Décébale et ses lieutenants - Scène XCIII - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
Alors que Trajan est représenté une soixantaine de fois sur la colonne Trajane, son adversaire dace, le roi Décébale, n'apparaît que huit fois. La disproportion va de soi : la colonne est le monument érigé à la gloire de Trajan, personnage mis en valeur dans un grand nombre de scènes emblématiques en tant qu'optimus princeps dont il faut célébrer la virtus militaire, la pietas qui lui a valu l'assistance des dieux et la clementia chaque fois qu'il a pu l'exercer sur les vaincus sans mettre en danger l'ordre romain. En contrepartie, la présence du roi des Daces est nécessaire pour valoriser une victoire d'autant plus méritoire que la personnalité charismatique, habile et courageuse de Décébale a donné du fil à retordre aux Romains et les a mobilisés sur le front danubien globalement de 87 à 106 apr.JC. Or si, sur les spires de la colonne, le maître de Rome est immédiatement reconnaissable, conforme par les traits de son visage, sa coiffure et ses tenues vestimentaires, militaires ou religieuses, aux centaines de représentations (monnaies, bustes, bas-reliefs) que nous a léguées de lui l'antiquité, on ne peut, à strictement parler, considérer l'identification de Décébale comme évidente que dans deux scènes par ailleurs attestées dans les textes : son suicide (scène CXLV) et l'exhibition de sa tête coupée dans un camp romain (CXLVII). Dans six autres cas, la probabilité est forte de pouvoir distinguer Décébale parmi d'autres Daces, mais par des indices plus ténus, parfois évidents, parfois discutables. Les débats entre érudits attestent de cette difficulté de s'entendre sur une représentation réaliste et effective de Décébale. Quand les artistes auraient-ils pu le voir "en chair et en os" pour pouvoir en dresser un portrait ressemblant ? Dans sa capitale de Sarmizegetusa avant la première guerre dacique trajanienne, ou dans l'entre-deux de 103 à 105 ? Ou bien faut-il envisager qu'ils aient pu voir sa tête décapitée exposée à Rome sur les escaliers des Gémonies, mais alors dans quel état ? Momifiée pour en préserver les traits et la rendre reconnaissable, ou au contraire décharnée et réduite à l'état de crâne ayant perdu toute ressemblance avec les traits de l'homme vivant ? Malgré des divergences à propos de la première scène (XXIV), globalement les érudits s'accordent sur les sept autres, en tenant compte, plus que de sa tenue ou des traits de son visage parfois changeants, de la composition d'ensemble, de la place du personnage en évidence au centre des regards, de sa relation implicite avec Trajan, bref d'une logique symbolique, rhétorique et iconographique. Sans entrer dans tous les détails des controverses, nous nous fonderons essentiellement sur les analyses d'Emil Panaitescu (1923) et de Radu Vulpe (2002), dont on trouvera les textes complets en bas de page et qui, avec l'article très complet d'Irina Nemeti, fourniront les données bibliographiques nécessaires pour approfondir la question le cas échéant. |
I. La première guerre dacique de Trajan (101-102 apr.JC)
Avant les guerres daciques de Trajan, il faut mentionner la guerre dacique de Domitien, le dernier empereur flavien, qui s'est déroulée en Moesie et Dacie de 85 à 89. Elle a été provoquée par une attaque dace en Moesie et s'est conclue, après de pénibles alternances de victoires et de défaites de part et d'autre, par une paix entre Rome et Décébale, qui a gardé son royaume mais en admettant son statut de roi client, socius amicusque rex. Ce faisant, il a bénéficié de l'aide d'instructeurs militaires et d'ingénieurs venus de Rome et d'un subside annuel qu'il a mis à profit pour unifier et renforcer son royaume. La reprise des hostilités n'était donc qu'une question de temps.
Celles-ci reprennent effectivement après l'avénement de Trajan, qui connaît bien les problèmes du limes septentrional et s'alarme de voir le royaume des Daces monter en puissance au risque de déstabiliser toute la frontière danubienne. Certes, le prétexte est la rupture par Décébale des traités conclus en 89, mais Trajan veut cette guerre pour asseoir son propre pouvoir et renforcer celui de l'Empire romain.
