(Saturoi, Silênoi)

I. Origines et caractères du type

Les Satyres sont des personnalités mythologiques qui furent associées, de bonne heure, au thiase de Dionysos. L'étymologie du mot Satyrus nous est inconnue. Les tentatives des grammairiens pour expliquer ce vocable, qui n'est probablement pas d'origine hellénique, n'ont donné aucun résultat satisfaisant. On a proposé d'identifier les Satyres avec les Satrae de Thrace, dévots de Dionysos mentionnés par Hérodote ; mais il faut écarter cette hypothèse évhémériste qui se fonde sur une confusion initiale des Satyres avec les Silènes. D'autres croient plus juste de rapprocher Satyrus du latin Satura. L'idée de plénitude et d'abondance caractériserait bien des démons protecteurs de la richesse agricole. Mais, dès leur apparition dans la religion et dans l'art, c'est leur caractère agreste et libre qui domine. Hésiode y voit une race fainéante et tournée au mal : ils sont à la fois pétulants et poltrons. Euripide les appelle thêres ; leur nom dorien de tituroi est synonyme de boucs. On pourra donc faire rentrer les Satyres dans la grande famille des génies thériomorphes, décrite par Mannhardt. Pour tous les peuples indo-germaniques, les énergies naturelles des eaux, des vents, des forêts et des montagnes apparurent sous la forme de génies-animaux, dont la mythologie préhellénique, crétoise et mycénienne, nous offre aujourd'hui tant d'exemples. Ces croyances, légèrement modifiées à la vérité, survivent chez les montagnards de la Macédoine.

Le Péloponèse et, en particulier, l'Arcadie paraissent être la patrie d'origine des Satyres. Les cantons pastoraux de l'Arcadie ont très anciennement adoré Pan, le divin chèvre-pieds. On lui emprunta ses cornes, sa queue et ses ongles fourchus, pour les donner à la troupe des Satyres, êtres mutins et lascifs qui ont toujours conservé quelque chose de la nature caprine. Nous reconnaissons encore ces démons péloponésiens sur une série de vases à figures rouges du Ve siècle, qui les représentent. avec des cornes de bouc, des sabots et une queue de chèvre.

Les Silènes, originaires de la Thrace et de la Phrygie sont aussi des génies-animaux. Mais les Satyres, esprits des solitudes rocheuses, tenaient de la chèvre leurs principaux traits ; les Silènes sont des démons chevalins, étroitement apparentés aux Centaures. Ils ont les oreilles velues, la queue fournie, et le sabot des solipèdes. Satyres et Silènes sont traités de thêres mais les auteurs dénomment les Silènes «chevaux», ippoi, tout comme ils appellent «boucs» les Satyres (tragoi).

Esprits des sources et des landes marécageuses, les Silènes sont les parèdres masculins des Nymphes [Maenades] auxquelles ils s'unissent «dans la fraîcheur des cavernes», dit l'hymne homérique.

C'est à Athènes que les démons-boucs du Péloponèse (les Satyres) furent assimilés aux démons-chevaux de l'Anatolie (les Silènes), et cette confusion voulue eut une portée panhellénique. Nous verrons plus bas que les artistes attiques donnèrent aux Satyres introduits dans la tragédie le type exact des Silènes avec leurs oreilles et leurs queues de cheval. Pour les écrivains aussi, Satyres et Silènes devinrent synonymes. L'usage courant de la langue ne distingua plus des êtres que l'art avait étroitement mêlés. Le plus célèbre de la troupe, Marsyas, est appelé tantôt Satyre et tantôt Silène, et l'on dit quelquefois drame silénique au lieu de drame satyrique, pour cette forme particulière du drame consacré à l'essaim pétulant des Satyres. L'essai de démarcation tenté par Pausanias est un témoignage de la confusion générale des deux conceptions mythologiques.

Si l'on confond communément Satyres et Silènes, il arrive aussi qu'on les distingue. A côté des innombrables Silènes, on fait une place spéciale au vieux Silène, le père nourricier de Dionysos. Une légende d'Argos raconte le combat d'un Satyre arcadien, sorte de monstre analogue à Nessus, contre Héraclès. Une fois le précepteur de Dionysos devenu un vieillard, on rajeunit d'autant les Satyres qui passent pour ses enfants dans le Cyclope d'Euripide. C'était dans la tragédie que s'était faite la confusion des Silènes et des Satyres. C'est aussi au drame satyrique athénien et à des convenances scéniques que M. Robert fait remonter le personnage mythologique du vieux Silène. Pour introduire Silène au nombre des acteurs, on l'aurait chargé d'années en l'opposant ainsi aux jeunes Satyres-Silènes.

Quoi qu'il en soit, il se créa une légende du vieux Silène (gerôn, pappos). Fils d'une Nymphe et de Pan, il est élevé à Nysa, dont il devient roi. Les Nymplies lui confient l'éducation du jeune Dionysos qui avait échappé à leur surveillance. Il accompagne son élève en Attique et, laissant le dieu visiter les bourgs favorisés de Sémachidai et d'Icaria, il va goûter sur l'Acropole l'hospitalité de Pandion. La sagesse de Silène est proverbiale : il a le don prophétique et on lui arrache ses oracles par ruse, car l'ébriété est la condition essentielle de ces révélations. L'imbécile Midas capture Silène dans son jardin de roses du Bermios, l'enivre et apprend de lui la vanité de l'existence humaine.

