La Philosophie parut alors vouloir changer de conversation ; mais je l'arrêtai en lui disant :

«L'exhortation que vous venez de faire est sans doute très belle, très solide et très digne de vous ; mais j'éprouve en ce moment que la question de la Providence est, comme vous le disiez tantôt, unie et impliquée avec bien d'autres ; car je ne puis m'empêcher de vous demander si vous croyez qu'il y ait un hasard, et ce que c'est.

- Je veux me hâter, répondit-elle, de satisfaire à la promesse que je t'ai faite de te montrer le chemin par lequel tu dois retourner à ta véritable patrie. Les questions que tu me fais peuvent sans doute avoir quelque utilité, mais elles nous éloignent un peu de notre but, et je craindrais que, fatigué par ces digressions, tu n'eusses pas la force de parvenir où je veux te conduire.

- Rassurez-vous, lui dis-je ; c'est pour moi une récréation et un repos que d'apprendre ce qui pique et flatte ma curiosité. D'ailleurs, en résolvant d'une manière solide ces différentes questions que notre dissertation fait naître, le reste en deviendra beaucoup moins difficile.

- Je veux bien, ajouta-t-elle, condescendre à tes désirs».

Et sans perdre de temps, elle commença ainsi :

«Si on définit le hasard un événement produit par un mouvement fortuit, et qui n'a aucune connexion avec les principes ordinaires des choses, je le dirai hardiment, il n'y a point de hasard, et ce mot est absolument vide de sens. Car, puisque Dieu ne permet pas que rien sorte de l'ordre de sa Providence, il ne peut rien arriver fortuitement et qui n'ait été prescrit ou permis par elle. Rien ne se fait de rien ; c'est un axiome consacré et qui a passé de tout temps pour incontestable. Il est vrai que les anciens l'entendaient plutôt de la matière que des causes efficientes ; mais l'un suit de l'autre ; et si une chose n'avait point de principe, on pourrait dire qu'elle viendrait de rien. Or, comme cela est impossible, il est impossible aussi que le hasard, dans le sens que je viens de le définir, soit quelque chose de réel.

- Mais n'y a-t-il donc rien, répliquai-je, qu'on puisse appeler de ce nom, quoique le vulgaire ne sache pas bien ce que c'est ? N'y a-t-il rien de fortuit, et qu'on puisse attribuer au hasard ?

- Aristote, me dit-elle, va te répondre pour moi. Il a, dans sa physique, expliqué cette question en peu de mots, et d'une manière qui paraît très conforme à la vérité. Toutes les fois, dit ce grand philosophe, que l'on se propose de faire quelque chose, et que, par des causes inconnues, la chose arrive tout différemment de ce qu'on se proposait, c'est un événement imprévu, que l'on nomme hasard. Par exemple, si quelqu'un, dans le dessein de cultiver son champ, en remue la terre, et y trouve un trésor, cette découverte est regardée comme l'effet seul du hasard. Néanmoins elle a différentes causes, dont le concours l'a produite. Car si le propriétaire du champ l'eût laissé inculte, et si quelque homme riche n'eût eu la fantaisie d'y enfouir son trésor, il n'y aurait jamais été trouvé. Cet événement heureux et inopiné n'est donc fortuit que parce que celui qui a caché son or, et celui qui a cultivé son champ, y ont concouru, sans en avoir l'intention. On peut donc définir le hasard un événement inopiné, produit par différentes causes qui concourent ensemble à ce que l'on faisait par un autre motif et pour une autre fin ; et ce concours est l'effet de l'ordre invariable établi par cette Providence adorable, qui dispose tout avec sagesse, et fait que chaque chose vient dans le temps et dans le lieu qu'elle lui a marqué.

Dans la région habitée par ce peuple guerrier qui combat en fuyant, et par une retraite artificieuse n'engage ses ennemis à le poursuivre que pour les percer de coups, d'autant plus inévitables qu'ils sont moins prévus, le Tigre et l'Euphrate sortent du même rocher ; mais bientôt leurs flots se séparent et coulent dans des lits différents. Si dans la suite de leur cours ils se réunissent de nouveau, les vaisseaux et tout ce qu'ils roulaient avec leurs ondes, portés d'abord séparément par chacun de ces fleuves, se trouvent, après leur jonction, fortuitement réunis et mêlés de mille manières différentes ; mais ces combinaisons, quelque fortuites qu'elles paraissent, sont l'effet naturel de la pente du terrain sur lequel coulent ces fleuves, et de la direction de leur cours. Ainsi le hasard, quoiqu'il paraisse indépendant de tout, est pourtant assujetti aux lois de la Providence, et n'existe que par elles.

- Cela est ainsi sans doute, répondis-je ; mais cet enchaînement des choses, cet ordre du destin, ne détruit-il pas la liberté de l'homme ?

