[VII. Arrestation à Rome des complices de Catilina]

Chapitre 6 Sommaire Chapitre 8

Parmi les conjurés demeurés à Rome régnait la plus grande irrésolution. Le départ de Catilina détruisait l'espèce de lien que son ascendant avait établi entre des hommes d'origine et de caractères si différents. Tandis que Céthégus et quelques jeunes braves de sa trempe proposaient les partis les plus violents, Lentulus, indolent et timide, éloignait toujours le moment d'agir, et voulait, avant de rien tenter, voir les drapeaux de Mallius devant les portes de Rome. En attendant, il n'était occupé qu'à recruter de nouveaux complices. Hommes libres, affranchis, esclaves, tout lui paraissait bon, désobéissant même sur ce point aux ordres de Catilina, qui, je l'ai déjà dit, soit pour compromettre les grands propriétaires, soit pour les ménager, refusait obstinément d'offrir la liberté aux esclaves. Chaque jour entre les conjurés se consumait en débats inutiles, et chaque résolution était abandonnée presque aussitôt qu'adoptée.

Les plus prudents voulaient que L. Calpurnius Bestia, gagné par eux depuis longtemps, dénonçât le consul dans une assemblée du peuple, comme coupable d'avoir banni un citoyen sans jugement et d'avoir excité la guerre civile par cet acte arbitraire (1). Bestia venait d'être désigné tribun du peuple et allait entrer en fonctions un peu avant la fin de l'année ; car, d'après un antique usage, l'installation des tribuns précédait de quelques jours celle des consuls (2). Mais un débat de tribune, un échange de récriminations, la perspective même d'une émeute sur le Forum, ne pouvaient satisfaire l'ardeur brutale de Céthégus et des jeunes patriciens, qui ne connaissaient d'autre moyen de réussir que leur épée. D'ailleurs, la tentative de Bestia ne pouvait avoir lieu immédiatement, car l'époque des Saturnales approchait, et pendant cette fête, qui durait plusieurs jours, il n'y avait point d'assemblée du peuple. Céthégus prétendait, au contraire, qu'on devait profiter des Saturnales pour frapper un grand coup. Il demandait que l'exécution du complot, si souvent ajournée, fût fixée à la nuit du 14 des kalendes de janvier. Au milieu du tumulte de la fête, les préparatifs des conjurés, disait-il, échapperaient plus facilement à la surveillance des magistrats. Le grand nombre d'esclaves devenus libres pour quelques heures pendant cette solennité, tout le bas peuple répandu dans les rues, excité par le vin et par la licence que tolérait, que commandait même une antique superstition, offraient aux conjurés une masse redoutable qu'il était facile d'émouvoir et de pousser aux derniers excès. Céthégus avait déjà formé dans sa maison une espèce d'arsenal ; là les conjurés se seraient réunis et armés ; puis, le fer et la flamme à la main, ils s'élanceraient dans les rues, ne doutant pas que le cri de liberté aux esclaves et l'espoir du pillage ne soulevassent aussitôt toute la populace. Alors chacun aurait repris le rôle dont Catilina l'avait chargé avant de quitter Rome. Statilius et Gabinius, bien accompagés, devaient mettre le feu dans douze quartiers à la fois, couper les aqueducs et tuer quiconque porterait du secours. Céthégus, avec une autre troupe, aurait cependant enfoncé la porte du consul et l'aurait massacré. Chaque magistrat avait ses assassins désignés. Plusieurs jeunes patriciens s'offrirent, dit-on, pour égorger leurs pères (3). Il n'est crime dont chacun de ces furieux ne réclamât sa part. Que feraient-ils cependant après avoir allumé l'incendie et s'être baignés dans le sang ? Alors, profitant de la stupeur générale, les armes à la main, ils seraient sortis de Rome pour y ramener bientôt Catilina en triomphe (4).

Si l'absurdité seule de ce plan rend invraisemblable qu'il ait été jamais adopté, le caractère de ses auteurs donne lieu de croire qu'il pût être, en effet, discuté dans leurs conciliabules. Rien ne peint mieux le désordre qui régnait dans ces assemblées de scélérats que la continuelle contradiction entre leurs projets et leurs actions. Tandis qu'ils méditaient d'assassiner le sénat et de brûler Rome dans une seule nuit, ils cherchaient des alliés éloignés et voulaient séduire des provinces sujettes, comme s'il se fût agi, non d'un coup de main, mais d'une longue guerre. Il y avait alors à Rome des députés de la nation allobroge, chargés par leur petit peuple de réclamer auprès du sénat un dégrèvement d'impôt. Depuis l'année 633, les Allobroges, subjugués par le consul Q. Fabius, étaient livrés en proie à toutes les exactions ordinaires à l'administration romaine. Le moment était mal choisi pour obtenir justice, et leurs plaintes n'avaient pu se faire entendre encore dans la curie, trop préoccupée des affaires intérieures de la république. Lentulus jugea que ces hommes pouvaient être séduits facilement, et que, par leur entremise, il déterminerait les Allobroges, nation belliqueuse et impatiente du joug, à se déclarer pour Catilina. En conséquence, il charge un certain P. Umbrenus de les sonder, et, s'il se pouvait, de traiter avec eux. Umbrenus était un affranchi qui, ayant trafiqué longtemps dans la Gaule, avait des relations de commerce ou d'hospitalité avec la plupart des chefs allobroges. Un jour, rencontrant les députés dans la Graecostasis (5), palais où la république logeait les ambassadeurs étrangers, il les aborde et fait tomber la conversation sur les affaires de leur pays. Tout pleins de leurs griefs, les barbares s'épanchèrent facilement devant un homme qu'ils regardaient presque comme un compatriote. Ils peignent sous les plus tristes couleurs la misère de leurs villages, l'avarice des magistrats envoyés de Rome, le désespoir de tout un peuple. Pour gagner davantage leur confiance, Umbrenus parait les écouter avec un vif intérêt : il s'afflige avec eux, déplore l'injustice du sénat, et n'a pas de peine à leur faire comprendre que du gouvernement actuel ils ne doivent attendre nul adoucissement à l'oppression dont ils gémissent. Comme ils s'échauffaient au récit de leurs misères, et s'écriaient que la mort seule pouvait leur apporter la délivrance : «Si vous étiez des hommes, leur dit-il plus bas, je vous montrerais le moyen de sortir d'une position si cruelle...» Aussitôt les Allobroges lui demandent l'explication de ces paroles mystérieuses. «Aie confiance en nous, disent-ils ; nous sonnnes prêts à tout entreprendre : rien ne nous paraîtra difficile ou pénible pour délivrer notre pays des tributs qui l'écrasent». Alors Umbrenus les mène dans la maison de Sempronia, une de ces femmes que Catilina avait initiées depuis longtemps à ses complots (6). Son mari D. Brutus était alors absent de Rome. Pour donner plus d'autorité à ses discours, Umbrenus se fait accompagner de Gabinius, de P. Furius et de Manlius Chilon. Là, il révèle aux députés allobroges les desseins et les espérances de Catilina. Il leur parle en termes pompeux de son armée, qui se grossit tous les jours, du nombre de ses affidés demeurés à Rome. Il pousse l'imprudence jusqu'à nommer les chefs des conjurés ; mais en même temps, afin de les éblouir par de grandes renommées, il leur cite comme ses complices les principaux personnages de la république (7). Au dire d'Umbrenus, César et Crassus étaient affiliés à la conspiration ; tout ce qu'il y avait de puissant et d'énergique à Rome s'était réuni pour accabler un gouvernement décrépit. En s'associant à une entreprise dont le succès ne pouvait être douteux, les Allobroges acquerraient des droits à la reconnaissance des vainqueurs. Ils obtiendraient la justice qu'ils réclamaient en vain depuis si longtemps ; peut-être même leur complète indépendance serait-elle le prix des services qu'on attendait d'eux. Renforcée de leur brave cavalerie (8), la nombreuse infanterie de Catilina deviendrait invincible. Les députés, étourdis de cette révélation, et partagés entre l'espérance et la crainte, promettent tout ce que veut Umbrenus, et demandent seulement à être présentés aux principaux chefs du complot, afin d'entendre de leur bouche même les assurances qui regardent leur patrie.