Le vieux Silène fatidique, ainsi que les Satyres-Silènes des choeurs tragiques, sont déjà étroitement associés à Dionysos. Mais, à l'origine, ceux-ci étaient tout à fait indépendants du dieu. Silène lui-même a comme prototypes, certains démons archaïques, bienfaisants et nourriciers, qui n'ont rien de commun avec le dieu du vin.

L'alliance des Satyres-Silènes avec Dionysos n'est donc point primitive. Elle s'explique par l'irrésistible attrait de la religion dionysiaque, qui adopta peu à peu les génies secondaires des eaux, des forêts et des sources. Selon les vues intéressantes de Wilamovitz, les Satyres reprirent pour Dionysos les danses rituelles qu'ils avaient exécutées autrefois pour Cybèle. Les cérémonies de ce culte extatique produisaient chez les fidèles des crises d'enthousiasme : ils se croyaient possédés par la divinité et métamorphosés en animaux sacrés, boucs ou chevaux (Satyres ou Silènes).

Quand les premières ferveurs du culte nouveau se furent attiédies, les Satyres-Silènes continuèrent leurs danses aux représentations symboliques de la mort de Dionysos ; mais ils n'étaient plus transfigurés par l'extase ; on ne voyait plus en eux que des hommes travestis. C'est de ces danses des Satyres-Silènes que sont nés le dithyranibe, la tragédie et le drame satyrique des Athéniens [Chorus, Dithyrambus, Cyclicus chorus, Satyricum drama]. La comédie dorienne tire son origine des ébats plus débridés d'une autre catégorie de démons, analogues aux phlyakes de la Grande-Grèce. Ainsi, les Satyres-Silènes, libres habitants des forêts, à l'origine, sont définitivement enrôlés à Athènes dans le thiase bachique. Jusqu'à la fin de l'antiquité, ils demeureront attachés au dieu, dont ils constituent les servants attitrés, la maison et la suite.

Nous n'entrerons pas dans le détail des mythes secondaires où les Satyres jouent un rôle. La légende en fait les fils d'Hermès et de la Nymphe Iphthimé ; elle les associe aux Curètes de Crète, auprès de Zeus, et plus tard leur attribue comme patrie des terres lointaines, les Iles des Satyres, où les navigateurs les entrevoient. Certains savants modernes ont ajouté foi à ces fables et en ont donné des explications rationalistes ; les explorateurs anciens auraient pris pour des Satyres les gorilles de la côte africaine ou les sauvages de l'Inde.

Il sera bon de compléter par les monuments figurés le témoignage des écrivains : la prodigieuse richesse de l'imagerie nous fait comprendre beaucoup de conceptions que les textes littéraires passent sous silence ou laissent seulement entrevoir. Le diable des chrétiens garde, d'ailleurs, plus d'un trait du satyre antique, auxquels les artistes de la Renaissance et des temps modernes restèrent souvent fidèles par humanisme.

II. Représentation dans l'art

Nous avons distingué plus haut les démons-chevaux anatoliens (Silènes) et les démons-boucs péloponésiens (Satyres). Ce sont les Silènes que nous rencontrons les premiers dans les monuments. Ils ont un visage large, complètement entouré par la barbe et les cheveux, un nez camus, une queue et des oreilles de cheval ; des sabots non fendus indiquent clairement leur nature bestiale. On appelle généralement ionien cet ancien type du Silène parce que l'origine en est bien établie par des monuments ioniens : monnaies de la Grèce du Nord, vases de Rhodes et de Tanis, sarcophages de Clazomène.



  1. Période archaïque

    Le Silène ionien à sabot de cheval est très proche parent du Centaure, qui n'est autre chose qu'un Silène prolongé par une croupe chevaline. Certaines monnaies archaïques de la Thrace portent à l'avers une Nymphe enlevée, tantôt par un Silène, tantôt par un Centaure. Quand le sabot de cheval du Silène est remplacé par un pied humain, le Centaure adopte aussi le membre antérieur de l'homme. Mais généralement, le progrès de l'art archaïque fait ressortir la nature animale du Centaure tandis que le Silène s'humanise. Ce sont là deux solutions différentes d'un même problème artistique : la fusion harmonieuse des formes de l'homme et du cheval, qui avaient été plutôt juxtaposées que liées par les premiers imagiers. On observe la même évolution dans les types du sphinx, de la sirène, etc., êtres tout à fait hybrides à l'origine, mais auxquels les artistes surent, peu à peu, donner des formes plastiques. Les Silènes du Vase François ont non seulement des sabots, mais aussi des hanches de cheval ; cette innovation de Clitias n'a pas eu de succès.

    A côté du Silène à sabot de cheval, il faut mentionner un autre type complètement velu que l'on considère, à bon droit, comme l'ancêtre du Papposilène du drame attique ; chez ce dernier, les parties pileuses sont remplacées par un maillot spécial, le chortaios chitôn, sorte de chiton où l'on collait du foin.