- Non, me dit-elle ; l'homme est véritablement libre. La liberté est l'apanage de toute créature raisonnable. Car tout être doué de raison est capable par lui-même de discerner les choses et de connaître ce qu'il doit désirer ou fuir. Dès lors il peut se porter à l'un, et se détourner de l'autre. Ainsi, tout être en état de raisonner et de juger, a la liberté de vouloir ou de ne pas vouloir. Il est vrai que cette faculté n'est pas égale dans tous les êtres raisonnables. Car les substances célestes ont une intelligence plus pénétrante, une volonté plus pure et un pouvoir plus parfait de se porter à ce qu'elles désirent. Les âmes moins libres qu'elles, le deviennent encore moins, quand, s'éloignant de la divinité, elles sont renfermées dans la prison d'un corps mortel, et elles semblent perdre toute leur liberté et devenir entièrement esclaves, lorsque fermant les yeux à la raison, elles se plongent honteusement dans le vice. Car aussitôt qu'elles se détournent de la souveraine vérité, qui est la vraie lumière, pour s'attacher aux choses d'ici-bas, l'ignorance vient les couvrir d'un voile ténébreux ; elles sont agitées de mille affections tumultueuses et déréglées ; et si elles y consentent, si elles s'y livrent, elles appesantissent les fers qu'elles se sont forgés elles-mêmes ; et leur liberté corrompue devient le principe de leur esclavage honteux. Dieu qui voit tout, qui entend tout, a prévu cela de toute éternité, et a destiné à chacun ce qu'il a mérité par ses bonnes ou par ses mauvaises actions.

Homère célèbre, avec tous les charmes de la poésie, le soleil, père de la lumière. Cependant ce soleil impuissant ne peut pénétrer ni les entrailles de la terre ni les abîmes de la mer. Les yeux du Créateur de l'univers sont bien plus pénétrants. Ni la profonde masse de la terre, ni les nuages épais de la plus ténébreuse nuit, ne peuvent rien dérober à sa vue. D'un seul regard, il voit tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce qui sera ; et puisqu'il est le seul qui connaisse tout, c'est lui seul aussi qui est le vrai soleil et la vraie lumière du monde.

