| Scène 1Un vieillard, ORESTE, PYLADE
Le Vieillard entre le premier ; il fait signe
            à Oreste et à Pylade qu'ils peuvent
            s'approcher.
 LE VIEILLARD
 O dernier rejeton du destructeur de Troie,
 Les dieux, m'ont donc gardé cette suprême
            joie
 De ramener l'enfant sous mes yeux
            élevé
 Au lieu même où, par moi, jadis il fut
            sauvé !
 Ces murs sont ceux d'Argos ; ce ruisseau qui
            serpente,
 C'est l'Inachus ; ce mont à la rapide
            pente,
 C'est le mont Arachné ; ce palais, c'est
            celui
 Où nous devons rentrer inconnus
            aujourd'hui,
 Pour accomplir des dieux l'arrêt vengeur et
            sombre.
 Enfin, dans ce tombeau repose la grande ombre
 De celui qui tomba sous de perfides coups.
 Pylade, incline toi ! - Fils d'Atride, à genoux
            !
 
 ORESTE, debout et les mains au ciel
 O fils de Jupiter, messager des
            ténèbres,
 Toi qui guides les morts dans les sentiers
            funèbres,
 Et qui m'as en ces lieux fidèlement
            conduit
 A travers les dangers inconnus de la nuit,
 Mercure, jusqu'au bout couvre-moi de ton aile ;
 Tu me vois honorant la tombe paternelle,
 Mais, ce devoir rempli, fatal élu des
            dieux,
 Tu me verras venger un forfait odieux.
 Fais donc qu'Agamemnon sur sa couche de pierre
 Rouvre, au son de ma voix, l'oreille et la
            paupière,
 Et, tressaillant au pas du sombre voyageur,
 Reconnaisse à la fois son fils et son vengeur
            !
 (Il s'agenouille.)
 Mon père, écoute-moi, regarde-moi.
            J'atteste
 Que celui qui te parle à genoux, c'est Oreste
            !
 Penché sur ton tombeau, je t'appelle,
            entends-moi,
 Si les dieux de la mort ont suspendu la loi ;
 Pour arriver au but, écoute ce qu'ordonne
 Celui qui fait parler les chênes de Dodone
            :
 «Oreste, m'a-t-il dit, si tu veux
            sûrement
 Venger l'époux, punir et l'épouse et
            l'amant,
 Ne prends contre ceux-là, que ton exil
            accuse,
 Pour témoin que la nuit, pour appui que la
            ruse».
 Or, suivant en tout point l'oracle solennel,
 Etranger, je reviens au foyer paternel,
 Avec ces deux amis, chargés chacun du
            rôle
 Que d'avance traça ma prudente parole.
 Mon père, tu vas donc, dans le projet
            conçu,
 Les voir agir tous deux selon l'ordre reçu
            ;
 Leur oeuvre, c'est la mienne ; à tous trois sois
            propice !
 Et maintenant, au lieu du riche sacrifice
 Que je voudrais t'offrir et t'offre par mes
            voeux,
 Mon père, laisse-moi déposer ces
            cheveux,
 Don le plus précieux, offrande la plus
            chère
 Que puisse faire un fils à la tombe d'un
            père.
 (Il coupe avec son poignard une boucle de cheveux
            à sa tête et la dépose sur le
            tombeau. - A Pylade et au Vieillard.)
 Et vous qui de ce fils partagez les douleurs,
 Joignez à ces cheveux vos cyprès et vos
            fleurs,
 Afin que de chacun, l'ombre sévère et
            tendre
 Reçoive le tribut qu'elle a le droit d'attendre
            !
 
 ELECTRE, dans le palais
 Hélas ! infortunée !
 
 PYLADE
 Ami,
            n'entends-tu pas
 Une voix qui se plaint ?
 
 ELECTRE
 Infortunée
            ! hélas !
 
 PYLADE
 Quelque nouveau malheur, dans la maison funeste,
 Va-t-il donc s'éveiller pour ton retour, Oreste
            ?
 
 LE VIEILLARD
 Regarde !
 
 
 
 Scène 2ELECTRE paraît avec un choeur de JEUNES
            ElLLES ; ORESTE, PYLADE et le vieillard, près
            du tombeau
ELECTRE, sur les marches du
            palaisAzur du ciel, air pur, feux de la nuit,
 Hélas ! combien de fois, quand s'endormait tout
            bruit,
 Avez-vous entendu, veillant dans les
            ténèbres,
 Le douloureux accent de mes plaintes funèbres
            ?
 
 ORESTE
 Quelle est donc cette femme aux sombres
            vêtements
 Dont la douleur s'épanche en longs
            gémissements,
 Triste comme une esclave et pâle comme un spectre
            ?
 Oh ! je la reconnais à ses pleurs, c'est Electre
            !
 Electre seule peut, fidèle à ton
            cercueil,
 Mon père, en ce palais, mener ce triste
            deuil.
 
 ELECTRE
 Combien de fois mes pleurs ont arrosé la terre
            !
 Oh ! seule, tu le sais, ma couche solitaire ;
 Seul aussi, toi peut-être, hôte de
            l'Achéron,
 Qui croulas comme un chêne aux coups du
            bûcheron ;
 Car on dit que le mort, sur sa tombe
            fermée,
 Compte les pleurs que verse une paupière
            aimée.
 
 ORESTE
 Tu vois, elle est fidèle au moins à nos
            douleurs.
 
 LE VIEILLARD
 Mon fils, laissons la femme impuissante à ses
            pleurs ;
 Mais nous, hommes, avec les dieux d'intelligence,
 Agissons, et marchons droit à notre
            vengeance.
 Viens !
 
 ORESTE
 Au
            revoir, Electre.
 (Tous trois sortent.)
 
 
 
 Scène 3ELECTRE, le choeur de Jeunes Filles
ELECTREOh
            ! oui, je pleurerai.
 Tant qu'on verra, brillant de leur splendeur
            première,
 Dans l'océan des cieux, ces Iles de
            lumière,
 Comme le rossignol appelant ses petits,
 Fait sans cesse aux échos dire : Ithys ! cher
            Ithys !
 Sans cesse je dirai cette plainte suprême
 A l'écho de la tombe, ô mon père
            que j'aime !
 Pluton, du sombre empire ô sombre souverain
            !
 Terribles Erynnis, Mercure souterrain,
 Dieux qui vengez le meurtre, en mon destin
            contraire,
 Prenez pitié de moi ! Renvoyez-moi mon
            frère ;
 Car, seule, je succombe à ce fardeau
            vainqueur
 Que la rigueur du sort fait trop lourd pour mon
            coeur.
 
 PREMIERE JEUNE FILLE, représentant le
            choeur
 Electre, tu le sais, ni prières ni larmes
 Ne peuvent arracher ton père aux sombres
            bords.
 Orphée avec ses chants, Hercule avec ses
            armes,
 Ont pu, seuls, jusqu'ici vaincre le dieu des
            morts.
 
 ELECTRE
 N'essayez pas, mes soeurs, de calmer mes tristesses
            ;
 Mes yeux, devenant secs, deviendraient criminels,
 Et j'estime à l'égal des plus grandes
            déesses
 Niobé, dont le marbre a des pleurs
            éternels.
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 O ma soeur ! la Justice, au front pâle, à
            l'oeil sombre,
 Prompte, frappe parfois dans le jour avec bruit ;
 Mais, lente, plus souvent elle marche dans
            l'ombre,
 Et n'arrive à son but qu'au milieu de la
            nuit.
 
