alexandre avec Podalire, fils d'Esculape, les amours d'Alexandre avec la Lune, la naissance de la femme de Rutilien. L'acharnement avec lequel Clément d'Alexandrie, Arnobe, Lactance s'attaquent aux enseignements des Mystères montrent quelle importance ils conservaient à la fin du paganisme. Ils paraissent d'ailleurs alors s'être fondus les uns dans les autres, avoir accepté de nouvelles interprétations philosophiques. La philosophie néoplatonicienne parait s'être introduite dans les enseignements des hiérophantes d'Eleusis et inversement les teletai théurgiques des néoplatoniciens, avec leurs incantations, leurs sacrifices, peuvent être considérées comme des Mystères philosophiques.

Plaçons-nous de préférence à la fin de l'histoire de la Grèce indépendante pour étudier les Mystères.

VI. Terminologie

Trois mots ont désigné les Mystères : teletai, orgia, mustêria ; en latin, le mot initia. Le mot orgia, qui a eu au début un sens très large, a fini par désigner surtout les transports extatiques du culte de Dionysos. Le mot teletê, d'abord aussi d'extension très large, a désigné dans un sens restreint l'état que procure l'accomplissement des rites, la perfection de l'initiation. Mustêrion vient de muô, fermer la bouche, et signifie le secret, le culte secret, les actes rituels et aussi les objets du culte (ta mustika, ta aporrêta). Mustikos a pris par extension le sens de symbolique, d'allégorique.

VII. Classement.

Les listes que nous avons des Mystères sont très incomplètes et il est difficile de les classer systématiquement. On peut cependant distinguer : les fêtes mystiques avec ou sans initiation, les Mystères complets, les Mystères des thiases, les Mystères orphiques.

A. Les fêtes mystiques

1° Les Dionysies. Ce sont des fêtes orgiastiques, surtout nocturnes. On a vu le caractère des anciennes fêtes triétériques de Dionysos, célébrées d'abord dans la Béotie, puis à Delphes où tous les neuf ans la fête mystérieuse dite Êrôis célébrait le retour de Sémélé de l'enfer, et dans une foule d'autres villes grecques, ainsi à Lerne, à Magnésie du Méandre, peut-être à Sparte où il y avait vers le Taygète, à côté de l'ancienne ville de Bryseai, un temple de Dionysos ouvert aux seules femmes. Plus tard c'est le nouveau Dionysos mystique, devenu chthonien par son assimilation avec Hadès et son union avec Déméter, qui est le dieu des Mystères dionysiaques célébrés soit officiellement, comme ceux de la Grande Grèce, soit dans des thiases et des corporations d'orgéons, en Grèce, en Italie, à Rome. Quant aux fêtes de Dionysos à Athènes, il est probable qu'il y avait des rites mystérieux aux Lénéennes, puisque l'archonte-roi y jouait un rôle avec les épimélètes des Mystères. Aux Anthestéries il y avait le deuxième jour une cérémonie mystérieuse à la fois au vieux temple de Dionysos à Limnai, ouvert seulement pour cette fête, et dans le Bucoléion, local de l'archonte-roi : le rôle principal appartenait à la Basilissa, femme du Basileus, qui devait être Athénienne de naissance et n'avoir été mariée qu'une fois, et aux Gerairai (gerarai) choisies par l'archonte-roi parmi les matrones. Elles juraient sous l'assistance du hiérokeryx de remplir les conditions nécessaires, de ne rien révéler ; elles accomplissaient certains rites à quatorze autels ; la Basilissa entrait dans le Bucoleion et, avec des rites inconnus, contractait avec Dionysos le mariage secret dont nous ne connaissons pas le sens.

2° Les Haloa et les Thesmophoria de l'Attique, fêtes déjà vues [Ceres].

3° Les Thesmophoria du monde grec [Ceres]. Ajoutons ici quelques détails. A Pellène, en Achaïe, les Thesmophoria du Myseon duraient sept jours ; pendant deux jours la fête était commune aux deux sexes ; le troisième était réservé aux femmes avec des rites nocturnes ; puis les hommes étaient de nouveau admis. A Smyrne, le collège des Mystes de Déméter Thesmophoros avait à sa tête deux femmes des premières familles, les theologoi.

