Acte IActe III

Scène 1
TITE, FLAVIAN

TITE
Quoi ? Des ambassadeurs que Bérénice envoie
Viennent ici, dis-tu, me témoigner sa joie,
M'apporter son hommage, et me féliciter
Sur ce comble de gloire où je viens de monter ?

FLAVIAN
En attendant votre ordre, ils sont au port d'Ostie.

TITE
Ainsi, grâces aux dieux, sa flamme est amortie ;
Et de pareils devoirs sont pour moi des froideurs,
Puisqu'elle s'en rapporte à ses ambassadeurs.
Jusqu'après mon hymen remettons leur venue :
J'aurais trop à rougir si j'y souffrais leur vue,
Et recevais les yeux de ses propres sujets
Pour envieux témoins du vol que je lui fais ;
Car mon coeur fut son bien à cette belle reine,
Et pourrait l'être encor, malgré Rome et sa haine,
Si ce divin objet, qui fut tout mon désir,
Par quelque doux regard s'en venait ressaisir.
Mais du haut de son trône elle aime mieux me rendre
Ces froideurs que pour elle on me força de prendre.
Peut-être, en ce moment que toute ma raison
Ne saurait sans désordre entendre son beau nom,
Entre les bras d'un autre un autre amour la livre :
Elle suit mon exemple, et se plaît à le suivre :
Et ne m'envoie ici traiter de souverain
Que pour braver l'amant qu'elle charmait en vain.

FLAVIAN
Si vous la revoyiez, je plaindrais Domitie.

TITE
Contre tous ses attraits ma raison endurcie
Ferait de Domitie encor la sûreté ;
Mais mon coeur aurait peu de cette dureté.
N'aurais-tu point appris qu'elle fût infidèle,
Qu'elle écoutât les rois qui soupirent pour elle ?
Dis-moi que Polémon règne dans son esprit,
J'en aurai du chagrin, j'en aurai du dépit,
D'une vive douleur j'en aurai l'âme atteinte ;
Mais j'épouserai l'autre avec moins de contrainte ;
Car enfin elle est belle, et digne de ma foi ;
Elle aurait tout mon coeur, s'il était tout à moi.
La noblesse du sang, la grandeur de courage,
Font avec son mérite un illustre assemblage :
C'est le choix de mon père ; et je connais trop bien
Qu'à choisir en César ce doit être le mien.
Mais tout mon coeur renonce à lui faire justice,
Dès que mon souvenir lui rend sa Bérénice.

FLAVIAN
Si de tels souvenirs vous sont encor si doux,
L'hyménée a, seigneur, peu de charmes pour vous.

TITE
Si de tels souvenirs ne me faisaient la guerre,
Serait-il potentat plus heureux sur la terre ?
Mon nom par la victoire est si bien affermi,
Qu'on me croit dans la paix un lion endormi :
Mon réveil incertain du monde fait l'étude ;
Mon repos en tous lieux jette l'inquiétude ;
Et tandis qu'en ma cour les aimables loisirs
Ménagent l'heureux choix des jeux et des plaisirs,
Pour envoyer l'effroi sous l'un et l'autre pôle,
Je n'ai qu'à faire un pas et hausser la parole.
Que de félicité, si mes voeux imprudents
N'étaient de mon pouvoir les seuls indépendants !
Maître de l'univers sans l'être de moi-même,
Je suis le seul rebelle à ce pouvoir suprême :
D'un feu que je combats je me laisse charmer,
Et n'aime qu'à regret ce que je veux aimer.
En vain de mon hymen Rome presse la pompe :
J'y veux de la lenteur, j'aime qu'on l'interrompe,
Et n'ose résister aux dangereux souhaits
De préparer toujours et n'achever jamais.

FLAVIAN
Si ce dégoût, seigneur, va jusqu'à la rupture,
Domitie aura peine à souffrir cette injure :
Ce jeune esprit, qu'entête et le sang de Néron
Et le choix qu'en Syrie on fit de Corbulon,
S'attribue à l'empire un droit imaginaire,
Et s'en fait, comme vous, un rang héréditaire.
Si de votre parole un manque surprenant
La jette entre les bras d'un homme entreprenant,
S'il l'unit à quelque âme assez fière et hautaine
Pour servir son orgueil et seconder sa haine,
Un vif ressentiment lui fera tout oser :
En un mot, il vous faut la perdre, ou l'épouser.

