[XIII. Attributs symboliques de Déméter]

Déméter emprunte une grande partie de ses principaux symboles, dans le culte et dans les oeuvres de l'art, au règne végétal, dont la production lui est rapportée avant toute autre chose.

Nous avons montré plus haut [sect. III] comment toutes les céréales sont à elle, le froment comme l'orge et l'épeautre, passent pour le don qu'elle a fait aux hommes et lui doivent la désignation générique que nous leur appliquons encore aujourd'hui. Une mesure d'orge, récoltée de l'année dans le champ sacré de Rharos, formait le prix dans les jeux Eleusinia ou Demetria qui accompagnaient les mystères d'Eleusis [Eleusinia, sect. VI]. Les épis, que Déméter nourrit (Stachuotrophos), multiplie (Polustachus), apporte dans le monde, sont son symbole et son attribut le plus habituel, le premier de tous et le plus caractéristique. Ils forment sa couronne dans une infinité de représentations, ou bien elle les porte à la main (Stachuophoros, Spicifera), ou bien encore ils apparaissent comme emblèmes isolés. Ce symbole est si connu qu'il n'est pas besoin d'y insister. Remarquons seulement que les épis sont presque aussi souvent donnés comme attribut à Coré qu'à sa mère [Proserpina] et que les spectacles de la pannychis suprême des initiations d'Eleusis se terminaient par l'apparition d'épis moissonnés, tetherismenos stachus, présentés aux yeux des initiés comme «le plus grand, le plus merveilleux et le plus parfait mystère de l'époptie» [Eleusinia, sect.VII]. C'était, en effet, le symbole dans lequel se résumait, pour qui savait le comprendre, tout l'esprit et tout l'enseignement éleusinien, au triple point de vue agraire, cosmique et palingénésiaque ou en rapport avec l'autre vie. La peinture d'un vase apulien à sujets mystiques nous offre cette scène de l'adoration des épis placés sous un riche naos.

Le pavot est encore un des attributs les plus habituels de Déméter. Nous en avons parlé dans la sect. III, en indiquant les mythes dans lesquels il figure. Les monuments de l'art ne présentent guère le pavot qu'associé aux épis, soit dans une des mains de la déesse, soit à l'état de symboles isolés. Le pavot est un des symboles communs aux deux déesses, à la mère et à la fille [Proserpina].

L'attribution des plantes potagères, lachana, et des graines légumineuses, ospria, à Déméter [sect. III] ne se traduit plastiquement sur aucun monument jusqu'à présent connu. Parmi les fruits qui lui sont consacrés, la pomme, qui lui vaut le surnom de Malophoros [sect. IV], apparaît à sa main dans une corbeille ou dans une scaphé, dans quelques figurines de terre-cuite. Certaines des images votives de terre-cuite, trouvées à Tégée, montrent un cep de vigne montant au côté du trône de la déesse, d'autres un pavot poussant devant ses pieds et venant épanouir son fruit sur ses genoux.

En opposition aux plantes qu'elle a données aux hommes, et qui lui sont consacrées, il y a des plantes que Déméter repousse : parmi les légumineuses, la fève [Faba] ; parmi les fruits, la grenade, le seul fruit que l'on n'offrît pas à la Déméter d'Acacésion, celui qu'il était défendu aux femmes athéniennes de manger pendant les Thesmophoria, parce que, dans l'ancienne donnée symbolique, c'était celui qu'Hadès avait fait goûter à Coré pour assurer son retour dans les enfers et que, d'après la théologie orphique, le grenadier était né du sang de Zagreus, mis à mort par les Titans. Au contraire, tous les autres fruits étaient déposés comme offrande sur les autels de Déméter, où on les laissait quelquefois l'année entière, jusqu'à une nouvelle récolte, comme à Mycalessos de Béotie, ou bien où on les arrosait d'huile pour les brûler, comme à Phigalie.

Le narcisse est, comme le pavot, une plante à laquelle on attribuait des vertus stupéfiantes et narcotiques, d'où son nom de narkissos, tiré de narkan. C'est une fleur des morts, et à ce titre, déjà dans l'hymne attribué à Pamphos et dans celui de la collection homérique, c'était celle qui décevait Perséphoné, celle que la terre faisait pousser devant elle pour la livrer à Pluton. Sophocle fait du narcisse «la couronne antique des Grandes Déesses», à titre de personnifications chthoniennes, et deux peintures murales, découvertes dans des tombeaux du Bosphore Cimmérien, montrent en effet cette fleur ceignant les têtes de Déméter et de Coré. En Crète le narcisse était appelé damatrion ; la fleur appelée kosmosandalon et analogue à l'hyacinthe, dont on se couronnait dans les fêtes de Déméter Chthonia à Hermioné, en était un succédané.