Rentrés dans leur logement, les Allobroges se trouvèrent dans une grande perplexité au sujet du parti qu'ils devaient prendre maîtres d'un secret si important, ils ne surent d'abord ce qui serait le plus utile pour eux et pour leur pays, de le révéler au gouvernement pour s'en faire un titre à son intérêt, ou bien de seconder par leurs efforts une entreprise à laquelle prenait part tout ce que Rome renfermait de personnages considérables. Après avoir longuement délibéré, la crainte du sénat, qui pour les barbares représentait la toute-puissance romaine, l'emporta sur les espérances un peu vagues que les conjurés avaient pu leur faire concevoir (9). Dès que leur résolution fut arrêtée, ils s'adressèrent à un parent du consul (10) qui avait soumis leur pays, à Fabius Sanga, dont la famille, suivant l'usage romain, exerçait un patronage sur toute la nation allobroge. C'était en quelque sorte leur confident naturel, et ils lui racontèrent tout ce que Umbrenus venait de leur communiquer. Sans perdre un moment, Fabius les conduisit secrètement chez le consul, où ils répétèrent leur déposition (11).

Cicéron était sans doute trop bien servi par ses espions pour que cette nouvelle révélation pût lui apprendre quelque chose touchant les projets ou les ressources des conjurés ; mais les nouveaux agents qui venaient ainsi se mettre à sa disposition lui offraient une occasion qu'il attendait depuis longtemps et qui jusqu'alors lui avait toujours échappé. Cicéron comprit aussitôt que les Allobroges, chargés par Lentulus de traiter avec leurs compatriotes, ne pourraient se présenter devant le conseil de leur nation sans instructions écrites, et, chose étrange, malgré sa vigilance, malgré ses nombreux émissaires, malgré l'or qu'il répandait, il ne possédait pas encore une seule lettre des conjurés qui pût devenir entre ses mains une pièce de conviction. Sans doute Catilina avait compris le danger d'une correspondance par lettres et l'avait expressément interdite. Jusqu'alors, il faut le croire, les relations des conjurés entre eux n'avaient eu lieu qu'au moyen d'agents porteurs d'instructions verbales. En Italie, cette manière de correspondre était possible, mais à des barbares, ignorant les liaisons d'amitié ou de patronage qui unissaient les Romains les uns aux autres, il fallait apporter des témoignages plus certains que la parole d'un affranchi ou d'un client. Il leur fallait des lettres et des sceaux. Cicéron allait enfin obtenir des preuves matérielles qu'on ne pourrait récuser comme les rapports des hommes méprisables dont il était obligé de soudoyer les délations. Ce fut donc avec empressement qu'il accueillit les députés allobroges ; il loua leur fidélité à la république, et leur prescrivit, pour en donner une preuve complète, de se mettre en relation avec Lentulus, de feindre d'entrer dans tous ses projets, de lui promettre même l'assistance de leurs compatriotes, mais surtout d'exiger de lui un engagement écrit (12).

Avec des hommes aussi imprudents que l'étaient la plupart des conjurés, le succès de cette manoeuvre n'était pas douteux. Lentulus ne fit point difficulté de voir les Allobroges, les reçut comme des amis, et non seulement leur fit part de tous ses plans, mais il alla même jusqu'à les entretenir des espérances ridicules qu'il fondait sur les oracles sibyllins. Dès la première conférence, il n'avait plus rien qu'il pût apprendre de ses desseins ou de son caractère à ces hommes qui la veille lui étaient parfaitement inconnus. Bientôt, on le conçoit, les chefs des conjurés et leurs nouveaux complices furent d'accord. Lentulus, Céthégus et Statilius écrivirent au sénat et au peuple des Allobroges, mais cependant, par un reste de prudence, ou peut-être seulement parce qu'ils ne pouvaient ni ne voulaient rien conclure sans avoir pris les ordres de Catilina, ils se bornèrent à accréditer les députés, leur donnant en quelque sorte des pleins pouvoirs, sans enter dans aucune explication au sujet des négociations qu'ils devaient poursuivre. Toute cette transaction devait se faire de vive voix, par l'entremise des députés et d'un certain Volturcius de Crotone, chargé de les accompagner, et de représenter ses commettants parmi les barbares. Cette précaution, que l'on ne devait peut-être pas attendre de gens tels que Lentulus et ses complices, était au reste à peu près inutile. En effet, d'après les lois cornéliennes, pour constituer le crime capital de lèse-majesté de la république, il suffisait de traiter avec une nation étrangère sans l'autorisation du sénat (13). Des dépêches semblables avaient été déjà remises à Cassius, qui, parti de Rome peu de jours auparavant, promettait de rejoindre en chemin les députés allobroges. Avant de passer les Alpes, ceux-ci devaient se détourner de leur route pour conférer avec Catilina, et en recevoir un serment solennel, confirmant le traité d'alliance avec leur nation. Cette cérémonie accomplie, ils seraient allés avec leurs guides presser l'arrivée des secours attendus. Lentulus cependant écrivit à Catilina une lettre conçue en termes mystérieux, et, la confiant à Volturcius, il le chargea de l'expliquer et de rendre compte verbalement de la situation des affaires à Rome. Les lettres furent écrites et les dernières instructions données dans la maison de Lentulus, la nuit du 4 au 3 des ides de décembre. Quelques heures avant le jour, Volturcius et les Allobroges le quittèrent et se mirent immédiatement en route (14).

Cependant Cicéron, bien instruit à l'avance, avait tout disposé pour les arrêter à leur sortie de Rome ; d'accord peut-être avec les envoyés, honteux de leur métier d'espions, ou plutôt, sans doute, répugnant lui-même à montrer publiquement de quels moyens il se servait, il voulut que les Allobroges, aussi bien que Volturcius, fussent traités en prisonniers, et il annonça que ce serait en présence du sénat seulement qu'il communiquerait avec eux. Par son ordre, deux préteurs, L. Valérius Flaccus et C. Pomptinus, avec une troupe choisie parmi ces Réatins, qui depuis plusieurs jours lui servaient partout de gardes du corps, s'embusquent bien armés, dès l'entrée de la nuit, aux deux extrémités du pont Milvius que traverse la route d'Etrurie. A l'exception des préteurs, dont le consul était sûr, pas un homme dans ce détachement ne savait à quel service il était destiné. Vers la troisième veille, paraissent les Allobroges et Volturcius. On les laisse s'engager sur le pont, puis on donne le signal ; en un instant ils sont entourés. Devant et derrière des soldats, à droite et à gauche le Tibre ; les préteurs se nomment. D'abord Volturcius met l'épée à la main et crie à ses compagnons de s'ouvrir le passage par la force ; mais les voyant rendre leurs armes, il comprend que la résistance est inutile. Il s'adresse alors à Pomptinus, qu'il connaissait personnellement, et le supplie de le sauver au nom de leur ancienne amitié. Les préteurs le désarment, s'emparent de ses lettres et ramènent promptement leurs prisonniers à Rome (15).

