Acte III - Chez Brutus

Acte II Acte IV

Un cabinet de travail. Des livres, des manuscrits, des sphères. Les bustes en marbre de l'ancien Brutus et de Caton d'Utique. Une lampe allumée sur une table, à côté d'un livre ouvert et d'une épée nue. - Au fond du théâtre, une porte fermée d'un rideau, et donnant sur un jardin. Deux portes latérales, l'une conduisant à l'appartement de Porcia, l'autre comuuniquant à l'atrium.


Scène 1
BRUTUS, CASSIUS

CRIS, au dehors
César ! Vive César !

CASSIUS
                    Toujours, toujours ce nom !
— Ne suis-tu pas César aux Lupercales ?

BRUTUS
                                        Non.

CASSIUS
Tu l'aimes cependant ?

BRUTUS
                              César m'a laissé vivre :
C'est un ami ; pourtant je ne veux pas le suivre.
Mais puisque vous deviez accompagner ses pas,
Suivez-le, Cassius ; je ne vous retiens pas.

CASSIUS
Brutus ! J'étais aussi de vos amis, naguères ?...

BRUTUS
Vous en êtes toujours, certe, et des moins vulgaires.

CASSIUS
Pardonne si j'en ai douté, pardonne, ami,
Si je n'ose le croire encore qu'à demi...
Je me trompais, tant mieux !
(Acclamations lointaines.)

BRUTUS
                              Qu'est cela ?

CASSIUS
                                        Tu l'ignores ?

BRUTUS
Non.

CASSIUS
             César a pour lui des poitrines sonores !

BRUTUS
J'ai peur qu'il cède au peuple, ou le peuple à César !

CASSIUS
Il ne faut qu'un moment, il ne faut qu'un hasard...
S'ils le proclamaient roi, Brutus ?

BRUTUS
                                        Je le redoute.

CASSIUS
Tu ne voudrais donc pas qu'il le fût ?

BRUTUS
                                        Non, sans doute.

CASSIUS
Oh ! si tu pouvais lire en mon âme !

BRUTUS
                                        Pourquoi ?
Veux-tu me confier quelque secret, dis-moi ?

CASSIUS
Oui.

BRUTUS
          S'il est question d'une chose qui tende
Au bien de la patrie, — avant que je t'entende,
Mets Rome d'un côté, mets de l'autre un cercueil,
Je les regarderai tous les deux du même oeil !...
Car, dans ce triste siècle où tout chancelle et tombe,
J'aime Rome encor plus que je ne crains la tombe !

CASSIUS
En douter, moi ! te faire un si cruel affront,
Quand l'àme des Brutus rayonne sur ton front !
Oh ! je vais te parler de choses bien amères,
De Rome vénérable entre toutes les mères,
De Rome qui se meurt sous un joug étouffant,
De Rome, dont Brutus est le plus noble enfant !

BRUTUS
Le plus noble ? C'est vrai, ma famille est ancienne.
Mais Cassius, mon frère, oublierait-il la sienne,
Et les champs de bataille où son courage a lui ?
Brutus est dans les camps moins illustre que lui.

CASSIUS
Non ; dis que ma poitrine au seul mot d'honneur vibre ;
Que je suis, comme toi, né citoyen et libre ;
Que je hais les tyrans, comme toi, - plus que toi,
Car je ne veux pas voir d'homme au-dessus de moi ;
Car je ne saurais vivre esclave, et reconnaître,
Moi, vieux patricien, dans mon égal, un maître !

BRUTUS
[Tu parles de César ?

