Une datation controversée
La plupart des érudits s'accordent à dater globalement le vase de Portland dans l'intervalle de 50 avant JC à la fin du Ier siècle apr.JC.
- La limite supérieure de 50 avant JC est fixée par le fait que la technique du verre soufflé apparaît en Orient à ce moment-là ; d'autre part, nous ne connaissons aucun vase-camée antérieur au Ier siècle av.JC
- La limite inférieure vient de ce que cinq des plus importants objets en verre-camée qui soient parvenus jusqu'à nous viennent de Pompéi, et sont donc antérieurs à 79 apr.JC
Une datation plus fine ne peut reposer que sur des critères stylistiques, et donc sur des comparaisons avec d'autres oeuvres que l'on puisse dater. Dans un article de 1990, les professeurs Kenneth Painter et David Whitehouse ont proposé la décade 30-20 avant JC ; voici leurs arguments :
- Si l'on compare les figures du vase à celles de
la
Gemma Augustea, sculptée dans les
dernières années du règne d'Auguste
(vers 10 apr.JC), on constate que le vase ne
présente pas les complexes superpositions de figures
de la gemme et doit donc lui être
antérieur.
- Si l'on compare à présent les figures du
vase à celles de l'Ara
Pacis Augustae (9 avant JC), et en particulier
au bas-relief de Tellus, on constate une grande similitude
de coiffures entre Tellus et les deux figures
féminines de la face
B.
© Agnès Vinas
- De plus, sur le vase de Portland, les figures bien
dessinées et sculpturales et l'importance
bi-dimensionnelle de la scène au détriment
d'un décor assez estompé, évoquent le
Deuxième style de Pompéi,
représenté en peinture par la Villa des
Mystères, ou la transition entre Deuxième et
Troisième style, visible dans les peintures de la
villa Farnésine à Rome (vers 19 avant
JC).
- Enfin, et surtout, une cornaline figurant dans les
collections des ducs de Devonshire et signée par
Dioscoride évoque de manière troublante, par
la coiffure, la musculature et l'allure
générale du corps, la figure du jeune homme
à gauche de la face
A.
Diomède et le Palladium, cornaline de Dioscoride
Gravure publiée en 1804© Agnès Vinas
Si le tailleur du vase de Portland est effectivement
Dioscoride, qui a longuement travaillé pour la gens
Julia et pour Auguste, il est probable que le vase date
des années 20 avant JC.
Pourtant, en 2003 le professeur américain Jérôme Eisenberg a tenté de prouver dans un article de Minerva (14.5) que, si le verre était bien d'origine romaine, la gravure de la frise du vase datait en fait du XVIe siècle. Il a donc supposé qu'il pouvait s'agir d'un objet romain inachevé ou endommagé, qu'un artiste de la Renaissance aurait repris et retravaillé. Voici quelques-uns de ses arguments :
- L'origine de ce vase est bien obscure, et à
l'heure actuelle, personne ne connaît le lieu exact
ni la date de sa découverte.
- Les scènes représentées ne
présentent aucune symbolique clairement
établie dans la mythologie gréco-romaine : la
multiplicité des interprétations
proposées depuis la Renaissance prouve bien la
difficulté de s'accorder sur un motif iconographique
aisément reconnaissable. On peut l'expliquer si on
envisage qu'un graveur de gemmes talentueux aurait pu,
à la Renaissance, emprunter ses figures à
diverses sources, sans se soucier de donner à leur
groupe une quelconque cohérence narrative ou
thématique.
- Le style de ces scènes s'apparente bien plus,
selon Eisenberg, à celui de la Renaissance
qu'à celui de l'antiquité.
- Il rappelle à Eisenberg le sarcophage de marbre de Mars et Rhéa Silvia trouvé dans la villa Mattei à Rome et bien connu depuis le XVe siècle.
- Eisenberg affirme aussi que, malgré ses
ailes, aucun Eros antique n'est
représenté volant dans les airs, alors
que c'est le cas à la Renaissance, en
particulier sur une fresque de la villa
Farnésine peinte par Raphaël :
© Agnès Vinas
Raphaël - La nymphe Galatée (détail) - (1512-1514) - Villa Farnesine
- De manière plus diffuse, Eisenberg décèle l'influence de Raphaël, Titien et Rubens dans les figures féminines du vase de Portland.
Cette hypothèse a évidemment suscité des réactions plus ou moins vives dans la communauté scientifique. Les chimistes du Bristish Museum ont clairement prouvé, par des analyses de la composition des deux couches, et en particulier de la couche blanche, que le verre était indubitablement d'époque romaine, ce qui rend bien fragile l'hypothèse d'une gravure à la Renaissance. Susan Walker a par ailleurs objecté que la technique du verre-camée n'avait été comprise que récemment (cf les recherches de Pargeter et Northwood), ce qui interdisait d'envisager une fabrication à la Renaissance. Elle a aussi répondu à l'argument de l'incohérence des motifs iconographiques par une nouvelle hypothèse qui a le mérite de proposer cette fois une lecture parfaitement admissible.