    Une célèbre coupe ionienne de Wurzbourg, d'autres vases, un casque de bronze chalcido-ionien nous offrent, de bons exemples de Silènes hirsutes, au corps complètement piqueté de points. L'art archaïque attique ne les connaît pas. Sans doute, les artistes chalcido-ioniens auront voulu caractériser, par cette villosité excessive, la sauvagerie des Silènes, en les dépeignant comme de vrais habitants des forêts. On petit supposer aussi un parti-pris décoratif de peintres ou de graveurs. Comme les Silènes sont souvent placés deux à deux, les corps velus, tachetés ou piquetés se détachent en vigueur sur les surfaces lisses de leurs voisins.

    Nous avons dit que, chez les Silènes, des jambes humaines se substituent aux sabots de cheval. L'art archaïque attique, sauf sur le Vase François, donne aux Silènes la tournure d'hommes affublés d'une queue et d'oreilles de cheval. Ils ont une chevelure en désordre, une longue barbe pointue, le nez camus et l'air bestial. Ces traits, rendus familiers par les monuments attiques, sculptures, gemmes et vases à figures noires, doivent sans doute une grande partie de leur popularité aux fêtes bachiques. Aux grandes Dionysies, des processions bruyantes d'hommes costumés en Silènes parcouraient les rues d'Athènes. Nous avons quelque chose de ces mascarades dans les tableaux figurés sur les vases.

    Le type ionien courant se modifie sensiblement, dès l'origine, dans les terres cuites. Un masque du Musée Britannique donne au Silène un front chauve sillonné de rides, et le facies des négroïdes. A l'époque archaïque, le Satyre, c'est le suivant de Dionysos, gros, ventru, danseur jovial, que l'on voit figurer surtout sur les vases de Corinthe, de Cyrène et de Samos, véritable ancêtre des histrions de la comédie attique et du Silène ventripotent adopté par rage classique.

  2. Période classique

    Le type du Silène archaïque s'adoucit au Ve siècle dans les vases à figures rouges où foisonnent les sujets bachiques. Dans ces scènes [Maenades], les Silènes, très nombreux, sont en général chauves ; leur barbe encore fournie n'a plus la forme triangulaire d'autrefois : elle est traitée indépendamment de la chevelure. D'ailleurs, la calvitie ne sévit pas chez tous ; plusieurs gardent les cheveux relevés sur le front. Leur visage laid et expressif, n'a plus un caractère aussi bestial ; il revêt même parfois une certaine noblesse. La statuaire a fixé dans un chef-d'oeuvre le type du Silène barbu : le Marsyas de Myron tombé en arrèt, paralysé d'étonnement devant les flûtes d'Athéna, offre des formes élancées et nerveuses, qui se dessinent déjà dans les Silènes du Vase François. Le Silène barbu, aux cheveux redressés sur le front, restera en faveur jusqu'à l'époque hellénistique et romaine. C'est le plus fréquent et le plus familier. Héritier direct de l'art archaïque, il se maintient sans grand changement jusqu'à la fin de l'antiquité. Toutefois, M. Furtwängler a établi que de ce type du Satyre-Silène barbu se détachent, par une évolution facile à suivre, deux nouveaux types appelés également à jouir d'une grande vogue : le Satyre juvénile, imberbe, et le vieux Silène ventripotent. Créés tous deux au IVe siècle, ils n'ôtent rien de sa vigueur au type fondamental du Satyre-Silène barbu.

    C'est à l'image du Pan juvénile que Praxitèle fit ses statues si vantées de Satyres qui, si l'on ajoute créance à un passage malheureusement suspect de Pausanias, ornaient à Athènes la rue des Trépieds. Il y avait alors dans l'art une tendance à rajeunir les divinités masculines : Hermès, Dionysos, Pan, et les Satyres sont entraînés dans ce courant général. C'est à un original de Praxitèle que l'on rattache les nombreuses figures de Satyres accoudés en une pose alanguie, dits Satyres au repos. La belle statue de Satyre échanson de l'Albertinum de Dresde est peut-être une réplique du Satyre periboetos du même sculpteur, connu par une anecdote célèbre de Pline. Dès lors, le type du Satyre au repos juvénile est bien établi ; il est imberbe et porte les cheveux relevés sur le front ; ses oreilles pointues et quelquefois des protubérances peu accentuées sur le front, tenant lieu de cornes, sont les seules survivances de la nature animale, plus clairement exprimée aussi dans certains cas par des cornes, des glandes caprines (guttae) et une queue de chèvre.



    C'est au IVe siècle que se précise le type attique du vieux Silène, personnage au masque socratique, à la fois laid et jovial, à face chauve, aux oreilles de porc, aux membres gras, au ventre replet. Les statuettes de terre cuite montrent bien les rapports étroits de ce nouveau type avec l'ancien Papposilène archaïque. D'abord exclusivement théâtral, le Silène est devenu une figure populaire, comme père nourricier de Dionysos (voir plus haut). Un groupe du Musée d'Athènes éclaire l'origine scénique de cette création, en mettant dans la main de Dionysos un masque tragique. Dans le vase de Pronomos, qui est du début du IVe siècle, Silène, placé parmi les acteurs d'un drame, ne diffère des autres Satyres-Silènes que par son chiton de paille et son masque à barbe blanche. Un autre vase du IVe siècle ne distingue Silène des autres Satyres-Silènes barbus que par l'absence de la queue.