Le 25 mars 101, il quitte Rome avec une armée de 150 000 hommes, traverse l'Adriatique et se dirige vers la Dacie, au niveau des Portes de Fer. Après la traversée du Danube, il obtient de Décébale, qui jusqu'à présent avait évité l'affrontement direct, une rencontre sur le champ de bataille de Tapae, cadre en 86 d'une défaite romaine mais en 88 d'une victoire sur les Daces de Décébale. Treize ans plus tard, ce dernier va à nouveau affronter les Romains.
1. Bataille de Tapae (101- avant l'hiver)
Scène XXIV - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
Scène XXIV - Il s'agit de la première scène de bataille de la colonne Trajane, située sur la troisième spire. A l'extrême gauche, deux auxiliaires apportent deux têtes de Daces coupées à Trajan, qui observe de loin, entouré de ses officiers, le déroulement du combat. Au centre, la mêlée fait rage, opposant les Daces aux auxiliaires de l'armée romaine, dont un Germain qui combat poitrine nue.
Pietro Santi Bartoli - Colonna Traiana eretta dal Senato... - Roma, 1673 - HEIDI
Dans le ciel, la représentation allégorique de Jupiter tonnant indique que le combat se déroule au cours d'un violent orage : la foudre a d'ailleurs frappé un jeune Dace, qui est évacué à droite hors du champ de bataille par deux de ses compagnons tandis qu'un autre s'écroule, lui aussi frappé par la foudre et se retenant à grand peine à un bouclier. Au-dessus de ces hommes, isolé dans l'épaisseur de la forêt, un personnage immobile, de profil, observe de loin une défaite qui semble avoir été renforcée ou même provoquée par l'intervention divine de Jupiter en faveur des Romains.
Composition d'ensemble de la scène XXIV - La bataille de Tapae - A gauche, Trajan, à droite Décébale - National Geographic
La position de cet homme à l'extrémité droite de la scène peut nous donner une indication sur son identité pour peu qu'on prenne du recul pour avoir de la bataille une vue d'ensemble : il se trouve en position symétrique de Trajan, tous deux en position d'observation à l'écart du champ de bataille. Et si l'on observe à présent sa coiffure, le pileus des nobles Daces, son air concentré et déterminé et sa tension intérieure, on peut raisonnablement supposer qu'il s'agit du roi Décébale lui-même, dont cette représentation est la plus réaliste de toutes celles de la colonne.
Certes, dans un article en roumain du Magazin historic, an.VIII, n°6 (87) de juin 1974, "Le vrai visage de Décébale", l'érudit Aurel Decei s'oppose à cette identification en alléguant que cette figure ne constitue qu'un simple médaillon "bouche-trou" entre les arbres de la forêt, sans aucune ressemblance avec les autres têtes attribuées à Décébale sur la colonne Trajane, mais il a été vigoureusement réfuté en particulier par Radu Vulpe et d'autres historiens de l'art qui s'accordent à dire qu'il s'agit ici au contraire du portrait le plus intense et le plus réussi de la série.
Scène XXIV (détail) - © Agnès Vinas
2. La soumission de Décébale (automne 102)
Il faut attendre d'avoir déroulé à peu près tous les événements dramatiques de la première guerre dacique pour arriver à cette scène, qui suit l'évocation des victoires remportées par Trajan dans le Bas-Danube au cours des campagnes de 101 puis 102 : le maître-sculpteur de la colonne insiste particulièrement sur les batailles sanglantes de Nicopolis et d'Adamklissi. Après s'être rendu maître de la Moesie inférieure, Trajan tourne ses regards à présent vers la Dacie, remonte le Danube, remporte une nouvelle bataille et menace dès lors la capitale dace, Sarmizegetusa, qu'il entoure en coupant toutes les issues. Décébale mesure le danger et demande la paix, en dépit de conditions très contraignantes, ne serait-ce que pour gagner du temps.