 Quand le sang a coulé, que sur sa main
            immonde
 Le coupable l'a vu sans cesse renaissant,
 L'Océan aux deux mers réunirait son
            onde,
 Qu'à laver cette main il serait
            impuissant.
 
 ELECTRE
 J'attends depuis sept ans. Depuis sept ans,
            j'espère.
 Ma jeunesse a passé sous ces noirs
            vêtements.
 Depuis sept ans, tu vois ton Electre, ô mon
            père !
 Esclave, se nourrir des plus vils aliments.
 
 Hélas ! depuis sept ans, vers la voûie
            céleste,
 Triste, sans me lasser, j'élève les deux
            bras.
 Depuis sept ans, aux dieux je redemande Oreste :
 Depuis sept ans, les dieux ne me le rendent pas !
 
 Plus que je ne le suis, je devrais être
            forte
 Et laisser la justice accomplir ses desseins ;
 Mais, lorsque, chaque soir, je franchis cette
            porte,
 Et me sens face à face avec ses assassins
            ;
 
 Lorsque je vois assis sur ton trône, ô mon
            père !
 Ta couronne à leur front, ton sceptre daus leur
            main,
 Ma mère et cet Egysthe !... alors, je
            désespère,
 Et dis : L'éternité s'appelle donc
            demain !...
 
 Quand je les vois répandre au foyer
            domestique,
 A la place où leur bras fit le crime sans
            nom,
 La libation sainte, et, sous la voûte
            antique,
 Suer leur adultère au lit d'Agamemnon,
 
 Je crie alors, pareille à la noire
            Euménide :
 O Jupiter, vengeur des hommes et des dieux !
 La foudre est donc éteinte et l'Olympe est donc
            vide ?
 Il n'est donc plus d'éclairs ni de tonnerre aux
            cieux ?
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Pour qu'ainsi ta parole et l'accuse et le brave,
 Il faut que du palais Egysthe soit absent.
 
 ELECTRE
 Il est absent, mes soeurs ; sans quoi, la pauvre
            esclave
 N'oserait pas franchir ce seuil taché de
            sang.
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 Oh ! qu'un dernier espoir au fond du coeur te reste
            !
 
 ELECTRE
 Tout espoir s'est éteint au souffle des
            douleurs.
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Ne vois-tu pas de loin venir ton frère Oreste
            ?
 
 ELECTRE
 On voit mal quand les yeux sont inondés de
            pleurs.
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 Un matin du retour te garde les surprises.
 
 ELECTRE
 Au retour trop tardif le coeur n'a plus de foi.
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 On hésite à tenter les grandes
            entreprises.
 
 ELECTRE
 Ai-je donc hésité quand je l'ai
            sauvé, moi ?
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 Prends courage, ma soeur !
 
 ELECTRE
 En
            moi, plus rien ne vibre !
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Le jour va naître au ciel.
 
 ELECTRE
 Le
            jour m'est odieux !
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 Voudrais-tu donc mourir ?
 
 ELECTRE
 Je
            voudrais être libre !
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Sais-tu ce qu'est la mort ?
 
 ELECTRE
 C'est
            le baiser des dieux !
 
 
 
 Scène 4Les mêmes, ELECTRE au tombeau ;
 CLYTEMNESTRE, sur les marches du palais
DEUXIEME JEUNE FILLESilence ! du palais je vois dans les
            ténèbres
 Sortir ta mère, Electre, en proie à ses
            remords
 Et tenant à sa main ces offrandes
            funèbres
 Que l'amour des vivants fait au tombeau des
            morts.
 
 ELECTRE
 Comme vous, je la vois ! Oh ! sa terreur,
            j'espère,
 Cherche quelque autre objet que ce tombeau
            sacré.
 Elle vient profaner ton sépulcre, ô mon
            père !
 Mais je suis là, mon père, et je le
            garderai !
 
 CLYTEMNESTRE, aux esclaves suivantes
            d'Electre
 Femmes, éloignez-vous !
 (A ses Femmes.)
 Venez
            ! (Apercevant Electre voilée.)
 Quel
            est ce spectre
 Qui garde le tombeau d'Agamemnon !
 
 ELECTRE
 Electre.
 
 CLYTEMNESTRE
 Dans ton appartement ne peux-tu demeurer ?
 Ici que viens-tu faire, à cette heure ?
 
 ELECTRE
 Pleurer
            !
 
 CLYTEMNESTRE
 Crains de lasser enfin ma trop longue indulgence
            !
 Que demandes-tu donc sans cesse aux dieux ?
 
 ELECTRE
 Vengeance
            !
 
 CLYTEMNESTRE
 Vengeance ? de quoi donc ? du meurtre d'un époux
            ?
 Mais Thémis elle-même a frappé par
            mes coups !
 Et toi, si ta raison ne se fût obscurcie,
 Tu m'eusses dû prêter ton assistance.
 
 ELECTRE
 Impie
            !
 
 CLYTEMNESTRE
 Mais cet Agamemnon que tu pleures toujours,
 D'Iphigénie, enfin, avait tranché les
            jours.
 Il n'avait point passé par les douleurs
            amères
 De cet enfantement qui déchire les mères
            ;
 Car il n'eût point souscrit à ce meurtre
            odieux.
 Qui donc le commandait ? qui l'exigeait ?
 
 ELECTRE
 Les
            dieux !
 
 CLYTEMNESTRE
 Les dieux ! mais Ménélas avait une
            famille,
 Deux enfants ! De quel droit venir prendre ma fille
            ?
 L'oracle, et c'était juste, à sa place
            acceptait
 L'enfant de celui-là pour qui l'on
            combattait.
 Le sombre dieu des morts était-il plus
            avide,
 Dis, du sang du premier, que du second Atride ?
 Ou ce père cruel n'avait-il donc d'amour
 Que pour ceux qui de lui ne tenaient pas le jour
            ?
 D'un avis différent d'autres seront
            peut-être ;
 Mais, si la pauvre morte, ici, pouvait
            renaître,
 Et sortir un instant de la sombre prison,
 On verrait qui de nous, près d'elle, aurait
            raison !
 
