[L'assassinat de César]

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LXVIII. Cet événement attira sur Brutus les regards de la multitude ; il passait pour être, du côté paternel, un descendant de l'ancien Brutus, et par sa mère il était de la famille Servilia, autre maison non moins illustre : il était d'ailleurs neveu et gendre de Caton, et devait naturellement désirer la ruine de la monarchie ; mais les honneurs et les bienfaits qu'il avait reçus de César émoussaient ce désir et l'empêchaient de se porter à la détruire. Non content de lui avoir donné la vie après la bataille de Pharsale et la fuite de Pompée, et d'avoir, à sa prière, sauvé plusieurs de ses amis, César lui avait encore témoigné la plus grande confiance, en lui conférant cette année même la préture la plus honorable, et le désignant consul pour quatre ans après ; il lui donnait la préférence sur Cassius, son compétiteur, quoiqu'il avouât que Cassius apportait de meilleurs titres, mais qu'il ne pouvait le faire passer avant Brutus (97) : aussi, lorsqu'on le lui dénonça comme engagé dans la conjuration qui se tramait déjà, il n'ajouta pas foi à cette accusation ; et se prenant la peau du corps avec la main : «Ce corps, dit-il, attend Brutus». Il faisait entendre par là que la vertu de Brutus le rendait digne de régner ; mais que pour régner, il ne deviendrait pas ingrat et criminel. Cependant ceux qui désiraient un changement, et qui avaient les yeux fixés sur Brutus seul, ou du moins sur lui plus que sur tout autre, n'osaient pas, à la vérité, lui en parler ouvertement ; mais la nuit ils couvraient le tribunal et le siège où il rendait la justice comme prêteur de billets conçus la plupart en ces termes : «Tu dors, Brutus ! Tu n'es pas Brutus !» Cassius, qui s'aperçut que ces reproches réveillaient insensiblement en Brutus un vif désir de gloire, le pressa lui-même beaucoup plus qu'il n'avait fait encore ; car il avait contre César des motifs particuliers de haine, que nous ferons connaître dans la vie de Brutus (98). Aussi César, qui avait des soupçons sur son compte, dit-il un jour à ses amis : «Que croyez-vous que projette Cassius ? Pour moi, il ne me plaît guère, car je le trouve bien pâle». Une autre fois on accusait auprès de lui Antoine et de Dolabella de tramer quelques nouveautés. «Ce n'est pas, dit-il, ces gens si gras et si bien peignés que je redoute ; je crains plutôt ces hommes si pâles et si maigres». Il désignait Brutus et Cassius.

