Livre IV, chapitre 14 |
Nydia et Calénus
Quelles paroles de terreur, mais aussi d'espérance,
avaient frappé l'oreille de Nydia ! Le lendemain,
Glaucus devait être condamné ; mais il existait
encore un homme qui pouvait le sauver et mettre
Arbacès à sa place, et cet homme respirait
à quelques pas du lieu où elle était
cachée. Elle entendait ses cris et ses plaintes, ses
imprécations et ses prières, quoique, à
la vérité, ils ne lui arrivassent pas d'une
façon bien distincte. Il était captif, mais
elle connaissait le mystère de la prison ; si elle
pouvait s'échapper, si elle pouvait aller trouver le
préteur, on pourrait le rendre à la
liberté et sauver l'Athénien. Ses
émotions l'empêchaient presque de respirer, sa
tête brûlait ; elle se sentait défaillir,
mais un violent effort la rendit maîtresse
d'elle-même ; et, après avoir
écouté le bruit des pas d'Arbacès
jusqu'à ce qu'elle fût bien convaincue qu'il
avait laissé ces lieux à leur solitude et
qu'elle y était seule, elle se traîna, en
suivant le son de la voix de Calénus, jusqu'à
la porte du caveau où il était enfermé.
Là, elle put saisir ses accents de terreur et de
désespoir. Trois fois elle essaya de parler, et trois
fois sa voix manqua de force pour pénétrer
à travers la porte massive. Enfin, trouvant la
serrure, elle y appliqua ses lèvres, et le prisonnier
entendit distinctement une douce voix prononcer son
nom.
Son sang se glaça ; ses cheveux se dressèrent
sur sa tête : quel être mystérieux et
surnaturel avait pu pénétrer dans cette
redoutable solitude ?
«Qui est là ?, cria-t-il avec une nouvelle
alarme, quel spectre, quelle larve appelle déjà
le malheureux Calénus ?
- Prêtre, dit la Thessalienne, à l'insu
d'Arbacès, j'ai été, par la permission
des dieux, témoin de sa perfidie. Si je puis
échapper moi-même de ses mains, je te sauverai.
Mais que ta voix passe à travers cette étroite
ouverture et réponde à mes questions.
- Ah ! esprit du ciel, dit le prêtre avec joie, en
obéissant aux injonctions de Nydia, sauve-moi, et je
vendrai les coupes même de l'autel pour
récompenser ta bonté.
- Je n'ai pas besoin d'or, je n'ai besoin que de ton secret.
Ai-je bien entendu ? peux-tu sauver l'Athénien Glaucus
de l'accusation qui menace ses jours ?
- Je le puis, je le puis... c'est pour cela (puissent les
furies poursuivre l'infâme Egyptien ! ), c'est pour cela
qu'il m'a enfermé ici, dans l'intention de m'y faire
mourir de faim et de m'y laisser pourrir.
- On accuse l'Athénien de meurtre ! peux-tu repousser
l'accusa-tion ?
- Que je sois libre, et il n'y aura pas de tête
à Pompéi mieux gardée que la sienne ; j'ai vu le meurtre ; j'ai vu Arbacès porter le coup ; je puis convaincre le véritable meurtrier, et faire
acquitter l'innocent. Mais si je péris, il
périt aussi. Si tu t'intéresses à ce
jeune homme, ô douce étrangère, mon cœur
est l'urne où repose sa vie ou sa mort.
- Et tu donneras tous les détails qui sont à ta
connaissance ?
- Oh ! quand les enfers seraient à mes pieds, oui...
vengeance contre le perfide Egyptien ! vengeance,
vengeance... vengeance ! ...» A la manière dont
Calénus répétait ces mots en
grinçant des dents, Nydia comprit qu'elle pouvait
compter sur sa haine contre Arbacès pour sauver
l'Athénien ; son cœur palpitait. Serait-elle donc
assez heureuse pour sauver celui qu'elle adorait, qui
était son idole...
«C'est assez, dit-elle ; les dieux qui m'ont conduite
ici ne m'abandonneront pas sans doute. Oui, je sens que je te
délivrerai ; attends-moi avec patience et prends
courage.
- Mais sois prudente, sois adroite, douce
étrangère. N'essaye pas d'attendrir
Arbacès ; il est de marbre. Va trouver le
préteur, dis-lui tout ce que tu sais... obtiens de lui
un mandat pour me faire chercher... amène des soldats
et d'habiles serruriers... ces serrures sont d'une force
surprenante... le temps passe... je puis mourir de faim, de
faim ! ... si tu ne te presses pas. Va, va... non, attends...
il est affreux d'être seul... l'air est comme dans un
cimetière... et les scorpions... ah ! et les
pâles larves... ah ! attends, attends...
- Non, s'écria Nydia, terrifiée de la terreur
du prêtre, et pressée de ressaisir ses
idées confuses ; non, c'est dans ton
intérêt que je pars... Que l'espérance
demeure avec toi... Adieu ! »
Elle s'éloigna doucement et en tendant les bras le
long des piliers, jusqu'à ce qu'elle eût
gardé l'extrémité de la salle, et
l'entrée du corridor qui conduisait au grand air, mais
là, elle s'arrêta ; elle pensa qu'il serait plus
prudent d'attendre que toute la maison, vers les approches du
matin, fût endormie dans un profond sommeil, afin de
pouvoir sortir sans être remarquée ; elle se
coucha donc de nouveau à terre, et compta les
instants. La joie était le sentiment qui dominait dans
son cœur agité. Glaucus courait un grand danger, mais
elle le sauverait.