4° En Arcadie, Acacesion près de Lycosoura et Thelpusa avaient le très ancien culte mystérieux de Despoina [Eleusinia et Ceres] ; à Acacesion il y avait un megaron souterrain, le rituel était affiché dans un portique, et on y a trouvé récemment une inscription qui contient les prescriptions suivantes : on ne devait porter dans le temple ni bijoux d'or, ni bagues, ni vêtements de pourpre ou brodés de fleurs ou de couleur foncée, ni sandales ; les hommes ne devaient pas être couverts, les femmes ne devaient ni avoir les cheveux relevés, ni se faire initier étant enceintes ou allaitant.

5° A Epidaure et à Egine la fête de Damia et Auxesia, divinités chthoniennes, assimilées plus tard à Déméter et à Coré ; les rites rappelaient les Thesmophories ; les femmes échangeaient des injures ; chaque divinité avait un collège de dix prêtres qui conduisaient les choeurs ; Epidaure seule avait la partie mystérieuse du culte.

6° La fête annuelle d'Héphaistos ou des Grands Dieux à Lemnos : pendant les neuf jours où un navire allait à Délos chercher le feu nouveau, les feux restaient éteints ; il y avait des purifications, des expiations, des appels à des dieux chthoniens ; les hommes et les femmes observaient la continence.

7° La fête des Dioscures, des anaktes paides, à Amphissa de Locride.

8° Les Mystères de Zeus dont nous ne savons presque rien. A Cnossos de Crète, le mythe de Zeus, en particulier ses noces avec Hera, avaient des représentations publiques : faut-il croire, avec Preller, que la fête du dieu du ciel avait lieu, non pas la nuit, dans un enclos secret, mais de jour, en plein air, sans préparation spéciale et qu'elle n'en comportait pas moins des actes mystérieux ? Cette explication est satisfaisante ; il y avait probablement en effet de vrais Mystères : Pythagore, initié par les Curètes, purifié avec une pierre de foudre, couvert de la toison d'une brebis noire, aurait pénétré dans l'antre du mont Ida et vu le siège où Zeus était né. Il y avait au Comyrion, dans l'enceinte sacrée de Panamara, près de Stratonicée en Carie, des Mystères sans doute de Zeus Komurios.

9° Le culte d'Hécate pratiqué à Lagina de Caries, à Samothrace sur la colline zérinthienne, à Egine où il y avait probablement des rites expiatoires et où on demandait à la déesse de protéger contre la folie.

10° Les Mystères de Thétis, déesse d'origine chthonienne, dont nous ne connaissons guère que le nom.

11° Le culte orgiastique de Rhéa, confondu de bonne heure avec celui de Cybèle, en Troade, en Phrygie, en Grèce.

12° Les Mystères d'Aphrodite à Chypre. En Thessalie elle avait une fête ouverte seulement aux femmes.

13° Les Mystères d'Artémis à Perge en Pamphylie.

B. Les Mystères complets

1° Les Mystères dits des Grands Dieux à Samothrace et dans les lieux qu'on a vus.

2° Les Mystères d'Isis [Isis].

