Le thyrse est, essentiellement, une hampe de roseau ou d'un bois souple couronnée de feuilles de lierre ou de vigne, que portent, comme emblème de Dionysos, ses compagnons et ses fidèles.

Origine et signification

C'est en 430, avec le Dionysalexandros de Kratinos, que le mot thyrsos fait son apparition dans la littérature grecque et ce sont les maîtres de la figure rouge, au début du Ve siècle, qui en introduisent les images dans la céramique attique. Mais celui qui, dans Athènes, a véritablement donné droit de cité au thyrse, c'est Euripide avec ses Bacchantes qu'il écrivit en 407, à la cour d'Archélaos, roi de Macédoine. C'est d'ailleurs des pays thraco-macédoniens que le thyrse parait originaire, aussi bien pour son nom que dans son rôle d'emblème dionysiaque. On n'en a pas seulement pour indice l'origine thrace du culte orgiaque de Dionysos ; c'est au nord de la Thrace qu'habitait le peuple des Agathyrsoi, dont les anciens paraissent avoir interprété le nom «ceux qui agitent le thyrse», thursagetae ; c'est en Macédoine que se rencontre le nom de Thyrsis, qui devait avoir une telle fortune dans la Bucolique, sans doute parce qu'il était celui d'un génie agreste du cortège de Bacchus ; c'est de Macédoine que les Thyiades, qu'on paraît y avoir appelées Thyssades, ont suivi Dionysos à Delphes ; leur nom semble devoir être rapproché de celui du thyrse, dont thystlos, thystos ou thyssos auraient été des variantes thraco-macédoniennes, intermédiaires entre la forme thyrsos du grec classique et la forme parallèle latine, fustis.

Importé ainsi à Delphes, puis à Eleusis, avec les autres rites extatiques du Dionysos thrace, le port du thyrse parait avoir conservé encore à Athènes un caractère exotique, quand Euripide composait ses Bacchantes à la gloire du nouveau Rédempteur et qu'Aristophane se raillait des bakchôn thursadôan kai padôan. L'usage du thyrse, comme son nom même avec ses composés ou dérivés, ne parait être devenu courant qu'à l'époque hellénistique'.

LES ELEMENTS DU THYRSE NATUREL

Le narthex

Avant que thyrsos ne se fût spécialisé pour désigner l'emblème dionysiaque, ce terme semble s'être appliqué à toute longue tige flexible ou rameau souple, comme l'indique son étude étymologique ; à Athènes, il se serait plus particulièrement appliqué au roseau dit narthêx, qui figurait au nombre des plantes consacrées à Dionysos [Ferula]. Ce roseau (ferula communis L.), qui atteint 3 à 1l mètres, avec ses noeuds réguliers et les longues feuilles retombantes qui en partent, devient, une fois vidé de sa moelle blanchâtre, un bois aussi sec que léger, très propre à donner des étincelles par frottement. C'est pourquoi il passait pour celui dans lequel Prométhée avait dérobé le feu céleste. A Eleusis, les mystes portaient, en foule le roseau de feu, comme l'atteste le proverbe :