 ELECTRE
 Oh ! vous ne direz point, pour cette fois, ma
            mère,
 Qu'Electre vous blessa par quelque plainte
            amère.
 C'est vous qui, conduisant la provocation,
 Demandez, imprudente, une explication !
 Je vais donc la donner, calme, simple, rapide,
 Et telle qu'elle sied à la fille d'Atride.
 O reine ! plût aux dieux que jamais votre
            coeur
 N'eût de l'âpre Vénus senti le feu
            vainqueur !
 Et plût aux dieux aussi que votre soeur
            Hélène
 N'eût jamais navigué sur la liquide plaine
            !
 L'une, en abandonnant son époux
            Ménélas,
 Hélène a mis l'Asie en flammes ; l'autre,
            hélas !
 Pour savourer en paix un amour adultère,
 A tué son époux ! L'autre, c'est vous, ma
            mère !
 Il est vrai qu'en votre âme endormant le
            remord,
 Vous dites que sa mort fut le prix de la mort.
 Ma mère, dites-le, d'autres pourront vous
            croire,
 N'ayant pas du passé comme moi la
            mémoire.
 Avant que vous partiez, ma mère, pour
            Aulis,
 Avant qu'Iphigénie eût ses jours
            accomplis,
 Déjà tressant les noeuds de votre
            chevelure,
 Vous ne vous occupiez que de votre parure,
 Et, cambrant votre taille au reflet d'un miroir,
 Vous donniez la journée à l'orgueil de
            vous voir.
 Or, son époux absent, femme qui se fait
            belle,
 Appelez-la d'avance une femme infidèle ;
 Car elle n'a désir de se faire admirer
 Que pour trahir l'époux qu'elle devrait
            pleurer.
 Ce n'est pas tout : cédant à des espoirs
            infâmes,
 Seule, je vous ai vue, entre toutes nos femmes,
 Aux succès des Troyens applaudissant,
            encor
 Que vous pleuriez tout bas aux défaites d'Hector
            !
 Tant la crainte était grande, en votre âme
            en détresse,
 De voir Agamemnon de retour dans la Grèce
            !
 O femme ! et cependant vous aviez un époux
 Si grand qu'Egysthe à peine atteignait ses
            genoux ;
 Si brave, que les Grecs d'une voix unanime
 L'avaient donné pour chef à leur cause
            sublime ;
 Si prudent, que sa voix aux avis précieux
 Balançait les conseils d'Ulysse, fils des dieux
            !
 Maintenant, si, frappant au coeur de sa famille,
 Mon père, dans Aulis, immola votre fille,
 Oreste et moi, quel crime avons-nous donc commis,
 Que nous soyons traités par vous en ennemis
            ?
 D'où vient que vous chassez, étant mort
            le coupable,
 Les enfants du palais, les agneaux de
            l'étable,
 Et, d'un nouvel époux achetant le soutien,
 Payez son alliance au prix de notre bien ?
 Cet époux, qui nous fait un destin si
            funeste,
 A-t-il, lui, par l'exil, payé l'exil d'Oreste
            ?
 Et par son esclavage, ou même son remord,
 Payé mon esclavage, à moi, pis que la
            mort ?
 Ne parlez pas ainsi ; car, dans ma crainte
            amère,
 C'est moi qui vous le dis : prenez garde, ma
            mère !
 Si tout meurtre est puni par un meurtre certain,
 Vous ne vivez que grâce au sursis du
            destin.
 Si vous avez frappé justement et sans
            crainte,
 Vous serez justement et sans remords atteinte.
 Et maintenant, voyons, dites, que venez-vous
 Faire avec cette offrande au tombeau d'un époux
            ?
 
 CLYTEMNESTRE
 Hélas ! j'aurais voulu demander à son
            ombre
 Pourquoi les dieux pour moi font cette nuit si
            sombre,
 Et d'un rêve effrayant, à mes
            côtés debout,
 Confier le secret à la Mort, qui sait
            tout.
 
 ELECTRE
 Ce n'est point, ce me semble, à cette tombe
            sainte
 Que vous devez, ma mère, abriter votre
            crainte.
 Vous ne sauriez offrir sans profanation
 Aux mânes d'un époux une libation,
 Quand cet époux tombé sous votre main
            funeste
 Invoque encore en vain la justice céleste.
 Si d'un songe vengeur le trouble vous poursuit,
 Demandez avant tout à sa mère, la
            Nuit,
 Si ce songe sortait, réel ou
            dérisoire,
 Par la porte de corne ou la porte d'ivoire.
 Vous avez fait tailler dans le plus pur paros
 L'image d'Apollon, protecteur de Claros.
 Interrogez celui dont l'oracle est suprême,
 Puisque vous honorez ce dieu ; ce dieu vous aime,
 Et vous répondra, certe, avec plus de
            bonté
 Que ne le pourrait faire un époux
            irrité.
 
 CLYTEMNESTRE, à
            elle-même
 D'où vient que j'obéis quand Electre
            commande ?
 (Au pied de la statue.)
 Apollon Loxias, accepte mon offrande...
 Reçois avec mes voeux et ce lait et ces
            fleurs,
 Et dissipe d'un mot mes nocturnes terreurs.
 Voici ce que j'ai vu, dieu puissant, dans un rêve
            :
 La Mort, à mon époux accordant une
            trêve,
 Et, rendant à la terre un Atride
            géant,
 Pâle le rejetait de son tombeau
            béant.
 Lui, cependant, le front plutôt joyeux que
            triste,
 S'avançait, et, prenant son sceptre aux mains
            d'Egysthe,
 Taudis que celui-ci de terreur haletait,
 Ainsi qu'un jeune chêne en terre il le
            plantait.
 Une branche en jaillit dont le vaste feuillage
 Aussitôt sur Argos étendit son
            ombrage,
 Et, sortant de leurs murs, les Argiens, joyeux,
 Baisaient cet arbre-sceptre et rendaient grâce
            aux dieux !
 Maintenant, si, malgré cette sombre
            figure,
 Ce songe était pour moi d'un favorable
            augure,
 Si l'ombre de mes nuits n'assombrit pas mes
            jours,
 Laisse, ô grand Apollon, mes destins à
            leur cours !
 Mais, si dans mon récit tu voyais, au
            contraire,
 Quelque complot tramé par Electre ou son
            frère,
 Apollon, dont la main tient l'avenir soumis,
 Retourne ce complot contre mes ennemis,
 Et fais que, toujours calme et toujours
            honorée,
 Je porte en paix le sceptre et le bandeau
            d'Atrée.
 
 UNE FEMME
 Clytemnestre, un vieillard s'avance vers ces
            lieux,
 Qui semble t'apporter la réponse des
            dieux.
 
 
 
 Scène 5Les mêmes, un vieillard, portant une
            urne
LE VIEILLARDEtrangère, veuillez éclaircir dans son
            doute
 Un voyageur perdu qui demande sa route :
 Je désire savoir où je me trouve
            ici.
 
 CLYTEMNESTRE
 Près d'Argos.
 
 LE VIEILLARD
 Le
            palais d'Egysthe ?
 
 CLYTEMNESTRE
 Le
            voici.
 
 LE VIEILLARD
 Maintenant, si j'en crois la majesté
            suprême
 Empreinte sur ce front, c'est la reine
            elle-même
 Qu'au-devant de mes pas conduisit le hasard ?
 
 CLYTEMNESTRE
 Oui, c'est elle, en effet. Que lui veux-tu, vieillard
            ?
 
 LE VIEILLARD
 Avant tout, laisse-moi te saluer, ô reine !
 Le ciel de jours heureux fasse ta coupe pleine,
 Et ne permette pas que le Destin moqueur
 En change le doux miel en amère liqueur !
 
 CLYTEMNESTRE
 Un tel souhait, vieillard, est d'un ami
            fidèle,
 
 LE VIEILLARD
 O reine ! je t'apporte, une riche nouvelle.
 
 CLYTEMNESTRE
 Dis.
 
 LE VIEILLARD
 Pour
            Egysthe et toi se déclare le sort.
 
 CLYTEMNESTRE
 Je t'écoute, vieillard ; achève.
 
 LE VIEILLARD
 Oreste
            est mort !
 
 ELECTRE
 Hélas !
 
 CLYTEMNESTRE
 Répète
            !
 
 LE VIEILLARD
 Mort
            !
 
 CLYTEMNESTRE, joyeuse
 En
            es-tu sûr ?
 
 ELECTRE
 Infâme
            !
 
 CLYTEMNESTRE
 Vieillard, n'écoute pas les cris de cette
            femme...
 Oreste est mort ?
 
 LE VIEILLARD
 Oui,
            reine.
 
 ELECTRE
 Inexorable
            loi !
 
