IV - Claude (an de Rome 793)

Chapitre 3SommaireChapitre 5

Claude
Camée d'agathe et onyx
Bibliothèque nationale de France
Département des Monnaies, médailles et antiques

Claude, grossièrement esclave de son appétit, presque dépourvu de jugement et de mémoire, timide et lâche, prenait néanmoins de temps en temps d'excellentes résolutions, surtout par le conseil des nobles pour qui la crainte lui inspirait de la déférence. Cette conduite confirme la maxime qui nous apprend que les hommes sans jugement agissent presque toujours conformément aux conseils qu'on leur donne. Ce fut par l'autorité des hommes sages qu'il arrêta le débordement des vices, qu'il abolit dans toute la Gaule les infâmes superstitions des druides, qu'il fit des lois très avantageuses aux Romains, qu'il rétablit la discipline dans l'armée, et qu'il conserva ou étendit les frontières de l'empire, en lui donnant pour limites, à l'orient, la Mésopotamie ; au nord, le Rhin et le Danube ; au midi, la Mauritanie (1), qui n'eut plus de rois après Juba, lorsque les hordes des Musulamins (2) eurent été taillées en pièces ; enfin, à l'occident, par la Grande-Bretagne. S'étant embarqué au port d'Ostie, il soumit seul les parties les plus occidentales de ce pays, dont les lieutenans achevèrent la conquête. Il faut ajouter à ces belles actions ce qu'il fit pour faire cesser la famine, causée par Caligula, qui, pour dresser un théâtre sur la mer, où il voulait faire rouler des chars, avait rassemblé des vaisseaux de toutes les parties du monde (3), sans songer au préjudice qui en résultait pour les citoyens. De plus, il renouvela l'exercice de la censure, et chassa du sénat plusieurs de ses membres. Il y laissa pourtant un jeune débauché dont le père avait attesté la bonne conduite, et dit à ce sujet, avec raison, qu'il appartenait à un père d'être le censeur de ses enfants.

Mais, dès qu'il se fut laissé entraîner au crime par les caresses de Messaline (4), sa femme, et par les flatteries de ses affranchis, il ne se livra pas seulement aux excès que se permettent les tyrans ordinaires, mais encore à tous ceux qu'une femme corrompue à l'excès, et les plus vils esclaves pouvaient conseiller à un insensé élevé à la suprême puissance. On vit alors l'épouse de Claude chercher çà et là, comme par une sorte de droit, des hommes qui voulussent répondre à sa passion adultère, et faire mourir avec les coupables dont elle s'était servie ceux qui, soit par devoir, soit par crainte, avaient refusé de condescendre à ses désirs. Par un artifice familier aux femmes de cette espèce, elle les accusait d'avoir voulu attenter à sa pudicité, quand c'était elle-même qui les avait provoqués. Enfin, dévorée de plus en plus d'un feu criminel, elle se mit à contraindre les femmes mariées et les vierges des plus illustres familles à se prostituer avec elle, et des hommes à assister à ce honteux spectacle ; et, si quelqu'un d'entre eux en manifestait de l'horreur, elle l'accusait d'un crime, pour le faire périr avec toute sa famille. C'était ordinairement d'une conjuration qu'elle le chargeait auprès de l'empereur, facile à s'effrayer. Les affranchis avaient recours à la même accusation pour perdre ceux dont ils voulaient se défaire. Quand ces mêmes affranchis, d'abord complices des crimes de leur protectrice, eurent acquis une autorité égale à la sienne, ils la firent mourir par les mains de leurs satellites, comme si l'empereur, qui ignorait leur dessein, leur eût commandé cette mort. Messaline avait poussé l'infamie à un tel excès, que, pendant un voyage que Claude fit à Ostie, pour se divertir avec des courtisanes, elle contracta à Rome un nouveau mariage (5). Cet événement mit le comble à sa mauvaise réputation ; et l'on s'étonna que la femme d'un empereur eût épousé un autre homme qu'un empereur. Après sa mort, les affranchis, devenus plus puissants que jamais, signalèrent leur pouvoir par les viols, les exils, les meurtres, les proscriptions, et engagèrent leur imbécile maître, tout vieux qu'il était, à épouser la fille de son frère (6). Comme cette princesse passait pour être pire que Messaline, et que, pour cette raison, elle craignait d'en éprouver le sort, elle empoisonna son époux. Claude avait régné quatorze ans. La sixième année de son empire (7), on célébra à Rome avec beaucoup de pompe la huitième année séculaire de la fondation de cette ville. Cette même année parut en Egypte un phénix (8), espèce d'oiseau qui, dit-on, y arrive tous les cinq cents ans, du fond de l'Arabie, et une île nouvelle sortit tout à coup du fond des flots de la mer Egée, pendant une nuit où il était arrivé une éclipse de lune (9). La mort tragique de Claude fut longtemps tenue cachée, comme l'avait été celle de Tarquin l'Ancien. Les gardes, gagnés par l'impératrice, firent semblant de croire qu'il était malade, et qu'en attendant sa guérison, il avait confié le gouvernement de la république â son beau-fils, qu'il avait mis peu auparavant au nombre de ses enfants.


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(1)  La Mauritanie avait déjà été réduite par Caligula sous la puissance romaine, et divisée en deux provinces, la Tingitane et la Césarienne, comprises aujourd'hui dans l'empire de Maroc.

(2)  C'étaient des peuples d'Afrique. Selon le savant Barth, leur nom est l'origine de celui de musulmans, que nous donnons aux Turcs.

(3)  Sur le golfe de Baies, et près des côtes de la Campanie.

(4)  Valeria Messalina, fille de Barbatus Messala, Suet.

(5)  Selon Tacite, Ann.II, ch. 12 et 26, Messaline épousa Caïus Silius. Le même historien rapporte que Claude s'était rendu à Ostie pour y offrir un sacrifice.

(6)  Agrippine, fille de Germanicus et mère de Néron, qu'elle avait eu de Domitius Ahenobarbus, son premier mari.

(7)  Claude ayant commencé à régner l'an de Rome 793, la sixième année de son empire tombe à l'année 799. Aurelius Victor s'est donc trompé d'un an.

(8)  Le phénix est un oiseau fabuleux dont on peut lire la description dans Tacite, Ann. VI, ch. 28, et dans le poème latin de Phoenice, inséré à la fin des oeuvres de Lactance, cum notis variorum.

(9)  Cette île avait trente stades de long, et parut entre Théra et Théramènes, deux des îles, dites Cyclades, le dernier jour de décembre de l'an 798. Victor se trompe encore cette fois sur la date.