Dans les Thesmophoria, les femmes mangeaient de l'ail, skorodon, aussi bien que dans les Spirophoria, cette plante passant pour faciliter la pratique de la chasteté, imposée pendant la durée de ces fêtes. Aux Thesmophories, dans la journée du jeûne, nêsteia, où les femmes restaient de longues heures assises par terre, on leur recommandait à Athènes de se placer sur des branches de l'espèce de daphné appelée kneôron, d'agnus castus, agnos, ou d'aunée konuza, plantes auxquelles on attribuait la même vertu.

A Milet, dans la même occasion, elles devaient s'asseoir sur des branches de pin, arbre que d'autres témoignages disent avoir été consacré à Déméter, avec l'olivier et l'orme. Dans beaucoup d'endroits des bois étaient dédiés à la déesse et même l'on a reconnu, d'après un passage formel d'Ovide, qu'elle était au nombre des divinités que l'on adorait dans un arbre sacré [Arbores sacrae]. On ne précise généralement pas la nature des arbres dont ces bois étaient formés, excepté celui de Phigalie et celui de la route de Tégée à Argos, qui l'un et l'autre se composaient de chênes, indice de la confusion établie entre Déméter et Rhéa, car c'est principalement à cette dernière déesse que le chêne était consacré.

La protection de Déméter s'étendait sur les animaux agricoles et en particulier sur l'espèce bovine [sect. IV]. Le boeuf appartient à la déesse par bien des raisons, mais en particulier comme l'animal qui traîne la charrue pour le labourage et qui trace le sillon sacré par lequel on détermine l'enceinte des villes au moment de leur fondation. Il est la monture de la Déméter Tauropolos de Copae, de la Déméter Europa de Lébadée, de celle que représente une pierre gravée de la collection de Lippert. Une peinture de Pompéi groupant quelques symboles du culte de la déesse, montre un boeuf auprès d'un piédestal portant une corbeille d'épis, sur laquelle est appuyé un flambeau. Dans les ruines de l'hiéron des divinités Triopiennes, à Cnide, M. Newton a découvert des figurines votives de boeufs et de veaux, aussi bien que de porc, en terre-cuite. Le boeuf ou la vache était une des victimes favorites pour être offertes à Déméter en sacrifice. Dans les grandes Eleusinies [Eleusinia, sect. VI], dans les Proerosia, dans les fêtes que les émigrés d'origine athénienne avaient instituées à Ephèse et dans le culte de Déméter Chthonia, à Hermioné, le rituel voulait que cette victime fût amenée libre et sans entraves jusqu'au lieu où on l'immolait. Il est bon de rapprocher ici le sacrifice romain de la vache pleine, immolée en l'honneur de Tellus au mois d'avril, dans la cérémonie des Fordicidia et celui de la vache noire dans les Pherepattia de Cyzique. Déméter est susceptible d'être elle-même symbolisée sous les traits d'une vache. Le célèbre symbole d'origine orientale exprimant la maternité divine, la vache allaitant et léchant son veau, figuré comme un type divin de premier ordre sur tant de monuments des arts asiatiques, passe dans l'art grec et y est entendu comme la vache allaitant sa génisse ; il y devient une expression emblématique de Déméter et de Coré. Claudien emploie cette image plastique comme comparaison pour dépeindre l'affection passionnée de la mère pour la fille. Au tombeau dit des Harpyies, à Xanthos de Lycie, la vache allaitant sa génisse est sculptée en bas-relief au-dessus de la porte, entre les images des deux Grandes Déesses assises. Nous avons vu [sect. II] quelle importance a le culte de Deméter dans les traditions primitives de Corcyre, qui adopte ce type sur ses monnaies d'argent, copiées ensuite à Dyrrhachium 139 et à Apollonia d'Illyrie.