Le jour allait paraître (16) lorsque Cicéron apprit, par un courrier détaché en avant, que ses ordres avaient été ponctuellement exécutés ; aussitôt il mande auprès de lui les principaux chefs des conjurés, dont aucun ne pouvait connaître encore l'arrestation de leurs émissaires sur le pont Milvius. Gabinius se rendit sur-le-champ auprès du consul, bientôt suivi de Céthégus et de Statilius. Lentulus vint lé dernier; paresseux de son naturel et fatigué de la conférence, qui avait duré une partie de la nuit, il dormait profondément lorsque les licteurs du consul se présentèrent à sa porte. Malgré la surprise et l'inquiétude qu'un message de Cicéron à pareille heure devait causer à quatre hommes engagés dans une entreprise si téméraire, aucun ne fit difficulté d'obéir (17). Céparius, également mandé, mais averti à temps du danger, sans doute par quelque ami secret, sortit de Rorne aussitôt ; il fut arrêté le jour suivant dans la campagne (18). Plus heureux, Umbreuus et Manlius Cliilon par-vinrent à se soustraire aux poursuites (19).

Au point du jour (20) le préteur C. Sulpicius fouillait la maison de Céthégus et y découvrait un amas considérable d'épées et de poignards. Plutarque rapporte qu'on y avait caché des torches et des projectiles incendiaires (21) ; mais le silence de Cicéron sur un point si important donne lieu de croire le fait controuvé.

Le consul était entouré d'une garde nombreuse, de tous les magistrats et d'une foule de sénateurs, lorsqu'il déclara aux conjurés qu'ils étaient ses prisonniers. D'ailleurs il ne leur adressa pas une question, et ne voulut ni ouvrir ni recevoir les lettres saisies au pont Milvius. Il affecta même de ne pas les toucher, et d'en confier le dépôt au préteur Valérius (22). Ce n'était que dans la curie, et devant tout le sénat assemblé, qu'il avait résolu de commencer l'instruction.

Cependant des licteurs couraient par toute la ville et convoquaient les sénateurs dans le temple de la Concorde, monument de la victoire sanglante du consul Opimius sur la faction populaire (23). Au point du jour, Cicéron, tenant Lentulus par la main, le conduisit lui-même dans le temple, voulant témoigner par cette démonstration qu'au seul consul appartenait d'exercer une contrainte à l'égard d'un préteur (24). L'assemblée était nombreuse ; l'appareil militaire qui entourait le lieu de réunion, la contenance de son président, annonçaient que jamais affaire plus grave n'avait été soumise à ses délibérations.

M. Messala, préteur, Cosconius, Nigidius Figulus et Appius Ciaudius, ainsi que quelques autres sénateurs, étaient chargés par le consul d'écrire l'interrogatoire qui allait avoir lieu, au moyen de caractères abrégés, espèce de sténographie en usage dès cette époque (25). Cicéron prévoyait que ses actes pourraient être incriminés quelque jour, et se préparait ainsi un moyen de défense dans l'occasion, d'autant plus sûr, qu'il se réservait pour lui seul ces espèces de procès-verbaux, dont il eut soin d'ailleurs de répandre plus tard de nombreux extraits à Rome et dans les provinces (26).

Le sénat réuni, le consul exposa eu peu de mots le motif de la convocation. Il rendit compte des arrestations opérées la nuit précédente au pont Milvius et dans l'intérieur de la ville ; puis il ordonna d'introduire Volturcius.

Interrogé sur son voyage, sur les lettres dont il était porteur, enfin sur ses instructions et ses projets, Volturcius ne répondit d'abord que par de vaines défaites. Bientôt, pressé de questions, effrayé par les menaces du consul, après avoir épuisé tous les subterfuges, il demanda que la foi publique, c'est-à-dire une promesse de pardon, lui fût donnée solennellement. A cette condition il s'engageait à tout révéler (27). Rassuré sur ce point par la parole du consul, il avoua qu'il était envoyé vers Catilina par Lentulus, et qu'il avait mission de l'engager à marcher au plus tôt sur Rome, où son mouvement allait être secondé ; qu'en attendant ses amis l'exhortaient à ne rien négliger pour enrôler de nouveaux soldats, et pour répandre partout le feu de l'insurrection. Quant aux conjurés à Rome, Volturcius déclara, qu'affilié au complot depuis fort peu de temps, par Gabinius et Céparius, il ne connaissait que ceux qu'ils lui avaient désignés, et il nomma sur leur rapport Autronius, Servius Sylla et Varguntéius (28) ; ces derniers même sans les charger d'une manière positive, car aucun d'eux ne fut décrété d'accusation, du moins pour le moment.

A Volturcius succédèrent les Allobroges, dont la déposition fut la même à peu près. Puis on introduisit Céthégus. Il paraissait n'avoir rien perdu de son audace habituelle, et répondit aux premières questions qui lui furent adressées avec une insolence qui excita des murmures. Au sujet de cette quantité d'épées et de poignards trouvés dans sa maison, il donna cette défaite que c'était chez lui une manie d'amateur et que toute sa vie il avait été curieux de faire collection de bonnes armes (29). Ou le vit pâlir cependant lorsque le consul lui fit représenter la lettre qu'il avait adressée au sénat et au peuple des Allobroges. Il fut contraint de reconnaître le sceau et l'écriture, et son assurance l'abandonna tout à fait lorsqu'on en vint à une lecture publique. Dans cette lettre, Céthégus se portait caution d'engagements déjà pris à Rome avec les envoyés, et conjurait ses nouveaux alliés d'agir avec vigueur, conformément aux instructions qui leur seraient communiquées verbalement (30).

Statilius comparut ensuite, reconnut son sceau et son écriture, et ne montra pas moins d'abattement que Céthégus à la lecture de sa lettre, de tous points semblable à la précédente.

