Acte IV

Acte V

Scène 1
PYRAME, THISBE

Pyrame
Tu vois en quel danger notre fortune est mise,
Que même la clarté ne nous est pas permise.
Enfin ne veux-tu point forcer cette prison ?
Ici l'impatience est jointe à la raison.
Le tyran, qui déjà fait éclater sa rage,
Afin de l'assouvir mettra tout en usage,
Et possible devant que le flambeau du jour
Ne fasse voir demain ses coursiers de retour,
Nous saurions ce que peut une fureur unie
Avec l'autorité d'une force impunie.

Thisbé
Le conseil en est pris : sans attendre à demain,
Il faut résolument s'affranchir de sa main.
Je serai bien heureuse, ayant de la Fortune
Et disgrâce et faveur avecque toi commune,
Lorsque je n'aurai plus d'espions à flatter,
Que je n' aurai parents ni mère à redouter,
Et qu'Amour, ennuyé de se montrer barbare,
Ne nous donnera plus de mur qui nous sépare,
Que sans empêchements nos yeux pourront passer
Partout où sont venus la voix et le penser.
Lors, d'un parfait plaisir entre tes bras comblée,
Mon âme du tyran ne sera pas troublée,
Lors je n'aurai personne à respecter que toi.

Pyrame
Lors tu n'auras personne à commander que moi ;
Dessus mes volontés la tienne souveraine
Te donnera toujours la qualité de Reine.
Thisbé, je jure ici la grâce de tes yeux,
Serment qui m'est plus cher que de jurer les Dieux,
Que ton affection aujourd'hui me transporte.
Je ne la croyais pas être du tout si forte ;
Je doutais que l'on pût aimer si constamment,
Et que tant d'amitié fût pour moi seulement,
Que des objets plus beaux...

Thisbé
          N'achève point, Pyrame,
Un si mauvais soupçon ; tu blesserais mon âme.
Autre objet que le tien ? c'est me désobliger,
Mon coeur, et quel plaisir prends-tu de m'affliger ?

Pyrame
Ne crois point que cela trouble ma fantaisie,
Mais laisse à tant d'amour un peu de jalousie,
Non pasa pour les mortels, car j'ose m'assurer
Que tu n'aimes que moi.

Thisbé
          Tu le peux bien jurer.

Pyrame
Mais je me sens jaloux de tout ce qui te touche,
De l'air qui si souvent entre et sort par ta bouche ;
Je crois qu'à ton sujet le soleil fait le jour
Avecque des flambeaux et d'envie et d'amour ;
Les fleurs que sous tes pas tous les chemins produisent
Dans l'honneur qu'elles ont de te plaire me nuisent ;
Si je pouvais complaire à mon jaloux dessein,
J'empêcherais tes yeux de regarder ton sein ;
Ton ombre suit ton corps de trop près, ce me semble,
Car nous deux seulement devons aller ensemble.
Bref, un si rare objet m'est si doux et si cher,
Que ta main seulement me nuit de te toucher.

Thisbé
Hors de l'empêchement qui nous sépare ici,
Tu sauras que tes voeux sont mes désirs aussi,
Que ton mal est celui dont je me sens pressée ;
Mais la course du jour s'en va déjà passée,
La lune se confond avecque sa clarté.
Il est temps de pourvoir à notre liberté,
Il faut que notre fuite à la nuit se hasarde,
Car avec trop de soin tout le jour on me garde.

Pyrame
C'est très bien avisé : quand d'un sommeil profond
La première douceur dans nos veines se fond,
Qu'en ce pesant fardeau, tout taciturne et sombre,
On n'oit que le silence, on ne voit rien que l'ombre,
Il se faut dérober chacun de sa maison,
Ou plutôt se sauver chacun de la prison.

Thisbé
Mais au sortir d'ici pour nous voir en peu d'heure,
Quelle assignation trouverons-nous plus seure ?

Pyrame
En attendant le jour, un lieu propre et bien près :
Il semble que l'Amour me le découvre exprès,
Le tombeau de Ninus.

Thisbé
          Il est vraiment bien proche.

Pyrame
Là coule un clair ruisseau tout au pied d'une roche,
Qui, de ses vives eaux entretenant les fleurs,
Maintient à la prairie et l'âme et les couleurs ;
Un arbre tout auprès, fertile en meures blanches,
Nous offre le couvert de ses épaisses branches ;
Saurions-nous rencontrer un lieu plus à souhait ?

Thisbé
Il est le mieux du monde : allons, cela vaut fait.