LXIX. Mais il est bien plus facile de prévoir sa destinée que de l'éviter ; celle de César fut, dit-on, annoncée par les présages et les prodiges les plus étonnants. A la vérité, dans un événement de cette importance, les feux célestes, les bruits nocturnes qu'on entendit en plusieurs endroits, les oiseaux solitaires qui vinrent, en plein jour, se poser sur la place de Rome, ne sont pas des signes assez frappants pour être remarqués. Mais, au rapport de Strabon le philosophe (99), on vit en l'air des hommes de feu marcher les uns contre les autres ; le valet d'un soldat fit jaillir de sa main une flamme très vive ; on crut que sa main en serait brûlée : mais quand il eut cessé, on n'aperçut aucune trace du feu. Dans un sacrifice que César offrait, on ne trouva point de coeur à la victime ; et c'était le prodige le plus effrayant, car il est contre la nature que ce viscère manque à un animal. Plusieurs personnes racontent encore aujourd'hui qu'un devin avertit César qu'il était menacé d'un très grand danger, le jour des ides de mars (100) ; et que ce jour-là César en allant au Sénat, ayant rencontré le devin, le salua, et lui dit, en se moquant de sa prédiction : «Eh bien ! voilà les ides de mars venues. - Oui, lui répondit tout bas le devin, elles sont venues ; mais elles ne sont pas passées». La veille de ces ides, il soupait chez Lépidus, ou, suivant sa coutume, il signa quelques lettres à table. Pendant qu'il faisait ces signatures, les convives proposèrent cette question : Quelle mort était la meilleure ? César, prévenant leurs réponses, dit tout haut : «C'est la moins attendue». Après souper, il rentra chez lui ; et pendant qu'il était couché avec sa femme, comme à son ordinaire, les portes et les fenêtres s'ouvrirent tout à coup d'elles-mêmes : réveillé en sursaut et troublé par le bruit et par la clarté de la lune qui donnait dans sa chambre, il entendit sa femme Calpurnia, qui dormait d'un sommeil profond, pousser des gémissements confus, et prononcer des mots inarticulés qu'il ne put distinguer ; mais il lui sembla qu'elle le pleurait, en le tenant égorgé dans ses bras. Selon quelques auteurs, Calpurnia eut pendant son sommeil une autre vision que celle-là : ils disent, d'après, Tite-Live, que le sénat, par un décret, avait fait placer au faîte de la maison de César une espèce de pinacle qui en était comme un ornement et une distinction (101) ; que Calpurnia avait songé que ce pinacle était rompu, et que c'était là le sujet de ses gémissements et de ses larmes. Quand le jour parut, elle conjura César de ne pas sortir, s'il lui était possible, ce jour-là, et de remettre à un autre jour l'assemblée du sénat. «Si vous faites peu d'attention à mes songes, ajouta-t-elle, ayez du moins recours à d'autres divinations, et faites des sacrifices pour consulter l'avenir». Ces alarmes de Calpurnia donnèrent des soupçons et des craintes à César ; il n'avait jamais vu dans sa femme les faiblesses ordinaires à son sexe, ni aucun sentiment superstitieux ; et il la voyait alors vivement affectée. Après plusieurs sacrifices, les devins lui déclarèrent que les signes n'étaient pas favorables ; et il se décida enfin à envoyer Antoine au sénat, pour remettre l'assemblée à un autre jour.

LXX. Mais, dans ce moment, il voit entrer Décimus Brutus, surnommé Albinus. César avait en lui une telle confiance qu'il l'avait institué son second héritier : il était cependant de la conjuration de l'autre Brutus et de Cassius ; et craignant que, si César ne tenait pas l'assemblée ce jour-là, leur complot ne fût découvert, il se moqua des devins, et représenta vivement à César que ce délai donnerait lieu aux plaintes et aux reproches du sénat, qui se croirait insulté. «Les sénateurs, lui dit-il, ne se sont assemblés que sur votre convocation ; ils sont disposés à vous déclarer roi de tous les pays situés hors de l'Italie, et à vous permettre de porter le diadème partout ailleurs qu'à Rome, sur terre et sur mer. Si, maintenant qu'ils sont sur leurs sièges, quelqu'un va leur dire de se retirer et de revenir un autre jour où Calpurnia aura eu des songes plus favorables, quels propos ne ferez-vous pas tenir à vos envieux ? Et qui voudra seulement écouter vos amis, lorsqu'ils diront que ce n'est pas d'un côté la plus entière servitude, et de l'autre la tyrannie la plus absolue ? Si toutefois, ajouta-t-il, vous croyez devoir éviter ce jour comme malheureux pour vous, il convient au moins que vous alliez en personne au sénat, pour lui déclarer vous-même que vous remettez l'assemblée à un autre jour». En achevant ces mots, il le prend par la main et le fait sortir. Il avait à peine passé le seuil de sa porte, qu'un esclave étranger qui voulait absolument lui parler n'ayant pu l'approcher, à cause de la foule qui l'environnait, alla se jeter dans sa maison, et se remit entre les mains de Calpurnia, en la priant de le garder jusqu'au retour de César, à qui il avait des choses importantes à communiquer. Artémidore de Cnide, qui enseignait à Rome les lettres grecques, qui voyait habituellement des complices de Brutus, et savait une partie de la conjuration, vint pour remettre à César un écrit qui contenait les différents avis qu'il voulait lui donner ; mais voyant que César, à mesure qu'il recevait quelques papiers, les remettait aux officiers qui l'entouraient, il s'approcha le plus près qu'il lui fut possible, et en présentant son écrit : «César, dit-il, lisez ce papier seul et promptement ; il contient des choses importantes, qui vous intéressent personnellement». César l'ayant pris de sa main essaya plusieurs fois de le lire ; mais il en fut toujours empêché par la foule de ceux qui venaient lui parler. Il entra dans le sénat, le tenant toujours dans sa main, car c'était le seul qu'il eût gardé. Quelques auteurs disent qu'Artémidore, sans cesse repoussé dans le chemin par la foule, ne put jamais approcher de César, et qu'il lui fit remettre le papier par un autre.