Narthêkophoroi men polloi, Bakchoi de te pauroi

Il semble que ce roseau était ainsi devenu à Athènes l'emblème de Dionysos, quand le renouveau que l'Orphisme venu de Thrace fit subir à son culte, à l'époque d'Euripide, amena à appliquer au narthex le nom de thyrsos. Le poète emploie indifféremment les deux termes dans les Bacchantes qui, au dire du Scholiaste, portent thursous êtoi narthêkas. Pourtant on les distinguait encore dans le culte. Ainsi, dans les fêtes qui commémoraient le triomphe de Bacchus aux Indes, Athénée montre les fidèles portant d'abord des thyrses au lieu de lances, puis des narthex et des flambeaux. C'est probablement au narthex que pense Plutarque, quand il nomme thursophoria la fête juive des Tabernacles qu'il compare à celle de Dionysos, fête où les fidèles processionnent autour de huttes de branchages, tenant en main le lulab, gerbe faite de rameaux de palmier, de myrte et de roseau que Plutarque qualifie de thyrsos ; c'est aussi aux rameaux d'une plante palustre qu'il doit songer, quand il montre les Argiens évoquant des eaux Dionysos, en soufflant dans des trompettes cachées dans des thyrses. Cette idée de rameau ou de roseau disparut bientôt quand le thyrse artificiel eut remplacé le thyrse naturel. Déjà, en son pays d'origine, thyrsos paraît avoir pris le sens de son correspondant latin fustis, bâton souple, et, de leur côté, les tiges effeuillées du narthex servaient de cannes aux vieillards. Pour comprendre l'évolution du thyrse, il faut montrer comment les pampres et le lierre sont venus orner ce qui n'est plus qu'une hampe et comment cette hampe même a varié selon qu'on se la représente comme une tige de roseau ou un rameau de pin.

Le pin

Sous la forme la plus ancienne que fournissent les vases peints, le thyrse est un arbuste non encore dépouillé. La partie inférieure s'élargit en tronc ; ce tronc, ou plutôt cette branche maîtresse est, de loin en loin, interrompue par des noeuds ; deux ou trois paires de rameaux s'en détachent ; ces rameaux sont indiqués par un trait médian flanqué de part et d'autre de petits points oblongs simulant des feuilles ; les mêmes feuilles garnissent l'extrémité de la branche. Parfois les rameaux feuillus ne se détachent que d'un seul et même point.

Parfois, à ces feuilles espacées se substitue un bouquet touffu. Sa forme évoque celle des pignae. D'autre part, en l'absence de bouquet terminal, le petit arbre rappelle celui dont les Centaures sont généralement armés ; ce même arbre se retrouve en Thrace, sur des monnaies, entre les mains des Silènes et de Dionysos lui-même. Porté par Dionysos ou par les démons de son cortège, cet arbre est certainement un pin. On sait que le pin était l'un des arbres sous la forme desquels on adorait Dionysos comme Attis [Dendrophori]. Mais les plantes dionysiaques par excellence sont la vigne et le lierre.

Le lierre et la vigne

Pour la vigne, point n'est besoin d'insister. Pour le lierre, rappelons que, de méme qu'il existe un Dionysos Botrus, on connaît un Dionysos Kissos, et que les Thraces, dont des rois s'appellent Kisseus, ornaient de lierre leurs boucliers et leurs casques comme leurs thyrses qu'Euripide appelle kissinoi. Déjà la céramique ionienne associe des guirlandes de lierre et des pampres aux scènes dionysiagnes ; toutefois, à l'exception d'une amphorisque corinthienne, où un Dionysos nu porte une énorme vigne sur l'épaule, il faut descendre jusqu'aux céramistes attiques pour voir la vigne passer du cadre du tableau aux mains du dieu ou de ses compagnons. Deux amphores attico-corinthiennes du Louvre peuvent marquer la transition. Sur l'une, Dionysos, couronné de pampres blancs, un canthare à la main, se tourne vers un ample cep tout chargé de pampres rouges et noirs ; sur l'autre, assis, il saisit un rameau du pied de vigne planté devant lui. Ce sarment, il l'a arraché, sur une kylix du milieu du VIe siècle, et parfois il porte le pied entier.

Mais il faut attendre la deuxième moitié de ce siècle pour voir, chez les maîtres de la figure rouge, se répandre entre les mains des personnages dionysiaques les rameaux de vignes ou de lierre. Que ces peintres ne fissent pas grande différence entre ces deux attributs, c'est ce qu'attestent une coupe de Nikosthénès et une amphore d'Amasis :

dans la coupe, la branche que tient Dionysos se divise en deux rameaux dont l'un porte des feuilles de lierre, l'autre des feuilles de vigne ; dans l'amphore, ce dieu porte dans chaque main un rameau de l'une des deux espèces. La vogue de ces maîtres, persistant au Ve et au IVe siècle dans l'Italie grecque, y fit placer un rameau naturel entre les mains des génies bachiques, alors qu'en Grèce même on ne connaissait plus que le thyrse artificiel. C'est aussi probablement de modèles attiques perdus de cette époque que s'inspiraient les céramistes apuliens qui donnaient un narthex à Dionysos et à son cortège.