- Me voilà, lui dis-je, accablé de nouveau par le poids d'une difficulté bien plus grande encore. La prescience de Dieu me paraît absolument contraire à la liberté de l'homme. Car si cette prescience s'étend sur tout, et qu'elle soit essentiellement infaillible, il faut nécessairement que ce qu'elle a prévu arrive. Si donc, de toute éternité, elle connaît non seulement les actions des hommes, mais encore leurs desseins et leurs désirs les plus cachés, que devient leur libre arbitre, puisque tout arrivera infailliblement comme l'aura prévu cette prescience infaillible ? Si en effet l'événement pouvait la tromper, elle n'aurait plus une connaissance assurée de l'avenir. Sa prétendue science ne serait qu'une opinion douteuse et sujette à l'erreur ; ce qu'on ne peut dire de Dieu sans blasphème. Je sais qu'il y en a qui croient résoudre cette difficulté en disant que les choses n'arrivent pas nécessairement parce que Dieu les a prévues ; mais que Dieu les prévoit nécessairement, parce qu'elles doivent arriver. Mais je n'approuve point leur idée ; car c'est tomber d'une difficulté dans une autre. En effet alors la nécessité ne sera plus, il est vrai, du côté des choses futures ; mais elle sera du côté de la prescience. Au reste, ce n'est point là le véritable état de la question. Il s'agit uniquement de prouver que les événements prévus arrivent nécessairement sans que pour cela la prescience de Dieu nécessite leurs causes efficientes. Je me sers, pour expliquer ma pensée, d'un exemple familier. Si quelqu'un est assis, l'opinion de ceux qui le croient dans cette posture est nécessairement vraie ; et en retournant la proposition, on peut dire que si ceux qui le pensent ainsi, pensent vrai, il est nécessaire en effet qu'il soit assis. Il y a donc nécessité des deux côtés : et l'existence de la chose et la vérité de l'opinion qu'on en a, sont alors également nécessaires. Cependant la vérité de l'idée de celui qui me croit assis, n'est point la cause de ce que je le suis ; mais plutôt c'est parce que je suis effectivement assis, que son idée est vraie ; et quoique la cause de ma situation vienne d'ailleurs, cependant il y a, ainsi que je l'ai dit, nécessité des deux côtés. On doit raisonner de même de la Providence et des choses futures. Car quoiqu'elles soient prévues parce qu'elles doivent arriver, et qu'elles n'arrivent pas précisément parce qu'elles sont prévues, cependant il semblerait qu'il y aurait nécessité absolue, ou que Dieu prévît les événements parce qu'ils doivent arriver, ou que ces événements arrivassent parce que Dieu les aurait prévus : ce qui suffit assurément pour détruire la liberté de l'homme. D'ailleurs, y a-t-il rien de plus déraisonnable que de dire que des événements futurs soient la cause de la prescience de Dieu ? Ce qui ne doit se faire que dans la suite des temps peut-il être la cause de cette prescience, qui est de toute éternité ? L'avenir n'en peut pas plus être la cause que le passé. A cet égard, tout est égal entre eux ; car s'il est de toute nécessité qu'une chose soit, quand je suis sûr qu'elle est, il est également nécessaire qu'elle arrive, quand je suis sûr qu'elle arrivera. L'événement d'une chose prévue est donc absolument inévitable. Que si elle n'arrive pas comme je le pense, l'opinion que j'en ai est une erreur véritable, et non pas une science. Eh ! comment avoir une vraie connaissance d'un événement, s'il ne doit pas certainement et nécessairement arriver ? Comme la science ne peut s'allier en aucune façon avec l'erreur, il est indubitable que ce qu'elle conçoit évidemment devoir arriver, arrivera, de toute nécessité, de la manière qu'elle le conçoit. Comment donc comprendre que Dieu, de toute éternité a prévu les événements, s'ils sont incertains ? Car s'il croit qu'ils arriveront infailliblement, et que cependant il soit possible qu'ils n'arrivent pas, il se trompe ; ce qu'on ne peut ni dire ni penser sans blasphème. D'un autre côté, s'il ne les connaît que pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire pour des choses contingentes, qui peuvent arriver ou ne pas arriver, quelle idée aurons-nous alors de sa prescience ? Elle ne différera pas de ce ridicule oracle de Tirésias : Tout ce que je dirai sera ou ne sera pas. Elle n'aurait aucun avantage sur l'opinion des hommes, si sa connaissance se bornait à regarder l'avenir comme quelque chose d'incertain : mais comme il ne peut y avoir la moindre ombre d'incertitude dans cet être adorable, source et principe de tous les êtres, il est constant que les choses dont il a prévu l'existence arriveront infailliblement. Mais que devient alors la liberté de l'homme, dont la volonté et les actions sont liées par la nécessité que leur impose l'infaillibilité de la prescience ? Et si l'homme est dépouillé de son libre arbitre, quelle confusion, quel désordre, quelle absurdité ne s'ensuivra-t-il pas ? Qu'on cesse alors d'encourager les gens de bien par l'espoir des récompenses, et d'épouvanter les méchants par la crainte des supplices. Alors ce que nous appelons équité deviendra le comble de l'injustice ; car pourquoi récompenser ou punir l'homme qui ne peut plus rien mériter, puisqu'il ne fait plus rien par la détermination de sa volonté, dans la nécessité où il est de justifier, par ses actions, l'infaillibilité de la prescience divine ? Alors il n'y aura plus ni vices ni vertus ; le bien et le mal, tout sera confondu, et, ce qui est le comble de l'impiété, nos mauvaises actions mêmes auront la Providence pour principe, puisque toutes les choses qui se font ici-bas se font par ses ordres, et que l'homme, privé de son libre arbitre, sera forcé de les exécuter. Toute notre espérance est donc éteinte ; toutes nos prières deviendront superflues. Car, que nous reste-t-il à espérer ou à demander, si tout arrive par un enchaînement nécessaire et que rien ne peut changer ? Le seul lien qui unit l'homme à Dieu ne subsistera donc plus ? Nous avons pensé jusqu'à présent qu'une humble prière nous attirait les grâces de Dieu : de là est venu ce commerce sacré par lequel nous nous élevons jusqu'à la lumière inaccessible qu'il habite, pour nous entretenir avec lui. Mais si une fatalité toute puissante nécessite nos actions, nos prières n'ont plus aucune force ; il n'y a plus aucune union entre Dieu et nous ; et séparés de ce principe souverain de toutes choses, l'homme, dépourvu de son soutien, retombera dans le néant.

Quelle contrariété règne parmi les choses les plus étroitement unies ! Dieu a-t-il donc mis tant d'opposition entre deux vérités, que, quoiqu'elles subsistent chacune prise à part, elles ne puissent subsister ensemble ? Non ; les vérités ne peuvent être contraires les unes aux autres ; elles sont indissolublement unies entre elles par des noeuds secrets ; mais notre âme appesantie, accablée par le poids de son corps mortel, n'a point assez de lumière pour les apercevoir. Mais pourquoi brûle-t-elle donc d'un si grand désir de découvrir les vérités cachées ? Sait-elle déjà ce qu'elle recherche avec tant d'empressement et tant d'inquiétudes ? Non, sans doute. Mais si elle l'ignore, que cherche-t-elle donc, l'aveugle qu'elle est ? Peut-elle désirer, peut-elle rechercher ce qu'elle ne connaît pas ? sait-elle où le trouver ? Et n'en ayant aucune idée, comment le reconnaîtrait-elle quand le hasard le lui ferait rencontrer ? N'est-ce point que cette âme, quand elle contemplait l'intelligence suprême, y puisait les idées générales et particulières de chaque être, et qu'à présent qu'elle est renfermée dans la prison ténébreuse de son corps, elle a perdu la connaissance distincte et particulière de chaque chose, mais que cependant il lui en reste encore quelques notions générales ? Ainsi, lorsque l'homme cherche la vérité, on peut dire que s'il ne la connaît pas comme il faut, du moins il ne l'ignore pas absolument ; mais consultant les idées générales qui lui sont restées, il s'efforce, par ce peu de connaissances qui lui restent, de parvenir à une connaissance plus parfaite, en rappelant ce qu'il a oublié, pour le joindre à ce qui reste encore gravé dans sa mémoire.