 CLYTEMNESTRE
 Mort !... nous sommes sauvés !
 
 ELECTRE
 Mort
            !... C'en est fait de moi !
 
 CLYTEMNESTRE
 Oh ! je doute !...
 
 LE VIEILLARD
 La
            paix dans ton coeur va descendre.
 Cette urne...
 
 CLYTEMNESTRE
 Eh
            bien, cette urne ?...
 
 LE VIEILLARD
 Elle
            contient sa cendre.
 
 ELECTRE, lui prenant l'urne des
            mains
 Donne ! sur elle j'ai le droit de la douleur.
 (Elle se couche au pied du tombeau d'Agamemnon,
            tenant entre ses bras l'urne d'Oreste.)
 Fais ton oeuvre à présent, messager de
            malheur !
 
 CLYTEMNESTRE
 Oui, raconte-moi tout ! - Mais, d'abord, qui t'envoie
            ?
 
 LE VIEILLARD
 Lycus le Phocéen.
 
 CLYTEMNESTRE
 Le
            ciel le tienne en joie !
 (Le Vieillard va pour parler.)
 Attends... Fut-il témoin de sa mort ?
 
 LE VIEILLARD
 Je
            le fus.
 
 CLYTEMNESTRE
 Que tes désirs jamais n'éprouvent de
            refus !
 J'écoute.
 
 LE VIEILLARD
 Eh
            bien, Oreste avec toute la Grèce,
 Cherchant, sûr de sa force et fier de son
            adresse,
 Le glorieux danger d'un concours orageux,
 A Delphe était venu pour prendre part aux
            jeux.
 Sitôt que du héraut la clameur
            souveraine
 Appela les élus, il parut dans
            l'arène.
 Alors, chaque regard, sur lui se concentrant,
 Le vit, grand par son nom, par son malheur plus
            grand,
 Et chaque spectateur dans son âme
            étonnée
 Eprouva le désir que de cette
            journée,
 Sur tous les concurrents, objets de son
            mépris,
 Vainqueur aux cinq combats, Oreste obtînt le prix
            ;
 Et, vainqueur en effet, à la course, à la
            lutte,
 Au saut, au pugilat, au disque, dans sa chute,
 Exemple par le sort offert aux nations,
 Oreste recueillit plus d'acclamations
 Que jamais souverain triomphant et
            prospère
 N'en souleva, montant au trône de son
            père.
 Cent mille voix criaient en répétant son
            nom :
 C'est Oreste d'Argos, le fils d'Agamemnon !...
 Du héros, qui, jadis, contre Troie
            alarmée,
 De nos pères vainqueurs guida l'illustre
            armée,
 Et que le monde entier, témoin de ses
            exploits,
 Dans son étonnement nomma le roi des rois
            !
 Il triomphait ainsi ; mais, dans sa jalousie,
 Quand par le doigt d'un dieu la victime est
            choisie,
 L'homme le plus puissant ne saurait
            échapper
 Au coup dont le Destin s'apprête à le
            frapper !
 Le lendemain le cirque était plein dès
            l'aurore ;
 Oreste s'avança, guidant le char sonore,
 Et maîtrisant d'un geste et d'un accent
            aimés
 Deux blancs coursiers d'Elide au frein
            accoutumés ;
 Parmi ses concurrents, un venait d'Etolie,
 Un de Thèbe, un de Sparte et deux de Thessalie
            ;
 Un autre était d'Epire ; un autre Libyen ;
 Un autre, le huitième, était
            Athénien.
 Les arbitres des jeux avaient proscrit le reste :
 Ils étaient donc en tout neuf, eu comptant
            Oreste.
 Lorsque, selon le sort, on eut aux concurrents
 Remis leurs numéros et désigné
            leurs rangs,
 Le signal retentit, et, prompts comme l'orage,
 Les neuf chars emportés, dans un poudreux
            nuage,
 Firent jaillir, ainsi que d'un choc souterrain,
 Des tonnerres de bronze et des éclairs
            d'airain.
 D'abord, l'oeil vainement chercha dans la
            carrière,
 A distinguer les chars qui restaient en
            arrière,
 De ceux qui, plus ardents, poussés par
            l'aiguillon,
 Sur le sable imprimaient un flamboyant sillon ;
 Mais on ne voyait rien qu'une confuse houle.
 Semblable aux flots bruyants que la tempête
            roule,
 Lorsque le vent arrache, en passant sans
            l'éclair,
 Leur crinière d'écume aux coursiers de la
            mer !
 Six fois on vit ainsi l'ardente cavalcade,
 Rapide tourbillon, faire le tour du stade,
 Et les neuf concurrents, consommés dans leur
            art,
 A ce sixième tour pressés comme au
            départ.
 Mais enfin les chevaux du citoyen de Sparte
 S'emportent... C'est en vain que le Thébain
            s'écarte :
 Le char de son rival, contre le sien
            poussé,
 Le heurte et sur le sol le jette renversé,
 Tandis qu'au même choc l'autre, perdant sa
            roue,
 Dans le cirque, à son tour, comme un navire
            échoue.
 Les autres chars venaient à leur suite...
            Surpris,
 Cinq d'entre eux, emportés, vont heurter ces
            débris,
 Et couvrent, fracassés, éperdus, hors
            d'haleine,
 De naufragés nouveaux cette fatale plaine.
 Avec l'Athénien, dans, l'immense cercueil,
 Oreste est seul debout... Ainsi, longeant
            l'écueil
 Où vient de se briser une imprudente
            flotte,
 Derrière elle, l'on voit un habile pilote
 Manoeuvrer au milieu du dangereux récif,
 Et tirer du détroit l'équipage et
            l'esquif ;
 Ainsi, des chars brisés évitant les
            approches,
 Habile nautonier voguant entre les roches,
 On voit soudain Oreste, au milieu des bravos,
 Pareil au dieu du jour, jaillir de ce chaos,
 Et, calme, souriant, poursuivre sa
            carrière,
 Aussi beau qu'Apollon sur son char de
            lumière.
 Reste l'Athénien ; désormais entre eux
            deux
 Se débattra le prix du combat hasardeux ;
 Pour le leur disputer plus de gloires rivales !
 Légèrement courbé sur ses blanches
            cavales,
 Mais pour les exciter n'employant que la voix,
 Oreste a parcouru le stade quatre fois,
 L'Athénien le suit et parfois le
            précède ;
 Seulement, on le voit appeler à son aide
 Des coups pressés du fouet le dangereux
            secours,
 Et l'on pense qu'il reste à faire encor deux
            tours,
 Et que, dans ces deux tours, grâce aux cavales
            blanches,
 Le fils d'Atride aura de faciles revanches.
 L'Athénien aussi le pense, et, furieux
 De perdre ainsi le prix qu'ont entrevu ses yeux,
 Le coeur désespéré, le: front
            pâle, l'oeil morne,
 Il pousse avec son char Oreste vers la borne.
 Oreste voit le piège et, d'un cercle
            sanglant,
 Son fouet des blancs coursiers enveloppe le
            flanc.
 De rage et de douleur les cavales hennissent.
 D'un indomptable élan, maître et chevaux
            boudissent..
 Et l'essieu, d'un seul coup, heurte et brise de
            front
 Et la borne et le char, et, les brisant, se
            rompt.
 Aussitôt retentit un long cri d'épouvante
            ;
 Car on ne voyait plus, dans l'arène
            mouvante,
 Qu'un groupe monstrueux, et, par le sang
            marbrés,
 Des chars se renversant sur des chevaux cabrés
            !
 Broyé par ses coursiers, déchiré
            sur le sable,
 Mourant, défiguré, sanglant,
            méconnaissable,
 Ce fut de ces débris qu'après bien des
            efforts,
 Du malheureux Oreste on dégagea le corps.
 (A Electre, qui sanglote.)
 Oh ! pleurez ! trop de pleurs ne se peuvent
            répandre
 Sur ce corps qui n'est plus, hélas ! qu'un peu
            de cendre
 Que dans l'urne d'airain je rapporte, pieux,
 Pour qu'elle ait une place au tombeau des aïeux
            !
 