CASSIUS
                              Est-il donc plus que nous,
Cet homme, pour vouloir qu'on le serve à genoux ?
Non ! ce n'est qu'un mortel ! — Dans un jour de tourmente,
Où du Tibre le vent fouettait l'onde écumante,
Après avoir lancé disques et javelots,
Poudreux, César et moi, nous regardions les flots.
César me dit : « Du champ de Mars à l'autre rive,
Veux-tu voir de nous deux qui le premier arrive ?»
Dans le Tibre aussitôt m'élançant tout vêtu,
Je crie : « Et toi, César, suis-moi donc. Oses-tu ?»
Fatigué, haletant, sans même qu'il balance,
Derrière moi César dans le gouffre s'élance...
Peut-être on t'a conté ce défi hasardeux,
Où nous devions cent fois trouver la mort tous deux ?
Le fleuve, qui battait ses ponts, — de leurs arcades
S'échappait, bondissant, en bruyantes cascades ;
Mais, nageant côte à côte au plus fort du torrent,
Nous, d'un courage égal, nous fendions le courant ;
Lorsque, près d'un écueil où le sable bouillonne,
César, entraîné, cède au flot qui tourbillonne,
Et je l'entends crier, sous la vague éperdu :
« Cassius ! Cassius ! à moi !... je suis perdu ! »
Mais comment le sauver ? j'allais périr moi-même !
Enfin, dans un effort désespéré, suprême,
Je regagnai la rive... Alors je vis César
Emporté, chose inerte, et roulant au hasard
Comme un saule arraché qu'avec sa jaune arène
Le Tibre pousse et jette à la mer de Tyrrhène !
Par bonheur, se risquant dans un frêle bateau,
Un pêcheur court à lui, le prend par son manteau,
Et le ramène au bord. — Brutus, celui qu'on nomme
Le dieu, le Jupiter !... il était moins qu'un homme :
Livide comme un front que la tombe a touché,
Un peu plus, il mourait sur la terre couché,
Ainsi qu'un marinier du port, couvert de bure,
Ainsi qu'un mendiant du quartier de Suburre !
Et tandis qu'il gisait, immobile, râlant,
J'étais resté debout, respirant et parlant !
Eh bien ! c'est moi qui suis la vile créature,
Et César est l'auguste et sublime nature !
On dirait que, formé d'un plus noble métal,
César est la statue, et moi le piédestal !..
Cet orgueilleux César peut être un dieu pour Rome ;
Mais pour moi, Cassius, ce n'est plus même un homme !]
(Cris du peuple au dehors.)
Vive César !

BRUTUS
          Encore une acclamation !

CASSIUS
Rome est devant César en adoration !
Il me semble pourtant qu'en des jours plus prospères
Nous avons entendu souvent dire à nos pères
Que Rome, dans ses murs, vit jadis un Brutus
Qui n'aurait pas souffert un César...

BRUTUS
Cassius,
Que pour moi vous ayez une amitié de frère,
Je n'en veux point douter ; j'en suis sûr, au contraire.
Qu'en ce triste moment vous me parliez au nom
De votre conscience, en douterai-je ? Non.
Si nos aïeux, ouvrant leur pesante paupière,
Pouvaient se réveiller dans leurs couches de pierre
Ces hommes du passé que la tombe engourdit
Me diraient, je le crois, ce que vous m'avez dit.
Mais par cette amitié, compagne fraternelle,
Qui nous a vus grandir à l'ombre de son aile,
Par nos aïeux, dormant dans leur sacré linceul,
N'insiste plus, ami : je veux réfléchir seul.
Tes paroles, au fond de mon coeur je les grave ;
Dans un recueillement silencieux et grave,
J'en développerai chaque mot, pour savoir
Si leur sens véritable est conforme au devoir.
Avec ma conscience il faut que je discute ;
Puis, l'arrêt une fois prononcé, j'exécute !
Mais, pris dans mon devoir comme dans un réseau,
Va, j'aimerais mieux être un berger d'Arezzo,
Un simple villageois d'Arpinum, peu m'importe,
Que d'avoir ce grand nom, lourd fardeau que je porte !
— Avant de renouer un si grave entretien,
Je vais creuser mon coeur... Ami, creuse le tien ;
Vois si toute vengeance impure en est bannie,
Si véritablement tu hais la tyrannie ;
Et demande-toi bien, en homme de ton rang,
Si tu n'abhorres pas encor plus le tyran.
La haine et le devoir ne peuvent se confondre...
Adieu : mon premier mot sera pour te répondre.

CASSIUS
Je l'attends. Que les dieux punissent les pervers !
Songe à Rome, Brutus, et songe à l'univers !
(Il sort.)