    L'époque hellénistique a usé avec abondance de tous les types créés par les âges précédents, mais en diversifiant à l'infini les motifs. La campagne triomphale d'Alexandre aux Indes fut transposée en voyage de Dionysos en Orient, et la merveilleuse procession de Ptolémée Philadelphe, décrite avec tant de précision par Callisthènes, déroula dans les rues d'Alexandrie le cortège imposant du dieu accompagné des Ménades et des Satyres ; ces derniers avaient des vêtements rouges ou bien le corps enduit de vermillon ; ils portaient sur la tête des couronnes de lierre ; on voyait aussi de vieux Silènes vêtus de pourpre et chaussés de brodequins blancs. Si beaucoup de monuments conservent le souvenir de cette glorieuse apothéose, il en est aussi du genre plus familier et comme idyllique, mis à la mode par les poètes alexandrins. Un bas-relief du Louvre, représentant un chasseur Satyre jouant avec un chien, est pénétré de cet esprit bucolique.



    A Pergame, se révèlent des tendances très marquées au naturalisme : les Satyres deviennent de jeunes rustres chez qui l'on exagère la vulgarité campagnarde. Plus rien de la rêverie des Satyres de Praxitèle. Tels la statuette du Musée de Berlin représentant un Satyre effrayé, le Satyre au scabellum de la Tribune de Florence ou le prétendu Faune Barberini de la Glyptothèque de Munich, vautré dans une attitude qui manque totalement de bienséance. Ce même goût réaliste des artistes fixés à la cour des Attalides se retrouve dans les figures de Satyres de la frise de l'autel de Zeus, dans une tête de Satyre en or récemment découverte et dans le groupe de deux Satyres combattant contre un Géant, au palais des Conservateurs.

    Beaucoup d'oeuvres charmantes de cette époque ne peuvent être rattachées avec certitude à une école déterminée. Elles forment le trait d'union entre les oeuvres du ive siècle et les peintures de Pompéi, où l'on ne trouve presque plus que des Satyres juvéniles et de vieux Silènes. Parmi les plus célèbres, citons le Satyre dansant de la villa Borghèse et le bronze du Musée de Naples. Au IIe siècle, ce type disparaît presque complètement et fait place aux Satyres juvéniles qui accaparent la faveur des artistes ; on donne plus de souplesse aux motifs de Satyres accoudés ; on croise leurs jambes et l'on glisse une flûte entre leurs doigts ; on a une prédilection marquée pour les Satyres dansant les jambes croisées, ou qui se hissent sur la pointe des pieds, les mains tendues vers une grappe de raisins dans un geste de maraudeur. Une des inventions les plus amusantes est celle du jeune Satyre virant sur les hanches pour voir sa petite queue. La plupart de ces figures prêtent aux Satyres une grande jeunesse, une expression enfantine et naïve, et l'on voit souvent des images de Satyres enfants ou Satyrisques, ainsi que des Satyres féminins analogues aux Panines et aux Centauresses. C'est l'effet de cette même mode poétique qui, dans les peintures de Pompéi, multiplie les figures de Psyché aux côtés d'Eros.

    Les représentations de Silène sont aussi extrêmement fréquentes ; on les emploie volontiers comme figures de fontaines, comme supports dans l'architecture et le mobilier, etc. Platon parle de coffres-forts en forme de Silène, qui servaient à serrer des statuettes de prix. La tête seule est constamment mise à réquisition pour des mascarons, des vases, des hermès, des réchauds, etc. A Rome, la vogue de ce motif décoratif est plus grande que partout ailleurs ; Satyres et Silènes abondent sur les sarcophages, les mosaïques, les lampes, les candélabres (à droite), les boucliers ou disques d'ornement, les cachets, les monnaies etc.



Nous n'avons étudié jusqu'ici que les variations du type des Satyres-Silènes. Il nous reste à examiner leurs rapports avec les autres dieux, et les compositions où ils se mêlent à d'autres personnages.

  1. Satyres-Silènes et Silène dans le thiase bachique

    Un très grand nombre de représentations ont été énumérées dans les articles Bacchus et Maenades, auxquels on devra se référer. On peut, toutefois, en classer de nouvelles sous les chefs suivants.

    Dans l'éducation de Dionysos, c'est surtout Silène, le père nourricier et le précepteur du jeune dieu, qui est figuré ; Heydemann a classé les monuments où on le voit : mais les Satyres assistent aussi parfois à la naissance et aux jeux enfantins du dieu, ou ils balancent le van qui lui sert de berceau.

    Rien de plus fréquent que les Satyres accompagnant Dionysos. Ils l'aident à s'équiper pour aller combattre les géants, et eux-mêmes n'hésitent pas à se lancer dans la bataille. Ils luttent avec lui contre les pirates Tyrrhéniens. Ils figurent dans les scènes d'omophagie ; dans le mariage de Dionysos et d'Ariane, la fête nuptiale affecte souvent la forme d'une pompe grandiose où les Satyres ont leur part.

    Très souvent le cortège revient des Indes, avec des panthères et des éléphants.