 LE CHOEUR
 D'aujourd'hui, ta maison, Atride, est en ruine ;
 Car Oreste au tombeau rejoint Agamemnon,
 Et de l'arbre coupé jusque dans sa racine
 La mort vient de briser le dernier rejeton.
 
 CLYTEMNESTRE
 Apollon, que penser de ce récit funeste ?
 Dois-je me réjouir ou bien pleurer Oreste
            ?
 Je sens qu'au fond du coeur, hélas !
            malgré leurs torts,
 Une mère ne peut haïr ses enfants
            morts.
 
 LE VIEILLARD
 Reine, est-ce une douleur que ma voix te
            révèle ?
 
 CLYTEMNESTRE
 Non, non... C'est, tu l'as dit, une heureuse
            nouvelle.
 Il n'était point mon fils, celui qui, loin de
            nous,
 A, presque enfant, pour fuir, glissé de mes
            genoux,
 Et qui, me reprochant l'assassinat d'un
            père,
 S'unissait à sa soeur pour menacer sa
            mère.
 Mais toute crainte cesse à partir d'aujourd'hui
            ;
 Je ne redoute plus rien d'elle ni de lui.
 Mes ennemis sont morts, et leur plainte importune
 Ne viendra plus jeter d'ombre sur ma fortune.
 Grâce soit donc rendue à l'heureux
            messager
 Qui, de mon front royal, écarte le danger.
 
 ELECTRE
 Oreste, cher Oreste ! hélas ! c'est à
            cette heure
 Que véritablement ton Electre te pleure,
 Puisque c'est à cette heure, ô dernier
            coup du sort !
 Qu'elle voit Clytemnestre applaudir à ta mort
            !
 
 CLYTEMNESTRE
 Oh ! oui, j'applaudirais... fût là toute
            la Grèce !
 
 ELECTRE
 Tu ne l'entends donc pas, Némésis
            vengeresse ?
 
 CLYTEMNESTRE
 Entre dans ce palais, vieillard aimé des dieux
            !
 
 ELECTRE
 Car, si tu l'entendais, tu descendrais des cieux
            !
 
 (Clytemnestre rentre avec le vieillard et les femmes
            de sa suite. Electre, couchée au pied du
            tombeau, reste avec les jeunes filles.)
 
 
 
 Scène 6ELECTRE, les jeunes filles
LA PREMIERE JEUNE FILLE, regardant
            s'éloigner ClytemnestreAinsi, ce doux instinct, cette sainte tendresse
 Qu'aux coeurs les plus cruels mettent les dieux
            cléments,
 Cet amour des enfants qui fait que la tigresse
 Pleure ses petits morts par des rugissements,
 
 Nous l'avons, ô mes soeurs ! au coeur de cette
            femme
 Demandé vainement au nom de son fils mort
            !
 Epouse parricide, et marâtre sans
            âme,
 Elle a laissé sa joie éclater sans
            remord.
 
 ELECTRE
 Que vas-tu devenir, maintenant, pauvre Electre ?
 Oreste te manquant pour frapper tes bourreaux,
 Tu vas, toutes les nuits, errante comme un
            spectre,
 Sur deux urnes gémir, pleurer sur deux tombeaux
            !
 
 O monument pieux ! seul prix de mes souffrances,
 Cendres qui de la mort remontez jusqu'à
            moi,
 Qu'avez-vous fait, hélas ! des sombres
            espérances
 Dont mon coeur s'était fait une pieuse loi
            ?
 
 Que n'ai-je succombé dans cette nuit
            suprême
 Qui mit un terme, Atride, à tes jours
            triomphants !
 Mon frère, sous leurs coups, que n'es-tu mort
            toi-même !
 Un seul marbre eût couvert le père et les
            enfants.
 
 Mais non, pauvre exilé, sur des rives
            funestes,
 Tu tombas tristement, loin d'Electre, et ses
            mains,
 O fils du roi des rois ! n'ont pu rendre à tes
            restes
 Ces devoirs qui sont dus au dernier des humains.
 
 Enfant, j'avais pour toi les soins d'une
            nourrice,
 Soins qui, pour mon amour, étaient pleins de
            douceur ;
 Et ta bouche, à son tour, par un tendre
            caprice,
 Longtemps avant ta mère avait nommé ta
            soeur.
 
 Oh ! je te vois encor, de jeunesse splendide,
 Courant, roi des enfants par ton ordre
            assemblés,
 Fier de tes cheveux blonds, qui, seuls, dans
            l'Argolide,
 Etaient, avec les miens, de la couleur des blés
            !
 
 Chaque matin alors amenait une fête ;
 L'espoir nous couronnait de ses plus belles fleurs
            ;
 Mais ton soleil d'un jour, en brillant sur ma
            tête,
 Fait plus profonde encor la nuit de mes douleurs.
 
 Je partageais ton sort, qu'il fût brillant ou
            sombre ;
 Nous marchions éclairés par le même
            flambeau ;
 Du moment que tu meurs, je ne suis plus qu'une
            ombre...
 A tes côtés fais-moi place dans ton
            tombeau.
 
 Jours avant l'heure éteints, flamme trop
            tôt ravie,
 Arbre brisé trop vite aux tempêtes du
            sort,
 Puisqu'il m'est défendu de te rendre à la
            vie,
 Mon frère bien-aimé, reçois-moi
            dans la mort !
 
 (Elle se baisse sur l'urne et laisse glisser sa
            main, qui se porte sur l'urne et les fleurs.)
 Mais sur ces froids degrés, est-ce donc un
            prodige ?
 On dirait des rameaux ; il semblerait des fleurs
 Qu'une pieuse main arrache de leur tige
 Pour parer cette tombe ! Eclairez-moi, mes soeurs
            !
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Hélas ! Oreste mort, Electre
            prisonnière,
 Qui donc pour ce sépulcre a gardé des
            regrets ?
 
 ELECTRE
 O mes soeurs, hâtez-vous ! approchez la
            lumière...
 Je ne me trompais pas : des fleurs et des cyprès
            !
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 Que ces fleurs, par nos mains saintement
            recueillies,
 A dire ses secrets forcent la Nuit qui ment.
 
 ELECTRE
 Vous le voyez, ces fleurs sont fraîchement
            cueillies ;
 O mes soeurs ! ces rameaux sont brisés
            fraîchement.
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Quel peut être celui dont la douleur pieuse
 Sur ce marbre apporta son offrande et ses voeux ?
 
 ELECTRE, trouvant la boucle de
            cheveux
 Voyez, mes soeurs, voyez, chose plus
            précieuse,
 Non seulement des fleurs, mais encor des cheveux.
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 Les enfants éplorés sur la tombe d'un
            père,
 Les épouses en deuil au tombeau d'un
            époux,
 La soeur désespérée au
            sépulcre d'un frère,
 Offrent seuls leurs cheveux, don le plus saint de tous
            !
 