Scène LXXV - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
Scène LXXV - On se limite en général à la scène de prosternation des vaincus pour illustrer la soumission de Décébale, que l'on croit reconnaître parmi les deux personnages agenouillés aux pieds de Trajan, suivant en cela la version de Dion Cassius : « On exigeait de lui, en effet, qu'il livrât les machines, les machinistes, qu'il rendît les transfuges, qu'il démolît ses fortifications, évacuât les territoires conquis, et, de plus, qu'il tînt pour ennemis et pour amis ceux qui le seraient des Romains ; qu'il n'en reçût aucun, et qu'il ne prît à son service aucun soldat levé dans l'empire romain (il en attirait à lui un grand nombre et des plus vaillants) ; il consentit, bien malgré lui, à ces conditions, après être allé trouver Trajan, s'être précipité à terre, l'avoir adoré et avoir jeté ses armes. » (Dion Cassius, LXVIII, 9, 5, trad. Etienne Gros)
Composition d'ensemble de la scène LXXV - La soumission de Décébale - A gauche, Trajan, à droite Décébale - National Geographic
Or si l'on « dézoome » pour observer la totalité de la scène qui occupe un bon quart de spire, on constate que la soumission des Daces est en fait bien plus longue et consiste en un interminable défilé de personnages suppliants, soit agenouillés soit debout mais qui tous ont jeté leurs armes au sol et tendent les bras pour en appeler à la clémence de Trajan. A l'extrémité droite de la série, un personnage debout en hauteur observe la scène et esquisse du bras droit un geste d'accommodement, paume ouverte, mais avec un calme et une autorité manifestement royaux. Emil Panaitescu a d'ailleurs fait justement remarquer que cette composition d'ensemble fait écho à la première qui mettait en images, au cours de la bataille de Tapae, les deux chefs de guerre, Trajan à gauche et Décébale à droite, s'affrontant à distance mais reconnaissant leurs valeurs respectives, avec force et grandeur.
Scène LXXV (détail) - © Agnès Vinas
II. La seconde guerre dacique (105-106 apr.JC)
Trajan est retourné à Rome fin décembre 102, y a fait célébrer son triomphe et a reçu du Sénat le titre honorifique de Dacicus. Pendant ce temps, les Romains ont réorganisé leurs provinces sur le Danube et fortifié leurs positions pour parer à toute nouvelle menace barbare. De son côté, Décébale a rompu les traités en faisant relever les forteresses qui avaient été détruites et en reconstituant son armée. Au printemps 105, il passe à l'attaque en reprenant par la force la région du Banat puis il attaque la Moesie romaine sur le cours inférieur du Danube. Déclaré ennemi public par le Sénat, il peut s'attendre à l'arrivée de troupes romaines de renfort. Effectivement, Trajan repart de Rome en juin 105, arrive à Brindisi, traverse l'Adriatique, débarque à Apollonia, passe par Dyrrhachium et se dirige vers la Moesie à marches forcées avec 200 000 légionnaires, prétoriens et auxiliaires. Pendant ce temps, malgré des effectifs de 15 000 guerriers, Décébale prépare une nouvelle confrontation et s'empare de plusieurs forts auxiliaires.
1. Regroupement des Daces dans un camp fortifié (automne 105)
![]() Scène XCIII - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas | |
Scène XCIII - Après avoir longuement détaillé le parcours de Trajan depuis l'Italie jusque dans les régions danubiennes, le récit de la colonne change à présent de point de vue et nous montre les préparatifs des Daces. Dans une grande forteresse de pierre protégée par deux poternes à cataracta, un grand nombre de guerriers daces se rassemblent autour d'un chef à l'allure fière et déterminée. Il s'agit selon toute vraisemblance de Décébale, armé d'un long glaive. Il se tourne vers sa droite, observant avec satisfaction la masse des guerriers qui se rassemblent dans le fort, mais s'il se tournait vers la gauche il assisterait à la même mobilisation de guerriers, venus de partout se rassembler autour de leur roi, qui a manifestement ordonné la mobilisation générale.. |
Scène XCIII (détail) - © Agnès Vinas |
La suite de la spire nous présente un déroulé chronologique des attaques ordonnées par Décébale contre des forteresses romaines.
Composition des scènes XCIII à XCVII - A gauche, Décébale ; à droite Trajan intervient et arrête la déroute romaine - National Geographic
La scène suivante (XCIV) montre la violente prise d'assaut d'un fort romain par des Daces venus en nombre. La mêlée est indescriptible et les morts daces s'empilent. Un peu plus loin (XCV), les Daces attaquent un mur dressé dans une gorge étroite pour en barrer l'accès, mais à en juger par les blessés dans leurs rangs, l'affaire semble une fois encore tourner à l'avantage des Romains. Un peu plus loin encore (XCVI), un second barrage romain est lui aussi attaqué, mais la scène est interrompue (XCVII) par l'arrivée à cheval d'une troupe menée par Trajan lui-même, qui à l'extrême droite de la composition intervient ici comme un sauveur, dont le mouvement adverse, de droite à gauche, met un terme à la longue séquence d'attaques inaugurée par Décébale à l'extrême gauche. La composition, encadrée par les deux chefs (en jaune sur l'image), duplique les deux précédentes mais elle est cette fois inversée. Désormais Trajan va systématiquement contre-attaquer et presser les troupes daces jusqu'à la capitale, Sarmizegetusa, qui tombe pendant l'été 106 et est incendiée.