Scène 2
BRUTUS, seul

(Il s'assied, pensif, devant la table où se trouvent le livre et l'épée.)
D'une voix qu'aujourd'hui le reproche accentue,
Pour me déterminer tout parle, homme et statue !
Et j'entends murmurer, comme font les remords,
La bouche des vivants et la bouche des morts !...
C'est le même langage, en tous lieux, à toute heure,
La même obsession... oui, toujours : « Rome pleure !
Dans Rome tout est mort, et courage et vertus !
« Ah ! si Brutus vivait ! — Non, tu n'es pas Brutus ! »
Faut-il que sans repos cette voix retentisse ?
Encore ce matin, en rendant la justice,
Au Forum, sur mon siège auguste de préteur,
J'ai trouvé ce billet... non, cet accusateur !
— Platon... bouche divine, où la sagesse abonde
Comme le miel aux flancs de la ruche profonde,
Écho religieux de l'antique vertu,
Grave et doux conseiller, parle aussi. Que dis-tu ?
(Il lit.)
« Souvent le droit chemin se courbe en route oblique ;
Souvent le protecteur de la chose publique
Quand il est le plus fort veut être le plus grand,
Et le sauveur d'un peuple en devient le tyran.
Sa marche, la voici : pendant l'ouragan sombre,
Il crie aux passagers que le navire sombre ;
Et, redoublant ainsi l'universel effroi,
Il prend le gouvernail, se fait pilote... et roi ! »
Oui, comme toi, César ! — Lorsqu'à peine nos villes
Respiraient, au sortir des tempêtes civiles ;
Quand, sous la cendre tiède encore, un seul charbon
Pouvait être Sylla, Marius ou Carbon,
De frayeur en frayeur, la folle multitude
A tes genoux sacrés tomba de lassitude ;
Et, seul maître aujourd'hui, nos lois tu les enfreins,
A ton ambition tu lâches tous les freins ;
Car, usurpant des rois la couronne et la stole,
Tu veux, le sceptre en main, t'asseoir au Capitole !
- Mais je t'écoute, parle, oracle aux lèvres d'or !
(Il lit.)
« Ce qui fait le tyran plus dangereux encor,
C'est que, pour affermir sa couronne usurpée,
Dans son manteau de pourpre il cache son épée,
Et pendant quelques jours, souriant et flatteur,
Marche seul et sans garde, en pacificateur ;
C'est que, facile à tous et fécond en promesse,
Son langage est plus doux que les flots du Permesse ;
C'est qu'il a des accents mélodieux, des mots
Qui vont au coeur du peuple et tempèrent ses maux.»
Toujours César ! ainsi je le vois se conduire.
Aujourd'hui n'a-t-il pas tenté de me séduire,
Lorsque, prêt à jeter au monde ses défis,
Il me disait : Brutus ! comme il eût dit : Mon fils !
Lisons : « Fléau du riche, entre les prolétaires,
Ainsi qu'un patrimoine, il partage les terres ;
Et quand par la victoire ou la transaction
Il a consolidé sa domination,
N'ayant plus d'ennemis ou ne les craignant guère,
Il sait entretenir des semences de guerre,
Pour que les citoyens sentent dans leurs dangers
Qu'ils ont besoin d'un chef contre les étrangers. »
Oh ! c'est bien là César !... Quand sa main colossale
A vaincu la noblesse et Pompée à Pharsale,
On le voit, remettant l'épée au ceinturon,
Par sa clémence habile enchaîner Cicéron !
Et l'oracle aujourd'hui, César, veut que tu partes,
Le diadème au front, pour subjuguer les Parthes.
Mais je lis dans ton coeur à ce divin flambeau !...
Et, depuis trois cents ans couché dans le tombeau,
Platon, ce dieu mortel, se lève pour te dire :
« César, prends garde à toi, Rome va te maudire !
César est un tyran ! » Les tyrans, ô Platon,
Quand on les a maudits, comment les punit-on ?
En vain je te consulte, incliné sur ton livre,
Platon ; tu ne dis point comment on s'en délivre !
Mais il est un moyen sûr et terrible, un seul !
Qui me fut enseigné par Brutus, mon aieul.
(A Straton.)
Va dire à Cassius que je l'attends.

STRATON
                                        Oui, maître.

Scène 3
BRUTUS, PORCIA

BRUTUS, apercevant Porcia
Porcia !

PORCIA
          Porcia vous dérange peut-être ?
Naguère, à ce flambeau qui pour nous deux veillait,
J'aurais lu près de vous sur le même feuillet.
Faut-il donc maintenant que je vous interrompe ?
Quoi ! j'entre, et vous cessez de lire !.. Ou je me trompe,
Ou ce livre est celui que méditait Caton :
La République, songe immortel de Platon.
Mais je suis pour Brutus une femme ordinaire ;
Et ce livre inspiré que le sage vénère,
Trésor qu'un faible esprit jamais n'apprécia,
Semblerait trop sévère aux yeux de Porcia !