 ELECTRE
 Regardez !... ces cheveux sont blonds, prodige
            étrange !
 Blonds comme les cheveux de mon frère et les
            miens.
 Enfants, nous les tressions, tendre et charmant
            mélange !
 Et nul ne distinguait alors les miens des siens.
 
 Voyez, avec ceux-ci formant une couronne,
 Je présente à vos yeux un mélange
            pareil ;
 Sont-ils plus ressemblants sur le front de
            l'automne,
 Deux blonds épis dorés par le môme
            soleil ?
 
 Qui donc s'agenouilla, ce soir, sur cette pierre
            ?
 Qui voua ces cheveux, ces rameaux et ces fleurs ?
 Qui donc, en les vouant, répandit sa
            prière
 Sur ce marbre qui semble humide encor de pleurs ?
 
 Oh ! c'était un ami, celui-là qui, dans
            l'ombre,
 Se cachant aux regards de mes tyrans jaloux,
 Est venu, comme moi, le coeur triste, l'oeil
            sombre,
 Sur la trace des miens poser ses deux genoux !
 
 Attendez ! sur le sable il a laissé
            peut-être
 L'empreinte de son pas, le pieux visiteur.
 Mon coeur, chasse l'espoir qui dans toi veut
            renaître...
 Impossible ! n'importe, éclaire-moi, ma soeur
            !
 
 Hélas ! quand, autrefois, nous courions dans la
            plaine,
 Mon cher Oreste et moi, nous tenant par la main,
 Et qu'au but arrivés, ayant repris
            haleine,
 Nous repassions tous deux par le même chemin
            ;
 
 De mes pas et des siens l'enfant cherchant
            l'empreinte,
 S'amusait à marcher sur nos traces
            ployé,
 Et, pressant le terrain d'une nouvelle
            étreinte,
 Dans le contour du mien il appuyait son pied.
 
 Et ce nouvel effort sur l'argile ou le sable,
 Dans le moule étranger marquait aussi le sien
            ;
 Seulement, plus petit, mais en tout point
            semblable,
 Il était débordé par le contour du
            mien.
 
 Maintenant, s'il vivait, c'est moi qui, sur sa
            trace,
 Comme il faisait jadis, marcherais à mon
            tour,
 Et verrais, dénonçant une commune
            race,
 Son pied grandi du mien déborder le contour
            !
 (Mesurant son pied dans la trace laissée par
            le pied d'Oreste.)
 O prodige ! mes soeurs, cette forme est la même
            !
 J'hésitais... Maintenant, mon doute est
            éclairci,
 C'est le pied de mon frère. O justice
            suprême !
 Oreste n'est pas riiort ! Oreste...
 
 
 
 Scène 7Les mêmes, ORESTE, PYLADE
ORESTEMe
            voici !
 
 ELECTRE
 Jour mille fois heureux !
 
 ORESTE
 Ma
            soeur qui m'es si chère !
 
 ELECTRE
 Est-ce bien toi qui parle, ô douce voix d'un
            frère ?
 
 ORESTE
 Oui, c'est moi ! c'est ma voix !
 
 ELECTRE
 Tu
            vis, mon seul amour !
 Toi que, depuis sept ans, j'appelle nuit et jour,
 Et que tu revois juste à l'heure
            douloureuse
 Où tu pleurais sa mort, Electre bienheureuse
            !
 
 ORESTE
 Couvre-moi tout entier de ton regard joyeux,
 Mon coeur contre ton coeur et tes yeux sur mes
            yeux.
 Ma soeur !...
 
 ELECTRE
 Oh
            ! c'est bien lui, Minerve protectrice !
 Au-dessus de son oeil, voici la cicatrice
 D'un coup qu'il se donna, dans une chute, enfant,
 Un jour que nous courions après un jeune
            faon.
 (Aux Jeunes Filles.)
 O vous, à l'esclavage avec moi
            condamnées,
 Qui n'avez, jusqu'ici, connu que mes douleurs,
 Le voilà ! cet Oreste, aux nobles
            destinées,
 Qui vient, comme Phoenix, de renaître à
            nos pleurs !
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Jour si longtemps promis, heure terrible et
            sainte,
 Tu te lèves enfin à l'horizon vermeil
            !
 Salut, lumière absente et qu'on croyait
            éteinte ;
 Et devant qui, demain, pâlira le soleil !
 
 ELECTRE
 Oh ! sois le bienvenu dans Mycènes ravie !
 Qu'Argos te reconnaisse et t'ouvre ses remparts,
 Cher objet de mes soins, chère âme de ma
            vie,
 Toi pour qui de mon coeur le ciel fit quatre parts
            !
 
 Que j'aime de l'amour que j'avais pour mon père
            ;
 Que j'aime de l'amour que j'aurais pour ma soeur
            ;
 Que j'aime de l'amour que j'eusse eu pour ma
            mère ;
 Que j'aime de l'amour que j'ai pour mon vengeur !
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 Oh ! puisque te voici, fils d'Atride, courage !
 L'ombre d'Agamemnon marchera devant toi.
 Rends trépas pour trépas, outrage pour
            outrage,
 Mal pour mal, sang pour sang ; c'est notre vieille loi
            !
 
 ELECTRE
 Mais, d'abord, dis-moi tout, déroule-moi la
            chaîne
 De ces événements qui forment chaque jour
            ;
 Nomme tes ennemis, afin qu'ils aient ma haine ;
 Apprends-moi tes amis, pour qu'ils aient mon
            amour.
 
 ORESTE
 Nous n'avons d'ennemis, ma soeur, sur cette
            terre,
 Que l'époux parricide et l'épouse
            adultère ;
 Et nous n'avons d'ami digne de notre foi
 Que celui-ci, ma soeur... Pylade, approche-toi.
 Ma soeur, voici celui qui, dans les jours
            d'orage,
 A, d'un oeil souriant, relevé mon courage
            ;
 Qui, le coeur sur mon coeur et la main dans ma
            main,
 Exilé, m'a conduit dans mon âpre chemin
            :
 Qui, lorsque les frimas descendaient de la nue,
 Etendant son manteau sur ma poitrine nue ;
 Qui, lorsque le soleil montait à
            l'horizon,
 Ramenant les ardeurs de la chaude saison,
 Comme il avait vaincu les frimas au temps sombre,
 Sur un sol embrasé savait répandre
            l'ombre ;
 Qui, sous le sort fatal lorsque, courbant mon
            front,
 Inhabile à souffrir la misère et
            l'affront,
 Je tombais, haletant, sur le bord de la route,
 Criant : J'ai soif ! criant : J'ai faim !
            criant : Je doute !
 Savait trouver, avec l'hôtesse qui sourit,
 L'onde qui désaltère et le pain qui
            nourrit ;
 Et, mieux que tout cela, la parole de flamme
 Qui rend la force au corps, rendant l'espoir à
            l'âme...
 
 ELECTRE, tendant la main à
            Pylade
 Mon frère !
 