LXXI. Toutes ces circonstances peuvent avoir été l'effet du hasard ; mais on ne saurait en dire autant du lieu où le sénat fut assemblé ce jour-là, et où se passa cette scène sanglante. Il y avait une statue de Pompée, et c'était un des édifices qu'il avait dédiés pour servir d'ornement à son théâtre. N'est-ce pas une preuve évidente que cette entreprise était conduite par un dieu qui avait marqué cet édifice pour le lieu de l'exécution ? On dit même que Cassius, lorsqu'on fut prêt d'attaquer César, porta ses yeux sur la statue de Pompée, et l'invoqua en secret, quoiqu'il fût d'ailleurs dans les sentiments d'Epicure (102), mais la vue du danger présent pénétra son âme d'un vif sentiment d'enthousiasme, qui lui fit démentir ses anciennes opinions. Antoine, dont on craignait la fidélité pour César, et la force de corps extraordinaire, fut retenu, hors du lieu de l'assemblée, par Albinus, qui engagea à dessein avec lui une longue conversation (103). Lorsque César entra, tous les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur. Des complices de Brutus, les uns se placèrent autour du siège de César ; les autres allèrent au-devant de lui, pour joindre leurs prières à celles de Métellus Cimber (104), qui demandait le rappel de son frère ; et ils le suivirent, en redoublant leurs instances, jusqu'à ce qu'il fût arrivé à sa place. Il s'assit, en rejetant leurs prières ; et comme ils le pressaient toujours plus vivement, il leur témoigna à chacun en particulier son mécontentement. Alors Métellus lui prit la robe de ses deux mains, et lui découvrit le haut de l'épaule ; c'était le signal dont les conjurés étaient convenus. Casca le frappa le premier de son épée ; mais le coup ne fut pas mortel, le fer n'ayant pas pénétré bien avant. Il y a apparence que, chargé de commencer une si grande entreprise, il se sentit troublé. César, se tournant vers lui, saisit son épée, qu'il tint toujours dans sa main. Ils s'écrièrent tous deux en même temps, César en latin : «Scélérat de Casca, que fais-tu ?» Et Casca, s'adressant à son frère, lui cria, en grec : «Mon frère, au secours !»

LXXII. Dans le premier moment, tous ceux qui n'étaient pas du secret furent saisis d'horreur ; et, frissonnant de tout leur corps, ils n'osèrent ni prendre la fuite, ni défendre César, ni proférer une seule parole. Cependant les conjurés, tirant chacun son épée, l'environnent de toutes parts ; de quelque côté qu'il se tourne, il ne trouve que des épées qui le frappent aux yeux et au visage : telle qu'une bête féroce assaillie par les chasseurs, il se débattait entre toutes ces mains armées contre lui ; car chacun voulait avoir part à ce meurtre et goûter pour ainsi dire à ce sang, comme aux libations d'un sacrifice. Brutus lui-même lui porta un coup dans l'aine. Il s'était défendu, dit-on, contre les autres, et traînait son corps de côté et d'autre en poussant de grands cris. Mais quand il vit Brutus venir sur lui l'épée nue à la main, il se couvrit la tête de sa robe et s'abandonna au fer des conjurés. Soit hasard, soit dessein formé de leur part, il fut poussé jusqu'au piédestal de la statue de Pompée, qui fut couverte de son sang. Il semblait que Pompée présidât à la vengeance qu'on tirait de son ennemi, qui, abattu et palpitant, venait d'expirer à ses pieds, du grand nombre de blessures qu'il avait reçues. Il fut percé, dit-on, de vingt-trois coups ; et plusieurs des conjurés se blessèrent eux-mêmes, en frappant tous à la fois sur un seul homme.