- Voilà, me répondit la Philosophie, une vieille plainte qu'on fait depuis longtemps contre la Providence. Cicéron, dans ses livres de la Divination, s'est beaucoup tourmenté pour y répondre : tu es depuis longtemps dans le même embarras ; mais personne, jusqu'à présent, n'y a répondu avec assez d'exactitude et de solidité. La difficulté vient de l'impuissance où sont la plupart des hommes de comprendre la simplicité infinie de la prescience divine. Si l'on pouvait s'en former une juste idée, toutes les difficultés s'évanouiraient bientôt. Je vais essayer de le faire, après avoir dissipé ce qui fait à présent le sujet de ton trouble et de ton embarras. Je te demande d'abord pourquoi tu ne goûtes pas la réponse de ceux qui disent que la prescience ne blesse point la liberté, parce qu'elle n'impose aucune nécessité aux choses futures. Car, dis-moi, n'est-ce pas uniquement parce que, dès qu'elles sont prévues, elles ne peuvent plus ne pas arriver, que tu conclus qu'elles sont nécessitées ? Mais si, comme tu en es convenu, la prescience n'impose aucune nécessité, pourquoi, libres dans leurs principes, deviendraient-elles nécessaires dans l'événement ? Pour te faire entendre les conséquences de ces raisonnements, supposons un moment qu'il n'y ait aucune prescience ; les actions libres ne pourront être censées contraintes ou nécessitées par ce qui n'existe pas. Convenons maintenant que cette prescience existe, mais qu'elle n'impose aucune nécessité aux choses futures : je crois que la liberté de l'homme reste pour lors également dans tout son entier. Mais, me diras-tu, si la prescience ne nécessite pas les événements, il est toujours certain qu'elle est une marque assurée qu'ils arriveront infailliblement. Mais arriveraient-ils moins infailliblement s'il n'y avait point de prescience ? Ce qui n'est que la marque et le signe d'une chose, est bien la preuve de son existence ; mais elle n'en est pas le principe. C'est pourquoi il faudrait commencer par démontrer que tout arrive par les lois d'une nécessité absolue, avant d'établir que la prescience en est la marque. Car, s'il n'y a aucune nécessité, la prescience ne pourra en être le signe. Ce n'est d'ailleurs ni par les signes d'une chose, ni par aucun autre moyen pris hors d'elle, mais par ses seuls principes intrinsèques, que l'on parviendra à faire une démonstration solide. Mais comment peut-il se faire, dira-t-on, que les choses prévues n'arrivent pas ? Vaine demande ! Je ne dis point que je crois qu'elles n'arriveront pas, je dis seulement que, quoiqu'il soit certain qu'elles arriveront, il n'est pas moins certain qu'elles ne sont aucunement nécessitées.