Ceci nous fait comprendre le symbolisme d'une statuette de bronze où l'on voit Déméter assise, tenant d'une main une patère sur laquelle reposent deux épis, de l'autre un petit vase à miel, et ayant un veau ou une génisse de petite dimension couché sur ses genoux. C'est la traduction hellénisée et l'application à Déméter et Coré ou à Déméter et Iacchos-Zagreus d'un type d'origine asiatique ; car dans plus d'un exemple, parmi les représentations de l'antiquité orientale, tandis que la déesse mère a la forme humaine, son nourrisson divin est figuré par un veau.

Une statuette de marbre trouvée à Rome représente Déméter assise, ayant auprès d'elle un boeuf et un porc. Dans la version orphique du mythe éleusinien, Triptolème et Eubuleus étaient l'un bouvier et l'autre porcher. Le porc est par excellence l'animal que l'on sacrifie à Déméter, encore plus que le boeuf. On raconte que lorsque Triptolème fit les premières semailles, le porc vint bouleverser son travail, qu'alors il le prit, plaça des fruits sur sa tête et l'immola à la déesse. Dans ce récit, l'animal est celui qui dévaste le champ cultivé lumantikos ; mais il n'est pas seulement la victime habituelle de Déméter, il est son animal sacré. Il l'est comme emblème de fécondité et aussi en vertu d'un jeu de mots obscène que nous avons déjà indiqué dans l'article Baubo. Enfin le porc est l'animal par excellence que l'on emploie dans tous les rites purificatoires ; on attribue à son sang une vertu sans rivale en pareil cas. Aussi Gerhard a-t-il remarqué que toutes les fois que, dans les idoles de terre-cuite, Déméter elle-même tient le porc, elle a en même temps le flambeau, attribut auquel s'attache aussi une idée de purification. Dans une peinture murale d'un tombeau de Panticapée et sur le denier romain de C. Vibius, Déméter armée des flambeaux,à la recherche de sa fille, est accompagnée d'un cochon qui marche à côté d'elle, rappelant ceux que certaines versions de la fable poétique disaient avoir bouleversé les traces du passage de Perséphoné enlevée.

Nous plaçons ici le dessin d'un bas-relief votif du Louvre, provenant d'Eleusis, qui représente une famille sacrifiant un porc aux deux Grandes Déesses. L'immolation du porc mystique, choiros mustikos, était un des rites importants de la partie préparatoire et publique des mystères d'Eleusis [Eleusinia, sect. VI]. Chacun des mystes y était tenu, et de nombreuses statuettes de terre-cuite représentent des initiés ou des initiées portant dans leurs bras l'animal de ce sacrifice, appelé thua. La scène même de l'immolation, faite par le myste en présence d'un prêtre qui tient des têtes de pavot dans un plat, est retracée sur plusieurs bas-reliefs. Tous les particuliers d'Athènes offraient également un porc comme sacrifice domestique, le jour que les candidats à l'initiation pratiquaient ce rite.

Dans la partie des Thesmophories attiques qui se célébrait avec un caractère mystérieux au dème d'Halimonte [Thesmophoria], les porcs de ce sacrifice étaient précipités vivants dans deux trous qui s'ouvraient dans le pavé du temple et que l'on appelait chasmata tês Dêmêtros kai tês Korês. Ils tombaient par là dans des souterrains consacrés, megara, aduta, habités par des serpents qui les dévoraient. Des femmes arrêtophoroi, préparées par une purification de trois jours, descendaient alors dans les souterrains, éloignaient les serpents à grands cris et rapportaient les débris des victimes, que l'on déposait sur les autels avec les arrêta, images de serpents et de phallus faites en pâte crue. En même temps que les porcs, on jetait dans les trous du pavé des branches de pin chargées de leurs cônes. On voulait, disait-on, rappeler les cochons d'Eubuleus engloutis dans le sol en même temps que Perséphoné. C'est ce que l'on appelait en Attique megarizein, et je crois qu'il faut entendre dans le même sens l'expresssion megara kinein quand on parle des fêtes de la Déméter Achéa en Béotie. En effet, Pausanias signale dans cette contrée, à Potniae, le rite des petits cochons précipités dans les trous, et il se sert, en en parlant, des mots es ta megara kaloumena aphiasin. Auprès de Syracuse, à la fontaine Cyané, on précipitait un taureau vivant en l'honneur de Coré, là où l'on disait qu'elle avait disparu sous terre ; et cet usage religieux passait pour avoir été institué par Héraclès. Dans le péribole du temple de Déméter Pélasgis, à Argos, ce sont des flambeaux allumés que l'on jetait dans un trou en l'honneur de Perséphoné.