Généralement, le roseau est légèrement sinueux et les noeuds y sont indiqués de loin en loin, parfois accostés d'un bourgeon ou de la base de la feuille qu'on y a coupée ; au bas on voit la trace laissée par la section de la tige, au haut elle s'épanouit en ramilles se terminant chacune par une fleur qui semble formée d'un faisceau de baies ; à leur naissance s'enroule souvent une bandelette. Ainsi une branche de pin ou, plus souvent, un roseau de narthex pour la hampe, les pommes de pin et les acanthes du roseau ou plutôt des feuilles de lierre et de vigne avec ou sans leurs fruits pour le couronnement, tels sont les éléments du thyrse naturel.

LE THYRSE ARTIFICIEL

Il faut descendre aux vases à figures rouges de style sévère, au début du Ve siècle, pour trouver le thyrse artificiel. Ici non seulement la tige, au lieu d'être ornée de ses propres feuilles, est toujours munie d'un bouquet de pampres ou de lierre, mais l'artiste n'a manifestement plus conscience que le thyrse n'est qu'un rameau ou un roseau ; c'est devenu pour lui un emblème composite de forme convenue. Passons successivement en revue les variétés que représentent ses deux parties : bouton terminal ou couronnement, tige ou hampe.

Le thyrse à bouquet de lierre

Il y a deux manières principales de garnir de feuilles de lierre l'extrémité du roseau. On peut fixer, dans son extrémité incisée, quelques rameaux qui s'épanouissent en éventail ; on peut attacher régulièrement quelques rameaux plus courts sur les côtés de cette extrémité, de façon qu'ils forment autour un véritable bouquet. Le premier système ne se rencontre que sur quelques vases d'Hiéron et de Chélis ; le second a peut-être été introduit par Hiéron, qui est le seul à indiquer sous le bouquet les lanières entre-croisées qui l'attachent.

Dans ce second système deux tendances se font jour dès le début. Dans l'une, on cherche à donner au bouquet une apparence naturelle en figurant les feuilles en désordre ; dans l'autre, on cherche à les ordonner. A cet effet, on adopte de bonne heure la convention suivante : le long de la tige elle-même se dresse une rangée de feuilles, tournées la pointe en haut, qui la cachent entièrement ; de part et d'autre on figure une ou deux autres rangées dont la pointe est tournée en dehors.

Ces feuilles latérales peuvent être ou si rapprochées qu'elles se recouvrent l'une l'autre, ou assez espacées pour avoir même l'air d'être détachées, lorsque le peintre ne se donne pas la peine d'indiquer leurs tiges. Pour s'éviter ce soin sans que les feuilles aient l'air de voltiger, l'idée vint bientôt de cerner leur touffe d'un trait qui marquerait comme le contour du bouquet. A l'intérieur de ce contour, le peintre n'eut plus qu'à jeter quelques feuilles pour leur donner l'aspect d'une touffe réelle. Ces feuilles sont ou jetées comme au hasard, la pointe généralement vers l'extérieur ou toutes alignées sur trois colonnes la pointe en haut (à gauche) ; ou encore, seule la colonne médiane est indiquée en feuilles détachées, les deux autres forment le contour même qui est ainsi déchiqueté au lieu de poursuivre en une ligne unie. Souvent, au lieu d'indiquer, ainsi qu'on l'a fait jusqu'ici, leur contour au trait noir, on les figure par une tache noire en forme de coeur (à droite), de fer de lance ou de harpon. Quand l'exécution est sommaire, l'indication des feuilles se réduit à une ligne sinueuse ou courbe ou à une ligne en zigzag continue ou discontinue.