TITE
J'en sais la politique, et cette loi cruelle
A presque fait l'amour qu'il m'a fallu pour elle.
Réduit au triste choix dont tu viens de parler,
J'aime mieux, Flavian, l'aimer que l'immoler,
Et ne puis démentir cette horreur magnanime
Qu'en recevant le jour je conçus pour le crime.
Moi qui seul des Césars me vois en ce haut rang
Sans qu'il en coûte à Rome une goutte de sang,
Moi que du genre humain on nomme les délices,
Moi qui ne puis souffrir les plus justes supplices,
Pourrais-je autoriser une injuste rigueur
A perdre une héroïne à qui je dois mon coeur ?
Non : malgré les attraits de sa belle rivale,
Malgré les voeux flottants de mon âme inégale,
Je veux l'aimer, je l'aime ; et sa seule beauté
Pouvait me consoler de ce que j'ai quitté.
Elle seule en ses yeux porte de quoi contraindre
Mes feux à s'assoupir, s'ils ne peuvent s'éteindre,
De quoi flatter mon âme, et forcer mes douleurs
A souhaiter du moins de n'aimer plus ailleurs.
Mais je ne vois pas bien que j'en sois encor maître :
Dès que ma flamme expire, un mot la fait renaître,
Et mon coeur malgré moi rappelle un souvenir
Que je n'ose écouter et ne saurois bannir.
Ma raison s'en veut faire en vain un sacrifice :
Tout me ramène ici, tout m'offre Bérénice ;
Et même je ne sais par quel pressentiment
Je n'ai souffert personne en son appartement ;
Mais depuis cet adieu, si cruel et si tendre,
Il est demeuré vide, et semble encor l'attendre.
Va, fais porter mon ordre à ses ambassadeurs :
C'est trop entretenir d'inutiles ardeurs ;
Il est temps de chercher qui m'en puisse distraire,
Et le ciel à propos envoie ici mon frère.

FLAVIAN
Irez-vous au sénat ?

TITE
          Non ; il peut s'assembler
Sur ce déluge ardent qui nous a fait trembler,
Et pourvoir sous mon ordre aux affreuses ruines
Dont ses feux ont couvert les campagnes voisines.


Scène 2
DOMITIAN, TITE, ALBIN

DOMITIAN
Puis-je parler, seigneur, et de votre amitié
Espérer une grâce à force de pitié ?
Je me suis jusqu'ici fait trop de violence,
Pour augmenter encor mes maux par mon silence.
Ce que je vais vous dire est digne du trépas ;
Mais aussi j'en mourrai, si je ne le dis pas.
Apprenez donc mon crime, et voyez s'il faut faire
Justice d'un coupable, ou grâce aux voeux d'un frère.
J'ai vu ce que j'aimais choisi pour être à vous,
Et je l'ai vu longtemps sans en être jaloux.
Vous n'aimiez Domitie alors que par contrainte :
Vous vous faisiez effort, j'imitais votre feinte ;
Et comme aux lois d'un père il fallait obéir,
Je feignais d'oublier, vous de ne point haïr.
Le ciel, qui dans vos mains met sa toute-puissance,
Ne met-il point de borne à cette obéissance ?
La faut-il à son ombre, et que ce même effort
Vous déchire encor l'âme et me donne la mort ?

TITE
Souffrez sur cet effort que je vous désabuse.
Il fut grand, et de ceux que tout le coeur refuse :
Pour en sauver le mien, je fis ce que je pus ;
Mais ce qui fut effort à présent ne l'est plus.
Sachez-en la raison. Sous l'empire d'un père
Je murmurai toujours d'un ordre si sévère,
Et cherchai les moyens de tirer en longueur
Cet hymen qui vous gêne et m'arrachait le coeur.
Son trépas a changé toutes choses de face :
J'ai pris ses sentiments lorsque j'ai pris sa place ;
Je m'impose à mon tour les lois qu'il m'imposait,
Et me dis après lui tout ce qu'il me disait.
J'ai des yeux d'empereur, et n'ai plus ceux de Tite ;
Je vois en Domitie un tout autre mérite,
J'écoute la raison, j'en goûte les conseils,
Et j'aime comme il faut qu'aiment tous mes pareils.
Si dans les premiers jours que vous m'avez vu maître
Votre feu mal éteint avoit voulu paraître,
J'aurais pu me combattre et me vaincre pour vous ;
Mais si près d'un hymen si souhaité de tous,
Quand Domitie a droit de s'en croire assurée,
Que le jour en est pris, la fête préparée,
Je l'aime, et lui dois trop pour jeter sur son front
L'éternelle rougeur d'un si mortel affront.
Rome entière et ma foi l'appellent à l'empire :
Voyez mieux de quel oeil on m'en verrait dédire,
Ce qu'ose se permettre une femme en fureur,
Et combien Rome entière aurait pour moi d'horreur.

