Introduction - Histoire de Pompéi

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La fondation de Pompéi, comme celle d'Herculanum, est attribuée à Hercule ; elle remonterait ainsi aux époques les plus reculées de l'histoire d'Italie. On ignore l'étymologie de son nom, que cependant quelques-uns font venir de la longue suite de boeufs, Pompa, que le héros avait amenée d'Espagne en Italie ; d'autres de la pompe avec laquelle il aurait célébré ses victoires lorsqu'il attendait sa flotte à l'embouchure du Sarno ; d'autres du mot PompaioV, conducteur, l'un des surnoms de Mercure comme conducteur des âmes aux enfers ; d'autres enfin, et leur opinion est la plus probable, du mot Pompeion, au pluriel Pompeia, que les anciens glossaires traduisent par Oikhma koinon, bâtiment commun, entrepôt. Cette étymologie a le mérite d'expliquer à la fois le nom et l'origine de la ville qui aurait dû sa naissance à certains magasins publics élevés sur les bords de la mer et du Sarno, pour recevoir les marchandises des villes commerçantes de la Campanie, parmi lesquelles Strabon cite Nola, Acerra et Nocera. Ce que nous savons par Denis d'Halycarnasse et par Strabon, c'est que cette ville fut habitée par les mêmes peuples qu'Herculanum, les Oenotriens, les Sicules, les Pélasges, les Osques ou Opiques, les Samnites et les Romains. Un grand nombre d'inscriptions osques prouvent qu'à travers toutes les vicissitudes politiques, la population conserva toujours un souvenir de sa langue primitive.

Bien que Tacite et Sénèque l'honorent du nom de célèbre, Pompéi n'occupe dans l'histoire qu'une page assez insignifiante ; quoiqu'elle ait figuré dans les guerres qui ont ravagé ces contrées, à peine son nom est-il mentionné dans les annales de ses dominateurs. Comprise sans doute au nombre des villes qui après la bataille de Cannes, à l'exemple de Capoue, la capitale de la Campanie, regardèrent les Carthaginois comme des libérateurs, et se soumirent à Annibal, Pompéi ne reparaît sur la scène que 91 ans avant Jésus-Christ.

La république romaine avait agrandi ses conquêtes ; dans presque toutes les contrées de l'Asie et de l'Europe, ses armées portaient leurs aigles victorieuses ; mais, pour étendre ainsi sa puissance au dehors, Rome mettait à contribution l'Italie entière, elle épuisait ses richesses et lui prenait ses soldats ; mais ces soldats elle les donnait pour compagnons d'armes aux citoyens romains, en ne leur accordant l'égalité que sur le champ de bataille et devant la mort. Cette domination dure et injuste, cette longue oppression lassèrent enfin la patience des peuples qu'elle avais soumis ; tout à coup, à la voix du Marse Silon, ils levèrent l'étendard de la révolte depuis les bords du Liris jusqu'aux rivages de la mer Ionienne. Pompéi, qui se trouvait alors sous l'influence des samnites, suivit le torrent et demeura constamment unie aux autres villes de la Campanie pendant toute la durée de cette guerre, connue sous le nom de Guerre sociale.

A cette époque, Sylla ayant pris et saccagé Stabies, de telle sorte qu'au temps de Pline l'Ancien, c'est-à-dire au moment de sa dernière catastrophe, elle n'était plus qu'un village, in villas abierat, les Pompéiens, qui, du haut de leurs murailles, furent témoins des scènes de désolation, présage du sort qui les attendait, résolurent de se défendre. Accouru à leur secours, Cluventius, général des Samnites, arrêta deux fois les efforts du futur dictateur ; mais dans un troisième combat, près de Nola, il fut vaincu à son tour et perdit la vie.

Heureusement pour Pompéi, Sylla cette année briguait le consulat ; il n'avait pas de temps à perdre pour courir réprimer à Rome les troubles qu'avait excités le tribun P. Sulpicius, à l'instigation de Marius ; il accorda à Pompéi une capitulation honorable, ou n'osa pas mettre le siège devant elle.

Deux passages de Cicéron (De lege agraria) nous apprennent avec quelle rigueur la Campanie fut traitée à la fin de la guerre sociale. Parmi les villes de ce malheureux pays, Capoue fut celle qui souffrit le plus ; elle perdit ses magistrats, une grande partie de ses habitants, et ne put conserver que ceux qui étaient indispensables à la culture des terres ; les autres cités, entre autres Pompéi, restèrent en possession de leurs privilèges.

Il est probable, toutefois, que ce fut à cette époque que les murailles de cette ville furent démantelées, comme le prouve leur état actuel. Pendant les guerres civiles, on avait fait en quelques endroits des réparations dont les traces existent encore aujourd'hui ; sous Auguste enfin, à l'époque où la ville devint définitivement romaine, de longues courtines disparurent pour faire place à des constructions privées, et la cité resta entièrement ouverte et sans défense.