Après Statilius, Lentulus fut introduit ; Cicéron lui représenta une lettre encore cachetée et enveloppée des bandes de lin sur lesquelles on appliquait le sceau (31). «Est-ce là ton sceau ?» lui demanda-t-il. Lentulus, troublé, répondit par un signe de tête qu'il le reconnaissait. «J'y vois, poursuivit le consul, le portrait de ton grand-père (32), d'un bon et illustre citoyen, qui aima toujours uniquement sa patrie. Toute muette qu'elle est, cette image vénérable aurait dû te détourner d'un si grand forfait». Puis il ouvrit la lettre, adressée, ainsi que les précédentes, au sénat et au peuple des Allobroges. D'ailleurs également laconique, son auteur se bornait à demander créance pour les communications que les députés feraient de sa part et de celle de ses amis. Le consul, poursuivant son interrogatoire, ordonna à Lentulus de parler et d'expliquer sa conduite. Un moment celui-ci garda le silence. Bientôt, conservant encore quelque espoir dans la fidélité de Volturcius et des Allobroges, il se leva avec impétuosité, et demanda fièrement ce qu'il y avait de commun entre lui et ces barbares. Il les somma même, ainsi que Volturcius, de déclarer ce qu'ils étaient venus faire dans sa maison, protestant n'avoir eu avec de telles gens que des relations innocentes, comme en pouvait avoir un magistrat sans cesse entouré de solliciteurs. Les Allobroges répondirent en peu de mots et avec fermeté. Ils dirent combien de fois ils étaient venus chez Lentulus, et quel avait été leur introducteur auprès de lui. Ils rapportèrent jusqu'aux termes dont il s'était servi dans ces conférences, et, l'interpellant à leur tour, ils lui demandèrent s'il avait si tôt oublié les oracles sibyllins. A ce mot, Lentulus, perdant toute contenance, se laissa retomber sur son siège comme anéanti ; et sans essayer un effort pour les démentir ou pour interpréter leur déposition, il convint, à l'étonnement général, que les Allobroges disaient vrai (33). Alors Volturçius demanda que l'on produisit la lettre dont il avait été chargé pour Catilina. Lentulus, de plus en plus accablé, reconnut encore le sceau et l'écriture (34), oubliant dans son désordre que cette lettre ne portait aucune suscription, et que par conséquent il pouvait nier qu'elle fût écrite à Catilina. Il en écouta la lecture en silence, pâle, les yeux attachés sur la terre, ou, s'il les tournait vers ses complices c'était avec une expression de confusion et de désespoir qui trahissait son crime encore plus que les dépositions de ses accusateurs.

Il avait écrit : «Par celui que je t'envoie, tu sauras qui je suis (35). Sois homme, et songe où tu es. Pense à ce qui t'est nécessaire aujourd'hui. Accepte les secours de tous, même des derniers». Les termes obscurs de cette dépêche s'expliquaient par les instructions données à Volturcius, et l'on doit se soutenir que Catilina et Lentulus avaient toujours été divisés au sujet de l'insurrection des esclaves. Le dernier regardait leur assis-tance comme indispensable dans la nécessité où se trouvaient leurs affaires, et conseillait à Catilina de les appeler à la liberté.

Lentulus passait pour avoir de l'éloquence, ou plutôt une certaine facilité d'élocution, soutenue par un air de hauteur et d'audace, lui avait acquis dans le sénat une réputation d'orateur (36). Il la soutint mal cette fois. Pas un mot de justification ne sortit de sa bouche ; pas un effort pour se défendre ou pour jeter dans l'assemblée quelques doutes sur la véracité des témoins produits par le consul. Son silence et son inexprimable abattement passèrent pour un aveu auprès du sénat, et firent ajouter foi à tout ce que racontèrent les dénonciateurs touchant ses projets et ses complices. Gabinius, conduit le dernier dans la curie, fut encore confronté avec les Allobroges et Volturcius. Après quelques dénégations impudentes, il faillit comme les autres, et n'essaya plus de nier rien de ce que les témoins avaient avancé (37). Tous les accusés d'ailleurs, s'enfermant dans un silence obstiné quant à leurs projets, confirmèrent seulement par leurs aveux, et plutôt peut-être par leur silence et leur confusion, leurs relations avec Catilina et les Allobroges. Aucun ne nomma ses complices. Sur ce point d'ailleurs, le consul, qui dirigeait l'interrogatoire, ne les pressa point de questions, se bornant, comme il semblait, à vouloir prouver deux faits jusqu'à l'évidence, à savoir qu'ils avaient tenté de traiter sans autorisation avec une nation étrangère, et qu'ils correspondaient avec un homme en état d'hostilité ouverte contre la république. Ces deux points étaient hors de doute, et leurs lettres, leurs sceaux, étaient des témoignages sans réplique. Outre les quatre prisonniers, les révélateurs n'avaient chargé formellement que cinq autres conjurés, gens obscurs, tous hors de Rome et en fuite depuis les arrestations du pont Milvius. C'étaient P. Furius, Q. Manlius Chilon et P. Umbrenus, tous les trois ayant servi d'intermédiaires entre Lentulus et les Allobroges ; puis L. Cassius, chargé, disait-on, d'incendier plusieurs quartiers de Rome ; enfin M. Céparius, lequel, suivant les mêmes rapports, aurait eu mission de se rendre en Apulie pour soulever les esclaves attachés à la garde des troupeaux (38).

L'interrogatoire terminé, la délibération s'ouvrit sur la manière de procéder à l'égard des quatre accusés présents et des cinq contumaces. Au sujet des autres chefs, soit réels, soit supposés, nul en ce moment n'ouvrit la bouche ; car le sénat, encore dans la stupéfaction où l'avait plongé la découverte du complot, se laissait diriger par le consul, dont la politique constante était de réduire autant que possible le nombre des coupables et de ne pas en reconnaître dans un rang trop élevé. Chaque sénateur, quel que fût le parti politique auquel il appartînt, témoignait à l'envi son horreur pour les conjurés, et L. César, le propre beau-frère de Lentulus, s'écria avant même que les prisonniers eussent été emmenés hors de la curie : «Ma famille a été décimée par nos discordes civiles ; Fulvius, mon grand-père, et son fils encore enfant revêtu du caractère sacré de héraut, ont été mis à mort sans forme de procès par l'ordre d'un consul ; personne moins que moi n'approuve ces terribles exemples ; mais je n'hésite point à le déclarer, Lentulus doit payer de sa tête son crime exécrable (39)».

Pourtant on ne délibéra point encore sur le sort des conjurés et les premières résolutions furent pour rendre grâce à Cicéron d'avoir, par son courage et sa vigilance, sauvé la république du plus grand péril. Des remercîments furent également votés par acclamation aux préteurs Valérius et Pomptinus, pour avoir secondé le consul ; enfin, mais en troisième lieu, l'on arrêta que des félicitations seraient adressées au consul C. Antonius pour avoir écarté de ses conseils et de ceux de la république les hommes qui avaient pris part à la conjuration (40). Aux termes un peu embarrassés de cette formule, qui rappelait l'ancienne coalition d'Antonius et de Catilina dans les comices consulaires de l'année précédente, on croit reconnaître la rédaction de Cicéron lui-même ; il voulait donner à son collègue un avertissement plutôt qu'un éloge ; car personne ne pouvait prendre au sérieux cette manifeste contre-vérité qu'Antonius, devenu consul, avait rompu toute relation avec les complices de Catilina.

Puis on ordonna la détention des neuf conjurés, accusés d'attentat contre la république ; et l'on décréta que Lentulus abdiquerait la préture séance tenante, après quoi il serait constitué prisonnier entre les mains d'un sénateur ; que ses trois complices présents seraient pareillement remis à la garde de magistrats désignés par le consul, ainsi que les cinq contumaces, si l'on parvenait à se rendre maître de leurs personnes ; enfin que de solennelles actions de grâces seraient adressées aux dieux immortels avec une formule mentionnant le nom du consul, et le service qu'il venait de rendre à l'empire, honneur réservé jusqu'alors aux généraux qui avaient remporté des victoires décisives. Cette formule, d'ailleurs si flatteuse pour Cicéron, préjugeait en quelque sorte le sort des conjurés. En effet, on devait remercier les dieux d'avoir inspiré le consul, qui avait préservé Rome de l'incendie, les citoyens des massacres, l'Italie de la guerre (41).