LXXIII. Quand César fut mort, Brutus s'avança au milieu du sénat pour rendre raison de ce que les conjurés venaient de faire : mais les sénateurs n'eurent pas la force de l'entendre ; ils s'enfuirent précipitamment par les portes et jetèrent parmi le peuple le trouble et l'effroi. Les uns fermaient leurs maisons, les autres abandonnaient leurs banques et leurs comptoirs ; les rues étaient pleines de gens qui couraient çà et là, et dont les uns allaient au sénat pour voir cet affreux spectacle, les autres en revenaient après l'avoir vu. Antoine et Lépidus, les deux plus grands amis de César, se dérobant de la foule, cherchèrent un asile dans des maisons étrangères. Mais Brutus et les autres conjurés, encore tout fumants du sang qu'ils venaient de répandre, et tenant leurs épées nues, sortirent tous ensemble du sénat, et prirent le chemin du Capitole, non comme des gens qui fuient, mais l'air content, et avec un visage gai qui annonçait leur confiance. Ils appelaient le peuple à la liberté, et s'arrêtaient avec les personnes de distinction qu'ils rencontraient dans les rues. Il y en eut même qui se joignirent à eux, pour faire croire qu'ils avaient eu part à la conjuration, et en partager faussement la gloire. De ce nombre furent Caïus Octavius et Lentulus Spinther, qui, dans la suite, furent bien punis de cette vanité. Antoine et le jeune César les firent mettre à mort, et leur ôtèrent même l'honneur qu'ils avaient ambitionné et qui causa leur perte. Ceux qui les condamnèrent punirent en eux, non la complicité du meurtre, mais l'intention. Le lendemain, Brutus et les autres conjurés se rendirent sur la place et parlèrent au peuple, qui les écouta sans donner un signe de blâme ni d'approbation ; le profond silence qu'il garda faisait seulement connaître que, si d'un côté il plaignait César, de l'autre il respectait Brutus. Le sénat décréta l'amnistie générale du passé ; il ordonna qu'on rendrait à César les honneurs divins, et qu'on ne changerait aucune des ordonnances qu'il avait faite pendant sa dictature. Il distribua à Brutus et à ses complices des gouvernements, et leur décerna des honneurs convenables. Tout le monde crut que les affaires étaient sagement disposées, et la république remise dans le meilleur état.

LXXIV. Mais quand on eut ouvert le testament de César, et qu'on y eut lu qu'il laissait à chaque Romain un legs considérable ; qu'ensuite on vit porter, à travers la place, son corps sanglant et déchiré de plaies, le peuple, ne se contenant plus et ne gardant aucune modération, fit un bûcher des bancs, des barrières et des tables qui, étaient sur la place, et brûla le corps de César. Prenant ensuite des tisons enflammés, il courut en foule aux maisons des meurtriers, pour y mettre le feu ; plusieurs même se répandirent dans la ville, et les cherchèrent dans le dessein de les mettre en pièces ; mais on ne put les découvrir, parce qu'ils se tinrent bien renfermés. Un des amis de César, nommé Cinna, avait eu, la nuit précédente, un songe assez extraordinaire : il avait cru voir César qui l'invitait à souper, et qui, sur son refus, l'avait pris par la main et l'avait entraîné, malgré sa résistance. Quand il apprit qu'on brûlait, sur la place, le corps du dictateur, il se leva ; et quoique inquiet du songe qu'il avait eu, quoique malade de la fièvre, il y courut pour rendre à son ami les derniers devoirs. Lorsqu'il arriva sur la place, quelqu'un du peuple le nomma à un citoyen qui lui demandait son nom ; celui-ci le dit à un autre ; et bientôt il courut dans toute la foule que c'était un des meurtriers de César : il y avait en effet un des conjurés qui s'appelait Cinna ; et le peuple, prenant cet homme pour le meurtrier, se jeta sur lui, et le mit en pièces sur la place même. Brutus et Cassius, effrayés de cette fureur populaire, sortirent de la ville peu de jours après. Je raconterai dans la vie de Brutus ce qu'ils firent depuis, et les malheurs qu'ils éprouvèrent.