    Les ânes de Silène constituent aussi l'attelage du dieu ; mais ils sont parfois remplacés par des Satyres et des Ménades dociles. Nombreux sont les Satyres soutenant Dionysos. Un passage de Pline 17 nous fait connaître un groupe de Praxitèle représentant Dionysos légèrement pris de vin et s'appuyant sur une figure de l'Ivresse et sur un Satyre ; on peut se faire une idée de ce groupe par une fresque de l'ancienne collection Barone. Dans un groupe de Thymilos, de la rue des Trépieds, un Satyre tendait une coupe au dieu que soutenait Eros. Quelquefois, Eros est remplacé par Pan ; mais le Satyre reste un élément fixe de la composition ; si le dieu n'a besoin que d'une seule de ses béquilles vivantes, on voit l'autre personnage le charmer d'un pas de danse ou du jeu de la syrinx ; tantôt c'est le Satyre qui sert d'appui et Pan qui joue, tantôt c'est le Satyre qui danse et Pan qui prend la relève. D'autres monuments n'offrent plus que le seul groupe de Dionysos et du Satyre. Les groupes de marbre représentant Dionysos soutenu par un Papposilène ont été dénommés abusivement «Socrate et Alcibiade» par les anciens antiquaires.

    La présence de Dionysos n'est pas toujours nécessaire pour constituer le thiase bachique. Les jeux des Satyres-Silènes et de leurs compagnons ont été largement exploités par l'art de toutes les époques. Beaucoup de monuments ont été déjà mentionnés dans un autre article [Maenades], et le sujet relève, à proprement parler, d'un sujet à traiter ailleurs [Thiasus]. Le commerce des Satyres-Silènes avec les Ménades est tantôt enjoué et paisible, parfois plus agité, mais encore pacifique : les Satyres-Silènes accompagnent sur leurs instruments les danses des Ménades, ou se lancent avec elles dans des entrechats d'une verve tout à fait débridée.

    Ils procèdent ensemble aux travaux de la vendange et c'est l'occasion de toutes sortes de jeux et de poursuites, représentés dans toutes leurs phases, depuis la surprise des Nymphes jusqu'au succès final ; les Satyres-Silènes embrassent leurs compagnes, les enlacent, les saisissent pour les porter sur leurs épaules ou leur tête ; ils les prennent en croupe dans leurs chevauchées ; le plus souvent vainqueurs, quelquefois ils sont repoussés à coups de thyrse. Sur les peintures de Pompéi, on voit de nombreux groupes de Ménades et de Satyres planant dans les airs et purement décoratifs.

    Dans le thiase, les Satyres sont souvent groupés avec Pan. Un groupe du Vatican montre Pan tirant une épine du pied à un Satyre.

    D'autres motifs interviennent également, banquets ou bachanales, pour lesquels nous renvoyons à un autre article [Thiasos]. Les Satyres-Silènes sont très souvent associés à Ampélos ou au vieux Silène, qu'ils soutiennent dans son ivresse, poursuivent de leurs espiègleries, non sans en être souvent châtiés.

  2. Satyres avec les dieux

    Les Satyres-Silènes sont parfois groupés avec d'autres divinités ; avec Hermès, avec Héphaistos, dont ils accompagnent le retour triomphal dans l'Olympe. Des têtes de Satyres-Silènes barbus sont la décoration ordinaire des supports de réchauds en terre cuite.

    Plusieurs savants justifient le choix de ce motif par des rapports entre le dieu du feu et les Satyres-Silènes. Il vaut mieux invoquer la vertu prophylactique que l'on attribuait aux Silènes, comme à Pan : ils inspirent aussi la terreur «panique» et sont employés comme amulettes. Ce ne sont point des mascarons de Cyclopes comme on l'a prétendu.

    C'est à Héraclès, après Dionysos, que les Satyres-Silènes sont le plus souvent associés ; ils l'accompagnent dans ses travaux, le secondent dans ses actes de dévotion, lui font un cortège triomphal : c'est au milieu de leur turbulent essaim qu'Héraclès goûte les joies du repos. Héraclès, le héros bouffon par excellence, est le personnage principal de nombreux drames satyriques [Satyricum drama]. Dans maintes peintures de vases, où Silène et Héraclès sont réunis, les Silènes sont de mauvais génies poursuivant le héros de leurs espiègleries ; ils lui volent ses armes pendant son sommeil, ou tandis qu'il supporte le poids du ciel, à la place d'Atlas. Sur un bas-relief hellénistique, un Satyrisque, juché sur une échelle, boit dans la coupe du héros assoupi. Quelquefois, le héros a un terrible réveil et fait fuir devant lui la troupe effrontée, qui s'amusait à le faire berner par des hétaïres, à parodier ses grands travaux, à le charger de liens.

  3. Satyres dans le drame satyrique

    Il est certain que le drame satyrique [Chorus, Satyricum drama], en général, a eu une grande influence sur les peintures de vases. «Comment ne pas songer, dit M. Pottier, à Pratinas et au grand suçcès de ses Silènes bouffons en présence d'Hercule couché au milieu des Silènes et des Ménades dansant, ou de l'épisode d'Héra et d'Iris assaillies par la troupe pétulante des Satyres ?»