3° Les Mystères d'Eleusis [Eleusinia]. Il faut y rattacher les Mystères qui en dérivent, dans les mondes grec et romain ; l'article Ceres a déjà énuméré avec leurs particularités ceux de Lerne, d'Hermione, d'Andania, de Phénéos, de Cyzique, de Syracuse. Ajoutons encore les cultes de Pellène ; de Phlius où les Mystères pentétériques avaient un hiérophante qui pouvait se marier ; de Mégare au rocher Anakletra ; de Trapezus d'Arcadie ; de Mégalopolis qui avait un immense telesterion ; de Mantinée où Coré avait un collège de prêtres annuels, les Kopagoi, avec la fête des Choragia, des Mystères où on représentait le retour de Coré sur la terre, une procession où la statue de la déesse recevait l'hospitalité chez une femme de la ville et rentrait au temple, accessible au public pour cette circonstance ; de Sicyone où les hommes et les femmes avaient des locaux spéciaux pour la fête de Déméter Prostasia ; de Béotie ou nous ne connaissons que de nom la fête des epachthê ; de Mytilène ; de Paros ; d'Ephèse où il y avait sans doute des Mystères à côté des Thesmophories ; de Néapolis (Naples). En Italie, il faut voir une imitation des Mystères d'Eleusis dans la fête annuelle que les femmes célébraient à Rome, au mois d'août, en l'honneur de Cérès, dès la deuxième guerre punique, et qui est sans doute identique à ces Mystères de Cérès, dont parle Cicéron, les seuls qu'il permette aux femmes : pendant toute la fête, les femmes ornées de bandelettes et d'une coiffure spéciale, vêtues de blanc, devaient s'abstenir de pain et probablement garder la continence ; la scène principale des représentations était les Orci nuptiae, sans doute une hiérogamie. C'est sûrement aussi le culte de Déméter qui a transformé et revêtu d'un caractère mystérieux, probablement après la prise de Tarente, en 272, le vieux culte romain de la bona Dea : ouvert aux femmes seules, il a un caractère public ; l'Etat offre le sacrifice par la femme d'un magistrat dans la maison duquel a lieu la fête, et par les Vestales ; la prêtresse s'appelle damiatrix ; on connaît comme rites des abstinences, le sacrifice d'une truie, l'emploi du vin sous un autre nom, une veillée sacrée.

C. Les Mystères des thiases

Les cultes des thiases, sauf celui du Dionysos mystique, sont presque tous étrangers ; pratiqués surtout par les étrangers et les esclaves, ils ont pour caractères communs les purifications, les danses orgiastiques, les symboles d'un naturalisme grossier. Les purifications et les expiations indiquées par les agyrtes, métagyrtes, ménagyrtes effacent les fautes, assurent lebonheur après la mort. Les principaux dieux connus sont :

1° Sabazios. Les Mystères thraces de Sabazios avaient passé dans la Grèce et l'Asie Mineure, et s'y étaient confondus en partie avec ceux de Cybèle et surtout ceux de Dionysos. Dans l'Asie Mineure, le Dionysos de beaucoup de thiases est sans doute Dionysos Sabazios ; les mystes s'appellent souvent boukoloi. A Pergame on trouve un archiboukolos (archibuculus), des umnodidaskaloi, des seilênioi, un chorège ; à Apollonia, un liknophoros, un boukolos, un kistophoros, un kratêriakos, une archibassara ; à Téos, les mystes de Dionysos Sêtaneios ; à Smyrne les mystes de Dionysos Briseus avec un bacchos, un patromustês, un umnôdos. A Athènes, dans le thiase de Sabazios, à l'époque de Démosthène, les fidèles, couronnés de peuplier blanc et de fenouil, faisaient pendant le jour des processions, où figuraient la corbeille aux gàteaux sacrés et le van mystique, aux cris de : euoi saboi, uês attês ; la nuit avaient lieu les purifications et l'initiation, dirigées par une prêtresse ; un lecteur, anagnôstês, lisait sans doute les formules à l'initié ; le purificateur, kathartês, portait la nébride ; l'initié était arrosé avec l'eau du cratère, frotté avec l'argile et le son, et répétait la formule : «J'ai fui le mal, j'ai trouvé le mieux» ; il y avait certainement une époptie avec une hiérogamie, l'union de Zeus transformé en serpent avec sa fille Coré-Pherephatta, d'où naissait Sabazios à la figure de taureau. Un acte symbolique était l'introduction du serpent par le haut du vêtement des initiés. On peut rattacher à Dionysos Sabazios Isodaites et Nycteleos, dont les thiases célébraient des Mystères avec initiation et époptie.

2° Adonis, dont le culte, pratiqué surtout par les femmes et les courtisanes, avait des rites orgiastiques et des Mystères d'un naturalisme grossier.