Toutes ces décisions, adoptées immédiatement après l'interrogatoire des accusés, ne furent point cependant l'objet d'un sénatus-consulte ; mais elles furent produites et rédigées comme une résolution du sénat (42), formule modeste suggérée sans doute par Cicéron lui-même, habile à éviter en ce moment toute lutte avec l'opposition. Plus que jamais il sentait le besoin d'obtenir une forte majorité, et sa politique, nous l'avons remarqué souvent, était de marcher pas à pas, tournant les obstacles au lieu de les renverser.

Toujours plongé dans un abattement stupide, Lentulus, sur l'ordre du sénat, abdiqua la préture qu'il tenait du peuple, au lieu d'élever des difficultés qui eussent peut-être embarrassé ou divisé ses juges. Ensuite le consul désigna les sénateurs à qui les accusés seraient remis. Par une affectation de modération et de douceur, il confia Lentulus à la garde de l'édile Lentulus Spinther, son parent. Il fit plus ; il voulut donner aux chefs de l'opposition une haute marque de confiance, et sans tenir compte des révélations secrètes par lesquelles on avait essayé de le prévenir contre eux, il chargea C. César de garder Statilius, et donna la maison de Crassus pour prison à Gabinius. C'était un trait d'habile politique que de rassurer les deux hommes les plus considérables parmi ses adversaires, et de les compromettre ainsi aux yeux du reste des conspirateurs. Céthégus fut confié à Q. Cornificius, et Céparius, qui fut arrêté plus tard, à Cn. Térentius (43).

Le jour tirait à sa fin lorsque l'assemblée se sépara. A peine le consul l'eut-il congédiée avec la formule ordinaire : «Nous ne vous retenons plus, pères conscrits (44)», qu'il descendit au Forum, rempli d'une foule inquiète, encore imparfaitement instruite des événements de la nuit précédente. Malgré l'heure avancée et l'approche de la nuit, il voulut haranguer le peuple et lui rendre un compte détaillé de la séance qui venait de finir, de même que quelques jours auparavant il l'avait informé de la situation des affaires aussitôt après le départ de Catilina. Il est impossible de ne pas admirer l'éloquence et l'habileté politique de ce discours (45), quoique la critique moderne puisse souvent y reprendre la vanité trop naïve de l'orateur. Mais cette vanité même, il la tourne à son avantage ; car en se louant lui-même devant le peuple, il semble se présenter à lui comme l'élu de son choix, et lui rapporter toute la gloire qu'il doit à ses suffrages.

Après un tableau animé des horreurs que méditaient les conjurés, l'orateur raconte leur arrestation, leur interrogatoire, la délibération du sénat. Il se hâte d'ajouter, mais comme en passant, qu'on n'a point rédigé de sénatus-consulte, et cependant il insinue qu'on en doit attendre un sur cette importante affaire(46). Il tâte ses auditeurs, pour ainsi dire, et cherche à deviner tout ce qu'il pourra oser plus tard. Pour rassurer la multitude, il ne manque pas de faire remarquer le petit nombre des accusés. «Ce ne sont pas tous les coupables, sans doute, dit-il ; mais la punition de neuf misérables couverts d'ignominie, et détestés par tout le monde, suffira pour sauver la république, satisfaire aux lois, et guérir les insensés qu'ils ont entraînés dans le crime (47)». En rendant compte de l'abdication de Lentulus, il loue le scrupule du sénat à croire cette formalité nécessaire à l'égard d'un homme à qui l'on pourrait contester même le titre de citoyen, et il ajoute ce trait qui s'adresse à la faction démocratique : «Le grand Marius ne s'arrêta pas devant une considération semblable ; il fit tuer C. Servilius Glaucia, tout préteur qu'il était, et quoique, dans le sénatus-consulte lancé contre les rebelles, Servilius ne fût point nominativement mis hors la loi (48)».

Si le consul loue la justice expéditive de Marius, il évite toutefois avec grand soin de s'expliquer sur le sort qu'il réserve aux conspirateurs ; il ne se sert jamais que du terme vague de châtiment, répétant avec une sorte d'affectation qu'il ne veut pas chercher d'autres coupables.

Le style de l'orateur est calculé pour la foule à laquelle il s'adresse ; il raille les conjurés en termes burlesques, sachant bien que s'il fait rire à leurs dépens, il n'a plus à craindre que la pitié de son auditoire ne désarme la justice. «Quelles gens ! s'écrie-t-il, pour troubler la république ! Lentulus, un dormeur éternel ; Céthégus, un fou déchaîné ; Cassius, une masse de graisse (49). Un seul homme était à redouter, mais seulement tant qu'il demeurerait dans ces murs. Il savait tout ; il n'y avait personne chez qui il ne sût s'introduire : tenter les uns, séduire les autres, les entraîner, voilà ce qu'il pouvait faire, voilà ce qu'il osait. Il avait l'intelligence du crime, et à cette intelligence, ni la langue, ni la main ne faisaient faute. 11 savait bien choisir ses agents ; mais pour avoir donné un ordre, il ne le croyait pas exécuté. Lui-même surveillait tout, se chargeait de tout, prenait tout sur lui ; il était infatigable : ni le froid, ni la soif, ni la faim ne pouvaient l'abattre. Mais ce Catilina si énergique dans le crime, si hardi, si rusé, si fécond en ressources désespérées, je l'ai chassé de son embuscade, au milieu de Rome, pour en faire un voleur de grand chemin. Dès lors j'ai eu bon marché des misérables ses complices (50)».

L'orateur n'oublie rien pour frapper la multitude grossière qui l'entoure. Il rappelle les prodiges qui, depuis quelques années, ont menacé la ville ; car devant le peuple, le sceptique Cicéron est devenu dévot. «Des météores effrayants dans le ciel, la statue de Jupiter, très bon, très grand, renversée par la foudre ; des tables d'airain, où des lois étaient gravées, fondues par le feu céleste, qui frappa encore l'image de Romulus enfant, sous les mamelles de sa louve de bronze ; tous ces présages funestes ont été conjurés. On a pris soin de consulter les plus savants aruspices de toute l'Etrurie ; ils annonçaient des massacres, des incendies, la destruction des lois, la perte de la ville et de l'empire si l'on n'apaisait le courroux des dieux. Vous savez comment, d'après les instructions de ces devins, on a célébré des jeux pendant dix jours ; et, ce qu'ils avaient recommandé surtout, on a fait fondre une statue de Jupiter beaucoup plus grande que la première ; on l'a placée dans un lieu élevé ; on l'a tournée en sens contraire de la position qu'elle avait autrefois. Maintenant elle regarde l'Orient, la curie, le forum ; car de la sorte, disaient les aruspices, on peut espérer que les desseins néfastes des ennemis de la république n'échapperont point au sénat ni au peuple. Cette statue, Romains, devait être consacrée dans le lieu où vous la voyez, par les consuls précédents ; mais l'ouvrage a duré si longtemps, que ce bronze n'a pu être consacré que par moi, et seulement hier ! Quel esprit assez incrédule pour ne pas voir que, dès hier, Jupiter très bon, très grand, nous a rendu sa protection (51)