Pour t'aider à le comprendre, rappelle-toi mille choses qui se font tous les jours à nos yeux. Un habile cocher, par exemple, conduit un char avec adresse ; il fait obéir à son gré les chevaux fougueux qui le traînent. Est-ce par nécessité que cela se fait ? Non, sans doute. Il n'y aurait plus d'art ni d'adresse en rien, si tout se faisait par les lois d'une nécessité impérieuse. Ce qui se fait donc librement n'était certainement pas nécessité avant son existence ; ainsi, bien des événements arriveront librement dans leur temps. Car tout le monde, je crois, conviendra que ce qui arrive était futur, de la même manière qu'il arrive ; l'existence de ces choses est donc parfaitement libre, quoiqu'elle ait été prévue. Car la connaissance et la prévision des choses futures ne leur impose pas plus de nécessité que notre connaissance et notre vue n'en imposent à celles qui arrivent journellement sous nos yeux. Mais voilà précisément, me diras-tu, le point de la difficulté. Je ne puis supposer qu'un événement futur puisse être prévu, et rester libre et contingent. Cela semble impliquer contradiction : car s'il est prévu, il arrivera nécessairement, et s'il n'arrive pas nécessairement, il ne peut être prévu ; puisque la prescience ne peut avoir pour objet qu'une vérité dont la certitude soit infaillible. Car, encore une fois, prévoir comme certain ce qui est libre et contingent, c'est moins avoir une connaissance lumineuse qu'une opinion ténébreuse et sujette à l'erreur. Toute l'obscurité de cette matière vient de ce que tout le monde croit connaître les choses à fond, et telles qu'elles sont elles-mêmes : ce qui est absolument faux, puisque l'étendue de nos connaissances ne dépend point de la nature des choses, mais de celle de notre intelligence ; car, pour expliquer ma pensée par une comparaison, l'oeil et la main connaissent d'une manière différente la rondeur d'un même objet. L'oeil, quoique éloigné, n'a besoin que d'un regard pour saisir tout d'un coup la figure de l'objet ; mais la main est obligée de s'en approcher, de s'y attacher et de le suivre dans tout son contour, avant que de pouvoir en connaître la rondeur ; l'homme lui-même le connaît d'une manière différente, par les sens, par l'imagination, par la raison et par l'intelligence. Les sens ne peuvent juger de la figure que comme inhérente à la matière. L'imagination détache la figure du sujet même, et en juge séparément. La raison va plus loin : faisant abstraction des individus, elle considère l'espèce en général, et se forme l'idée de l'universel. L'intelligence a des vues encore plus sublimes : sans s'arrêter à ces idées générales, elle considère la simplicité de l'essence constitutive de chaque chose, et, ce qu'il faut bien remarquer, ces différentes facultés renferment les qualités de celles qui leur sont subordonnées ; mais les inférieures ne peuvent atteindre aux objets des plus parfaites ; car les sens se bornent uniquement à la matière. L'imagination ne peut se former l'idée des universaux, ni la simple raison celle de l'essence. L'intelligence, au contraire, infiniment plus élevée, juge de tout ce qui a rapport aux choses, de la même manière dont elle en conçoit l'essence. Car si elle considère les objets sensibles, leur figure et leur idée générale, elle ne le fait ni par le ministère des sens, ni par celui de l'imagination, ni par celui de la raison même, mais par sa propre lumière qui embrasse et pénètre tout. De même, la raison, quand elle se forme l'idée des universaux, ne se sert ni de la force de l'imagination, ni du secours des sens. Voici l'idée générale que la raison de l'homme a de lui-même. L'homme est un animal à deux pieds et raisonnable. Or, cette idée générale renferme des connaissances qui sont du ressort de l'imagination et des sens ; mais sans leur secours, la raison les acquiert par ses seules lumières. Enfin, l'imagination elle-même, en qui les espèces, qui font son objet, entrent d'abord par les sens, ne laisse pas de se les former ensuite par sa propre force, quoique tous les sens restent dans une entière inaction.

Tu vois donc que c'est bien moins de la nature des objets que de celle de nos différentes facultés, que provient la différence de nos connaissances. Et cela doit être ainsi : car le jugement étant un acte propre de la faculté qui juge, il est bien plus naturel de croire qu'elle le forme d'elle-même et par ses propres forces, que par l'influence d'une cause étrangère.

Ces anciens sages, trop peu connus, qui ont illustré l'école de Zénon, pensaient que des objets matériels il sort sans cesse une foule d'images invisibles qui viennent s'imprimer dans les âmes, comme le style grave rapidement sur les tablettes ces signes qui sont les interprètes de nos pensées. Mais si l'âme n'agit point par elle-même ; si, purement passive, elle n'est qu'un simple miroir où les objets viennent se peindre, d'où lui peut venir cette ardeur qu'elle a de tout connaître, et cette faculté de connaître en effet chaque chose, de faire l'analyse des objets qui lui sont connus, d'en diviser à cet effet les différentes parties, et de les réunir ensuite sous un seul et même point de vue ? D'où vient qu'elle peut, à son gré, s'élever jusqu'au plus haut des cieux, et descendre ensuite dans les plus profonds abîmes ? Pourquoi, recueillant ses connaissances et les comparant ensemble, sait-elle faire triompher la vérité des ténèbres de l'erreur ? Ah ! certainement elle est douée d'une force active, d'une faculté puissante, dont serait incapable un être qui, semblable à la matière, ne serait propre qu'à recevoir les impressions des objets extérieurs. J'avoue pourtant que ces impressions précèdent d'ordinaire nos idées. La lumière qui frappe nos yeux, la voix qui retentit à nos oreilles, semblent réveiller notre âme. Ces sensations lui rappellent les idées qui y répondent ; elle en fait l'application aux différents objets, et réunit les images qui entrent en elle par les sens, aux idées purement spirituelles qu'elle renferme en elle-même.