On arrive ainsi aux formes stylisées. Avant d'en passer en revue les variétés, il faut indiquer un des éléments qui les font bien comprendre. A la fois pour marquer l'épanouissement du lierre et pour en varier le dessin, l'idée parait être venue de bonne heure d'ajouter ses baies à ses feuilles : c'est le kallikarpos thursos. Déjà sur des coupes de Brygos, on voit autour de la touffe des feuilles une série de petits cercles détachés qui représentent ces corymbes. Comme les fleurs du lierre sont tripartites, on les figura de préférence sous forme de petits groupes de trois points. Lorsqu'on se mit à inscrire les feuilles dans un cadre oviforme ou cordiforme, les baies durent y rentrer aussi. Ce sont elles que représentent les petits points qu'on trouve inscrits à l'intérieur des demi-cercles ou des angles qui figurent les feuilles. Lorsque la stylisation se développe, baies et feuilles se confondent. Dans un cadre plus ou moins ovale ou circulaire l'artiste se borne à jeter au hasard des taches noires qui perdent bientôt tout aspect foliiforme pour ressembler à autant de points. Parfois ces points sont réservés en blanc sur le noir dont on remplit le cadre. On a passé de la touffe ou du bouquet au simple bouton pointillé.

Le thyrse composite : férule, pomme de pin et lotus

A l'époque hellénistique, on voit des formes nouvelles, plus complexes, se substituer à ce type devenu rigide et tout conventionnel. Malgré la liberté avec laquelle ces nouvelles formes sont traitées, il semble qu'on les puisse répartir en trois groupes, dont chacun aurait subi l'influence d'une autre plante en vogue à l'époque : la panicule de la ferula, la pomme de pin, le bouton du lotus.

A propos des thyrses naturels, on a déjà parlé de ceux qui consistent en un de ces grands roseaux ramifiés au sommet et ombellifères du genre ferula. C'est eux que nous retrouvons à l'époque gréco-romaine sur les vases d'Apulie et de Lucanie, régions où ils poussent avec une vigueur particulière. Mais ils diffèrent des précédents, d'abord par la fantaisie avec laquelle on fait partir en tous sens de leur tige fleurs et feuilles, puis, surtout, par l'importance donnée à la panicule qui termine la tige. Au sommet de la tige principale les feuilles se groupent pour former comme des spathes enveloppant les inflorescences. Non seulement, par la forme en fuseau ou en fer de lance qu'elle prend ainsi, la panicule rappelle le bouton stylisé du thyrse classique, mais, pour bien marquer que c'est ce thyrse auquel il a pensé, l'artiste prend soin de le garnir de feuilles de lierre ; le plus souvent il les a disposées sur trois rangées, l'une médiane, dans l'axe de la tige, les deux autres sur les côtés de la panicule, tantôt intérieures ou extérieures à leur contour, tantôt le chevauchant. En même temps, les longues feuilles retombantes qui se développent sous le bouton prennent l'aspect de celles de l'acanthe, dont la vogue paraît coïncider avec l'époque où domine le chapiteau corinthien.

Nous avons vu également, à propos du thyrse naturel, que c'est une branche de pin qu'on trouve le plus anciennement aux mains de Dionysos et de ses compagnons. Le pin, dont on tirait la résine qu'on mêlait au vin, était resté consacré au dieu ; rien donc de surprenant, à une époque où la pomme de pin devient un motif d'ornementation favori, que de la voir adoptée pour couronner le thyrse. Un auteur de l'Anthologie parle du kônophoros thursos, et les lexicographes donnent kônos et kônophoroi comme équivalents de thursos et thursophoroi. Pourtant il est rare que ce soit une simple pomme de pin qui couronne le thyrse ; elle se combine naturellement avec le lierre qui est devenu la plante dionysiaque par excellence. Ou bien on enveloppe d'une corolle de feuilles de lierre le bas de la pomme qui prend un aspect d'artichaut, ou bien l'on en ouvre ou supprime la partie supérieure pour en faire sortir une, deux ou plusieurs baies.