    Le choeur rustique des Satyres, dans son décor idyllique de campagne et de bois, est associé à des épisodes mythologiques ; les héros et les dieux se mêlent à lui, se dérident à son contact, se mettent à l'unisson de sa verve bouffonne. Nous avons sans doute le souvenir du Sphinx, drame satyrique d'Eschyle, dans une peinture de vase, où Papposilène est debout devant le sphinx perché sur un rocher. Sur un cratère de Florence sont figurés deux Silènes détruisant à coups de pic le rocher maudit. Le supplice de Lamia, le châtiment infligé par Dionysos à des Satyres, la parodie grotesque des exploits de Thésée, de Jason en Colchide, les aventures d'Héra et d'Iris sont autant de scènes inspirées aux potiers par le drame satyrique.

    Enfin, les nombreuses représentations du Papposilène avec son maillot hérissé de paille, sa perruque blanche souvent en désordre, montrent aussi la popularité dont a joui le costume théâtral du Silène adulte. Un cratère célèbre du Musée de Naples nous offre Silène et les acteurs d'un drame mêlés au choeur des jeunes Satyres.

  4. Satyres-Silènes avec d'autres personnalités mythologiques

    Les Satyres se rencontrent avec des divinités moins ordinairement rattachées au thiase : avec Apollon, avec Coré, dont ils contemplent l'anodos, avec Poseidon, avec Eros ; ils luttent dans les Gigantomachies ; un groupe du palais des Conservateurs les met aux prises avec un Géant.

    Leur présence ne s'explique guère dans certaines scènes, comme la décollation de la Méduse par Persée, l'enlèvement d'Amymone ou le supplice d'Actéon. Orphée aussi est représenté entouré de Satyres. Ailleurs, les Satyres-Silènes assistent avec surprise au lever d'Hélios. D'autres vases nous offrent Silène conduit prisonnier devant le roi Midas. Dans un de ses tableautins, le peintre athénien Timanthe (fin du Ve siècle) avait montré des Satyres nains occupés à mesurer de leur thyrse le pouce du Cyclope endormi.

    Nous avons touché plus haut la question des rapports des Satyres-Silènes avec les Centaures. A l'époque hellénistique aussi, les Centaures ont un type tout à fait satyresque. Les groupes de Satyres et d'hermaphrodite remontent à cette même époque et sont d'une inspiration sensuelle.

  5. Jeux et occupations des Satyres-silènes

    Nous venons de voir le rôle que jouent les Satyres-Silènes dans le thiase bachique. Livrés à eux-mêmes, ils montrent une très grande fertilité d'invention dans leurs jeux et leurs occupations. Tout naturellement, la vendange et la préparation du vin constituent une de leurs fonctions principales ; ils cueillent les grappes, juchés dans les treilles comme des singes ; ils entassent le raisin ou le foulent dans des cuves, et l'écrasent sous le pressoir. Le vin est leur constant mobile, et l'ivresse, la source de leur verve intarissable.



    Les ébats des Satyres ivres sont un des sujets favoris des peintres de vases attiques ; le psycter de Douris offre une scène tout à fait surprenante, où les Silènes déploient d'étranges qualités d'équilibristes. Une fresque de Pompéi offre tout un répertoire de Satyres funambules saisis dans les moments les plus variés.

    Ailleurs, sur des vases, on voit les Satyres jongler avec des coupes, des outres, ou des jarres ou même des torches, faire des libations, verser du vin dans un vase ou le puiser dans un cratère. Si l'outre est le récipient favori des Satyres et surtout de Silène, ils usent également et très volontiers de l'amphore, du cratère, du canthare, du cotyle, du rhyton, de la situle, etc. Un vase de Naples et un cratère d'Athènes nous montrent, détail inattendu, des Satyres puisant de l'eau à la fontaine : c'est que les artistes aiment à montrer les Satyres sous tous les aspects variés de la vie humaine ; l'intention bouffonne perce dans beaucoup de ces tableaux. Il y a, parmi les Satyres, des athlètes et des guerriers qui goûtent les servitudes et les grandeurs du métier militaire. Tel exerce aussi la profession de pêcheur, ou de portefaix, tel autre est un potier tisonnant un four ; on voit des Silènes mercenaires, astreints aux travaux domestiques, lavant du linge, entassant des matelas, portant des chaises, ou tenant l'ombrelle d'une jeune maîtresse. En qualité de suivants de Bacchus, les Satyres-Silènes aiment fort la danse et la musique : flûtes, lyre, cithare, tambourin, croupézion, crotales : aucun instrument ne leur est étranger.

    Mais ce sont leurs jeux qu'on figure le plus fréquemment : ils balancent l'escarpolette, ou se balancent eux-mêmes, jouent au cheval fondu, lancent la paume, grimpent sur des arbres ou des tables, sautent du haut de stèles, marchent sur des outres, ou bien, récréation moins innocente, font la maraude dans les vergers.



    Parmi les motifs rares, signalons un Satyre contrefaisant un invalide qui s'appuie sur une jambe de bois ; un Satyre affligé d'une gibbosité ; un Papposilène aveugle, des Silènes dressant un tronc d'arbre pour y suspendre un trophée, destiné sans doute à perpétuer le souvenir des victoires de Dionysos, des Silènes assis sur une grève marine. Les représentations de Silènes ou Satyres ailés peuvent être citées aussi comme exceptions ; elles sont sans doute à rapprocher du Dionysos ailé et des génies bachiques ailés, symbolisant l'ivresse légère.

