Note des éditeurs (édition G. Crès, 1922)

Composée en français, alors qu'Oscar Wilde subissait l'infuence d'un groupe d'écrivains d'élite, Salomé ne parut qu'en 1893, avec la double marque de Paris et de Londres. On a dit que Marcel Schwob, Stuart Merrill et Pierre Louÿs apportèrent leur part de collaboration à cette pièce singulière. Quoi qu'il en soit, Salomé était destinée par l'auteur à être créée par Sarah Bernhardt. L'oeuvre fut mise en répétition, mais diverses circonstances qu'il serait trop long de rapporter ici en éloignèrent la représentation. Par la suite, le néfaste procès intenté à l'auteur par la justice criminelle de Londres, et qui valut à ce dernier de longs mois de captivité, rompit les projets qui étaient à peine en voie de réalisation. Ce ne fut que deux années plus tard - alors que Wilde, plongé dans la geôle de Reading, n'attendait guère plus de secours spirituel - que ses amis engagèrent l'acteur Lugné Poe à représenter Salomé. Elle parut le 12 février 1896, sur la scène de «L'Oeuvre», mais le public ne parut s'intéresser que médiocrement à ce drame biblique, si l'on s'en tient au jugement que lui consacra la critique. Aussi bien ne fut-ce qu'une interprétation de fortune qu'on offrit d'un ouvrage digne d'un sort meilleur. Wilde, néanmoins, en fut infiniment touché. Il le fit naïvement entendre dans une lettre qu'il adressa, le 10 mars 1896, à son ami Robert Ross, et qu'on peut lire au début de l'édition française de De Profundis (Paris, Mercure de France, 1905, p. 17) :

 

«Essayez de voir, disait-il, ce que Lemaître, Bauer et Sarcey ont dit de Salomé et donnez-m'en un petit résumé. Écrivez à Henri Bauer et dites-lui que je suis touché des belles choses qu'il écrit de moi».

Peu après, la musique s'empara de ce thème incomparable, et, pendant longtemps, on ne le vit plus qu'accompagné du lyrisme de Mariotte ou de Richard Strauss. Mais il est un temps pour tout. On comprend que nous ne donnions point ici notre opinion sur une telle oeuvre qui participe à la fois du conte et du poème en prose, et qu'une complaisance excessive pour les conceptions imitées de Flaubert et l'art quasi primitif de Maeterlinck a fait vivre. Réimprimé à petit nombre, en 1907, puis inséré, par la suite dans un recueil collectif d'oeuvres scéniques, du même auteur, comprenant La Sainte Courtisane et A Florentine Tragedy, il nous semble qu'on aura quelque agrément à trouver cet ouvrage dépouillé de toutes les productions dont on se plut à l'entourer. Nous le donnons donc tel que l'auteur le vit paraître en 1893 (alors que Marcel Schwob consentait à revoir les épreuves).