Dans un bas-relief athénien du Louvre, la victime immolée à Déméter est une chèvre. M. Stephani a rassemblé un petit groupe de monuments qui mettent d'une manière formelle cet animal en rapport avec la déesse. En revanche, sauf une pierre gravée du Cabinet de Berlin, aucun monument ne vient jusqu'ici apporter d'illustration à ce que dit Pausanias de la Déméter Malophoros envisagée comme déesse des brebis. La trittye que l'on sacrifiait à Eleusis en l'honneur des Grandes Déesses et d'Iacchos comprenait un bélier avec un taureau et un porc ; dans les mystères d'Andania, on immolait un mouton à Coré Hagna, en même temps qu'une truie ayant mis bas à Déméter. Ce sont les deux seuls exemples connus de sacrifices d'animaux de cette espèce aux Grandes Déesses.

Nous avons reproduit plus haut l'unique représentation qui se soit jusqu'ici rencontrée, où Déméter apparaisse accompagnée de la grue, qu'un bon nombre de témoignages antiques disent lui avoir été consacrée [sect. III]. Quant au coq, que Porphyre attribue à la mère et à la fille, on ne l'a encore observé que sur les bas-reliefs archaïques en terre-cuite de Locres, où Perséphoné tient cet oiseau dans ses bras, soit au moment où elle est enlevée, soit quand elle trône en reine des enfers, aux côtés de son époux.

Tout ce qui touche à la signification complexe et infiniment variée du serpent dans la symbolique religieuse de l'antiquité a été traité de main de maître par Gerhard. Le serpent est fils de la terre, il s'en nourrit ; c'est avant tout un animal essentiellement chthonien, et à ce titre on en fait l'emblème le plus expressif de l'autochthonisme. Il préside à la fondation de certaines villes et c'est sous sa forme que se manifeste aux regards l'Agathodaemon et le Génie local [Genius]. En même temps la façon dont il se renouvelle en changeant de peau périodiquement a fait de lui un symbole de rénovation, spécialement de résurrection ou de palingénésie dans la mort : d'où sa représentation sur les monuments funéraires. C'est par là, et aussi par suite du caractère magique que tous les peuples anciens lui ont attribué, en Orient comme dans le monde classique, que le serpent devient l'animal spécialement consacré aux divinités médicales [Aesculapius, Hygia], l'emblème de leur action salutaire et curative. A tous ces titres, le serpent devait naturellement appartenir à Déméter, dont il est, en effet, un des symboles les plus habituels et les mieux connus. Le char sur lequel la déesse s'élance à la poursuite du ravisseur de sa fille et parcourt la terre en la cherchant, qu'elle donne ensuite à son favori Triptolème, est attelé de deux serpents, souvent ailés. Très fréquemment un serpent s'enroule autour du sceptre de Déméter, ou du flambeau qu'elle tient à la main ; la même particularité s'observe quand un ou deux flambeaux sont figurés en symboles isolés, comme au revers de certaines monnaies impériales de Cyzique. Quelquefois des serpents enveloppent le corps ou les bras de la déesse. Sur le denier romain de C. Memmius Quirinus et sur une pierre gravée du Cabinet de Berlin, Déméter assise et tenant les épis a près d'elle un serpent. Dans le bas-relief de Déméter et Ploutos, deux grands serpents sortent du temple figuré derrière la déesse. Ce sont peut-être ceux des souterrains du temple d'Halimonte.

En effet, Déméter est au nombre des divinités qui, pour garder leurs temples, ont des serpents, de ces gros serpents inoffensifs auxquels on appliquait spécialement le nom de drakontes. On en nourrissait un dans le grand temple d'Eleusis, qui était le serviteur familier, amphipolos, de Déméter. C'était, disait-on, le serpent qui ravageait autrefois Salamine et qu'en chassa le héros Cychrée, héros qui est lui-même appelé anax ophis et qui se manifeste sous la forme de cet animal sur les vaisseaux des Grecs, au moment où va s'engager la bataille contre la flotte de Xerxès. Ces derniers traits rappellent singulièrement la légende de Cadmus, vainqueur du serpent et lui-même transformé en serpent. Or, Cadmos, nous l'avons vu, est essentiellement un héros du cycle de Déméter ; en même temps, le dragon dont il triomphe, issu de l'Erinnye Tilphosienne, était sûrement à l'origine, né de Déméter Erinnys ; il est une des puissances chthoniennes, le daimôn local de la population des autochthones vaincue par les colons Cadméens, aussi lui offre-t-on des sacrifices et est-ce lui qu'il faut reconnaître dans l'Agathodaimôn ophiomorphe qu'on signale dans le voisinage de Thèbes. Une coupe peinte montre, dans l'intérieur de l'anactoron ou megaron d'Eleusis, les filles de Céléos effrayées par l'apparition du serpent.