Si dans les sensations corporelles, quoique les qualités des objets sensibles affectent les organes des sens, et que l'impression faite sur eux précède le sentiment de l'âme et l'excite en y recueillant les idées auxquelles elle ne faisait pas attention auparavant ; si dans ces sortes de sensations, dis-je, le sentiment intérieur de l'âme n'est point une impression purement passive qui vienne du dehors, mais l'effet de sa propre activité qui s'aperçoit et juge de ce qui se fait dans les corps, à combien plus forte raison les êtres qui sont absolument indépendants de la matière, ne sont-ils point assujettis, dans leurs idées, aux espèces sensibles, mais jugent de tout par les seules forces de leur intelligence ? Aussi voyons-nous que chaque espèce a une façon de connaître qui lui est propre. Ces animaux qui vivent dans la mer, aussi immobiles que les rochers auxquels ils sont attachés, sont doués de la seule faculté de sentir, et destitués de toute autre qualité ultérieure. Les autres animaux qui, par leurs divers mouvements, nous donnent lieu de croire qu'ils ont des désirs et des aversions, avec la faculté de sentir, ont encore l'imagination. La raison est la propriété essentielle de la nature humaine, comme l'intelligence l'est de la nature divine ; et celle-ci est évidemment la plus parfaite, puisqu'elle renferme tout le reste. Si les sens et l'imagination, parce que les idées abstraites des universaux ne sont pas de leur ressort, osaient soutenir que la raison ne les conçoit pas, et lui parler ainsi : «Ce qui est à notre portée ne peut être considéré d'une manière générale, et par abstraction à tout sujet ; donc, ou vous ne concevez pas les universaux, ou nous n'avons aucun objet qui nous soit propre ; or, nous sommes bien assurés d'avoir des objets sur lesquels nous exerçons nos fonctions, donc vous ne pouvez avoir aucune idée des universaux». La raison ne pourrait-elle pas leur répondre : «Facultés subalternes, vous ne pouvez vous élever au-dessus des choses corporelles et sensibles ; pour moi qui les conçois d'une manière plus noble et plus parfaite que vous, j'ai d'eux des idées générales que vous êtes incapables d'avoir. Restez donc dans votre sphère, et ne me disputez pas les connaissances que j'ai, parce qu'elles sont au-dessus de vous». C'est sans doute à la faculté de connaître la plus parfaite qu'il faut s'en rapporter sur ce sujet ; et nous qui, avec les sens et l'imagination, possédons la faculté de raisonner, nous lui donnerions sûrement gain de cause en ce procès. Le même tort que les sens et l'imagination auraient avec la raison, dans la supposition que je viens de faire, la raison l'a vis-à-vis du souverain Etre, lorsqu'elle pense qu'il ne voit pas l'avenir autrement qu'elle. Car tel est ton raisonnement : On ne peut pas prévoir avec certitude ce qui ne doit pas nécessairement arriver. Il n'y a donc point en Dieu de prescience des événements futurs ; ou s'il y en a, elle leur impose une nécessité absolue. Voilà comme on raisonne. Mais si nous pouvions voir par les lumières de l'intelligence infinie, ce que nous ne voyons qu'imparfaitement par celles de la raison, nous conviendrions que cette faible raison doit le céder à l'intelligence suprême, plus encore que les sens et l'imagination ne doivent le céder à la raison. Elevons-nous donc, s'il est possible, jusqu'à cette divine lumière, nous verrons en elle ce que nous ne trouverons jamais en nous-mêmes ; nous y verrons, dis-je, comment les événements futurs, quoiqu'ils doivent arriver librement, sont pourtant prévus avec certitude, et que cette prévision non seulement n'est pas une opinion vague et imparfaite, mais, au contraire, est une science véritable, et infiniment parfaite dans son infinie simplicité.

Que la nature a pris de plaisir à varier la figure des animaux qui vivent sur la terre ! Les uns rampent sur la poussière et ne s'y traînent qu'avec peine ; les autres, d'une aile légère et rapide, fendent les airs, et parcourent sans peine l'immense étendue de la plaine azurée ; d'autres impriment sur la terre la trace de leurs pas, et tantôt ils traversent les campagnes, tantôt ils s'enfoncent dans l'épaisseur des bois. Mais toutes ces espèces différentes ont cependant la tête penchée vers la terre. L'homme seul porte la tête droite et élevée, et s'il veut user de sa raison, il verra que, puisque ses yeux sont faits pour contempler le ciel, son âme doit se détacher de la terre. Ne serait-il pas honteux pour lui que son coeur fût attaché aux choses d'ici-bas, tandis que son corps, par sa posture, l'avertit sans cesse de se porter vers celles du ciel ?

Elevons-nous donc vers le Très-Haut ; et puisqu'il est constant qu'il ne faut pas juger de la manière de connaître par la nature de l'objet connu, mais par celle de la faculté qui connaît, considérons, autant qu'il est permis à des mortels de le faire, quelle est la perfection de la nature divine, afin de mieux juger de la nature de ses connaissances. Il ne faut que consulter la raison pour avouer que Dieu est éternel. Considérons donc ce que c'est que l'éternité : l'idée que nous en concevrons nous conduira à celle de la nature et des connaissances de l'Etre éternel. L'éternité est la jouissance entière et parfaite d'une vie sans commencement, sans succession et sans fin. Cette idée va s'éclaircir en la comparant avec celle du temps. Pour tout ce qui est temporel, le présent n'est que le passage du passé à l'avenir. Rien de ce qui est sujet à l'empire du temps ne peut jamais jouir tout à la fois de sa vie tout entière. Le jour d'hier a cessé d'être pour lui, et le jour de demain n'existe pas encore. Dans celui même d'aujourd'hui vous ne jouissez à la fois que d'un instant rapide et passager. Tout ce qui est donc sujet à la succession du temps, quand même, ainsi qu'Aristote l'a pensé du monde, il n'aurait jamais eu de commencement, et que sa durée dût s'étendre autant que celle des temps, à parler avec précision, ne mérite pourtant pas le titre d'éternel, puisqu'il ne réunit pas ensemble tous les points de sa vie, et que jouissant à peine du présent, il ne jouit plus du passé, et ne jouit pas encore de l'avenir. Ce qui est véritablement éternel, doit jouir tout à la fois de toute la plénitude d'une vie sans fin. Rien ne doit être ni passé ni futur pour lui. Toujours, et tout en lui-même, l'immense succession des temps n'est rien à son égard. Tout est toujours présent à ses yeux.