Pour certaines des pièces que l'on serait tenté de réunir dans cette série des thyrses kônophores, il est, à vrai dire, difficile de distinguer si le calice de feuilles d'où sortent les baies n'est pas formé de feuilles de lierre ainsi groupées artificiellement. La même hésitation s'impose pour le groupe de thyrses que nous appellerions lôtophores. Mais, en distinguant avec soin les feuilles à trois pointes et trois nervures correspondantes, qui sont du lierre, de celles à deux pointes recourbées en sens inverse et à calice profond, qui sont du lotus, il reste un petit groupe ou l'on doit incontestablement reconnaître cette plante sacrée de l'Egypte. Sa présence sur le thyrse n'a rien de surprenant : dès le VIIe siècle, les potiers de Naukratis ont fait du lotus un des motifs favoris de la céramique ionienne et dès lors a commencé cette identification de Dionysos à Osiris qui devait s'affirmer à l'époque hellénistique. On sait qu'Osiris passait aussi pour l'inventeur et le protecteur du vin et que le lierre lui était consacré. Aussi les artistes alexandrins ont-ils pu trouver en Egypte l'idée de faire sortir une grappe d'un calice de lotus.

Dans certains exemples de thyrses, lôtophores comme kônophores, quand ce qui sort du calice folié est figuré par une grappe de petits cercles s'élevant en cône, il est bien difficile d'affirmer que l'on se trouve en présence des baies du lierre et non de raisins. Mais l'on ne peut hésiter à reconnaître des pampres dans les grandes feuilles trilobées qu'on rencontre parfois s'enroulant au haut de la hampe, ou ornant en bouquet le sommet du thyrse. L'existence d'un thyrse à pampres est, d'ailleurs, garantie par les vers où Virgile et Ovide désignent le thyrse sous le nom de pampinea hasta, et Nonnos sous celui de egchos ampeloen. Si on ne le rencontre que rarement figuré, c'est qu'il présentait plus de difficultés pour le peintre et surtout pour le sculpteur. C'est aussi que, par leur nature grimpante, la vigne comme le lierre sont plutôt des ornements de la base que du sommet. Avant de passer à l'étude de la haste du thyrse, notons qu'on connaît au moins un exemple de phallus ornant le sommet d'un thyrse dont le lierre entoure la hampe.

La hampe du thyrse et ses ornements

On a vu que la hampe du thyrse était constituée le plus souvent par une tige de narthex ou ferula ; à l'ordinaire elle est pourvue de noeuds, et l'on reconnaît au bas la section faite en la coupant à la racine. Mais, parfois, les noeuds figurés sont trop saillants pour pouvoir être ceux d'un roseau ; il s'agit d'une branche d'arbre dépouillée, ce qui est généralement le cas lorsqu'on voit des pousses latérales, ou des amorces de rameaux coupés, ou même des rameaux entiers.

D'après ce qui a été dit plus haut, les hampes de ce genre sont probablement des branches de pin ; dans les exemplaires courts et sinueux il pourrait s'agir de ceps de vigne. Les feuilles de vigne ou de lierre qui s'enroulent autour de la hampe, ramifiée ou non, ne sont pas censées pousser sur elle, mais y sont placées comme des guirlandes. Parfois ces guirlandes elles-mêmes se projettent en rameaux. Dans la variété des thyrses à férule, la tige est garnie de longues feuilles effilées et denticulées, comme celles qui conviennent à ces roseaux palustres. Par leurs enroulements naturels ces feuilles ont prêté à la fantaisie des artistes, qui les contournent parfois de façon toute héraldique. Selon qu'il est censé provenir d'un roseau coupé à sa racine ou d'une branche taillée, le bas du thyrse est élargi ou appointé, le diamètre de la hampe reste le même ou va en s'amincissant ; les mêmes causes agissent sur ses dimensions. On pourrait sans doute les trouver toutes, depuis celle où le bouton dépasse tout entier la tête du porteur qui s'appuie sur la hampe, comme si c'était une lance, jusqu'à celle où il le brandit comme une canne ou une baguette.