Pour une populace entêtée de ses grossières superstitions, cette coïncidence entre la découverte de la conjuration et la dédicace de la statue retournée était un argument victorieux et qui n'admettait point de réplique. De bruyantes acclamations accueillirent la péroraison du consul, et la multitude le reconduisit aux flambeaux, comme un triomphateur, jusque chez un de ses amis, où il se rendait pour passer la nuit. Dans sa maison, cette nuit même, les dames romaines célébraient les mystères de la Bonne Déesse, et l'on sait qu'aucun homme ne pouvait demeurer dans l'enceinte désignée pour les cérémonies nocturnes dont les femmes seules avaient connaissance (52). On ne s'étonnera pas que, dans la maison du consul, en présence des vestales, dont une était sa belle-soeur (53), un nouveau prodige vînt attester le retour de la faveur céleste. Après le sacrifice, le feu semblait éteint, lorsque des cendres on vit s'élever tout à coup une flamme brillante. Aussitôt les vestales annoncèrent à Térentia, la femme de Cicéron, que son mari pouvait poursuivre ses desseins en assurance ; car ils étaient approuvés par la déesse, qui lui donnait cette lumière surnaturelle pour son salut et sa gloire. Térentia se hâta de porter cet oracle à Cicéron. C'était une femme ambitieuse, hardie, et qui abandonnait volontiers les soins domestiques pour s'immiscer dans les affaires d'Etat (54). Mais pour embrasser une résolution énergique, Cicéron n'avait pas besoin des exhortations de sa femme ni des augures de la Bonne Déesse ; son plan avait été mûri longuement. Il avait tendu le piège, pouvait-il délibérer lorsque ses ennemis étaient en son pouvoir ?

Tandis que, entouré d'un petit nombre de ses confidents, parmi lesquels on cite son frère Quintus et P. Nigidius (55), il se préparait à la séance du lendemain, la ville était en proie à une vive agitation. Chacun commentait à sa manière le discours du consul. Ces projets de massacre, d'incendie, qu'il venait de révéler au peuple, étaient-ils réellement déjoués par l'arrestation de quatre ou cinq personnes ? Connaissait-on tous les coupables ? La rigueur avec laquelle le sénat traitait Lentulus, un des premiers magistrats de la république, n'allait-elle pas exciter une tempête plus terrible que la conjuration même qu'on prétendait punir ? De maison en maison circulaient les nouvelles les plus alarmantes : tantôt c'était Catilina marchant sur Rome avec une armée formidable ; tantôt la guerre sociale prête à se rallumer ; enfin, de toutes les rumeurs, la plus effrayante pour les Romains, une insurrection d'esclaves en Italie et dans la ville même.

Un tel danger d'ailleurs n'était pas dénué de fondement ; tous les conjurés n'avaient point perdu l'espoir. De la maison où il était détenu, Céthégus était parvenu à dépêcher un émissaire chargé de rassembler ses affranchis, ses clients, sa famille, de leur faire prendre les armes et tenter un coup de main pour l'enlever. Ces hommes, choisis et dressés par Céthégus, aussi hardis que leur maître (56), paraissaient résolus à tout oser pour sa délivrance. D'autres conjurés, courant les tavernes, haranguaient les artisans et les esclaves, les exhortant à ne pas abandonner les victimes marquées par le consul. Quelques-uns enfin, plus prudents, s'adressaient aux tribuns et aux chefs de la populace, et cherchaient à les intéresser par l'appât d'une riche récompense (57).

D'un autre côté, les principaux personnages politiques, réunis par groupes suivant leurs opinions, s'entretenaient moins de l'événement du jour que de ses conséquences pour l'avenir de leurs partis. Les uns voyaient dans la découverte de la conjuration et dans la punition des coupables l'accroissement du pouvoir oligarchique; les autres pensaient, au contraire, que jamais le sénat ne s'était trouvé dans une situation plus cri-tique, et que, soit qu'il usât de rigueur, soit qu'il se montrât indulgent , son autorité devait nécessairement s'affaiblir après une si violente secousse. Plusieurs, observant l'ignorance générale au sujet des plans des conjurés, leur secret à la merci de quelques hommes obscurs, songeaient à compromettre leurs rivaux, et à satisfaire leurs inimitiés personnelles sous une ombre de zèle pour la république. Q. Catulus et L. Calpurnius Pison avaient voué l'un et l'autre une haine mortelle à César : le premier, parce que, lors de l'élection du grand pontife, il avait vu naguère humilier ses cheveux blancs et ses hautes dignités par l'ascendant irrésistible de son jeune rival ; le second, poursuivi criminellement par César pour avoir fait mourir injustement un Gaulois des provinces transpadanes, venait à peine d'échapper à une condamnation flétrissante (58). Pleins d'espoir croyant l'heure de la vengeance arrivée, tous les deux obsédaient le consul pour obtenir de lui qu'il leur sacrifiât leur ennemi. Un mot de Cicéron pouvait dicter les réponses des Allobroges ou de ces nombreux espions qu'il tenait pour ainsi dire dans sa main. Il avait lui-même plus d'un grief contre le chef de la faction populaire. Mais s'attaquer à un adversaire si redoutable, c'était remettre en question la victoire qu'il voyait près de couronner sa longue patience. Sa générosité d'ailleurs, j'aime à le croire, s'indigna de la bassesse de cette vengeance, et surtout de l'impudence de ces vieillards ambitieux qui venaient lui marchander la tête de leur ennemi (59). Cicéron résista à leurs prières, à leurs offres, à leurs importunités. Il prit soin de rendre ses témoins inaccessibles à de pareilles sollicitations. Cependant Catulus et Pison, après avoir épuisé tous les moyens de séduction auprès du consul, essayèrent de se passer de son assistance. Il suffisait qu'ils eussent paru dans ses conseils, qu'ils eussent approché de Volturcius et des Allobroges, pour qu'ils se prétendissent et qu'on les crut instruits des secrets d'un interrogatoire particulier. Les dettes énormes de César, ses relations, son ambition effrénée rendaient la cire lomnie probable, et elle fut avidement accueillie par la foule de ses envieux. (60).

Crassus, de son côté, fut également en butte à de pareilles intrigues, et peut-être le consul ne les repoussa-t-il pas avec la même énergie. Crassus, puissant dans le sénat, ne pouvait point, comme César, soulever les masses au gré de son ambition. Ennemi moins dangereux, c'était un rival plus irritant pour un homme qui le rencontrait sans cesse sur le terrain où il voulait dominer en maître. On peut encore remarquer que, bien que César et Crassus se fussent ligués pour empêcher Cicéron d'obtenir le consulat, il n'avait point gardé le même ressentiment contre ces deux adversaires. Représentant de l'aristocratie, Crassus avait cruellement blessé l'orgueil du parvenu, en lui reprochant l'obscurité de son origine, tandis que César, chef du parti populaire, avait ménagé l'élu du peuple tout en attaquant sa politique. Il serait injuste cependant de rendre Cicéron responsable des calomnies répandues contre Crassus ; tout ce qu'on peut blâmer dans sa conduite, c'est de l'avoir laissé accuser en sa présence par de méprisables dénonciateurs.