En l'an 665 de Rome, pendant sa dictature, Sylla ordonna que Pompéi fût réduite en colonie militaire (1) sous le double nom de colonia Veneria Cornelia, emprunté aux noms du dictateur et de la divinité protectrice de la ville. Il y envoya des troupes sous le commandement de son neveu Publius Sylla ; mais les Pompéiens, regardant ces colons comme des étrangers, leur refusèrent les droits de cité. Publius Sylla fut accusé d'avoir suscité et fomenté des troubles ; Cicéron, qui le défendit, nous apprend que cette cause fut portée devant le dictateur lui-même. La tache du défenseur ne dut pas être difficile !

Quoi qu'il en soit, les colons furent forcés d'habiter hors de la ville dans un faubourg qui, lorsque, plus tard, Auguste eut envoyé une nouvelle colonie de vétérans, prit le nom de Pagus Augusto-Felix.

En parlant des villes qui entourent le Vésuve, Vitruve les nomme municipes (2), d'où nous pouvons conclure que, sous Auguste, Pompéi était encore une république régie par ses propres lois. Ue inscription trouvée à l'amphithéâtre nous apprend que, vers la fin du règne de cet empereur, elle devint entièrement soumise au gouvernement romain, et fut administrée comme les autres colonies de l'Empire ; elle eut à Rome des patrons ou protecteurs, chez elle des édiles, des duumvirs et des décurions ou sénateurs ; seulement certaines inscriptions placées aux portes des maisons donnent à croire que, selon un antique usage conservé dans cette ville, on y comptait les années par les duumvirs, comme à Rome par les consuls.

Néron augmenta le nombre des habitants de Pompéi, et en peu de temps elle devint une des villes les plus florissantes de la Campanie ; son port était l'entrepôt de tout le commerce de Nola, d'Acerra, de Nuceria (Nocera dei Pagani) et d'Atella (Aversa), villes alors importantes. Tite-Live et Florus parlent de ce port comme étant magnifique, et propre à recevoir une armée navale ; Publius Cornelius y amena sa flotte. Le commerce de Pompéi était encore favorisé par le Sarnus, petit fleuve alors navigable, mais qui aujourd'hui n'est plus qu'un ruisseau qui, coulant loin de son ancien lit, va se jeter dans la mer à peu de distance de Stabies.

Plusieurs Romains illustres avaient à Pompéi des maisons de plaisance, entre autres Cicéron, qui en parle dans une de ses lettres à Atticus : Tusculanum et Pompeianum valde me delectant. Ce fut là qu'il composa pour son fils son fameux traité De Officiis et un discours sur l'état des affaires publiques. Lorsque Sulpicius, cherchant à le consoler de la mort de sa fille Tullia par l'exemple des vicissitudes humaines, lui parle de ces cadavres de cités qu'il apercevait à son retour d'Asie, il ne s'attendait pas que cette expression dût s'appliquer un jour aussi fidèlement à la ville qui faisait les délices de son ami (3). Phèdre, le fabuliste, se réfugia à Pompéi pour éviter la persécution de Tibère et de Séjan ; l'empereur Claude y avait une maison de campagne où il perdit un fils, nommé Drusus, étouffé par une poire qu'il avait jetée en l'air, et qu'il voulut recevoir dans la bouche ; enfin Sénèque rappelait à Lucilius, comme un de ses plus chers souvenirs, d'avoir passé sa jeunesse à Pompéi.


(1)  La liberté laissée aux peuples conquis était bien précaire, car Rome les plaçait sous sa dépendance, en leur défendant de contracter entre eux ni alliances politiques ni alliances privées, sans sa permission ; en leur ôtant quelquefois une partie du territoire pour y fonder çà et là des colonies, véritables armées permanentes en observation, renfermant de la cavalerie et de l'infanterie ; enfin en leur imposant des tributs en hommes et en argent.
Dezobry, Rome au siècle d'Auguste. Lettre XXI.


(2)  Les municipes étaient des villes de pays conquis. Par une faveur toute spéciale, Rome les gratifia des droits de cité romaine, don magnifique incessamment rappelé par leur nom même tiré de Munus, présent. Leur constitution, assez semblable à celle des colonies romaines, ressemblait surtout à celle de la grande métropole... Cette ressemblance de leur constitution avec celle de la grande république doit d'autant moins étonner que beaucoup de municipes adoptèrent la législation romaine, devinrent ce qu'on appelle peuples fundi. Ce ne fut pas là cependant une condition de rigueur pour obtenir la municipalité, et d'autres villes gratifiées de ce droit conservèrent leur gouvernement indigène, leurs lois, leurs sacrifices, leurs fêtes... Un point sur lequel les municipes l'emportèrent sur les colonies, c'est qu'on leur accorda quelquefois le droit de suffrage et le droit d'honneurs.
Dezobry, Rome au siècle d'Auguste. Lettre XXI.
Ces droits consistaient dans l'admission des citoyens des municipes à voter pour l'élection des magistrats de la Métropole, et à participer eux-mêmes aux magistratures.


(3)  Sulpicius ad Ciceronem. Cicéron, Edition Nisard, lettre DLXXI.