3° Attis et Cybèle. Les Mystères phrygiens de Cybèle, dont les légendes étaient analogues à celles d'Isis, s'étaient répandus dans l'Asie Mineure, en Grèce, souvent mélangés à d'autres cultes, à ceux de Rhéa, d'Hermès. A Athènes les Orgéons du Pirée célébraient les Mystères d'Attis avec des purifications, des exhibitions d'objets sacrés, des représentations, une époptie ; certains actes des Mystes étaient indiqués par la formule, analogue à celle d'Eleusis : «J'ai mangé dans le tympanon, j'ai bu dans la cymbale, je suis devenu myste d'Attis».

4° Bendis et Cottyto. Dans les thiases de Cotytto, les initiés avaient à peu près les mêmes rites que ceux de Sabazios ; il y avait la purification par l'eau, comme l'indique le mot baptai ; et les mêmes objets symboliques que pour Cybèle, le tambour et la toupie.

D. Les Mystères orphiques

Les plus anciens écrits orphiques, composés probablement à l'époque de Pisistrate, étaient le résultat d'un syncrétisme religieux et philosophique, le mélange de nombreux éléments, grecs, orientaux, phrygiens, et surtout égyptiens ; aussi y a-t-il des rapports nombreux entre les cultes de l'Attique et la littérature orphique. La théologie orphique sur le péché originel de l'homme, sur la palingénésie des âmes, impliquait la nécessité de purifications, d'abstinences, d'expiations pour le bonheur dans l'autre vie. Elle se communiqua comme une initiation. C'est à tort qu'on a souvent considéré les orphiques comme un ordre véritable, une secte ; il n'y avait d'une part que des prêtres privés, les orphiques de Platon, les orphéotélestes dont parlent d'autres textes, d'autre part des thiases isolés qui se rattachaient à Orphée comme fondateur, et suivaient les préceptes communs de la vie orphique, dont les principaux étaient les purifications, l'interdiction de la viande des animaux, des fèves, l'ensevelissement des morts dans le lin et non dans la laine. Les exercices religieux communs, prières, représentations des ieroi logoi, révélation de formules pour guider les défunts aux enfers, étaient de véritables Mystères soumis à la loi du secret. Nous ne savons les dates ni du début ni de la fin de ces thiases ; mais ils ont duré fort longtemps comme le prouve l'abondance des écrits orphiques. C'est vraisemblablement pour des thiases de la Grande Grèce qu'a été composé, au moins au IVe siècle av. J.-C., à l'exemple du Livre des Morts égyptien et sans doute aussi des révélations d'Eleusis, un rituel en vers évidemment d'origine orphique, destiné à guider le défunt aux Enfers par des indications très précises, à le mener sans danger au séjour des bienheureux, et qu'il emportait avec lui. On a trouvé des fragments de ce rituel, devenus sans doute de simples amulettes, gravés sur des lames d'or, dans des tombeaux, à Pétilia, à Thurii et aussi à Eleutherna en Crète ; ils nomment des divinités orphiques, Phanès, Euclès, Eubouleus, Perséphonè appelée aussi Despoina. On a conjecturé aussi avec raison que les hymnes orphiques n'étaient pas des fictions littéraires, mais qu'ils avaient été écrits pour une confrérie orphique (laoi) dont les membres s'appellent mystes, mustipoloi, orgiophantai, qui a un boukolos, qui offre des sacrifices, célèbre des teletai, des orgiai.

VIII. Règlements et personnel

Nous avons vu les détails connus pour les fêtes mystiques et les Mystères orphiques et des thiases. A partir d'une certaine époque les règlements furent affichés dans plusieurs villes à la porte du temple : ainsi à Acacésion, à Phénéos, à Andania. A Phlius une partie des scènes mystiques était peinte sur un portique.

Pour les Mystères d'Isis et de Samothrace, nous renvoyons aux articles Isis et Cabiri.

1° Eleusis

L'article Eleusinia a exposé en général les règlements et le personnel. Nous avons à exposer ici le détail des fonctions.