C'est donc à tort que, de ce que Platon paraît avoir cru que le monde a toujours existé et durera toujours, quelques-uns en concluent que ce monde créé est éternel comme son Créateur ; car il y a bien de la différence entre avoir une durée sans fin, mais successive, comme le monde l'a dans l'opinion de ce grand philosophe, et jouir tout à la fois, sans succession et sans partage d'une vie infiniment parfaite ; ce qui ne peut se dire que de Dieu. Au reste, ne va pas penser que la préexistence du Créateur aux choses créées, puisse se mesurer par la durée du temps ; cette préexistence est une propriété essentielle de la nature divine, avec laquelle le temps n'a aucune proportion. Si dans sa succession infinie, il paraît l'imiter en quelque chose, il lui est absolument impossible de l'égaler. C'est pourquoi ne pouvant jouir, comme elle, d'une parfaite immutabilité, il dégénère en un mouvement successif et sans fin ; et ne pouvant réunir son existence en un seul point, il se partage et s'écoule dans ces espaces immenses que forment le passé et l'avenir. Dans l'impossibilité où il est de jouir tout à la fois de toute la plénitude de son être, il imite l'état immuable de Dieu, mais seulement en ce qu'en quelque sorte il ne cesse jamais d'exister, et reste présent, autant que peut le permettre la rapidité avec laquelle le moment présent s'enfuit. Ce moment, tel qu'il est, est une faible image de cette éternité toujours présente à Dieu. Mais comme il cesse d'être aussitôt qu'il existe, il se renouvelle sans cesse ; et par une succession perpétuelle forme l'infinité des siècles. Ainsi ce n'est qu'en continuant à s'écouler sans fin qu'il acquiert son étendue ; étendue immense, mais qu'il ne peut réunir dans un seul point fixe et immuable. Si nous voulons donc, à l'exemple de Platon, donner aux choses des noms qui leur conviennent, celui d'éternel ne sera donné qu'à Dieu seul ; et puisque toute faculté intelligente connaît les choses selon sa nature, et que celle de Dieu est de jouir tout à la fois de l'éternité tout entière, sa lumière infinie, indépendante de la succession des temps, réunit le passé et l'avenir, et lui fait tout voir comme toujours présent ; et ainsi ce que nous appelons prescience, est moins une prévision de l'avenir qu'une vue simple et actuelle de toutes choses éternellement présentes à Dieu. Aussi cette connaissance n'est, à proprement parler, que la divine Providence, qui, du haut de son trône, voit toutes choses tout à la fois et d'un seul coup d'oeil. Dis-moi maintenant, mon cher élève, comment pourrais-tu penser que la vue de Dieu nécessite les événements, puisque celle des hommes ne les nécessite pas ? Car tu conviendras que tes regards n'imposent aucune nécessité à ce qui se fait sous tes yeux. Or, s'il est permis de comparer en quelque chose l'homme avec Dieu, tout est éternellement présent à ses yeux, comme l'instant présent l'est aux tiens. Sa prescience ne change donc en rien ni la nature ni les propriétés des choses. Elles sont présentes à ses yeux telles qu'elles arriveront un jour. Infaillible dans ses jugements, d'un seul et même regard elle voit comme nécessités celles qui doivent arriver nécessairement, et comme libres celles qui arriveront librement. Ainsi, quoique du même coup d'oeil, tu voies un homme se promener sur la terre, et le soleil rouler dans les cieux, tu sais très bien que le mouvement du premier est parfaitement libre, et que celui de l'autre ne l'est pas. La prescience de Dieu n'altère donc en rien les qualités des choses toujours présentes à son égard, et qui ne sont futures qu'en égard à la succession des temps. Ce n'est donc pas par une simple conjecture, mais par une connaissance certaine, et fondée sur la vérité même, que Dieu voit ce qui arrivera, quoiqu'il sache, qu'il arrivera librement. Si tu m'objectes maintenant que ce que Dieu voit comme futur, ne peut pas ne point arriver ; et que ce qui ne peut pas ne point arriver, n'est plus libre, mais nécessité, je trouverai ici une vérité très solide, mais qui ne peut être connue que de ceux qui s'élèvent jusqu'à la contemplation de la Divinité : oui, je le dirai, le même avenir peut être regardé comme nécessaire, relativement à la connaissance de Dieu, quoique relativement à sa propre nature et à celle de son principe, il reste toujours véritablement libre. Il y a en effet deux espèces de nécessités ; l'une absolue, l'autre conditionnelle. Tous les hommes mourront ; voilà une nécessité absolue. Cet homme se promène, car je le vois : voilà une nécessité qui n'est que