Comme la lance a un talon répondant à la pointe, l'analogie ainsi qu'un désir de symétrie ont dû amener, quand l'origine du thyrse fut oubliée, à orner ses deux extrémités d'un bouton conique : c'est le dithurson d'un épigramme d'Agathias, qu'on retrouve notamment sur une coupe d'Hildesheim et, servant de sceptre, dans la main de la Roma d'un diptyque de Vienne.

Que le thyrse fût garni d'une ou de deux touffes de feuilles, le besoin de les mieux fixer devait faire employer des rubans. Il y avait d'autant moins de raison de ne pas faire voir ces rubans, ou en laissant leurs extrémités flotter au vent, ou en les croisant le long de la hampe, que le ruban ne pouvait que rehausser le caractère sacré du thyrse : il était sacré lui-même à un double titre, ou comme bandelette et bandeau, symbole de toutes les consécrations, ou, lorsqu'il formait des noeuds, par la force magique attribuée de tout temps aux noeuds [Nodus, Vitta]. Enfin ces rubans artistement noués contribuaient singulièrement à l'aspect décoratif du thyrse.

Aussi ne doit-on pas s'étonner que, dès qu'avec le IVe siècle un genre plus libre succède dans la céramique au style sobre, presque tous les thyrses soient figurés enrubannés ; au début du IIIe siècle, dans la célèbre pompè de Ptolémée II, on voit Nysa représentée tenant un thyrse entouré de bandelettes. Dans une élégie anonyme sur la mort de Mécène, la décoration du thyrse ne consiste plus seulement en rubans, mais en or et en pierreries. Parfois on y voit attachés des clochettes ou de ces tambourins qui, avec les crotales, sont les instruments favoris des fêtes orgiaques [Tympanum] ; parfois aussi les serpents que brandissent les Ménades ne s'enroulent pas autour de leurs bras, mais autour de leurs thyrses.

ROLE DU THYRSE

Divinités dont il est l'attribut

Le thyrse est, avant tout, l'emblème de Dionysos, dont thursophoros, est l'une des épithètes, de ses compagnons et de ses fidèles. Aussi, sous sa forme primitive de rameau de lierre ou de pampres, ne se voit-il qu'entre les mains de Dionysos [Bacchus], de Silène [Sileni] et des Ménades [Maenades] ; Dionysos l'a prêté à Héphaistos [Vulcanus] dans la scène, si goûtée des céramistes de la figure noire, où il est ramené dans l'Olympe. Cette figuration du thyrse qui, pour Dionysos, commence dès le VIIe siècle, se trouve sur une amphorisque corinthienne et se poursuit en pleine période de la figure rouge ; elle cesse presque dès l'apparition de ce style, pour les compagnons du dieu. C'est alors le règne du thyrse artificiel, sous les diverses formes qu'on a passées en revue ; Dionysos et Silène, Héphaistos et les Ménades, parmi lesquelles il faut ranger Nysa, la nourrice de Dionysos, et Ariane son amante, ne sont plus seuls à porter le thyrse, mais il s'étend aux divinités que le développement du culte dionysiaque y rattache : au Kabire thébain et au Midas phrygien, dont le culte ou la légende ont tant de traits dionysiaques ; aux génies de la nature agreste, Pan ou les Centaures qui se groupent naturellement avec les Silènes et les Satyres ; aux personnifications des désirs que Bacchus favorise, Eros et Pothos ; à Niké enfin, sans doute parce que l'idée de victoire s'associe si souvent pour le Grec aux concours dionysiaques ; il est probable que c'est à l'instar de Niké que les symboles semblables, si répandus à l'époque hellénistique, les Tychés des Etats et des cités, ont dû recevoir le thyrse, emblème de victoire et de prospérité et c'est de ces figurations qu'ont dû s'inspirer ceux qui, jusqu'à la fin de l'Empire, mirent le thyrse aux mains de Roma.