 PYLADE
 Oreste
            a dit, ma soeur, les mauvais jours ;
 Mais aux cieux incléments ne régnent pas
            toujours
 Le Verseau répandant une froide
            rosée,
 Ou le Lion soufflant son haleine embrasée.
 Même pour l'exilé, sombre et chargé
            d'ennuis,
 Il est quelques beaux jours et quelques douces
            nuits.
 Oreste a dit la route aride et difficile,
 Le précipice ouvert, la montagne indocile,
 Les ardeurs de l'été, la bise des hivers
            :
 Mais il a négligé les beaux horizons
            verts
 Qu'avril, en souriant de sa corbeille épanche
            ;
 Et septembre cueillant un fruit sur chaque branche
            !
 Trop indulgent pour moi, trop ingrat pour les
            dieux,
 Il n'a point raconté ces matins radieux
 Où l'aube, au haut des monts, apparaissant
            féconde,
 D'un doux frissonnement fait tressaillir le monde
            ;
 Ni ces soirs où, suivant du regard le
            soleil,
 Navire d'or qui sombre à l'occident
            vermeil,
 Nous écoutions chanter Philomèle
            plaintive,
 Ou murmurer la mer qui vient lécher sa rive
            ;
 Ni ces nuits où, pensifs, la reine au char
            d'argent,
 Sous son silence ami, nous a vus voyageant,
 Et, se penchant vers nous, douce comme une
            mère,
 Caressait nos deux fronts de sa pâle
            lumière...
 
 
 
 Scène 8Les mêmes, le vieillard, sur la
            terrasse
LE VIEILLARDVous perdez votre temps en frivoles propos,
 Enfants, et le tyran va revenir d'Argos.
 
 ORESTE
 Egysthe est donc absent ?
 
 ELECTRE
 Jusqu'à
            l'aube prochaine.
 
 LE VIEILLARD
 Non ; car un messager envoyé par la reine
 Est parti dès longtemps, et doit le
            prévenir
 Qu'Oreste est mort.
 
 ORESTE, joyeux
 Alors,
            Pylade, il va venir.
 
 DEUXIEME JEUNE FILLE
 O mes soeurs, invoquons la puissance céleste
            !
 Le moment est venu qui va briser nos fers.
 Le glaive expiateur est à la main
            d'Oreste...
 Place sur le chemin qui conduit aux enfers !
 
 ELECTRE
 0h ! ne va pas fléchir dans l'oeuvre qui
            t'amène !
 Notre divinité, souviens-t'en, c'est la haine
            !
 C'est la sombre Erynnis, déesse au coeur
            d'airain,
 Qui tient, même endormie, un poignard dans sa
            main.
 Ne va pas oublier la nuit du parricide...
 Elle dira qu'elle est ta mère, la perfide
            !
 Mensonge !... il n'en est rien... Réponds-lui
            par tes coups ;
 Frappe l'épouse, ainsi qu'elle a frappé
            l'époux :
 Sans pitié, sans relâche !... Est-elle
            notre mère,
 Celle qui nous a fait cette existence amère
            ?...
 A toi l'exil, à moi la captivité ! -
            Voi
 Ce qu'il advient de ceux qu'elle tient sous sa loi
            :
 La chaîne à chaque main, à chaque
            pied l'entrave ;
 Suis-je sa fille, dis, ou suis-je son esclave ?
 Dieux vengeurs ! notre mère !... elle, Oreste
            ?... Non, non !
 Tu ne serais pas là, tombe d'Agamemnon,
 Si nous étions vraiment les fils de cette
            infâme !...
 Pour être mère, il faut avant tout
            être femme :
 Et c'était un démon aux enfers
            échappé,
 Celui qui, sans remords, mon père, t'a
            frappé,
 Et qui, l'oeil sec, ainsi qu'un ennemi qui tombe,
 T'a, d'un pied dédaigneux, poussé dans
            cette tombe !
 
 ORESTE
 C'est bien ; rentre au palais, Electre. Je suis fort
            ;
 Par ruse, sous leurs coups, Agamemnon est mort ;
 Par ruse, ils tomberont, et, sur ce marbre avide,
 Feront libation de leur sang parricide.
 Si les dieux, jusqu'ici, m'ont conduit vainement,
 Si mon coeur s'amollit au suprême moment,
 Mon père, je consens que ton ombre
            puissante
 Du fond du monument se lève
            menaçante,
 Et, tournant contre moi son bras
            désespéré,
 M'appelle enfant ingrat et fils dénaturé
            !...
 Va, ma soeur.
 
 (Electre sort.)
 
 
 
 Scène 9ORESTE, PYLADE, le choeur
ORESTEVous,
            veillez. Nous, Pylade, à nos rôles!
 Détache ce manteau de dessus mes épaules
            ;
 Le moment est venu d'accomplir mon dessein ;
 Préparons donc le piège où prendre
            l'assassin !
 
 UNE JEUNE FILLE
 Oreste, on voit d'ici, sur la route prochaine,
 A l'endroit où, passant au pied d'un if
            brisé,
 Se croisent les chemins d'Argos et de
            Slycène,
 Un homme qui vers nous marche d'un pas
            pressé.
 
 ORESTE
 Est-il seul ?
 
 LE CHOEUR
 Un
            porteur de torche le précède.
 
 ORESTE
 Est-ce Egysthe, ma soeur ? le reconnaissez-vous ?
 
 LE CHOEUR
 C'est lui !
 
 ORESTE
 Vous
            le voyez, les dieux nous sont en aide.
 (Au Choeur.)
 Pleurez Oreste mort ! - Toi, Pylade, à genoux
            !
 
 (Oreste se couche. Pylade le couvre de son manteau
            et s'agenouille près de lui.)
 
 LE CHOEUR, se lamentant
 Messager du trépas, sombre écho des
            ténèbres
 Qui, faisant tressaillir le monde souterrain,
 Au fond des monuments, sur leurs couches
            funèbres,
 Vas réveiller les morts comme un clairon
            d'airain,
 
 Un instant en ce lieu suspends ton vol rapide ;
 Celui dont les trois soeurs ont éteint le
            flambeau
 Etait prince d'Argos et fils de cet Atride
 Qui dort depuis sept ans couché dans ce
            tombeau,
 
 Fais entendre la voix à son oreille
            éteinte,
 Aux larmes des vivants rouvre son oeil fermé
            ;
 Dis-lui de se ranger, et qu'en la sombre enceinte
 Il lui faut faire place à son fils
            bien-aimé.
 
 
 
 Scène 10Les mêmes, EGYSTHE
EGYSTHEO femmes ! qui poussez cette plainte funeste,
 Est-ce vrai, répondez, ce que l'on dit d'Oreste
            ?
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Si l'on t'a dit, ô roi ! qu'il avait
            existé,
 Le messager funèbre a dit la
            vérité.
 
 EGYSTHE
 Mais celui qui nous met à cette rude
            épreuve,
 Nous a-t-il de sa mort apporté quelque preuve
            ?
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Tu peux l'interroger toi-même, il est ici.
 
 EGYSTHE
 Je cherche vainement du regard...
 
 PYLADE
 Me
            voici !
 
 EGYSTHE
 Toi, jeune homme ?...
 
 PYLADE
 Déjà
            j'ai prévenu la reine.
 
 EGYSTHE
 Et tu peux m'annoncer sa mort comme certaine ?
 
 PYLADE
 Il est mort sous mes yeux, il est mort dans mes
            bras.
 
 EGYSTHE
 Dis-moi tous les détails de cette mort.
 
 PYLADE
 Hélas
            !
 Inutile. Et voilà qui parle à voix plus
            haute
 Que ne ferait ma bouche, à cette heure, ô
            mon hôte !
 
 (Il montre Oreste couvert de son manteau. Electre
            paraît sur la terrasse.)
 
 EGYSTHE
 Eh quoi! le corps d'Oreste ?...
 