LXXV. César mourut âgé de cinquante-six ans, et ne survécut guère que de quatre ans à Pompée. Cette domination, ce pouvoir souverain qu'il n'avait cessé de poursuivre à travers mille dangers, et qu'il obtint avec tant de peine, ne lui procura qu'un vain titre, qu'une gloire fragile, qui lui attirèrent la haine de ses concitoyens. Mais ce génie puissant qui l'avait conduit pendant sa vie le suivit encore après sa mort ; il s'en montra le vengeur, en s'attachant sur les pas de ses meurtriers et par terre et par mer ; jusqu'à ce qu'il n'en restât plus un seul de ceux qui avaient pris la moindre part à l'exécution, ou qui avaient seulement approuvé le complot. Entre les événements humains, il n'en est pas de plus étonnant que celui qu'éprouva Cassius : vaincu à la bataille de Philippes, il se tua de la même épée dont il avait frappé César ; et parmi les phénomènes célestes, on vit un premier signe remarquable dans cette grande comète qui, après le meurtre de César, brilla avec tant d'éclat pendant sept nuits et disparut ensuite (105). Un second signe, ce fut l'obscurcissement du globe solaire, qui parut fort pâle toute cette année-là, et qui chaque jour, à son lever, au lieu de rayons étincelants, n'envoyait qu'une lumière faible et une chaleur si languissante, que l'air fut toujours épais et ténébreux ; car la chaleur seule peut le raréfier ; son intempérie fit avorter les fruits, qui se flétrirent avant que d'arriver à leur maturité.

LXXVI. Mais rien ne prouve davantage comment le meurtre de César avait déplu aux dieux que le fantôme qui apparut à Brutus. Pendant qu'il se disposait à faire passer son armée du port d'Abyde (106) au rivage opposé, il se reposait la nuit dans sa tente, suivant sa coutume, sans dormir et réfléchissant sur l'avenir. C'était de tous les généraux celui qui avait le moins besoin de sommeil, et que la nature avait fait pour veiller le plus longtemps. Il crut entendre quelque bruit à la porte de sa tente ; et en regardant à la clarté d'une lampe prête à s'éteindre, il aperçut un spectre horrible, d'une grandeur démesurée, et d'une figure hideuse. Cette apparition lui causa d'abord de l'effroi ; mais quand il vit que le spectre, sans faire aucun mouvement et sans rien dire, se tenait en silence auprès de son lit, il lui demanda qui il était : «Brutus, lui répondit le fantôme, je suis ton mauvais génie, et tu me verras à Philippes. - Eh bien ! reprit Brutus d'un ton assuré, je t'y verrai». Et aussitôt le spectre s'évanouit. Quelque temps après, à la bataille de Philippes contre Antoine et César, il remporta une première victoire, renversa de son côté tout ce qui lui faisait tête, et poursuivit les fuyards jusqu'au camp de César, qui fut livré au pillage. Il se préparait à un second combat, lorsque ce même spectre lui apparut encore la nuit, sans proférer une seule parole. Brutus, qui comprit que son heure était venue, se précipita volontairement au milieu des plus grands dangers. Cependant il ne mourut pas dans le combat ; ses troupes ayant été mises en déroute, il se retira sur une roche escarpée ; là, se jetant sur son épée, avec l'aide d'un de ses amis, il se l'enfonça dans la poitrine, et expira sur le coup.


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(97)  Ce trait est rapporté dans la vie de Brutus, mais par rapport à la préture urbaine, que Plutarque désigne quelques lignes plus haut par ces mots : la préture la plus honorable.

(98)  Dans la vie de Brutus, Plutarque rapporte que Cassius, outre d'autres sujets de plainte qu'il avait contre César, ne lui pardonnait pas de lui avoir enlevé des lions qu'il avait fait rassembler et conduire à Mégare, pour les jeux de son édilité. Il ajoute qu'on regardait cet affront fait à Cassius comme la principale cause de la conjuration ; mais il paraît plutôt croire que Cassius avait apporté en naissant une aversion invincible contre la tyrannie, et qu'il avait, dès son enfance même, manifesté cette disposition.