BRUTUS
Je ne vous confonds point avec les autres femmes,
Non ; votre âme est sublime entre toutes les âmes !
Et les dieux, Porcia, vous firent d'un métal
Ferme comme l'acier, pur comme le cristal !..
Vous savez que ce livre est ma plus chère étude
Je l'ai devant mes yeux, selon mon habitude.

PORCIA
Ce fer qui pèse nu sur le volume ouvert,
Depuis qu'il est rouillé de sang, restait couvert...
Pourquoi l'avoir exprès détaché des murailles,
Ce glaive que plongea dans ses nobles entrailles
Mon père, qu'un vainqueur menaçait du pardon ?...
Ce livre et cette épée ensemble, pourquoi donc ?

BRUTUS
C'est un hasard !

PORCIA
                    Je veux savoir si Brutus m'aime.
Depuis deux ou trois jours Brutus n'est plus le même ;
Celui que j'ai connu l'oeil doux, calme, serein,
Est maintenant rêveur, impatient, chagrin !
Hier, pendant le souper, inquiet et farouche,
Vous avez brusquement déserté votre couche ;
Puis, murmurant des mots que je n'entendais pas,
Après avoir marché quelque temps à grands pas,
Vous êtes descendu, pensif et taciturne,
Au jardin, tête nue; et la bise nocturne
Soufflait dans vos cheveux, sans pouvoir rafraîchir
Votre front, qui, brûlant et lourd, semblait fléchir !

BRUTUS
Je suis souffrant ; de là mon humeur qui s'altère.

PORCIA
Est-ce donc un régime alors bien salutaire,
Et cette promenade est-elle sans danger,
Pendant les froides nuits de mars, dans un verger,
A l'heure où le malade, en sa couche de flamme,
Implore le sommeil, ce bain sacré de l'âme ?
J'en appelle à Brutus, homme sincère et franc :
C'est de l'âme et non pas du corps qu'il est souffrant !
Eh bien ! par notre amour, par mon titre d'épouse,
Ce mal dont vous souffrez, Brutus, j'en suis jalouse ;
J'en veux ma part ; ami, je l'implore à genoux !...
Par le sang de mon père ici penché sur nous,
Par la chaîne immortelle et sainte qui nous lie,
Ne me refusez pas, oh ! je vous en supplie,
La moitié d'un secret, morne et pesant linceul
Qui vous écrasera, si vous le portez seul !

BRUTUS
Vous à mes pieds, grands dieux ! Suis-je donc votre maître ?

PORCIA
Si vous étiez pour moi ce que vous devez être,
Je n'aurais pas besoin de tomber à vos pieds.
Lorsque l'encens fumait sur les divins trépieds,
Lorsque, suivant le rite ancien, nous divisàmes
Le gâteau de froment qui mélange deux âmes,
Est-ce que le flamine, exprès pour notre hymen,
Fit cette exception à l'usage romain,
Que le soleil toujours sur ma tête ravie
Luirait, multipliant les roses de la vie ;
Que, faite pour la joie et le rayonnement,
Chez toi, noble Brutus, je serais seulement
L'éclair de ton foyer, le parfum de ta couche,
L'harmonieux écho des accents de ta bouche ?...
Ah ! s'il en est ainsi, depuis ce triste jour
J'ai vécu sans franchir le seuil de ton amour !
Et moi, rigide enfant de la terre sabine,
Je ne suis plus ta femme, et suis ta concubine !

BRUTUS
Oh ! vous êtes encor la femme de Brutus,
L'épouse au cœur solide, aux antiques vertus :
Celle qui tant de fois a versé le dictame
Sur les déchirements si profonds de cette âme ;
Celle par qui toujours le fardeau s'allégea !

PORCIA
S'il était vrai, Brutus, je saurais tout déjà.
Je suis une femme, oui, mais d'origine ancienne...
Cette femme, Brutus l'a prise pour la sienne ;
Cette femme, — dans Rome enfin l'ignore-t-on ?
— Se nomme Porcia, la fille de Caton !
Crois-tu qu'elle n'ait point de cœur, et dégénère,
Femme d'un tel époux et fille d'un tel père ?
- Ainsi donc, cher Brutus, livre-moi ton dessein,
Et je l'enfermerai dans l'ombre de mon sein ;
Et, j'en fais le serment, si jamais la torture,
Effrayante, plus forte en moi que la nature,
Voulait m'ouvrir la bouche avec ses doigts ardents,
Brutus, je couperais ma langue entre mes dents !