DOMITIAN
Elle n'en aurait point de vous voir pour un frère
Faire autant que pour elle il vous a plu de faire.
Seigneur, à vos bontés laissez un libre cours ;
Qui se vainc une fois peut se vaincre toujours :
Ce n'est pas un effort que votre âme redoute.

TITE
Qui se vainc une fois sait bien ce qu'il en coûte :
L'effort est assez grand pour en craindre un second.

DOMITIAN
Ah ! Si votre grande âme à peine s'en répond,
La mienne, qui n'est pas d'une trempe si belle,
Réduite au même effort, seigneur, que fera-t-elle ?

TITE
Ce que je fais, mon frère : aimez ailleurs.

DOMITIAN
          Hélas !
Ce qui vous fut aisé, seigneur, ne me l'est pas.
Quand vous avez changé, voyiez vous Bérénice ?
De votre changement son départ fut complice ;
Vous l'aviez éloignée, et j'ai devant les yeux,
Je vois presqu'en vos bras ce que j'aime le mieux.
Jugez de ma douleur par l'excès de la vôtre,
Si vous voyiez la reine entre les bras d'un autre ;
Contre un rival heureux épargneriez-vous rien,
A moins que d'un respect aussi grand que le mien ?

TITE
Vengez-vous, j'y consens ; que rien ne vous retienne.
Je prends votre maîtresse ; allez, prenez la mienne.
Epousez Bérénice, et...

DOMITIAN
          Vous n'achevez point,
Seigneur : ne pourriez-vous aimer jusqu'à ce point ?

TITE
Oui, si je ne craignais pour vous l'injuste haine
Que Rome concevrait pour l'époux d'une reine.

DOMITIAN
Dites, dites, seigneur, qu'il est bien malaisé
De céder ce qu'adore un coeur bien embrasé ;
Ne vous contraignez plus, ne gênez plus votre âme,
Satisfaites en maître une si belle flamme ;
Quand vous aurez su dire une fois : Je le veux,
D'un seul mot prononcé vous ferez quatre heureux.
Bérénice est toujours digne de votre couche,
Et Domitie enfin vous parle par ma bouche ;
Car je ne saurais plus vous le taire ; oui, seigneur,
Vous en voulez la main, et j'en ai tout le coeur :
Elle m'en fit le don dès la première vue,
Et ce don fut l'effet d'une force imprévue,
De cet ordre du ciel qui verse en nos esprits
Les principes secrets de prendre et d'être pris.
Je vous dirais, seigneur, quelle en est la puissance,
Si vous ne le saviez par votre expérience.
Ne rompez pas des noeuds et si forts et si doux :
Rien ne les peut briser que le trépas, ou vous ;
Et c'est un triste honneur pour une si grande âme,
Que d'accabler un frère et contraindre une femme.

TITE
Je ne contrains personne ; et de sa propre voix
Nous allons, vous et moi, savoir quel est son choix.


Scène 3
TITE, DOMITIE, DOMITIAN, ALBIN, PLAUTINE

TITE
Parlez, parlez, madame, et daignez nous apprendre
Où porte votre coeur, ce qu'il sent de plus tendre,
Qui le possède entier de mon frère ou de moi ?

DOMITIE
En doutez-vous, seigneur, quand vous avez ma foi ?

TITE
J'aime à n'en point douter, mais on veut que j'en doute :
On dit que cette foi ne vous donne pas toute,
Que ce coeur reste ailleurs. Parlez en liberté,
Et n'en consultez point cette noble fierté,
Ce digne orgueil du sang que mon rang sollicite :
De tout ce que je suis ne regardez que Tite ;
Et pour mieux écouter vos désirs les plus doux,
Entre le prince et moi ne regardez que vous.

