L'IMPIUS AENEAS de Francesco Chiappinelli présente une longue série de témoignages attestant ou suggérant la trahison de Troie par Enée ; cette contribution sur la traîtrise d'Anténor se fonde évidemment sur les mêmes sources. Mais pour affranchir le pieux héros de toute suspicion, les anciens poètes (Virgile surtout) chargent Anténor ; les auteurs grecs sont plus nombreux que les latins à s'intéresser à ce dernier : les oppositions politiques à propos des empereurs de la gens Iulia expliquent la différence. Nombre de ces auteurs grecs remontent en effet à la période impériale : Anténor n'est nommé ni par Proclus ni dans les fragments du Cycle.
La légende de la trahison trouve peut-être son origine dans l'amplification de ces vers d'Homère :
Iliade, VII, 344-365
Chez les Troyens, il y avait aussi une assemblée (dans l'acropole d'Ilion) terrible, agitée, à la porte de Priam. Le sage Anténor y parla le premier : « Ecoutez-moi, Troyens, Dardaniens, alliés, afin que je dise ce que mon coeur, en ma poitrine, m'inspire. Allons, Hélène d'Argos, et ses biens avec elle, rendons-les aux Atrides, qu'ils les emmènent. Maintenant, c'est contre la foi jurée que nous combattons ; aussi nul avantage n'est à espérer, je crois, qui nous empêche de faire ce que je dis ». A ces mots, il s'assit. Alors se leva au milieu d'eux le divin Alexandre, mari d'Hélène aux beaux cheveux, qui répondit par ces mots ailés : « Anténor, tu cesses de me plaire en parlant ainsi ; tu sais, d'autres fois, concevoir de meilleurs avis. Si vraiment, ici, tu parles sérieusement, alors, certes, les dieux eux-mêmes t'ont ôté le sens. Pour moi, je vais parler aux Troyens dompteurs de chevaux. Je vous le dis en face, cette femme, je ne la rendrai pas. Quant aux biens que j'ai rapportés d'Argos dans notre palais, je consens à les donner tous, et même, de mon patrimoine, à en ajouter d'autres ». Ayant dit, il se rassit. |
Mais dès l'époque de sa première ambassade, Anténor avait offert l'hospitalité à Ulysse et Ménélas, que (selon d'autres sources) Pâris et les autres princes voulaient tuer. Homère en fait un argument de la célèbre teichoscopie, et le vieil Anténor répond à Hélène.
Iliade III 202 sqq
Alors le sage Anténor s'adressa à Hélène : « Femme, c'est bien vrai, ce que tu dis là. Il est déjà venu ici, le divin Ulysse, à ton sujet, en ambassade, avec Ménélas aimé d'Arès. Je les ai reçus en hôtes, et bien traités dans mon palais ». |
Différentes sources disent expressément que les Achéens lui en furent reconnaissants et qu'ils épargnèrent sa maison de l'incendie. Mais elles ajoutent à cette reconnaissance une autre raison, bien plus grave : la trahison. Ni Homère ni le Cycle n'en parlent, mais le témoignage de Denys d'Halicarnasse ferait remonter à des temps bien anciens cette accusation à l'égard d'Anténor et de ses fils, les Anténorides.
Et surtout on lui attribue, comme déjà à Hélénus, la révélation aux Grecs de l'importance du Palladium :
Suidas, ad vocemPalladium : Diomède et Ulysse, lors de l'ambassade à Priam, l'enlevèrent du temple. Celle qui le leur donna était Théano, femme d'Anténor, qui en était la prêtresse et le gardait. Ils avaient appris en effet par un oracle et par Anténor que le royaume des Phrygiens serait solide tant que le Palladium resterait à Troie. |
Il faut signaler l'importance de Suidas : il apporte le seul témoignage grec de cette faculté d'Anténor, qu'on attribuait plutôt à Hélénus.
Les témoignages latins sur la trahison d'Anténor sont les mêmes que ceux qui concernent Enée. Je veux tout de même en souligner un, qui paraît l'objet d'une variation de Darès.
Servius, ad Aen., II 15Eqvvm : de hoc equo varia in historiis lecta sunt :
[...] ut alii, porta quam eis Antenor aperuit, equum
pictum habuisse memoratur, vel certe Antenoris domus,
quo posset agnosci. non nulli signum equi datum, ut
internoscerent Graeci suos, vel hostes. a quibusdam
dicitur facta proditione praedictum, ne quis eas domos
violaret, quarum ante ianuam equus esset depictus. Dares, Excidium Troiae, 40Hoc pacto confirmato, et jurejurando astricto,
suadet Polydamas, noctu exercitum ad portam Scaeam ut
adducant, ubi extrinsecus caput equi pictum est, ibi
praesidia habere noctu Antenorem cum Anchise,
exercitusque noctu portam reseraturos, eisque lumen
prolaturos. Id signum eruptionis fore, quod ibi praesto
forent qui ad regiam eos ducant. |
Mais avec Darès nous sommes entrés dans la littérature tardo-latine et médiévale : nous devons ici rejoindre Enée.
Joseph of Exeter, Frigii Daretis Iliados, liber VI
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Dante Alighieri - Divine Comédie
En conclusion de cette recherche, voici qu'à présent parle d'Anténor un autre poète extraordinaire, l'italien Dante Alighieri. Dans son Enfer, Antenora est le nom de l'endroit, près de Lucifer, où sont glacés les traîtres à leur patrie : entre autres, Ugolino della Gherardesca et son ennemi, l'archévêque Ruggieri degli Ubaldini ; dans le Purgatoire un personnage singulier, Jacopo del Cassero, raconte qu'il a été tué par le tyran Ezzelino da Romano à Padoue, la terre déloyale des Antenorii, là où il croyait ne plus courir de risques...
Enfer, XXXII 88 | |
(Celui qui
parle est Bocca degli Abati, le traître di
Montaperti): « Or tu chi se' che vai per l'Antenora, percotendo, rispuose, altrui le gote, sì che, se fossi vivo, troppo fora ? ». |
Et toi, qui es-tu, répond-il, qui, à travers l'Antenora, vas heurtant les joues des autres, tellement que trop serait-ce si tu étais vivant ? |
Purgatoire, V, 75 | |
Quindi fu' io
; ma li profondi fóri ond'uscì 'l sangue in sul quale io sedea, fatti mi fuoro in grembo a li Antenori, là dov'io più sicuro esser credea : quel da Esti il fé far, che m'avea in ira assai più là che dritto non volea. |
De là je fus, mais les profondes
blessures par où sortit le sang dans lequel l'âme siège, me furent faites les fils d'Antenor, là où je croyais être le plus en sûreté : me le fit faire un des Este, beaucoup plus irrité contre moi que ne le voulait le droit. |
Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.