Dans la scène des initiations d'Eleusis reproduite sur un assez grand nombre de monuments, et dont la signification n'a pu être comprise que par l'enchaînement des bas-reliefs du vase de marbre récemment publié par madame la comtesse Lovatelli, l'épopte, admis en présence des Grandes Déesses, caresse le serpent familier, l'oikouros ophis, qui s'enroule autour du siège de Déméter. Une des choses qui frappent dans cette scène d'époptie, c'est l'absence d'Iacchos, indispensable pourtant pour compléter le groupe des divinités mystérieuses qui se révèlent à l'initié. Il semble donc qu'ici le serpent tienne sa place et le représente. Ceci n'a rien d'inconciliable avec les légendes que nous venons de rappeler sur l'origine du serpent sacré d'Eleusis, et s'accorde d'une façon remarquable avec le caractère de daimôn qu'avait d'abord Iacchus. Gerhard a montré que le génie sauveur et médiateur des religions pélasgiques et mystiques est conçu comme un enfant qui se manifeste sous la forme d'un serpent, qui a pour symboles essentiels cet animal et le phallus, deux emblêmes qui s'échangent et ont dans ce cas une signification adéquate. Dans le mythe orphique, qui finit par s'introduire à Eleusis [Eleusinia, sect. VIII], c'est la forme d'un serpent que revêt le Zeus, fils de Déméter, fable qui se reproduit dans celle de Faunus et de la Bona Dea, dans les amours de Dionysos et de Nicaea, et aussi dans les légendes répandues sur la naissance de certains mortels auxquels on se plaisait à attribuer une origine divine, comme Aristomène, Alexandre le Grand [Sabazius] et Scipion.

On offrait quelquefois à Déméter des rayons de mie1 ou des libations d'hydromel. Les Nymphes Briséennes, les Nymphes du miel, sont mises dans son cortège. Comme ouvrière des champs, l'abeille était devenue naturellement un des animaux sacrés de Déméter. Les prêtresses et les initiés de la déesse étaient, dans certains lieux, appelées Melissai, c'est-à-dire abeilles. Mélissa, racontait la légende corinthienne, était une femme à qui Déméter elle-même avait enseigné son culte mystérieux, en lui recommandant de ne le divulguer à personne ; elle se laissa tuer par les autres femmes de Corinthe, plutôt que de révéler le secret de la déesse. Déméter vengea sa mort en envoyant une peste ravager le pays, et tira les abeilles de son cadavre. Une pierre gravée du Cabinet de Berlin place la fourmi auprès de Déméter. C'est, en effet, encore une travailleuse agraire, et de plus, dans la fable de l'origine des Myrmidons, cet insecte est un emblème d'autochthonie.