 PYLADE
 Apporté
            par mes soins.
 
 EGYSTHE
 Sous ce manteau son corps ?
 
 PYLADE
 Les
            dieux m'en sont témoins.
 
 EGYSTHE, à son esclave
 Soulève ce manteau... Mais non !... je veux
            moi-même
 M'assurer si c'est bien son cadavre...
 (Oreste se relève sur un genou.)
 Anathème
            !
 Est-ce l'ombre d'Oreste ou mon vivant remord ?
 (Reculant.)
 Oreste... Il est debout ! il frappe !... Grâce
            !... Ah !...
 
 ELECTRE
 Mort
            !
 
 ORESTE, se relevant
 Le sang du meurtrier, mon père, est sur mon
            glaive...
 Est-ce tout ?... Un des deux te suffit-il ?
 
 ELECTRE
 Achève
            !
 
 
 
 Scène 11Les mêmes, CLYTEMNESTRE, au seuil du
            palais
CLYTEMNESTREQuel est ce cri ?
 
 ORESTE, reculant
 C'est
            elle !
 
 ELECTRE
 Oreste,
            souviens-toi...
 
 CLYTEMNESTRE
 Oreste ! Ici, qui donc invoque Oreste ?
 
 ELECTRE
 Moi
            !
 
 CLYTEMNESTRE
 Delphe des jours d'Oreste a vu couper la trame.
 
 ELECTRE
 Oreste vit.
 
 CLYTEMNESTRE
 Tu
            mens !
 
 ELECTRE
 Oreste
            vit, madame.
 
 CLYTEMNESTRE
 Oreste !
 
 ORESTE
 Est
            devant vous.
 
 CLYTEMNESTRE
 O
            ténébreux desseins !
 Palais vide d'amis et rempli d'assassins !
 Quel piège caches-tu sous ton ombre perfide
            ?
 
 ELECTRE
 Le même dans lequel se débattit
            Atride.
 
 (Oreste saisit Clytemnestre par la main et veut
            l'entraîner vers le tombeau.)
 
 CLYTEMNESTRE
 A moi !... grâce !
 
 ORESTE
 Venez
            !
 
 CLYTEMNESTRE
 Egysthe
            ! mon époux !
 
 ELECTRE
 Son époux, comprends-tu, c'est Egysthe ?
 
 ORESTE
 A
            genoux !
 
 CLYTEMNESTRE
 Egysthe !
 
 ORESTE
 Voyez...
 
 CLYTEMNESTRE
 Mort
            ! cher Egysthe !
 
 ELECTRE
 Adultère,
 Jusque sur ton tombeau, tu l'entends, ô mon
            père !
 
 CLYTEMNESTRE
 Mon fils, ne poursuis pas ton projet criminel !
 Ce fer...
 (Elle l'écarte.)
 Oh
            ! loin, ce fer, de ce sein maternel
 Où, suivant autrefois les lois de la
            nature,
 Tes lèvres ont puisé la douce
            nourriture...
 
 ORESTE, faiblissant
 Pylade, elle me prie.
 
 PYLADE
 Entends
            l'ordre des dieux.
 
 ORESTE
 Electre, tu la vois ?...
 
 ELECTRE
 Frappe
            en fermant les yeux !
 
 ORESTE, frappant avec un geste solennel,
            comme frappe un sacrificateur
 Femme ! ce n'est pas moi qui contre toi
            décide...
 C'est le destin !... Meurs donc!
 
 CLYTEMNESTRE
 Malheur
            au parricide !
 
 (Elle tombe.)
 
 ORESTE
 Vous l'avez entendu, ce râle de douleur
            !...
 Elle a dit : Parricide !... Elle a crié
            malheur !...
 
 (Il se voile de son manteau.)
 
 PREMIERE JEUNE FILLE
 Les imprécations, ma soeur, sont
            accomplies.
 Le mort était vivant, et les vivants sont
            morts.
 Remets ton fer sanglant aux saintes panoplies.
 Qui suit l'ordre des dieux, Oreste, est sans
            remords.
 
 ORESTE, toujours se cachant le
            visage
 Si c'est l'ordre des dieux, Jupiter doit
            m'absoudre.
 (Le tonnerre gronde.)
 Mais alors pourquoi donc fait-il gronder sa foudre
            ?
 (L'éclair brille.)
 Si c'est l'ordre des dieux, pourquoi donc dans les
            airs
 A pleines mains ainsi secouer les éclairs
            ?
 (Les Euménides sortent de terre.)
 Si c'est l'ordre des dieux, pourquoi, sombre
            Euménide,
 Sors-tu donc de l'enfer en criant : Parricide
            !
 
 L'EUMENIDE
 Parricide !
 
 TOUS
 Grands
            dieux !
 
 ORESTE
 Là...
            là... Les voyez-vous ?
 (Courant se jeter aux pieds d'Electre.)
 Protège-moi, ma soeur !
 
 ELECTRE, brisant une branche de laurier et
            l'étendant au-dessus de la tête
            d'Oreste
 Apollon,
            défends-nous !
 
 (Après une obscurité complète,
            une lueur brille au ciel et un rayon de lumière
            descend sur le palais.)
 
 LE VIEILLARD
 Mais que vois-je ! au-dessus de la maison fatale,
 Du ciel descend vers nous un rayon radieux.
 Oh ! relève ton front, petit-fils de Tantale
            !
 Nous sommes, vils mortels, visités par les
            dieux.
 
 
 
 Scène 12Les mêmes, CASTOR et POLLUX,
 descendant du ciel et s'arrêtant sur la
            terrasse
CASTORFils d'Atride, tu vois en nous les Dioscures ;
 Nous veillons dans les cieux pendant les nuits
            obscures,
 Et, du haut de l'azur, le regard sur les flots,
 Nous protégeons les nefs des hardis matelots
            ;
 Mais notre oeil a quitté l'Océan
            solitaire,
 Car aujourd'hui l'orage éclate sur la terre
            !...
 Par l'ordre d'Apollon t'érigeant en
            vengeur,
 Oreste, tu frappas ta mère, notre soeur ;
 Elle était adultère, impure, criminelle
            :
 Mais, aux regards d'un fils, majesté maternelle
            !
 Ton bras s'est égaré dans la
            punition.
 Le châtiment est juste, et non pas
            l'action.
 Voilà pourquoi, sortant de leurs gouffres
            avides,
 Te menacent déjà les noires
            Euménides,
 Qui, prêtresses d'enfer, sur les pas du
            malheur
 Vont moissonnant le fruit amer de la douleur.
 Voici donc le décret du souverain
            suprême
 Que, d'après son désir, je l'apporte
            moi-même :
 Il est auprès d'Athène un temple
            révéré,
 Sur la colline sainte à Pallas
            consacré.
 Dirige vers ces lieux ta course expiatoire :
 De la soeur d'Apollon baise les pieds d'ivoire.
 Et son bras étendra, sur ton front
            pâlissant,
 Du bouclier sacré le disque
            menaçant.
 Puis elle assemblera ce tribunal de sages,
 De qui les jugements sont le flambeau des
            âges,
 Et ces hommes divins prononceront sur toi
 En l'appliquant l'antique ou la nouvelle loi.
 Tel est l'ordre des dieux !
 
 ORESTE
 J'obéis
            ! Soeur, si chère...
 Il faut nous dire adieu.
 
 ELECTRE
 Je
            te suivrai, mon frère.
 
 
 |