2. Nouvelle attaque d'un fort romain par les Daces (début été 106)
![]() Scène CXXXV - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas | |
Scène CXXXV - Après la prise de sa capitale Sarmizegetusa, Décébale tente encore de résister au rouleau compresseur romain. Une attaque contre un fort romain engage un grand nombre de Daces, qui protégés par leurs boucliers tentent de prendre d'assaut la forteresse. Mais les Romains résistent et les pertes sont nombreuses : manifestement la tentative est un échec. En retrait de la scène, à droite, dans une clairière, le roi Décébale entouré de deux de ses officiers fait un geste de désespoir. Cette fois, il semble que les jeux soient faits. |
Scène CXLV (détail) - © Agnès Vinas |
3. Discours de Décébale aux derniers fidèles (début été 106)
![]() Scène CXXXIX - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas | |
Scène CXXXIX (détail) - © Agnès Vinas |
Scène CXXXIX - Quelque part dans une forêt, après que les Romains ont découvert et emporté le trésor de Décébale caché dans le lit de la rivière Sargentia (à gauche de l'image) : il sera largement employé à Rome à financer un triomphe, des jeux et surtout un forum somptueux. Un groupe de Daces se réunit et écoute attentivement un chef qui leur tient un discours (adlocutio). Certains érudits ont proposé d'y reconnaître Décébale, bien qu'à la différence des autres scènes ils ne porte apparemment pas de bonnet (pileus) ; mais la sculpture à cet endroit est très dégradée, on ne peut rien en conclure de définitif. En tout cas, il est au centre du groupe et l'attention avec laquelle il est écouté indique qu'il s'agit d'un chef important et que l'heure est grave. On ne peut s'empêcher de penser au discours qu'aurait tenu Eleazar Ben Yaïr à Massada, avant l'assaut final des Romains en 73, si l'on en croit Flavius Josèphe. La situation est tragique, les Romains sont en train de remporter la guerre, et chacun doit à présent se déterminer en conscience : se soumettre ou tenter encore, malgré tout, de résister, pour l'honneur et la défense de la liberté, et le moment venu de se soustraire à leur emprise, d'une manière ou d'une autre. |
Après le discours d'adieu de Décébale, le sculpteur romain a représenté en trois scènes successives les trois types de décision prises par les Daces.
- Scène CXL - Certains Daces se suicident, tandis que d'autres s'enfuient.
- Scène CXLI - Devant un camp romain, certains se soumettent à Trajan en faisant appel à sa clémence, et en guise de bonne volonté lui indiquent probablement la route prise par les fuyards.
- Scène CXLII - Effectivement, un détachement de cavalerie s'élance à leur poursuite dans la montagne.
4. La fuite de Décébale (été 106)
Scènes CXLIII et CXLIV - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
Scene CXLIII - Deux auxiliaires romains atteignent l'arrière-garde dace : l'un des pileati (nobles Daces) est touché et tombe de cheval tandis que son compagnon se retourne avec inquiétude mais continue sa course.
Scène CXLIV - Il ne reste plus qu'une poignée de cavaliers daces en fuite, qui eux aussi se retournent vers les poursuivants. Seul l'un d'eux continue imperturbablement sans se retourner. Sa maîtrise de soi et son attitude déterminée ont conduit les historiens à émettre l'hypothèse qu'il s'agit bien de Décébale.