BRUTUS
Viens, ma noble compagne, au coeur sûr et fidèle !...
Vous l'entendez, ô dieux ! Rendez-moi digne d'elle !
(On frappe en dehors.)
On frappe.

PORCIA
          Cassius, sans doute ?

BRUTUS
                              Oui.

PORCIA
                                        Mais pourquoi ?

BRUTUS
Nous avons à causer ensemble : éloigne-toi.

PORCIA
Brutus de Porcia doute encore peut-être ?...
Tant mieux ! Ce que je suis, tu pourras le connaître.

STRATON, à Cassius
Entrez, seigneur.

Scène 4
LES MÊMES, CASSIUS

CASSIUS
(A Brutus.)
                    Salut, Porcia ! Me voici.
J'aurais pensé, Brutus, vous trouver seul ici.

PORCIA
Je vous gêne, seigneur ?

CASSIUS
                              Pardonnez...

PORCIA
                                        Je vous laisse.
(Elle sort.)

Scène 5
CASSIUS, BRUTUS

CASSIUS
Tu m'as fait demander ?

BRUTUS
                              Oui, selon ma promesse.

CASSIUS
Et tu vois que j'accours, fidèle à mon serment.

BRUTUS
Bien !

CASSIUS
          As-tu réfléchi ?

BRUTUS
                                        Longuement, mûrement.

CASSIUS
Eh bien donc, maintenant que penses-tu de l'homme
Dont nous parlions tantôt ?

BRUTUS
                              C'est l'ennemi de Rome !

CASSIUS
A quel moyen crois-tu qu'il faille recourir ?
Quel est ton sentiment ?

BRUTUS
                              Je crois qu'il doit mourir.

CASSIUS
Quand cela ?

BRUTUS
          Le plus tôt sera le mieux sans doute ;
Car depuis que ta bouche, oracle que j'écoute,
M'a parlé de César comme d'un ennemi,
Depuis ce temps, sais-tu que je n'ai pas dormi ?...
Et bien certainement, avant que César meure,
Je ne dormirai pas !

CASSIUS
                              Il faut donc hâter l'heure.
(Il va à la porte.)

BRUTUS
Que fais-tu ?

CASSIUS
          Venez tous !

BRUTUS
                    Les conjurés ?

Scène 6
LES MÊMES, CASCA, CIMBER, TRÉBONIUS, CINNA,
RUGA, GURGÈS, ALBINUS, SPURIUS, LIGARIUS



TOUS
                                        Brutus,
Salut !

BRUTUS
          Je les connais sans doute, Cassius ?

CASSIUS
Oui, tous ; et dans leurs rangs pas un qui ne t'admire ;
De ces nobles Romains pas un qui ne désire,
L'oeil tourné vers Brutus dans le péril commun,
Que tu penses de toi ce qu'en pense chacun !
— Voici Casca.

BRUTUS
                    Salut !

CASCA
                              Que Jupiter vous garde !

CASSIUS
Ligarius.

BRUTUS
          Il est le bienvenu.

CASSIUS
                              Regarde :
Trébonius, Cimber, Spurius, Albinus, Cinna, Gurgès, Ruga.

BRUTUS
Tous sont les bienvenus.
(Bas, à Cassius.)
                    Et pourtant j'en aurais, ami, préféré d'autres.
Tu pouvais mieux choisir.

CASCA
                              Donc vous êtes des nôtres ?

BRUTUS
Vous me le demandez, vous que le dictateur
Hier devant ses pas vit marcher en licteur ?

CASCA
Oui ; mais je veux bientôt, sans que ma voix se lasse,
Crier : Mort à César ! comme je criais : Place !

BRUTUS
Vous le condamnez tous après mûr examen ?

LES CONJURÉS
Tous !

BRUTUS
          Mettez donc alors une main dans ma main.

CIMBER
Oui, Brutus ! et jurons d'accomplir notre tâche !