Le sénat se rassembla de nouveau la veille des nones de décembre, dans le temple de la Concorde, pour continuer l'enquête suspendue dans la séance précédente. Dans l'intervalle, beaucoup de nouvelles dépositions avaient été adressées au consul. Quelques sénateurs, suspects par leurs relations avec les conjurés, s'étaient empressés de lui communiquer non seulement les renseignements qui leur étaient personnels, mais encore, pour faire preuve de zèle, ils étaient venus lui porter jusqu'aux bruits de ville qu'ils avaient pu recueillir. Chacun avait fait ses offres de services ; César lui-même s'était mis à la disposition du consul. Au commencement de la séance, C. Calpurnius Pison, et D. Silanus, consul désigné, rapportèrent qu'ils avaient appris d'un homme, qui disait le tenir de Céthégus, que les conjurés avaient projeté d'assassiner Cicéron, les deux consuls désignés et quatre des préteurs (61). On cita encore d'autres magistrats et même de simples sénateurs désignés aux poignards, mais toutes ces dépositions ne se fondaient que sur des ouï-dire, et personne ne produisait ses témoins. Au surplus, l'exagération de ces rapports ne fut point relevée. Les chefs des différents partis hostiles au gouvernement sentaient la difficulté de leur position. Suspects eux-mêmes, ils trouvaient une espèce de justification dans l'horreur des crimes imputés à Lentulus et à ses complices.

Une nouvelle capture faisait espérer des révélations importantes. On venait d'arrêter sur la route d'Etrurie un certain L. Tarquinius, qui se rendait, disait-on, au camp de Catilina avec une mission secrète. Introduit dans le sénat, cet homme fit aussitôt de faire des aveux, si on lui promettait l'immunité. Au nom du sénat, le consul lui en donna l'assurance. D'abord, Tarquinius raconta les projets des conjurés et confirma les bruits de massacres et d'incendie qui depuis la veille étient dans toutes les bouches. Puis, il ajouta qu'il était chargé de presser Catilina de voler au secours de ses amis prisonniers, et ce message, il le tenait, disait-il, de Crassus. A ce nom, un cri d'indignation s'éleva dans l'assemblée. Le témoin en imposait, il fallait lui retirer le bénéfice de la foi publique qu'on venait de lui promettre. Le sénat, sans vouloir en entendre davantage, vota par acclamation que la déposition de Tarquinius paraissait fausse et calomnieuse, et cette expressiou dubitative ne pouvait être prise pour un reste de soupçon contre Crassus, car dans la curie c'était une formule consacrée (62). Au milieu du tumulte, les amis de Crassus n'avaient point eu le temps de prendre la parole pour le justifier. Quelques-uns expliquaient le mensonge du témoin en supposant que, client d'Autronius, il était aposté par lui pour jeter un nom illustre parmi ceux des accusés, dans l'espoir que les sénateurs, dont un grand nombre avaient des obligations pécuniaires à Crassus, useraient d'indulgence à l'égard de ceux qu'ils regarderaient comme ses complices. Probablement, en effet, Tarquinius n'était qu'un agent des conjurés, et la ruse qu'on leur attribuait avait quelque chance de réussite auprès d'un gouvernement faible, qui jusqu'alors n'avait trouvé de l'audace que contre des coupables obscurs. Quoi qu'il en soit, Crassus crut ou feignit de croire, que le témoin n'avait parlé qu'à l'instigation du consul, et depuis ce temps il lui voua une haine acharnée (63).

Quant à Tarquinius, il fut sur-le-champ chassé du sénat et jeté dans la prison publique, où il devait être détenu jusqu'à ce qu'il eût fait connaître le véritable auteur de son imposture (64). Ce qu'il devint, on l'ignore ; le sort de la plupart des témoins ou des accusés subalternes qui figurèrent dans ce grand procès n'a laissé aucun souvenir.

Le reste de la séance fut employé à voter des récompenses à Volturcius et aux députés allobroges (65). On ne doit pas négliger de remarquer que ces hommes, si préoccupés en apparence de la situation de leur pays, naguère prêts à tout oser pour le délivrer de la tyrannie sous laquelle il gémissait, ne stipulèrent pour prix de leurs révélations aucun adoucissement aux tributs énormes contre lesquels ils venaient réclamer. La récompense qu'ils obtinrent fut celle que l'on réservait aux délateurs, et probablement celle que promettait le sénatus-consulte du mois précédent. Si l'on fait attention que ces projets exécrables de meurtres et d'incendie attribués aux conjurés ne furent prouvés ou du moins publiquement connus que par le témoignage de ces barbares, la bassesse des dénonciateurs peut nous inspirer aujourd'hui quelques doutes sur leur sincérité, bien qu'à cette époque elle ait été admise unanimement par l'opinion publique, et depuis confirmée par le témoignage de tous les historiens.


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(1)  Sall., Cat., 43.

(2)  Le but de cette disposition était de donner aux magistrats défenseurs des droits du peuple le moyen de veiller à ce que l'installation des consuls du lieu dans les formes légales.

(3)  Sall., Cat., 43.

(4)  Simul caede et incendio perculsis omnibus, erumperent ad Catilinam (Sall., Cat., 43.

(5)  Sub dextra hujus a Comitio locus substructus, ubi nationum subsisterent legati qui ad senatum essent missi. Is Graecostasis appellatur a parte ut multa (Varr., L.L., V, 155).

(6)  Sall., Cat., 40.

(7)  Praeterea multos cujusque generis innoxios, quo legatis animus amplior esset (Sall., Cat., 40).

(8)  Ut equitatum quam primum in Italiam mitterent ; pedestres sibi copias non defuturas (Cic., Cat., III, 4). - On est étonné de voir un peuple montagnard renommé pour sa cavalerie.

(9)  Il est possible que les Allobroges aient été déterminés à trahir les conjurés par l'arrivée des nouvelles annonçant la répression des tentatives insurrectionnelles dans la Cisalpine et le Picénum. Au reste, la date de ces mouvements est fort incertaine.

(10)  Q. Fabius Maximus, surnommé à cette occasion Allobrogicus, consul en 633 (Plin., H.N., VII, 50).

(11)  Sall., Cat., 41. - Cicéron ne parle pas de cette conférence remarquable. On sent qu'il est un peu honteux des moyens et des agents qu'il emploie.

(12)  Sall., Cat., 41.

(13)  Cic., in Pis., 21. Guerre sociale, p.19.

(14)  Cic., Cat., III, 2. - Sall., Cat., 44.

(15)  Sall., Cat., 45. - Cic., Cat., III, 2.

(16)  Quum jam dilucesceret (Cic., Cat., III, 3).

(17)  Ce message adressé aux conjurés a de quoi surprendre. Il eût été plus sûr de les faire arrêter chez eux ; et, en effet, trois des plus compromis prirent la fuite, justement effrayés d'étre mandés chez le consul à pareille heure. Faut-il croire que Cicéron voulut donner à quelques-uns des conjurés, et peut-être à tous, le moyen de se déober au sort qui les attendait ? Alors, son projet aurait manqué par leur incroyable confiance. D'un autre côté, il ne serait pas impossible qu'il existât à Rome une loi qui rendît inviolable la demeure d'un citoyen.