A. Les Eumolpides et les Keryces. A l'époque historique, mais peut-être seulement, depuis la chute de la royauté, ces deux familles sont maîtresses des Mystères. Elles ont avec l'archonte-roi, les hiéropes et les quatre épimélètes l'intendance du temple, mais non l'administration de la fortune des deux déesses qui appartient à des trésoriers et aux épistates d'Eleusis ; elles fournissent les spondophores ; c'est en leur nom que le hiérophante et le dadouque font la proclamation, invitent les villes helléniques à consacrer à Déméter et à Coré les prémices de leur récolte.

Les Eumolpides. Ajoutons ici que les Eumolpides possèdent seuls les objets sacrés, ta iera, ont seuls la liste des mystes admis à l'initiation. Il n'est pas prouvé qu'ils aient constitué un tribunal pour les affaires d'impiété.

Les Keryces possèdent sans doute un local à Eleusis dans l'enceinte sacrée ; ils fournissent pour les Mystères le dadouque, le hiéroceryx, le o epi bômô, et un des quatre épimélètes.

B. Les autres familles attachées au culte, ta genê ta peri tô Theô. On connait les Philleidai qui fournissent la prêtresse de Déméter et de Coré, les Krokônidai, les Koirônidai, les Eudanemoi, les Phutalidai, les Bouzugai.

C. La iera gerousia, connue seulement par deux inscriptions de l'époque impériale et dont on ne connaît ni la composition ni la compétence.

D. Le hiérophante, o ierophantês. Désigné à vie par le sort dans la famille des Eumolpides, il peut se marier, au moins jusqu'à l'époque des Antonins ; il a eu, au moins depuis la fin du IIIe siècle av. J.-C., l'hiéronymat ; il porte pendant les cérémonies la robe en laine couleur de pourpre avec des broderies et le bandeau (strophion) ; il dirige les Mystères, envoie 1es spondophores, surveille la préparation des mystes, fait la proclamation du concert avec le dadouque, prend une part active aux cérémonies de l'initiation, joue avec la prêtresse l'union de Zeus et de la déesse, montre aux mystes les objets sacrés, dit les formules secrètes. En outre, il intervient dans les cérémonies des autres temples d'Eleusis, désigne les citoyens chargés d'offrir un banquet sacré à Pluton, à Athènes ; il conduit la procession des Kalamaia avec le démarque et le collège des prêtresses ; il annonce la fête des proêrosia et assiste avec les prêtresses d'Eleusis à la veillée sacrée ; dès le Ve siècle av. J.-C., aux grands et aux petits Mystères, il touche de chacun des mystes une redevance d'une obole par jour ; à l'époque romaine, il surveille les poids et mesures des marchands pendant la fête ; sous l'Empire, il a une place au premier rang au théâtre de Dionysos ; il figure avec le dadouque, le o epi bômô, et le hiérocèryx parmi les aeisitoi nourris au prytanée ; il est une sorte de chef du culte et a souvent occupé les plus hautes fonctions publiques.

E. Le dadouque.

F. Le hiérocèryx (o ierokêrux), le héraut sacré ; élu à vie parmi les Keryces, il fait aux mystes les proclamations nécessaires, recommande le silence, assiste à toute l'initiation, recoit de chaque myrte une demi-obole par jour ; il a sous l'Empire un siège au théâtre de Dionysos.

G. Le o epi bômô.

H. Le Phaiduntês toin theoin, chargé de garder et d'entretenir les objets sacrés, d'annoncer leur arrivée à Athènes à la prêtresse d'Athéna.

I. Le Iacchagôgos, élu à vie, chargé de conduire à Eleusis et d'en ramener le jeune Iacchos ; il a le titre de prêtre et un siège au théâtre.