Scène 2
LA MERE DE THISBE, SA CONFIDENTE

La Mère
Encore de frayeur tous mes cheveux se dressent,
Ses farouches regards encore à moi s'adressent,
Ha ! sommeil malheureux, en ce songe trompeur,
Que tu m'as fait, ô Dieux ! que tu m'as fait de peur !
De cette vision l'image triste et noire
Avecque trop d'horreur s'attache à ma mémoire ;
J'ai rêvé tout le jour dans l'appréhension
De ma mauvaise nuit.

La Confidente
          Ce n'est qu'illusion.

La Mère
Combien en voyons-nous à qui la voix des songes
A dit des vérités !

La Confidente
          Comme aussi des mensonges.

La Mère
Cette frayeur me tient pourtant dans les esprits
Trop avant pour avoir son présage à mépris ;
Jamais une si triste et si pâle figure
Ne se présente à nous sans un mauvais augure ;
Une pareille nuit ne me vient pas souvent.

La Confidente
A qui suit la raison le songe n'est que vent ;
Il est bon ou mauvais, feint, vrai ou variable,
Selon l'erreur douteux de notre esprit muable.

La Mère
Si tu savais comment ce songe est apparu,
Comment cent fois la mort par mes os a couru,
De quelque fermeté que ta raison se vante,
Possible prendrais-tu ta part de l'épouvante.

La Confidente
S'il ne vous est fâcheux de me le faire ouïr...

La Mère
Si cette ombre en parlant pouvait s'évanouir
Et que sa forme errante encore dans ma couche
Pût sortir de mon âme en sortant de ma bouche,
Tu me verrais très prompte à te faire savoir
Ce que mes yeux fermés m'ont clairement fait voir.

La Confidente
Déchargeant sa douleur dedans l'âme fidèle
De quelqu'un que l'on aime on la sent moins cruelle.
Le plus faible secours que l'on nous puisse offrir
Nous fait le mal au moins plus doucement souffrir ;
S'il en faut soupirer, qu'avec vous je soupire.

La Mère
Ta curiosité me presse de le dire.
L'heure où nos corps chargés de grossières vapeurs
Suscitent en nos sens des mouvements trompeurs
Etait déjà passée, et mon cerveau tranquille
S'abreuvait des pavots que le sommeil distille,
Sur le point que la nuit est proche de finir
Et le char de l'Aurore est encore à venir.

La Confidente
Environ ce temps-là, l'opinion vulgaire
Tient que les songes ont la vision plus claire.

La Mère
Plusieurs événements me sont déjà témoins
Que leur incertitude alors trompe le moins.

La Confidente
Nous préserve le Ciel que celui-ci persiste
A nous pronostiquer son aventure triste.

La Mère
Sache que jamais songe en son obscurité
N'a fait voir tant d'horreur ni tant de vérité.

La Confidente
Vraiment à vous ouïr j'en suis déjà touchée.

La Mère
Le voici. Dieux ! mon âme en est effarouchée.
J'ai vu tout au travers d'un bandeau du sommeil,
Au milieu d'un désert l'éclipse du soleil ;
C'est le premier objet de la funeste image
Qui marque à mon destin un assuré dommage.
En cette nuit épaisse où par tout l'univers
Les objets demeuraient également couverts,
J'ai senti sous mes pieds ouvrir un peu la terre
Et de là sourdement bruire aussi le tonnerre ;
Un grand vol de corbeaux sur moi s'est assemblé,
La lune est dévalée, et le ciel a tremblé ;
L'air s'est couvert d'orages, et, dans cette tempête,
Quelques gouttes de sang m'ont tombé sur la tête ;
Un lion, l'oeil ardent et le crin hérissé,
Dessus son large col hideusement pressé,
Rugissant sans me voir auprès de la caverne,
A fait autour de moi deux ou trois fois un cerne ;
Certains cris souterrains rompus par des sanglots,
Comme un mugissement de rivae et de flots,
Au travers le silence et l'horreur des ténèbres
M'ont transpercé le coeur de leurs accents funèbres.

La Confidente
O Dieux ! tant seulement à vous ouïr parler,
Je sens que tout d'horreur mon coeur se va geler.