DOMITIE
Qu'avez-vous dit de moi, prince ?

DOMITIAN
          Que dans votre âme
Vous laissez vivre encor notre première flamme ;
Et qu'en faveur du rang si vous m'osez trahir,
Ce n'est pas tant aimer, madame, qu'obéir.
C'est en dire un peu plus que vous n'aviez envie ;
Mais il y va de vous, il y va de ma vie ;
Et qui se voit si près de perdre tout son bien,
Se fait armes de tout, et ne ménage rien.

DOMITIE
Je ne sais de vous deux, seigneur, à ne rien feindre,
Duquel je dois le plus me louer ou me plaindre.
C'est aimer assez mal, que remettre tous deux
Au choix de mes désirs le succès de vos voeux ;
Et cette liberté par tous les deux offerte
Montre que tous les deux peuvent souffrir ma perte,
Et que tout leur amour est prêt à consentir
Que mon coeur ou ma foi veuille se démentir.
Je me plains de tous deux, et vous plains l'un et l'autre,
Si pour voir tout ce coeur vous m'ouvrez tout le vôtre.
Le prince n'agit pas en amant fort discret ;
S'il ne m'impose rien, il trahit mon secret :
Tout ce qu'il vous en dit m'offense ou vous abuse.
Mais ce que fait l'amour, l'amour aussi l'excuse.
Vous, seigneur, je croyois que vous m'aimiez assez
Pour m'épargner le trouble où vous m'embarrassez,
Et laisser pour couleur à mon peu de constance
La gloire d'obéir à la toute-puissance :
Vous m'ôtez cette excuse, et me voulez charger
De ce qu'a d'odieux la honte de changer.
Si le prince en mon coeur garde encor même place,
C'est manquer de respect que vous le dire en face ;
Et si mon choix pour vous n'est point violenté,
C'est trop d'ambition et d'infidélité.
Ainsi des deux côtés tout sert à me confondre.
J'ai cent choses à dire, et rien à vous répondre ;
Et ne voulant déplaire à pas un de vous deux,
Je veux, ainsi que vous, douter où vont mes voeux.
Ce qui le plus m'étonne en cette déférence
Qui veut du coeur entier une entière assurance,
C'est que dans ce haut rang vous ne vouliez pas voir
Qu'il n'importe du coeur quand on sait son devoir,
Et que de vos pareils les hautes destinées
Ne le consultent point sur ces grands hyménées.

TITE
Si le vôtre, madame, étoit de moindre prix...
Mais que veut Flavian ?


Scène 4
TITE, DOMITIE, DOMITIAN, FLAVIAN, ALBIN, PLAUTINE

FLAVIAN
          Vous en serez surpris,
Seigneur, je vous apporte une grande nouvelle :
La reine Bérénice...

TITE
          Eh bien ! Est infidèle ?
Et son esprit, charmé par un plus doux souci...

FLAVIAN
Elle est dans ce palais, seigneur ; et la voici.


Scène 5
TITE, BERENICE, PHILON, DOMITIE, DOMITIAN,
FLAVIAN, ALBIN, PLAUTINE

TITE
ô dieux ! Est-ce, madame, aux reines de surprendre ?
Quel accueil, quels honneurs peuvent-elles attendre,
Quand leur surprise envie au souverain pouvoir
Celui de donner ordre à les bien recevoir ?

BERENICE
Pardonnez-le, seigneur, à mon impatience.
J'ai fait sous d'autres noms demander audience :
Vous la donniez trop tard à mes ambassadeurs ;
Je n'ai pu tant attendre à voir tant de grandeurs ;
Et quoique par vous-même autrefois exilée,
Sans ordre et sans aveu je me suis rappelée,
Pour être la première à mettre à vos genoux
Le sceptre qu'à présent je ne tiens que de vous,
Et prendre sur les rois cet illustre avantage
De leur donner l'exemple à vous en faire hommage.
Je ne vous dirai point avec quelles langueurs
D'un si cruel exil j'ai souffert les longueurs :
Vous savez trop...

TITE
          Je sais votre zèle, et l'admire,
Madame ; et pour me voir possesseur de l'empire,
Pour me rendre vos soins, je ne méritais pas
Que rien vous pût résoudre à quitter vos états,
Qu'une si grande reine en formât la pensée.
Un voyage si long vous doit avoir lassée.
Conduisez-la, mon frère, en son appartement.
Vous, faites-l'y servir aussi pompeusement,
Avec le même éclat qu'elle s'y vit servie
Alors qu'elle faisait le bonheur de ma vie.