    Quelquefois, les Satyres ou Silènes sont associés aux phallophories et à la célébration de mystères bachiques, à des scènes d'initiation, etc. Ils célèbrent des sacrifices sur les autels sacrés, et apportent des gâteaux aux Hermès, ou les décorent ; ils ne sont pas exclus des représentations de la vie d'outre-tombe, mais ils portent des eidola, séjournent dans les Champs-Elysées ou hantent les cimetières.

    Malgré leur caractère pétulant, les Satyres-Silènes sont souvent figurés dans des poses calmes : debout, à califourchon sur des outres, étendus, souvent endormis, assis, agenouillés, accroupis, ou tombés à terre ; mais on les voit aussi marcher à quatre pattes, courir, s'enfuir ; leurs danses et gambades sont le motif le plus fréquent. D'autres sujets sont plus rares: le Satyre aposkopeuon regarde au loin en protégeant ses yeux, d'autres Satyres élèvent les bras dans le geste de la prière, tournent sur leurs talons pour voir leur queue, ou se font traîner en voiture par d'autres Silènes. Quant au gros Silène ventripotent, nous le trouvons souvent muni de son outre, debout, la jambe appuyée sur une hauteur, assis ou accroupi ; il est figuré buvant, ou bien étendu et dormant du lourd sommeil de l'ivresse. Parfois, cependant, les effets du vin commencent seulement à se faire sentir : Silène, qui ne peut guère se fier à ses jambes, chancelle, s'appuie sur un cippe, s'affaisse sur son âne favori, ou sur les jeunes Satyres, compagnons de ses débauches.

    Silène a sa place marquée dans le thiase bachique : il accompagne d'un pas mal assuré le retour triomphant de Dionysos et s'associe aux bacchanales. Il participe aux cérémonies mystiques.

  6. Satyres-Silènes avec des animaux

    Ce que nous avons dit de la nature animale des Satyres et des Silènes justifie les groupes fréquents de Satyres et de chèvres, de Silène avec un âne ou un porc, des biches ; on les voit encore avec des mules, des chevaux, des taureaux, des panthères, des lions, des lièvres, des oiseaux, des souris, des serpents, et, dans le thiase, avec des éléphants.

  7. Le costume des Satyres-Silènes et de Silène

    La nudité est la règle, surtout à l'époque archaïque ; signalons comme exceptionnel un bronze archaïque représentant un Satyre-Silène ceint de la mitra ; sur les vases et dans les peintures de Pompéi, nos démons sont volontiers munis d'une nébris, ou d'une pardalis, qui conviennent bien à des êtres rustiques. Le vêtement est jeté sur l'épaule comme une chlamyde, ou bien il barre transversalement la poitrine. On voit aussi des Satyres-Silènes drapés dans un manteau ou une chlamyde. Ils connaissent l'usage des chaussures et notamment des cothurnes. Silène, le plus souvent nu, porte aussi la peau de panthère ou l'himation ; dans le drame satyrique, il revêt le chiton de paille (chortaios chitôn), aux mailles serrées, qui lui est particulier. Comme membres du thiase bachique, Satyres et Silène sont couronnés de lierre ou de pin. Leurs attributs ordinaires sont la syrinx et le pedum, qu'ils partagent avec Pan. L'infibulation n'est pas négligée par les Satyres.

  8. Satyres féminins

    Les artistes donnèrent aux Satyres des parèdres féminines analogues aux Centauresses et aux Panines ; la liste de ces représentations a été dressée par Wieseler.

  9. Satyrisques

    La même mode multiplia les figures de Satyres enfants ou Satyrisques. Ils sont associés à Dionysos dans le thiase ; mais s'y retrouvent aussi sans lui ; Silène les prend dans ses bras ou sur ses épaules ; les Ménades leur donnent à boire ; ils se livrent aux jeux habituels des enfants, tels que le cerceau, portent des outres avec une gravité comique ou se reposent en s'adossant à un tronc d'arbre. Quelque-fois, Eros est assimilé à un Satyrisque.

  10. Satyres vieillards

    D'autres satyres jouissent d'une vraie longévité : les artistes leur donnent une barbe blanche et une tête chenue, parfois ils sont aveugles.

  11. Noms des Satyres-Silènes

    Les documents céramiques et les textes littéraires nous ont conservé les noms que les Grecs donnaient aux Satyres-Silènes. La liste qui en a été dressée peut être encore allongée. Il faut relever, vu leur importance, les noms de Marsyas et d'Olympos.