J. Le iereus theou kai theas, qui a peut-être un rôle dans les Mystères.

K. Le Panagês, qui a un siège d'honneur au théâtre, mais dont on ignore les fonctions.

L. Les prêtresses. Il n'y a pas, comme on l'a cru, de hiérarchie féminine, parallèle à celle des prêtres.
1° Les deux hiérophantides (ai ierophantides), une pour Déméter, une pour Coré, choisies à vie parmi les Eumolpides ; on connait surtout celle de Déméter ; elle est hieronyme, peut se marier, prend part à l'initiation, a peut-être un siège au théâtre.
2° Les iereiai panageis, prêtresses astreintes au célibat ; elles président au festin des femmes pendant la fête des Haloa, prennent part à la procession des Kalamaia et à la veillée sacrée du 7 Pyanepsion, sont logées et entretenues à Eleusis aux frais des Déesses, portent les objets sacrés au passage des lacs, le 14 Boédromion.
3° La prêtresse de Déméter, ê iereia tês Dêmêtris. Elue à vie parmi les Philaides, elle représente sans doute le plus ancien culte d'Eleusis et habite dans l'enceinte sacrée : elle préside à l'initiation des Haloa ; elle sacrifie avec l'hiérophante aux Grandes Déesses, célèbre avec lui l'hiérogamie ; égale à l'hiérophante, elle a été souvent en conflit avec lui.
4° La Daeiritis.

M. Les Muêthentes aph' estias.

N. Les employés subalternes, le neôkoros chargé d'entretenir le matériel du temple, le purphoros qui apprête et entretient le feu pour le sacrifice, l'udranos qui fournit l'eau lustrale.

0. L'archonte-roi avec ses deux parèdres. Chargé spécialement des Mystères, il a la police de la fête ; au retour d'Eleusis il fait son rapport au sénat, afferme les domaines de Déméter.

P. Les épimélètes des Mystères.

Q. L'archonte éponyme. Il dirige seulement une cérémonie ajoutée tardivement, la procession au temple d'Asclépios, les 17-18 Boedromion, pour les Epidauria instituées après l'arrivée à Athènes, en 421 av. J.-C., du dieu Asclépios, appelé d'Epidaure par les Athéniens.

R. Les exégètes. Outre les trois exégètes officiels, il y a les trois exégètes particuliers des Eumolpides, qui figurent dans les cérémonies.

S. Les éphèbes. Au IVe siècle les éphèbes, cantonnés à Eleusis, escortent probablement les objets sacrés à Athènes ; au IIe siècle, partant d'Athènes, ils vont au-devant des objets sacrés, escortent la procession d'Iacchos ; au temple d'Eleusis, ils soulèvent les boeufs des sacrifices et consacrent une phiale aux déesses ; sous l'Empire, ils escortent les objets sacrés à l'aller et au retour.

T. Les hiéropes. Au Ve siècle av. J.-C., ce sont probablement les hiéropes d'Eleusis (oi Eleusinothen) ; plus tard, les hiéropes temporaires chargés du sacrifice qu'offre le sénat.

2° Andania

Les fonctionnaires spéciaux sont : 1° cinq commissaires électifs, chargés de recueillir et de remettre à un épimélète les revenus des Mystères ; 2° dix commissaires électifs, âgés de quarante ans au moins, assermentés, ornés du bandeau de pourpre, qui ont la surveillance générale des Mystères, jugent, infligent des amendes de vingt drachmes, délibèrent avec les hieroi ; 3° les hieroi annuels, tirés au sort parmi les plus nobles citoyens, assermentés, sans doute déjà initiés, ornés de bonnets de laine blanche ; aidés par le héraut, le joueur de flûte, le devin, l'architecte, ils gardent la cassette des livres rituels, font observer les règlements, fouetter et expulser les contrevenants, avec l'aide de vingt d'entre eux, choisis comme pabdophoroi, jugent les délits commis pendant les fêtes ou au marché, vérifient les victimes fournies par les entrepreneurs, les fournitures pour les bains, règlent la construction des trésors, l'emplacement du marché ; 4° les hierai, femmes mariées, tirées au sort par le gynaeconome, ornées du bonnet de laine blanche et dont le costume ordinaire ne doit pas valoir plus de deux mines. A côté d'elles, il y a des jeunes filles appelées aussi ierai, dont le costume ne doit pas valoir plus de cent drachmes. Elles ne doivent avoir pendant la procession ni bijoux d'or, ni fard, ni bandeau, ni cheveux relevés, ni chaussures autres qu'en feutre ou faites avec le cuir des victimes ; 5° le gynaeconome ; 6° l'agoranome urbain, qui a la police du marché, des eaux, des bains, l'inspection des tentes. A la procession prennent part le prêtre et la prêtresse des Grands Dieux, l'agonothète, les sacrificateurs, les joueurs de flûte, les hieroi, les hierai des deux catégories, la thoinarmostria et ses aides, chargées de préparer le banquet sacré de Déméter, une prêtresse de Déméter eph' ippodromô, la prêtresse de Déméter à Aigila.