Par l'assimilation d'Isis à Tyché-Fortuna, assimilation parallèle à celle de Dionysos à Osiris dont on a indiqué plus haut l'influence probable sur la genèse du thyrse lôtophore, la déesse égyptienne reçut aussi le thyrse, ainsi que l'autre déesse africaine dont le syncrétisme fit une personnification de la fécondité, la Caelestis de Carthage. Enfin le thyrse est porté par tous ceux qui se donnent pour de nouveaux Dionysos, Alexandre revenant des Indes, Démétrius Poliorcète à Athènes, ou Antoine à Ephèse. Il semble que les prêtres de Dionysos aient eu également le thyrse pour attribut - en tout cas à Lesbos, où l'on connaît par ailleurs une confrérie de porte-thyrses -, et les fidèles ne le portaient pas seulement dans ses fêtes orgiaques, mais dans cette fête ordinaire du dieu du vin qu'était un banquet.

Le thyrse comme bâton magique

Si le thyrse devient ainsi simple symbole de prospérité, une autre évolution lui prêta un caractère magique. Les doctrines orphiques et les mystères d'Eleusis avaient fait à Dionysos une grande place dans les croyances funéraires et les rites cathartiques. Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant à ce que le thyrse soit associé à la ciste mystique ou paraisse à la main du Zeus Philios arcadien qui, comme Zeus Meilichios, est plutôt un Dispater qu'un Jupiter, ou soit donné aussi à l'une des compagnes étrusques de Dispater, Vanth, déesse des morts. Le thyrse n'a pas seulement sa place parmi les ornements des urnes et sarcophages, il est placé parfois entre les mains du mort comme s'il devait lui assurer dans l'autre monde tous les plaisirs de la vie. Le thyrse devient comme l'emblème des mystes de Dionysos ; c'est en les frappant de son arme que le dieu, thursomanês lui-même, pousse ses fidèles à l'extase où à l'épilepsie ; il s'en sert comme d'un aiguillon pour presser leur troupe frénétique ; aussi Nonnos appelle-t-il souvent kentron le thyrse que Lucrèce qualifie d'acer et Horace de gravis ; Ovide parle des femmes que le dieu thyrso concitat et les Grecs nommaient thursoplêges oi en tois Bakcheiois entheazomenoi thursô. Si puissant pour remplir les âmes d'une ivresse divine, ce bâton ne l'est pas moins pour féconder la terre et par là aussi s'explique que le thyrse soit devenu un symbole de prospérité : le thyrse des Bacchantes d'Euripide fait jaillir du sol des sources d'eau et de vin et une fontaine de Messénie dite Dionysias devrait son origine à un coup donné par le dieu ; le miel et le lait, boissons des maîtres et des habitants du sombre séjour, passaient pour couler de ses feuilles de lierre, et c'était en un thyrse gigantesque que Dionysos avait changé le mat du vaisseau des pirates tyrrhéniens.