    Marsyas, en véritable Silène, a sa patrie d'origine en Asie Mineure ; un torrent qui vient confluer avec le Méandre près de Kelainai, porte son nom. La légende anatolienne faisait de Marsyas l'inventeur de la flûte, tout d'abord mise au service de Cybèle. Les exégètes montraient son tombeau à Pessinonte, sanctuaire par excellence du culte de Rhéa. Une autre localité de Phrygie, Kelainai, servit de théâtre à la célèbre joute musicale entre Marsyas et Apollon. Les arbitres sont le mont Tmolus, qui juge en faveur du dieu, et Midas, qui est affublé d'une paire d'oreilles d'ânes pour avoir donné à Marsyas son suffrage de roi barbare. Selon certains récits, les Muses, Cybèle ou Athéna, constituent aussi le tribunal. Toute la légende symbolise la victoire de la cithare sur la flûte phrygienne. La provocation est venue de Marsyas, enivré d'un sot orgueil. Les circonstances du concours et de l'expiation sont racontées diversement. Selon une version, Apollon aurait usé de subterfuge, en exigeant de Marsyas qu'il jouât comme lui un même air sur l'instrument, debout, puis renversé. Selon d'autres, le dieu dut sa victoire au chant dont il accompagna la musique des cordes. Après la défaite de Marsyas, Apollon l'attacha à un pin et l'écorcha de sa main ; selon une tradition plus répandue il abandonna cette basse besogne à un Scythe. On croyait à Athènes que la peau du Silène avait été suspendue dans une grotte de l'Acropole au-dessus de l'agora. Elien rapporte que la dépouille de Marsyas était agitée de soubresauts chaque fois que les vibrations de la flûte phrygienne ébranlaient l'air. Enfin, le fleuve Marsyas passait pour être issu ou du sang de la victime, ou des larmes répandues par les Nymphes et les Satyres sur leur chef d'orchestre.

    Les représentations du mythe d'Apollon et de Marsyas offrent souvent le combat, sans en bien déterminer le moment. Mais, sur plusieurs monuments, les phases de la lutte sont représentées. Sur un vase de Berlin et un cratère du Louvre, nous voyons le défi et les préparatifs du concours ; les célèbres dalles sculptées, retrouvées à Mantinée, montrent la lutte elle-même.

    Les Muses sont les juges ; Apollon, déjà vainqueur, est assis, les traits empreints d'une sévérité olympienne ; un esclave scythe personnifie la fin cruelle réservée au vaincu.

    Marsyas a la même attitude sur un beau sarcophage du Louvre.

    Apollon est debout couronné par la Victoire ; une Muse ou une Nymphe est le juge du concours, auquel assistent Athéna, le Tmolus, le fleuve Marsyas. Plus loin, le Silène est attaché à un pin par un Phrygien ; un esclave accroupi aiguise sur une pierre son couteau. On peut en rapprocher du sarcophage du Louvre une coupe d'argent trouvée à Bizerte, où la même lutte a pour témoins Olympos et Cybèle, ainsi qu'une Muse, juge impartiale ; Apollon et Athéna sont en face de Marsyas soufflant à grand effort dans sa flûte.

    Les peintres de vases choisissent de préférence le moment où Apollon est l'exécutant ; souvent une Niké lui décerne la couronne en présence des Muses. Dans un seul tableau, on a figuré un autre mode de concours, qui contraint Marsyas à promener son plectre hésitant sur les cordes de la cithare. La proclamation du vainqueur est faite, tantôt par Apollon lui-même, tantôt par Athéna ou l'une des Muses. On ne voit jamais que les préparatifs du supplice ; l'écorchement n'est jamais représenté. Une statue célèbre de Florence, celle qu'on appelle communément le Rémouleur, appartenait à un groupe figurant le supplice de Marsyas. Le même musée possède deux statues de Marsyas écorché et pendant à l'arbre, dont en connaît bien d'autres répliques ; les sculpteurs employaient volontiers le marbre rouge pour le corps sanglant du Silène.

    La réputation d'aulète de Marsyas lui vaut une place d'honneur dans les cortèges bachiques.

    Les légendes grecques mettent aussi en rapport Marsyas avec Athéna. La déesse a trouvé la flûte et s'essaie à en jouer. Puis, ses yeux étant tombés sur son image reflétée dans le Méandre, elle s'offusque d'être défigurée par ses joues gonflées ; d'un mouvement de dépit elle précipite la flûte dans le fleuve, où Marsyas la retrouve.

    Un célèbre groupe de Myron avait popularisé la rencontre de Marsyas et d'Athéna. Athéna vient de jeter son instrument et le visage du Silène exprime l'étonnement et la convoitise. La statue du Latran et une tête de la collection Barracco sont les meilleures répliques de l'oeuvre de Myron. Trois monuments attiques nous en ont conservé des copies anciennes.


    D'après un travail récent, le fameux torse du Belvédère serait un Marsyas assis, en joute avec Apollon. Marsyas est aussi figuré comme simple auditeur des essais musicaux de la déesse.

    A Rome, outre un tableau de Zeuxis, représentant le châtiment de Marsyas et dédié au temple de la Concorde une statue de Marsyas était placée sur le Forum et jouissait d'une grande popularité ; on en érigea des copies sur les places des villes de province qui avaient le droit italique.

    Olympos est l'élève favori de Marsyas. Comme les disciples de Socrate, il assiste à la mort de son maître. Il intercède et supplie Apollon d'adoucir la sentence. Polygnote l'avait placé auprès de Marsyas dans son tableau de la Nekyia, à Delphes. Les fresques de Pompéi s'en sont inspirées plus d'une fois. On nommait autrefois «Olympos et Pan» ces groupes de marbre qui représentent le dieu chèvre-pieds lutinant un Satyre adolescent. C'est une confusion dont Pline semble s'être rendu coupable le premier.


Article de Georges Nicole