BRUTUS
Point de serments ! ils sont inutiles au lâche
Comme à l'homme de coeur ! Si les plus saints contrats,
Foulés aux pieds dans Rome avec nos magistrats ;
Si la chose publique, édifice qui tombe ;
Si nos libres aïeux s'indignant dans leur tombe ;
Si tous ces pleurs de rage et tous ces cris plaintifs
Sont pour frapper César de si faibles motifs
Qu'il faille encor chercher, ployant sous les outrages,
De plus solides noeuds pour lier nos courages ;
Si, lorsque nous devons marcher résolûment
Dans la route qui mène à l'accomplissement,
De grands mots à la bouche et rien au coeur, nous sommes
De fantasques enfants, au lieu d'être des hommes,
— Cachons-nous, et, tremblants, mornes, le front courbé,
Laissons Tarquin debout sur le peuple tombé !
Au contraire, nous tous, débris de tant de guerres,
Si nous sommes, non pas des conjurés vulgaires,
Mais de bons citoyens indignement trahis,
Dont la vertu consiste à sauver leur pays ;
Des hommes vraiment forts, purs de toute rancune,
Qui n'eurent point de haine, ou n'en gardent aucune,
Et qui, sacrifiant leurs intérêts privés,
Brisent les fers de Rome avant qu'ils soient rivés :
Alors, jusqu'à ce jour nous qui temporisâmes,
Ne faisons retentir de serments qu'en nos âmes,
Sûrs qu'à l'instant marqué Rome pourra nous voir,
Exécuteurs pieux, remplir notre devoir !
Laissons jurer ceux-là qui, dans leur cause injuste,
S'abritent du serment comme d'un voile auguste !
Qu'ils jurent sans tenir ! — Ne jurons pas, amis ;
Chacun de nous tiendra tout ce qu'il a promis !

CASCA
Frapperons-nous César sans frapper aucun autre ?

CASSIUS
Il faut, — c'est mon avis, disons chacun le nôtre,
— Que Marc-Antoine, ami de César, son bras droit,
Périsse avec César et tombe au même endroit !

BRUTUS
Laissez-moi vous parler : faut-il que l'on nous voie
Entrer profondément dans la sanglante voie ?
C'est assez d'un cadavre, amis, et d'un linceul :
César est condamné ; qu'il meure donc, mais seul !
A l'esprit de César si nous pouvions atteindre
Sans passer par ce coeur où nos fers vont se teindre,
L'esprit seul est coupable, on le tuerait alors !...
Mais pour tuer l'esprit, il faut tuer le corps !
Loi sévère et fatale, et pourtant c'en est une !
Puisqu'il le faut, tuons César et sa fortune...
Frappons, mais sans colère, avec tranquillité,
Comme ferait la main de la Nécessité !
— Alors devant le monde et l'avenir immense,
Car l'immortalité pour nous déjà commence,
Nous serons, remettant nos glaives aux fourreaux,
Des sacrificateurs, et non pas des bourreaux !
— Antoine, c'est le bras de César ; mais qu'importe ?
Le bras ne peut plus rien lorsque la tête est morte !

TBÉBONIUS
Eh bien ! il sera fait, Brutus, comme tu veux.
Qu'Antoine en pleurs s'arrache à deux mains les cheveux
Sur le corps de César qu'il aime, — c'est possible :
Les hommes de plaisir ont le coeur très sensible !...
Mais la rose bientôt se mêle aux noirs cyprès.
Antoine va gémir d'abord : huit jours après,
Ivre, et se consolant comme un fils du Bosphore,
Antoine embrassera la gigantesque amphore.

CIMBER
Antoine vivra donc ?

BRUTUS
                              Qu'il vive !

CASSIUS
                                        Quel péril !

CIMBER
César tombera seul ; mais quand tombera-t-il ?

CASCA
Les dieux même ont fixé le jour : pendant la fête
Vous avez entendu cette voix de prophète,
Lorsque le dictateur descendait de son char :
" Crains les ides de mars !" cria-t-elle à César.

BRUTUS
Dieu vengeur ! dans ce mois guerrier où tu présides,
0 Mars, nous adoptons le jour sacré des ides.
En ce jour-là, d'ailleurs, un sénat déloyal,
Enveloppant César dans le manteau royal,
Veut lâchement baiser la main qui nous opprime :
La peine au vol rapide, amis, suivra le crime !

CIMBER
Est-ce là votre avis, Brutus ?

BRUTUS
                                        C'est mon avis.

CIMBER
Tant mieux ! car c'est le mien : aussi vrai que je vis !
(Deux coups frappés à la porte.)