IX. Conditions de l'initiation

Le nom générique du candidat à l'initiation est mustês. En général, il y a deux degrés, la muêsis simple et l'epopteia (d'où epoptês), séparés par un intervalle plus ou moins long. Pour Eleusis, Samothrace et les Mystères d'Isis, nous renvoyons aux articles Eleusinia, Cabiri, Isis. On a vu dans les thiases des patromustai. A Andania, il y a des prôtomustai qui paient une redevance, portent un bandeau en cuir doré ou une couronne de laurier ; les mystes hommes sont pieds nus et en habits blancs ; les vêtements des femmes ne doivent pas valoir plus de cent drachmes, ceux des petites filles plus d'une mine, ceux des esclaves plus de cinquante drachmes. Partout des mystagogues (mustagôgoi, d'où muein, mustagôgein ; à Thèbes, paragôgeis) donnent une instruction préparatoire. A Andania il y a une liste officielle de mystagogues. A Eleusis ce sont exclusivement des Eumolpides et des Keryces ; mais tout Athénien déjà initié peut sans doute recommander un étranger. Le mystagogue n'indique probablement que le cérémonial, les réponses à faire. Pour les conditions de l'initiation à Eleusis, Samothrace et dans les Mystères d'Isis, nous renvoyons aux articles Eleusinia, Cabiri, Isis. On trouve partout : 1° des observances diététiques, fondées sur des idées mystiques, soit avant, soit pendant les Mystères, l'interdiction de certains aliments, en particulier des fèves et des légumes analogues ; 2° l'obligation du secret.

X. L'initiation

Elle a lieu partout dans des locaux spéciaux, telestêrion, anaktoron, parfois megaron. Elle comprend quatre parties essentielles : 1° la purification, katharsis ; 2° les rites et sacrifices qui accompagnent l'initiation, sustasis ; 3° l'initiation, teletê, muêsis ; 4° l'époptie, epopteia.

1° La purification. Elle est partout nécessaire, soit pour aborder les Mystères avec la pureté nécessaire, soit pour échapper aux conséquences des mauvaises actions. A Samothrace il y a en outre une confession.

2° La sustasis. Elle se compose de sacrifices, de processions, de chants, de danses qui ont lieu soit avant, soit pendant, soit après les Mystères, avec un caractère orgiastique, modéré dans les Mystères grecs, désordonné dans les Mystères orientaux. Dans la dernière période on ajouta des tauroboles en différents endroits.

3° L'initiation et l'époptie, qui ont lieu généralement la nuit. Il est probable qu'il y avait des mots de passe, des signes de reconnaissance, surtout pour l'époptie (signa, symbola, monumenta).

Les spectacles et les enseignements des nuits mystiques se ramènent, d'après les textes, à trois parties : ta drômena, ta deiknumena, ta legomena, les actes, les exhibitions, les paroles.