conditionnelle. Car, quoique nécessairement ce que je vois existe, il ne s'ensuit pas qu'il existe nécessairement. Rien en effet ne force cet homme à marcher ; il le fait librement et par sa pure volonté ; cependant dès que je le vois marcher, il faut nécessairement qu'il marche. On peut dire de même, que ce que la Providence voit, ne peut pas ne point être, quoiqu'il soit pourtant libre de sa nature et dans son principe. Or, Dieu voit comme actuellement présentes toutes les actions libres qui doivent se faire dans la suite des temps ; elles sont donc nécessaires conditionnellement, et eu égard à la connaissance que Dieu en a ; mais considérées en elles-mêmes, elles n'en sont pas moins libres. Ainsi tout ce que Dieu a prévu arrivera sans doute ; mais tout ce qui est l'effet du libre arbitre ne change point de nature au moment de son existence. En effet, il arrive librement, parce qu'avant que d'être, il a pu ne pas arriver. Mais qu'importe, diras-tu, que nos actions ne soient pas nécessitées en un sens, si elles le sont dans un autre, par la connaissance antécédente que Dieu en a ? Il n'est pas difficile de répondre à ta difficulté. Rappelle-toi ce que je t'ai dit du mouvement du soleil qui parcourt les cieux, et de celui de l'homme qui marche sur la terre ; l'un et l'autre, dès qu'ils existent, ne peuvent pas ne point être ; l'un cependant n'était pas libre avant son existence, et l'autre l'était. De même les choses qui sont présentes aux yeux, existent certainement, mais les unes sont une suite nécessaire des lois de la nature, et les autres dépendent entièrement de la volonté de leurs agents. Ce n'est donc pas sans raison que j'ai dit que ce qui, considéré relativement à la connaissance de Dieu, peut être regardé comme nécessaire, est pourtant véritablement libre, si on le considère en lui-même ; de même tout ce qui est du ressort des sens est universel et singulier tout ensemble : singulier considéré en lui-même, et universel quand la raison le considère sous une idée générale et par abstraction à tout sujet. Mais, ajouteras-tu, si je peux, à mon gré, faire ou ne pas faire ce que Dieu a prévu, et que je vienne à changer de dessein, je tromperai sa prescience, qui a prévu ce que je ne ferai pourtant pas. Je réponds à cela qu'il est vrai que tu peux changer de dessein à ton gré, mais tu ne tromperas pas plus pour cela cette Providence adorable qui sait que tu peux changer, et qui sait en même temps si tu le feras ou non, que tu ne peux tromper ceux qui te voient, lorsque, sous leurs yeux, tu exerces ta liberté au gré de ton caprice. Quoi ! me diras-tu encore, les connaissances de Dieu changeront donc au gré de mon inconstance ; et puisque je peux vouloir une chose, et le moment d'après en vouloir une autre, la connaissance que Dieu a de moi éprouvera donc la même variation ? Non, sans doute, mon cher élève. L'oeil de Dieu voit l'avenir tout entier comme toujours présent. Ses connaissances ne varient point comme toi, en saisissant tantôt un objet, tantôt l'autre. Mais telle est la propriété essentielle de sa nature infiniment simple, qu'éternellement invariable, il voit d'un seul regard, tous les changements de ta volonté. Tu peux par là résoudre la difficulté que tu faisais il y a un moment, en disant qu'il paraissait indigne de Dieu que sa science tînt en quelque chose de nos actions futures. Elle n'en dépend en rien ; et telle est sa perfection souveraine, qu'embrassant tout par une connaissance toujours actuelle et infiniment simple, elle donne l'ordre à tout, et ne le reçoit de rien. De tout ceci, concluons que l'homme jouit d'une pleine liberté ; qu'en conséquence les lois sont justes dans les récompenses qu'elles proposent aux bonnes actions, et dans les châtiments qu'elles décernent aux mauvaises. Dieu, dont la prescience éternelle voit toutes nos actions comme toujours présentes, les juge de toute éternité, et prépare dès lors une récompense infinie aux bons, et des supplices terribles aux méchants. Ce n'est donc point en vain que nous mettons notre espérance en lui, et que nous lui adressons nos voeux. S'ils partent d'un coeur juste et droit, ils ne seront point rejetés. O hommes, fuyez donc le vice ; pratiquez la vertu. Qu'une juste confiance vous anime, et que l'humilité de votre prière la fasse monter vers le trône de l'Eternel. Si vous ne vous faites point illusion à vous-mêmes, vous devez savoir avec quelle ardeur vous êtes obligés de vous porter au bien, puisque vous ne pouvez rien faire qui échappe aux regards d'un Dieu souverainement juste, et qui voit tout».