CASSIUS
On frappe !

BRUTUS
          Oui.

RUGA, effrayé
                              Plus un mot !

CIMBER
                                        Tiens ! l'usurier frissonne !

CASSIUS
Attendez-vous quelqu'un, Brutus ?

BRUTUS
                                        Moi, non, personne.

RUGA
Qui peut venir ?

STRATON, entrant
                    Seigneur...

BRUTUS
                                        Eh bien ! que me veut-on ?

STRATON
Le noble Julius César.

TOUS
                    Lui !

BRUTUS
                                        Lui, Straton ?

STRATON
Lui-même.

TOUS
          Oh !

CASSIUS
                    Seul ?

STRATON
                                        Oui, seul. Il est dans cette salle.

CASSIUS
Nous allons donc venger les hontes de Pharsale !

CIMBER
Némésis nous l'envoie !

TRÉBONIUS
                              II ne peut échapper !

CIMBER
La fortune est pour nous !

CASCA
                              C'est l'instant de frapper !

BRUTUS
Qui parle ainsi ? Qui donc ose dire à voix haute
Qu'on frappera César au foyer de son hôte ?
Que César chez Brutus n'est pas en sûreté ?
Que chez Brutus le meurtre est l'hospitalité ?...
Non ! tel qu'il est venu, libre de toute injure,
César au Palatin rentrera, je le jure !
Dussé-je, en l'escortant, voir moi-même aujourd'hui
La porte du palais se refermer sur lui !
Descendez au jardin ; surtout faites en sorte
Que pas un glaive, amis, de son fourreau ne sorte...
Oh ! n'allez rien tenter, car vous trouveriez tous
Ce fer et ma poitrine entre César et vous !

CASSIUS
A ton choix !

BRUTUS, à Straton
                    Fais entrer.

CASSIUS
                              Tu ne veux pas qu'il meure ?...

BRUTUS
Non.
(Les conjurés sortent par la porte du fond.)

Scène 7
BRUTUS, CÉSAR

BRUTUS
          Sois le bienvenu, César, dans ma demeure.

CÉSAR
Tu m'as promis, Brutus, une réponse. Eh bien ?

BRUTUS
Je vais te la donner.

CÉSAR
                              Voilà pourquoi je vien.

BRUTUS
Merci, César !

CÉSAR, voyant le livre de la République
                    Mon àme est pleine d'allégresse !
Brutus s'est inspiré du sage de la Grèce ;
Et ce livre, tracé par l'immortel crayon,
Est comme le soleil au sublime rayon.
Oh ! je le savais bien, quand tu lirais ces pages,
Lumières des sénats et des aréopages,
Je savais bien, ami, qu'à de certains portraits,
Indigné, frissonnant, tu les reconnaîtrais
Ces cruels échansons, ministres de colère,
Qui, d'une main perfide, au banquet populaire
Versent la liberté toute pure... poison
Qui monte, furieux, du coeur à la raison !

BRUTUS
Oui, la foule orageuse au moindre éclair s'allume !..
Mais vois à quelle page est ouvert ce volume,
Et tu reconnaîtras aussi qu'il nous apprend
A quel signe l'on peut distinguer un tyran.

CÉSAR
Toujours des mots ! voilà le langage ordinaire :
Tyran ! Est-ce un tyran bien dur, bien sanguinaire,
Que celui, cher Brutus, qui, dans sa bonne foi,
Vient chez son ennemi comme je viens chez toi ;
Et qui te dit : « Voyons, que ta bouche révèle
Les souhaits de ton coeur ? Quelle faveur nouvelle
Exiges-tu ? »

BRUTUS
                    Jamais Brutus n'en exigea.
Mais si pour moi César n'a que trop fait déjà,
Rome lui dit qu'un joug n'est pas une tutelle ! ...

CÉSAR
Quoi ! Rome est-elle à plaindre, ou Rome se plaint-elle ?
Penché sur l'océan des populations,
Je prête en vain l'oreille aux lamentations ;
Et je n'entends monter vers moi que ces rafales,
Universel écho des clameurs triomphales !