(99)  Strabon, si connu par sa Géographie, était encore un philosophe distingué, de la secte des stoïciens, selon les uns, ou de l'école du Lycée, selon d'autres. Il avait composé plusieurs ouvrages historiques. Il a vécu sous Auguste et sous Tibère. Voyez, pour de plus grands détails, Vossius, de Hist. gr. lib. II, cap. VI. Dans tous les temps on a voulu que la mort des hommes puissants, des princes et des rois que leurs actions avaient élevés au-dessus des autres, eût été annoncée par des prodiges remarquables, et les temps modernes n'ont pas été plus exempts de cette manie que l'antiquité.

(100)  Les ides des mois romains variaient, ainsi que les nones ; dans les mois de mars, de mai, de juillet et d'octobre, les nones étaient le sept du mois, et les ides le quinze. Dans tous les autres mois les nones étaient le cinq, et les ides le treize : jusqu'aux nones, on comptait les quatre jours des calendes ; et depuis les ides, on datait les calendes du mois suivant, en comptant du dix.huitième avant les calendes, lorsque les ides étaient le treize ; ou du seize avant les calendes, lorsque les ides étaient le quinze, comme dans le mois de mars.

(101)  Ce pinacle était une sorte d'ornement que l'on mettait au faîte des temples, et que les Grecs nommaient aigle, comme on le voit dans les Oiseaux d'Aristophane. Le sénat avait accordé à César plusieurs honneurs, qui ordinairement étaient réservés aux dieux ; des temples, des autels, etc. Ce pinacle était une distinction du même genre. Voyez, sur tous ces honneurs prodigués à César, Suétone, dans sa vie, chap. LXXVI.

(102)  Epicure supposait que les dieux ne se mêlaient point de la conduite de l'univers, et que, livrés au repos le plus profond, ils étaient indifférents aux actions des hommes. Il croyait par conséquent qu'il était inutile de les invoquer.

(103)  Dans la vie de Brutus, c'est Caïus Trébonius qui retient Antoine hors du sénat. Il est possible que ce soit la faute d'un copiste qui aura répété ici ce nom, qu'il avait lu un peu plus haut. Plutarque ne pouvait pas tomber en contradiction avec lui-même sur un fait aussi connu, attesté par plusieurs historiens et surtout par Cicéron, plus digne encore d'en être cru, et qui le dit formellement dans la onzième Philippique, chap. XIV, et dans la treizième, chap. X.

(104)  Ce Cimber ne s'appelait pas Métellus, mais Tullius ; il est ainsi nommé dans un manuscrit, et dans Suétone, chap. LXXXIX. Il est vrai qu'Appien l'appelle Atilius Cimber ; et on le trouve avec ce nom dans une médaille ; mais cette médaille est suspecte avec raison aux antiquaires, suivant l'observation de M. Dacier. Ni Fulvius Ursinus, qui a ramassé toutes les médailles de la famille Attilia, ni Antonius Augustinus, qui a donné la liste de tous les membres de cette famille, ne reconnaissent cet Atilius Cimber.

(105)  Pline nous a conservé, liv. II, chap. XXV, un passage d'Auguste, successeur de César, où il dit que cette comète partit tout d'un coup, pendant les jeux qu'il célébrait en l'honneur de César ; qu'elle se levait dans la partie septentrionale du ciel, vers la onzième heure du jour (cinq heures du soir) : «Le peuple, ajoute Auguste, crut que cet astre marquait l'admission de l'âme de César parmi les dieux immortels ; et, par cette raison, on a placé une comète sur la tête de la statue que j'ai consacrée depuis peu en son honneur dans la place publique».

(106)  Abyde était une ville d'Asie, sur l'Hellespont, vis-à-vis de Seste, de l'autre côté du détroit : ce fut près de ce lieu que Xerxès fit construire ce fameux pont dont il est tant parlé dans les anciens, lorsqu'il voulut aller subjuguer les Scythes. Abyde est aujourd'hui la Dardanelle d'Asie, château de la Turquie asiatique, dans la mer Méditerranée, sur le détroit des Dardanelles.