Scène CXLIV (détail) - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
5. Le suicide de Décébale (été 106)
Scène CXLV - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
Scène CXLV – Cette scène dramatique et tragique clôt la longue cavalcade qui s'est étirée sur un quart de l'avant-dernière spire de la colonne. Pressé de tous côtés, désormais coupé des siens, morts ou capturés, le personnage de Décébale est bloqué dans un triangle matérialisé par la diagonale des deux cavaliers et leurs chevaux à gauche, et à droite par le tronc d'un arbre sous lequel il vient de s'abattre et par les deux soldats romains qui lui barrent la route. Lui-même, par la position de son bras gauche et de ses jambes, réplique le triangle de la composition qui l'emprisonne et scelle symboliquement son destin. La violence est omniprésente : les Romains brandissent leurs lances et leurs glaives et les chevaux galopent ; le manteau de Décébale, qui flotte derrière lui, suggère lui aussi son mouvement : il ne lui reste plus que quelques secondes pour tenter de leur échapper, non plus par la fuite, mais par la mort.
L'officier de cavalerie qui est le plus proche de Décébale l'a bien compris : il se penche en avant, bras tendu pour arrêter le geste fatal du roi et tenter de le capturer vivant. Trajan appréciera bien plus de pouvoir l'exhiber dans son triomphe, comme jadis César avait exhibé Vercingétorix. Trop tard ! Décébale, dans un dernier regard de défi, se tranche la gorge de sa sica. Sa pose très géométrique et sa taille plus grande que les autres personnages et même que les chevaux de la scène devaient permettre de le voir même à un spectateur situé au pied de la colonne, à quelque trente mètres plus bas. Le sculpteur romain lui reconnaît la grandeur des héros, ce qui par contre-coup grandit aussi Trajan, même si le suicide de son ennemi le prive en partie du mérite de sa victoire.
Scène CXLV (détail) - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
6. La tête et la main droite de Décébale apportées à Trajan (été 106)
Scène CXLVII - Moulage du Musée de la Civilisation romaine, EUR, Rome - © Agnès Vinas
Scène CXLVII - Après le suicide de Décébale, sa tête et sa main droite ont été emportées par le cavalier romain qui n'a pu capturer qu'un cadavre, et amenées à Trajan comme preuves de l'achèvement de sa mission et comme trophées à exhiber à défaut du roi vivant. La découverte en 1965 de la stèle funéraire de ce cavalier nous a appris qu'il s'agit de Tiberius Claudius Maximus, qu'il a apporté cette tête à Trajan à Ranistorum, et qu'il a été promu décurion en récompense de cet exploit.
Même si les érudits n'ont pu déterminer l'emplacement exact de cette localité, il est en tout cas probable qu'elle corresponde au camp romain de cette scène, entouré de fortifications, avec en arrière-plan la tente impériale. Il est très dommage que les détails des visages soient à présent perdus, mais on devine l'ostension des trophées devant l'armée rassemblée, et un discours victorieux de Trajan.
Dans sa monographie sur la colonne Trajane, Radu Vulpe indique que la détérioration délibérée de cette scène a pu se produire en 1587, lorsque l'Eglise catholique s'est approprié le monument et a remplacé à son sommet la statue de Trajan (en fait disparue depuis longtemps) par celle de saint Pierre, qui s'y trouve toujours. Le martelage peut avoir été motivé moins par le caractère macabre de l'épisode (les nombreuses autres têtes coupées de la colonne n'ont pas subi le même sort) que par le souci de ménager la mémoire de Trajan, considéré même par l'Eglise comme un optimus princeps méritant d'accéder au paradis...
Pietro Santi Bartoli - Colonna Traiana eretta dal Senato... - Roma, 1673 - HEIDI
La scène de l'ostension des restes de Décébale était donc probablement dégradée depuis presque un siècle lorsque Piero Santi Bartoli en a proposé une reconstitution qui a le mérite de la rendre plus lisible, mais en escamote Trajan, pourtant l'un des deux protagonistes essentiels de l'épisode.
Limitée à la représentation des événements sur le terrain de la guerre, la colonne ne représente pas la suite de l'histoire : le transfert à Rome des trophées de Décébale et leur exhibition, après le triomphe, sur les escaliers des Gémonies avant d'être jetés dans le Tibre. Mais nous verrons dans ce dossier que la tête du roi dace a pu marquer les esprits, et qu'elle figure sur d'autres objets qui témoignent de son importance symbolique.
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| Emil Panaitescu Il ritratto di Decebalo Eph. Dac., I, 1923 |
Radu Vulpe Columna lui Traian Trajan's column - 2002 |
Irina Nemeti Dacians in Roman Art 2019 |
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Texte de Dion Cassius sur Décébale |






