XVII - Commode (an de Rome 933)

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Dès le commencement de son règne, ce fils de Marc-Aurèle se fit d'autant plus détester des Romains, que sa conduite, pleine de cruauté, était plus en opposition avec le souvenir qu'ils conservaient des vertus de ses prédécesseurs (1). En effet, un tel souvenir rend les mauvais princes encore plus odieux, parce que, outre la haine commune dont tous les méchants sont l'objet, ils encourent l'exécration publique, comme corrupteurs du genre humain. Cependant Commode était bon guerrier, et les Quades (2) éprouvèrent sa valeur. Après la victoire qu'il remporta sur eux, il donna son nom au mois de septembre, et bâtit des thermes, peu dignes de la puissance romaine (3). Il était d'un naturel si féroce et si cruel, que souvent il tuait des gladiateurs, en feignant de se battre contre eux. Il se servait pour cela d'un fer pointu, quand ces malheureux n'avaient pour se défendre qu'un glaive de plomb, arrondi à l'extrémité (4). Déjà il en avait tué un grand nombre de cette manière, lorsqu'un d'entre eux, nommé Scéva, homme hardi, vigoureux et habile dans son art, le détourna de ce métier.

Commode jeune
Musée du Louvre

Jetant un regard de mépris sur l'arme avec laquelle il ne pouvait se défendre : «La vôtre, dit-il à l'empereur, nous suffira à tous deux». A ces paroles, Commode, craignant que Scéva ne lui arrachât son glaive en combattant, et ne le perçât lui-même, le fit retirer. Devenu plus craintif, dès ce moment, à l'égard des autres gladiateurs, il tourna sa rage contre les bêtes féroces. S'étant rendu, par cette soif inextinguible du sang, un objet d'horreur pour tout le monde, il fit naître contre sa vie une conspiration de ceux qui approchaient le plus près de sa personne, tant sa domination leur inspirait de méfiance ! Ses satellites eux-mêmes, qui redoutaient son caractère aussi perfide que méchant, essayèrent d'abord de l'empoisonner, sans qu'il s'en aperçût ; mais la grande quantité de nourriture qu'il avait prise, empêcha l'effet du poison. Cependant, comme il se plaignait d'une vive douleur d'entrailles, son médecin, qui était le chef des conjurés, lui conseilla de passer dans l'endroit de son palais où il avait coutume de s'exercer à la lutte. Là, celui de ses domestiques qui avait la charge de le frotter d'huile, et qui, par hasard, était de la conjuration, lui serra fortement la gorge, comme pour lutter, et lui fit aussitôt rendre l'âme. Il avait régné environ treize ans. A la nouvelle de sa mort, les sénateurs, qui étaient assemblés dès le point du jour, en grand nombre, pour célébrer la fête des kalendes de janvier (5), le déclarèrent, de concert avec le peuple, ennemi des dieux et des hommes ; ordonnèrent que son nom fût effacé de tous les endroits où on l'avait inscrit, et sur le champ décernèrent la dignité impériale à Aulus Helvius Pertinax, préfet de la ville.


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(1)  Adrien, Antonin le Pieux et Marc-Aurèle.

(2)  Ces peuples habitaient au-delà du Danube, entre les Marcomans et les Sarmates, la province autrichienne qu'on nomme la Moravie.

(3)  Au pied du mont Viminal.

(4)  Le passage latin, que j'ai traduit de cette manière, offre plusieurs variantes qui le rendent obscur. Olivarius veut qu'on lise : Cum ipse ferro objectus mucronibus plumbeis uteretur ; selon Nicolas Lefèvre, il faut lire : Cum ipsi ferro objecto veronibus plumbeis uterentur. Juste Lipse a lu : Ipse ferro objecto veronibus plumbeis uteretur ; et Saumaise sur Lampride dit : Cum ipsi objecto mucronibus plumbeis uterentur. Madame Dacier veut qu'on lise : Cum ipse ferro objectus veronibus plumbeis, uteretur. J'ai suivi cette leçon, qui est aussi celle de l'édition de Leipsik.

(5)  Le premier jour de l'an.