Scène 6
TITE, DOMITIE, PLAUTINE, PHILON

DOMITIE
Seigneur, faut-il ici vous rendre votre foi ?
Ne regardez que vous entre la reine et moi ;
Parlez sans vous contraindre, et me daignez apprendre
Où porte votre coeur ce qu'il sent de plus tendre.

TITE
Adieu, madame, adieu. Dans le trouble où je suis,
Me taire et vous quitter, c'est tout ce que je puis.


Scène 7
DOMITIE, PLAUTINE

DOMITIE
Se taire et me quitter ! Après cette retraite,
Crois-tu qu'un tel arrêt ait besoin d'interprète ?

PLAUTINE
Oui, madame ; et ce n'est que dérober au jour ;
Que vous cacher le trouble où le met ce retour.

DOMITIE
Non, non, tu l'as voulu, Plautine, que je vinsse
Désavouer ici les vanités du prince,
Empêcher qu'un amant dont je n'ai pas le coeur
Ne cédât ma conquête à mon premier vainqueur :
Vois la honte qu'ainsi je me suis attirée.
Quand sa reine a paru, m'a-t-il considérée ?
A-t-il jeté les yeux sur moi qu'en me quittant ?

PLAUTINE
Pensez-vous que sa reine ait l'esprit plus content ?
Avant que vous quitter, lui-même il l'a bannie.

DOMITIE
Oui, mais avec respect, avec cérémonie,
Avec des yeux enfin qui l'éloignant des miens,
Lui promettaient assez de plus doux entretiens.
Tu me diras encor que la chose est égale,
Que s'il m'ose quitter, il chasse ma rivale.
Mais pour peu qu'il m'aimât, du moins il m'aurait dit
Que je garde en son âme encor même crédit :
Il m'en aurait donné des sûretés nouvelles,
Il m'en aurait laissé quelques marques fidèles.
S'il me voulait cacher le trouble où je le voi,
La plus mauvaise excuse était bonne pour moi.
Mais pour toute réponse, il se tait, et me quitte ;
Et tu ne peux souffrir que mon coeur s'en irrite !
Tu veux, lorsque lui-même ose se déclarer,
Que je me flatte encore assez pour espérer !
C'est avec le perfide être d'intelligence.
Sans me flatter en vain, courons à la vengeance ;
Faisons voir ce qu'en moi peut le sang de Néron,
Et que je suis de plus fille de Corbulon.

PLAUTINE
Vous l'êtes ; mais enfin c'est n'être qu'une fille,
Que le reste impuissant d'une illustre famille.
Contre un tel empereur où prendrez-vous des bras ?

DOMITIE
Contre un tel empereur nous n'en manquerons pas.
S'il épouse sa reine, il est l'horreur de Rome.
Trouvons alors, trouvons un grand coeur, un grand homme,
Un Romain qui réponde au sang de mes aïeux ;
Et pour le révolter, laisse faire à mes yeux.
Juge, par le pouvoir de ceux de Bérénice,
Si les miens auront peine à s'en faire justice.
Si ceux-là forcent Tite à me manquer de foi,
Ceux-ci feront briser le joug d'un nouveau roi ;
Et si de l'univers les siens charment le maître,
Les miens charmeront ceux qui méritent de l'être.
Dis-le-moi, tu l'as vue, ai-je peu de raison
Quand de mes yeux aux siens je fais comparaison ?
Est-elle plus charmante, ai-je point de mérite ?
Suis-je moins digne qu'elle enfin du coeur de Tite ?

PLAUTINE
Madame...

DOMITIE
          Je m'emporte, et mes sens interdits
Impriment leur désordre en tout ce que je dis.
Comment saurais-je aussi ce que je te dois dire,
Si je ne sais pas même à quoi mon âme aspire ?
Mon aveugle fureur s'égare à tous propos.
Allons penser à tout avec plus de repos.

PLAUTINE
Vous pourriez hasarder un moment de visite,
Pour voir si ce retour est sans l'aveu de Tite,
Ou si c'est de concert qu'il a fait le surpris.

DOMITIE
Oui ; mais auparavant remettons nos esprits.


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