La Mère
De là, tombant à coup dans des frayeurs plus vives,
Il m'a semblé d'errer aux infernales rives,
Où, d'une nuit plus noire encore m'aveuglant,
J'ai rencontré d'abord un corps pâle et sanglant
Qui me représentait d'un objet lamentable,
De ma fille Thisbé, le portrait véritable.
Le corps avait le sein de trois grands coups ouvert,
Qui teignait le linceul dont il était couvert.
Aussitôt que ses yeux ont connu mon visage,
Quoiqu'ils ne fussent plus que d'ombre et de nuage,
M'élançaient des regards avec un tel effort
Qu'ils me semblaient des traits que décochât la mort.
Puis, m'approchant, me dit d'une voix aigre et forte :
Que cherches-tu, tigresse ? Eh bien, me voilà morte !
Tu viens donc, inhumaine, en ces bords malheureux,
Pour encore épier nos esprits amoureux ?
Et me prenant la main tire hors de ma place
Pour me montrer Pyrame étendu sur la glace,
Qui par le même endroit d'autant de coups blessé,
Montrait qu'un même esprit l'avait aussi poussé.
Vois, dit-elle, barbare, en ce piteux spectacle,
De quoi nous a servi ton envieux obstacle !
Qui te meut de venir troubler notre amitié ?
Ici notre destin abhorre ta pitié,
L'Enfer plus doux que toi laisse vivre nos flammes.
Va, ne reviens jamais importuner nos âmes.
Là son bras m'a poussée ; alors tout en sursaut
Je me suis éveillée avec un cri fort haut.
N'est-ce pas là de quoi me donner de l'ombrage ?

La Confidente
Mais bien de quoi troubler le plus hardi courage.

La Mère
Vraiment, je me repens d'avoir tancé si fort
Une si bonne fille, et connais que j'ai tort ;
Je veux dorénavant d'une bride moins forte
Retenir les désirs où son âge la porte.

La Confidente
Madame, il est bien vrai qu'un peu moins rudement
Vous la gouvernerez bien plus commodément ;
Comme elle est de bon sang, elle a l'humeur altière ;
La force en un bon coeur fait moins que la prière.
En cet âge à peu près il me souvient qu'un jour
Mon père me voulut détourner d'un amour
Qu'il jugeait peu sortable, et moi, bien à ma sorte.
Sa défense rendit ma passion si forte
Que dedans peu de jours il vit bien qu'il fallait
A la fin s'accorder à ce qu'Amour voulait.
Ni le respect d'autrui, ni notre âme elle-même
Ne se peut empêcher de suivre ce qu'elle aime.

La Mère
Assure-toi d'avoir désormais le plaisir
De me voir indulgente à son jeune désir.

Scène 3
THISBE, seule

Déesse de la Nuit, Lune, mère de l'ombre,
Me voyant arriver sous ce feuillage sombre,
Tiens-toi dans ton silence et ne t'offense pas
De l'Amour effronté qui guide ici mes pas ;
Ne me regarde point pour envier mon aise.
C'est assez qu'ici-bas Endymion te baise,
Et sans me quereller d'aucun jaloux soupçon,
Demeure toute seule avecque ton garçon,
Et crois qu'en ce dessein que mon amour hasarde
Je n'ai d'intention pour rien qui te regarde.
Celui qui maintenant me fait ici venir
N'a que trop dans ses yeux de quoi m'entretenir.
Et toi, sacré ruisseau, dont le plaisant rivage
Semble plus accostable en ce qu'il est sauvage,
Redouble à ma faveur le doux bruit de ton cours,
Tant que tous les Sylvains en puissent être sourds
Et que la vaine Echo de ton bruit assourdie
Mes amoureux propos à ces bois ne redie.
Mais non, va doucement de peur de réveiller
Les Nymphes de tes eaux, laisse-les sommeiller ;
L'onde ne leur met pas tant de froideur dans l'âme
Qu'elle ne s'embrasât en regardant Pyrame.
Mais quoi ? ce paresseux est encore à venir ;
Je ne sais quel sujet le peut tant retenir ;
Il a bien de l'amour, mais il n'est pas possible
Qu'il le ressentes au point où je me vois sensible.
Je ne le dis qu'à vous, ruisseaux, antres, forêts,
A qui même Diane a commis ses secrets.
A ma faveur, Echo, commande à cette roche
De lui toucher un mot d'un amoureux reproche.
Mais n'ois-je pas de loin, ce semble, un peu de bruit ?
J'entrevois la clarté comme d'un oeil qui luit.
Hélas ! qu'ai-je aperçu ! Dieux ! l'effroyable bête !
Un lion affamé qui cherche ici sa quête.
Fuis, Thisbé, les horreurs d'un si mauvais destin.
Dieux ! que Pyrame au moins n'en soit pas le butin !

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