(18)   Sall., Cat., 46, 47.

(19)   Cic., Cat., III, 6. - Cicéron les nomme comme complices de Lentulus. On verra qu'ils étaient contumaces.

(20)  Plut., Cic., 19.

(21)  Plut., Cic., 18. - Cfr. Cic., Cat., III, 3.

(22)  Cic., Cat., III. - Sall., Cat., 46.

(23)  Plut., C. Grac., 17.

(24)  Sall., Cat., 46.

(25)  Cic., Pro Sul., l4. - Plut., An. sen. sit. ger., 27, - Orelli, Onomastic. Tull., p. 422.

(26)  Cic., Pro Sull., 15. - Quid deinde ? quid feci ? Quum scirem, ita indicium in tabulas publicas relatum, ut illae tabulae privata tamen custodia, more majorum continerentur : non occultavi, non continui domi, sed describi ab omnibus statim librariis, dividi passim et pervulgari, atque edi P. R. imperavi. Divisi toti Italiae, emisi in omnes provincias.

(27)  Cette garantie d'impunité donnée au délateur existe encore aujourd'hui dans la législation anglaise.

(28)  Sall., Cat., 47.

(29)  Se semper bonorum ferramentorum studiosum fuisse (Cic. Cat., III, 5).

(30)  Ut item illi facerent quae sibi legati eorum recepissent (Id., ibid.).

(31)  Nos linum incidimus (Id., ibid.).

(32)  P. Cornélius Lentulus, consul subrogé en 592, et depuis prince du sénat. Partisan très zélé de la faction aristocratique, il fut blessé dans l'émeute où périt C. Gracchus.

(33)  Repente praeter omnium opinionem confessus est (Cic., Cat., III, 5).

(34)  Tamen et signum et manum cognovit (Id., ibid.).

(35)  L'écriture cursive des anciens n'était pas caractérisée comme la nôtre. Cela tenait à la forme très précise de leurs lettres majuscules, sans liaisons, et à la nature des instruments dont ils se servaient pour les tracer. Bien que lié depuis longtemps avec Lentulus, Catilina aurait pu ne pas reconnaître sa main. Le sceau d'un Romain était sa véritable signature ; et l'on peut croire que, par précaution, Lentulus n'avait pas employé, pour écrire à un ennemi public, son sceau officiel, qui était, comme on l'a vu, le portrait de son grand-père.

(36)  Ingenium illud et dicendi exercitatio qua semper valuit... impudentia qua superabat omnes (Cic., Cat., III, 5).

(37)  Ad extremum nihil ex iis que Galli insimulabant, negavit (Cic., Cat., III, 5).

(38)  Cic., Cat., III, 6. - Sall., Cat., 47.- Nous avons rapporté, d'après Salluste, que Volturcius nomma en outre Autronius, Ser. Sylla et Varguntéius. Cicéron, probablement à dessein, ne les cite pas dans son discours au peuple.

(39)  La mère de L. César était Fulvia, fille de Fulvius, tribun du peuple et collègue de C. Gracchus ; il mourut en 633 (voy. Guer. soc., p. 50. - Cic., Cat., IV, 6. - Schol. Gron., 413).

(40)  Cic., Cat., III, 6.

(41)  Quod urbem incendiis, caede cives, Italiam bello liberassem (Cic., Cat., III, 6).

(42)  Et quoniam nondum est prescriptum senatus consultum, quid senatus censuerit exponant (Id., ibid.)

(43)  Sall., Cat., 47.

(44)  Nihil vos moramur, patres conscripti (Jul. Capit., in M. Ant., 10.

(45)  J'ai parlé dans mon avertissement des doutes élevés par quelques philologues modernes sur l'authenticité de la troisième et de la quatrième Catilinaire. Les uns y trouvent une latinité barbare, tandis que les autres n'y voient que les négligences inévitables dans une improvisation ; il y a des érudits même qui soutiennent, par vives raisons, que ces locutions prétendues barbares sont du meilleur style, et employées par les auteurs les plus corrects. La troisième Catilinaire peut être mal écrite, mais elle est habilement pensée, et il est bien difficile de n'y voir que l'oeuvre d'un rhéteur. J'ai déjà fait observer que, quel que soit l'auteur de ces harangues, il ne peut être douteux qu'il n'ait eu à sa disposition et qu'il n'ait mis à profit une foule de documents d'un haut intérêt, dont nous sommes privés aujourd'hui. Si nous n'avons les paroles mêmes de Cicéron, nous avons du moins la substance de ses discours, et, ce qui est encore plus important, nous devons aux dernières Catilinaires la connaissance de faits qui n'ont pu être tirés que des mémoires relatifs à son consulat, et des procès-verbaux qu'il prit soin de faire rédiger, comme on l'a vu plus haut.

(46)  Cic., Cat., III, 6.

(47)  Cic., Cat., III, 6.

(48)  Id., ibid.

(49)  P. Lentuli somnium, nec L. Cassii adipem, nec C. Cethegi furiosam temeritatem (Cic., Cat., III, 7).

(50)  Cic., Cat., III, 7.

(51)  Id., ibid., 9.

(52)  On éloignait jusqu'aux animaux mâles : «Illuc testiculi sibi conscius unde rugit mus». (Juv., Sat , VI, 539).

(53)  Fabia, soeur de Térentia.

(54)  Plut., Cic., 20.

(55)  Plut., Cic., 20.

(56)  Familiam atque libertos suos, lectos et exercitatos in audaciam, orabat, uti grege facto, cum telis ad sese irrumperent (Sall., Cat., 50).

(57)  Id., ibid.

(58)  Sall., Cat., 49. - On doit noter le soin particulier de César à se faire des partisans dans la Cisalpine. Il n'est pas impossible que, dès cette époque, il pensât à s'attacher les Gaulois.

(59)  Neque gratia, neque precibus, neque pretio Ciceronem impellere quivere uti per Allobroges aut alium indicem C. Caesar falso nominaretur (Sall., Cat., 49).

(60)  Res autem opportune videbatur ; quod is privatim egregia liberalitate, publice maximis muneribus grandem pecuniam debebat (Sall., Cat., 49).

(61)  Plut., Cic., 19. - Plutarque paraît avoir confondu les deux séances du sénat, du 3 et de la veille des noues (Cfr. avec la troisième Catilinaire, et Sall., Cat., 48).

(62)  Plut., Crass., 13. - Sall., Cat., 48.

(63)  Ipsum Crassum ego postea praedicantem audivi, tantam illam contumeliam sibi a Cicerone impositam (Sall., Cat., 48). - Crassus tenait en public un langage fort différent ; car il déclarait l'année suivante dans le sénat que, s'il était encore sénateur, citoyen, homme libre, s'il vivait, c'était à Cicéron qu'il le devait (Cic., ad Att., I, 14, 4). - Si l'on admet le témoignage un peu suspect de Cicéron, il est probable, au reste, que Crassus ne donnait tous ces éloges à son ennemi politique que pour rabaisser la gloire de Pompée, qui, au retour de sa campagne d'Asie, était en ce moment l'objet des flatteries les plus immodérées.

(64)  Sall., Cat., 48.

(65)  Cic., Cat., IV, 3.