Le thyrse naturel, qu'il soit branche de pin ou canne de jonc, peut servir, comme tel, d'arme primitive. C'est sans doute par un souvenir de l'époque reculée où il était employé comme latte ou comme massue, qu'on le porte dans la droite à la façon d'une arme, et non dans la gauche comme la plupart des insignes religieux. Mais, avec le développement de l'armement, il sembla invraisemblable qu'une haste sans fer pût être une arme efficace ; en même temps, l'Orphisme parait avoir interdit à son dieu et à ses fidèles le port d'armes sanglantes ; seul parmi les dieux, dans la Gigantomachie du Trésor de Cnide (ou de Siphnos), Dionysos n'est pas armé ; les lions de son char combattent pour lui. Dionysos, semble-t-il, pouvait avoir une armure défensive complète, mais il ne devait pas frapper avec la lance. Ainsi le voit-on, sur des vases du Ve siècle, s'armer, pour combattre les géants, de la cuirasse et du casque des hoplites : il n'a que le thyrse pour arme offensive. Si le dieu et ses compagnons peuvent mettre les ennemis en fuite avec une arme aussi rudimentaire, c'est que le caractère magique qu'on a vu résider en elle n'a pas tardé à la faire passer pour une arme surnaturelle, qui agit plus à la facon de la baguette du magicien que de la lance du guerrier. Aucune armure ne peut lui résister. Bien que non haec in munera facti, les thyrses dont le roi Argaios arme les filles de Macédoine suffisent à repousser une attaque des Taulantiens.

Le thyrse comme arme. Le thyrsolonchos

Pourtant le rationalisme grec, ennemi du surnaturel, ne pouvait s'accoutumer à l'idée qu'une arme sans fer fût efficace. En même temps les artistes, pour représenter l'action du thyrse, étaient bien obligés de le montrer brandi à la façon d'une arme : comme ils avaient quelque souvenir de son origine, ils le font manier le plus souvent à la facon d'une latte ou même d'une massue, quand certaines formes allongées du boulon terminal sur une hampe raccourcie donnent au thyrse l'apparence d'une massue ; quand la hampe est longue et que la couronne feuillue est ramassée en ovale ou en losange, l'aspect du thyrse devient celui d'une lance ; aussi est-il tout naturel qu'on le brandisse à la manière d'une arme d'hast.

Mais c'est surtout alors que l'esprit de logique des Grecs devait s'étonner à l'idée de faire jouer à une touffe de feuilles le rôle d'une pointe de fer. Pour échapper à ce qui leur semblait irrationnel, c'est souvent avec le pied élargi du thyrse qu'ils font frapper comme avec un talon de lance ; puis ils placent un fer dans ce talon.

Enfin, par une dernière évolution à laquelle l'art et la lillérature ont eu également part, c'est dans le boulon même, plus ou moins dissimulée par ses feuilles, qu'on se décide à fixer une pointe. C'est le thursologchos, le thyrse-lance, qu'on trouve figuré dans des monuments romains inspirés de modèles hellénistiques mais qui est surtout connu par la littérature depuis l'époque alexandrine.

Le thursologchos est, à la différence du thyrse simple, une arme véritable. Strabon le cite parmi les armes des dieux ; ce serait celle dont Dionysos aurait muni ses Bacchantes pour conquérir les Indes, et, lorsque, dans la fameuse fête donnée par Ptolémée II, on voulut représenter le triomphe du dieu, c'est un thyrsolollchos doré qu'on mit entre ses mains et entre celles des jeunes filles qui représentaient les Ménades ; Callixène a soin de le distinguer du thyrse de 90 coudées et de la lance de 60 coudées que portaient des chars venant à la suite. Ç'aurait même été l'emblème ordinaire des thiases bachiques, puisque Virgile montre Daphnis leur enseignant foliis lentas intexere mollibus hastas. La confusion se fit bientôt ainsi entre thyrse et thursologchos. Après avoir rappelé que les Lacédémoniens vénéraient une idole de Dionysos munie, non d'un thyrse, mais d'une lance, Macrobe demande : sed cum thyrsum tenet, quid aliud quam latens telum gerit, cujus mucro hedera lambente protegitur ? question qui prouve l'oubli de toute différence entre le thyrse avec fer ou sans fer. Nonnos emploie souvent le terme de thursos là où le contexte indique qu'il pensait à une arme munie d'un fer. Il lui arrive même de désigner un pareil thyrse-lance par le nom de narthêx, si bien que ce roseau, que Dionysos passe pour avoir donné à ses fidèles afin qu'ils ne se blessent pas dans les fumées du vin, finit par devenir lui aussi une arme mortelle.


Article de A.J. Reinach