Divers attributs de Déméter sont pris parmi les oeuvres de l'industrie de l'homme. Dans l'hymne homérique, la faucille est déjà donnée pour attribut à la déesse des moissons ; plusieurs de ses épithètes y ont trait, et cet ustensile agricole, aux mains de Déméter, joue un rôle important dans les traditions antiques de Corcyre et du cap Drépanon en Sicile [sect. II et III]. Pourtant, jusqu'à ce jour, aucun monument authentique ne montre la déesse munie de cet attribut. Le flambeau, simple ou double, est au contraire, très fréquemment porté par Déméter, à laquelle il vaut les surnoms de Purphoros, Dadouchos, Lampadoessa, Taedifera. Ce flambeau, souvent décoré d'une manière somptueuse, de feuillages étagés, enveloppé de guirlandes de myrte, une fois garni de bandelettes, est souvent associé, entre les mains de la déesse, aux attributs du porc ou des épis. Il est donné à Coré aussi souvent qu'à sa mère [Proserpina], d'où toutes les deux réunies sont ai purphoroi theai. Le flambeau ou les flambeaux ne figurent pas moins souvent, à titre d'attributs isolés, sur les monuments de toute nature relatifs à la religion des Grandes Déesses, ou bien entre les mains des personnages secondaires qui les accompagnent dans les peintures de vases de la mission de Triptolême. Dans le culte mystique d'Eleusis, les flambeaux sont les insignes caractéristiques de deux des plus hautes fonctions sacerdotales, celles du daduque et de la prêtresse tédifère [Daduchus]. A la grande procession d'Iacchos [Eleusinia, sect. VI], l'image du jeune dieu portait un flambeau allumé, et tous les mystes, à son exemple, en tenaient également. Devant le temple de Triptolème, dans la cité des mystères, se dressaient deux torchères colossales de marbre, hautes de cinq mètres, qui subsistent encore aujourd'hui1 et qui devaient à certains jours être couronnées de flammes. La légende mythologique ne parle du flambeau que pour le mettre aux mains de Déméter quand elle cherche sa fille [sect. X], circonstance où, non plus, les monuments de l'art ne l'omettent pas. Mais les exemples qui viennent d'être passés en revue montrent que cet attribut a une signification bien plus générale. L'idée qu'il faut y rattacher est éminemment mystique : c'est celle de la purification par le feu, à laquelle l'histoire de l'éducation de Démophon donne une place si importante dans le cycle des mythes de Déméter.

Le sceptre de reine est fréquemment placé à la main de la déesse. Sa présence exclut celle du flambeau, mais il s'associe fréquemment avec la patère des sacrifices ou les épis, tenus par Déméter dans l'autre main, dans les peintures de vases, les bas-reliefs et les types monétaires.

Le calathos rempli de fleurs est un symbole du printemps de Perséphoné ; rempli d'épis, un symbole de l'été et de la moisson, un attribut de Déméter. Les exemples de la première donnée sont fournis par les scènes de l'anthologia sur les sarcophages qui retracent l'enlèvement de Proserpine, et le calathos rempli de fleurs était aussi porté par les deux statues énigmatiques de jeunes filles ou de déesses juvéniles, placées devant les images des Grandes Déesses à Mégalopolis. Quant au calathos rempli des produits de la moisson et emblême d'abondance, son attribution habituelle à Déméter a été déjà signalée plus haut, dans l'article Calathus. L'enfant Ploutos le présente à la déesse.

Dans une belle peinture de Pompéi et sur une pierre gravée, il est placé auprès des pieds de la déesse assise. Dans une autre peinture pompéienne, c'est une corbeille plate, kanoun [Canistrum], au lieu du calathos profond, que tient la Déméter Chloé, à l'aspect juvénile, et qui est remplie de feuillages verts en même temps que d'épis. Ptolémée Philadelphe avait institué à Alexandrie la procession solennelle du calathos de Déméter, porté sur un char traîné par quatre chevaux blancs. C'est pour cette cérémonie que Callimaque composa son hymne à la déesse.

Un grand bronze d'Alexandrie à la tête de Trajan en retrace la partie principale et essentielle, le char du calathos d'Athènes. C'est aux Thesmophories que Ptolémée Philadelphe l'avait empruntée. Elle était étrangère aux Eleusinies. Pourtant le calathos n'en était pas absent ; avec la ciste il y servait à contenir les objets sacrés, iera, dont la collation aux initiés, paradôsis tôn ierôn, constituait un des actes essentiels des mystères [Eleusinia, sect. VI ; Mysteria]. Mais les corbeilles qui renfermaient ces iera de dimensions restreintes étaient portées dans les processions sur la tête des vierges calathéphores ou canéphores.