A. Les actes

Une première catégorie comprend d'abord le spectacle essentiel, le drame mystique, la représentation symbolique de la légende divine. Nous ne savons pas exactement en quoi ce drame diffère de la légende populaire connue. On a essayé sans succès de prouver pour Eleusis que certains détails, par exemple les bons offices rendus par les gens d'Eleusis à la déesse, l'épisode de Celeus, la mission de Triptolème, étaient les traits particuliers qu'on ne devait pas divulguer : tout cela était fort connu. Les représentations étaient mimiques ; les acteurs paraissent avoir été les prêtres et les prêtresses ; à Andania les hierai représentent les déesses ; à Eleusis, le hiérophante joue un rôle en plusieurs circonstances, notamment dans l'hiérogamie qu'il célèbre avec la prêtresse de Déméter. En second lieu, il y a des actes symboliques, commémoratifs, exécutés par les initiés. On a vu ceux des thiases et, dans les cultes de Déméter et de Cybèle, les formules qui indiquent la prise en commun d'une collation.

B. Les exhibitions, soit des objets sacrés, soit des spectacles des enfers

L'exhibition des objets sacrés (ta iera, aporrhêta) est la partie la plus importante, puisque c'est de là que venait le nom de l'hiérophante (o iera phainôn). Il y a probablement deux catégories d'objets sacrés, d'un côté les attributs ordinaires connus et de l'autre les statues mystérieuses inconnues. A Eleusis, les attributs sont les objets que renferment le calathos et la ciste, et sans doute aussi la cymbale, le kernos ; dans le culte de Dionysos, les serpents, le thyrse, la nébride, le phallus, la pomme, la balle, le disque, la toupie, etc. ; dans les Mystères de Thétis, l'origan, la lampe, l'épée, le ctéis ; on a vu ceux de Cybèle et d'Attis. Plus importantes sont les statues, enfermées en temps ordinaire dans les chapelles et portées sous des voiles dans les processions. C'est à ces statues que se rapportent la plupart des textes sur les visions des nuits mystiques, sur les phasmata que les hiérophantes montrent éclairés par une vive lumière.

D'autre part, on reconnaît aujourd'hui que les Mystères en général devaient, par l'initiation, donner l'assurance du bonheur dans l'autre vie. La plupart de nos textes, depuis l'hymne à Déméter jusqu'à ceux de la plus basse époque, ne se rapportent guère qu'à Eleusis ; mais on peut leur attribuer une extension générale. Or les réflexions et les impressions provoquées par les représentations et les visions n'eussent pas suffi à donner aux mystes la confiance nécessaire. Plusieurs textes prouvent, pour les Mystères de Déméter et d'Isis, une représentation des enfers, une promenade des initiés au monde souterrain : il devait y avoir dans une première partie la descente aux enfers, la marche dans les ténèbres, au milieu des monstres ; dans une seconde partie, par une brusque transition, l'arrivée au séjour des immortels dans la lumière. Mais ce spectacle n'était sans doute encore qu'une partie de la révélation et la moins secrète, puisque Lucien et Aristophane ont pu dans une certaine mesure la reproduire ; elle devait comporter des paroles, des explications.

C. Les paroles

On reconnaît généralement, aujourd'hui, qu'il n'y avait pas dans les Mystères, à l'époque classique, d'enseignement dogmatique. Les rites, les spectacles provoquaient des impressions religieuses et constituaient seulement un enseignement symbolique dont le fond était la croyance à l'immortalité de l'âme. Rappelons-nous d'autre part que les Grecs attribuaient à l'initiation le pouvoir de faire revenir les initiés des enfers. Les paroles mystérieuses des hiérophantes sont donc probablement, non pas des hymnes, mais des formules empruntées au Livre des Morts égyptien, analogues à celles des rituels orphiques, qui donnaient des indications précises pour le voyage aux enfers et les moyens d'y échapper à tous les dangers.

L'hiérophante possédait-il une doctrine plus élevée ? Il connaissait certainement mieux que la masse des initiés le sens symbolique des légendes ; mais rien n'autorise à lui attribuer pour l'époque classique une doctrine ésotérique complète. C'est seulement plus tard qu'il put l'acquérir, comme nous l'avons vu, à l'époque du syncrétisme religieux et philosophique. Y a-t-il eu en outre, dans les Mystères, un enseignement moral ? Nous savons seulement qu'il y avait quelques préceptes de morale écrits dans le temple d'Eleusis.


Article de Ch. Lécrivain