La corne d'abondance [Cornucopiae], attribut constant et caractéristique de Tyché [Fortuna] et, parmi les personnifications adorées à l'époque romaine, celui d'Abundantia et d'Annona, appartient-il à Déméter sur les monuments de l'art ? On l'a longtemps admis, et Gerhard partage encore cet avis ; mais M. Overbeck a élévé ici des doutes que les monuments justifient pleinement. Dans les statues jusqu'à présent connues, la corne d'abondance mise aux mains de Déméter est toujours une addition due à la fantaisie des restaurateurs modernes. Dans la numismatique, le seul exemple incontestable d'une Déméter ayant une corne d'abondance est celui que fournissent les tétradrachmes athéniens signés des monétaires Eumaridès et Alcidamas, Eumaridès et Cléomène, où 1a déesse est assise sur son char attelé de serpents. Tous les autres que l'on a cru pouvoir citer s'expliquent aussi bien ou beaucoup mieux, comme l'a montré M. Overbeck, par Tyché ou Abundantia, cette dernière appelée en grec Euthênia ou Euetêria. L'attribut même des épis, tenus en même temps que la corne d'abondance, comme celui du noodius rempli d'épis, n'est pas étranger aux représentations certaines de la Fortune.

Sur le revers d'un grand bronze de Néron qui réunit les images de Ceres et d'Annona Augusti, la corne d'abondance et le boisseau de blé sont les insignes de la seconde, tandis que la première porte le flambeau et les épis. Pourtant les intailles gravées à l'époque romaine mettent quelquefois la corne d'abondance sur le bras gauche de Déméter, que caractérisent positivement le flambeau tenu dans sa main droite, ou la charrue placée auprès d'elle. Mais la grande majorité des monuments de la même classe où l'on a vu Cérès dans une déesse assise ou debout, tenant les épis ou la corne d'abondance, ne peuvent pas être acceptés comme offrant des types certains de la déesse d'Eleusis. Il faut y reconnaître bien plutôt Abundantia ou Annona, et, quand la déesse est voilée et trône en reine matronale, la Bona Dea, maintenant que la représentation typique en est déterminée d'une façon définitive par la statuette de marbre que vient de publier M. O. Marucchi.

Déméter, en tant que divinité des mystères, est une de celles à qui appartient la ciste mystique [Cista], employée dans son culte secret. Mais elle ne lui est donnée que très rarement comme attribut par les artistes. Ainsi la ciste ne figure jamais dans les peintures de vases dont les sujets appartiennent au cycle des Grandes Déesses. Dans le bas-relief d'un puteal conservé à Rome, au Palais Colonna, et dont le style archaïque semble d'imitation, la ciste est placée ouverte aux pieds de Déméter assise et un serpent s'en échappe, se dirigeant vers la déesse. La statue de Déméter Erinnys à Thelpusa portait la ciste et le flambeau. En revanche, dans le groupe des déesses d'Acacésion, la ciste était l'attribut de Despoina, et non de sa mère.

Quelques espèces particulières de vases, le Kernos et la Plemochoe, sont encore au nombre des symboles de Déméter ou plutôt du culte mystique éleusinien. On les voit figurer dans les frises du grand autel monumental d'Eleusis, de celui de l'Eleusinion d'Athènes et des Propylées d'Appius à Eleusis. Le van [liknon, Vannus] avait aussi son emploi dans quelques-uns des rites purificatoires des Eleusinies et dans la grande procession qui conduisait les mystes d'Athènes à Eleusis [Eleusinia, sect. VI]. Mais il appartenait à Iacchus et non à Déméter, et c'est un attribut essentiellement dionysiaque [Bacchus].

Dans la sect. X, à propos de la Déméter Achea, il a été parlé du rapport établi entre la cymbale ou êcheion et Déméter, de l'emploi qu'on en faisait dans certaines cérémonies de son culte. Pourtant aucun exemple plastique ne nous montre jusqu'ici cet instrument tenu par la déesse ou placé dans les groupes de ses symboles. Dans les bas-reliefs de l'autel trouvé à Chalandri en Attique, Déméter porte le tympanon en même temps que le flambeau auquel s'enroule un serpent. C'est une traduction de l'épithète de chalkokrotos que Pindare donnait déjà à la déesse, accentuée dans le sens d'une confusion entre Déméter et Cybèle [voyez sect. II] d'autant plus naturelle ici que, d'après son inscription métrique, l'érection de l'autel de Chalandri se rattachait à un Taurobolium. La même confusion apparaît chez Euripide. Claudien met Cérès dans le char traîné par des lions qui est propre à Cybèle, et, en revanche, certaines monnaies de l'Asie Mineure, à l'époque impériale, donnent à la déesse de Phrygie le pavot et les épis de Déméter. Quelques figurines de terre-cuite de l'Italie méridionale semblent donner aussi le tympanon à Coré.


Article de F. Lenormant