BRUTUS
Oui, la foule sans coeur qui toujours vacilla
Du tyran Marius au despote Sylla, —
Tandis que sur les morts fond le corbeau rapace,
La foule bat des mains au triomphe qui passe !
Oui, Rome, en toi d'abord, crut voir un dieu sauveur !
Mais depuis trois ans, moi, je t'observe... et, rêveur,
Écoutant, près du temple où fume l'hécatombe,
Du vieux chêne romain chaque feuille qui tombe,
Je sais que tes projets, savamment concertés,
Dans un piège sinistre ont pris nos libertés !
Aussi depuis trois ans je n'ai pas vu dans Rome
Conduire à son bûcher le cercueil d'un jeune homme,
Que je ne me sois dit, rendant grâces aux dieux :
Celui-là, Jupiter miséricordieux,
Tu l'affranchis au moins, par une mort si prompte,
D'un avenir chargé de misère et de honte !

CÉSAR
Ainsi tu veux mourir ?

BRUTUS
                              Je veux vivre, et je vis !

CÉSAR
Je n'ai donc point reçu, Brutus, un faux avis ?

BRUTUS
Quand ?

CÉSAR
          Ce soir. On m'a dit : Crains Brutus !

BRUTUS
                              Qui ?

CÉSAR, lui montrant une feuille de laurier
                                        Regarde.

BRUTUS
Ce laurier ! que veut-il dire ?

CÉSAR
                              César, prends garde !

BRUTUS
A qui donc ?

CÉSAR
                    A Gurgès, à Cimber, à Casca,
Au jaloux Cassius qui toujours se masqua,
Et dont la sourde haine, au fond d'une âme obscure,
Se voile gauchement sous les fleurs d'Épicure ;
A Cinna le poète, à Ruga le changeur,
Qui râclerait le casque en or de Mars vengeur ;
A tous ces chevaliers, flétris par ma censure ;
C'est-à-dire, Prends garde à l'envie, à l'usure,
A la gloutonnerie, à la brutalité,
Ces reptiles fangeux de la société ! —
Où sont les gens de bien, et qu'est-ce que nous sommes,
Puisque Brutus se ligue avec de pareils hommes ;
Puisque, pour voir enfin le tyran abattu,
Il faut qu'avec le mal conspire la vertu ?
Sous leur austérité je voudrais que tu visses
Ces faux Cincinnatus, au coeur rongé de vices !
Prends garde à toi, Brutus ! près d'eux voile ton front...
Tu veux les rendre purs... c'est toi qu'ils souilleront !

BRUTUS
Puisque de nos complots César a connaissance,
Pourquoi n'use-t-il point de sa toute-puissance ?
Cicéron, que jamais Rome ne couronna,
Sut bien de nos remparts chassant Catilina,
Donner aux conjurés, pour tombes clandestines,
Les mornes profondeurs des voûtes mamertines !

CÉSAR
Pourquoi César consul, dictateur, souverain,
Ne vous ouvre-t-il pas le cachot souterrain,
Ce noir Tullianum aux sourdes agonies,
D'où l'homme sort cadavre et roule aux gémonies ?
Tu demandes pourquoi ?... Je te réponds !— D'abord,
César a bu la vie et la gloire à plein bord ;
Et jamais ce tyran, c'est ainsi qu'on le nomme,
Pour conserver ses jours ne prendra ceux d'un homme ;
Puis Brutus, égaré dans ses âpres vertus,
Peut tout contre César, lui rien contre Brutus !

BRUTUS
Que dis-tu ?

CÉSAR, tirant une lettre de son sein
          Cette lettre...

BRUTUS
                              Eh bien ?

CÉSAR
                                        Qui l'a tracée ?

BRUTUS, reconnaissant l'écriture
Ma mère Servilie !

CÉSAR
                    Oui.

BRUTUS
                              Grands dieux ! .... Adressée...

CÉSAR
A Brutus.

BRUTUS
                    Quand ma mère a-t-elle écrit cela ?
Parle ?

CÉSAR
          A son lit de mort.

BRUTUS
                              Ma mère ! .. .

CÉSAR, lui donnant la lettre
                                        Écoute-la.
Réjouis au tombeau celle à qui tu dois l'être !...
Je te laisse, Brutus, seul avec cette lettre.

BRUTUS
Un dernier mot, César... Tes gardes, n'est-ce pas,
Ont jusqu'à l'atrium accompagné tes pas ?

CÉSAR
Non, je suis venu seul. Quand je frappe à ta porte,
Quand je viens chez Brutus, ai-je besoin d'escorte ?

BRUTUS, appelant Straton qui paraît
Straton, va, je remets cette épée en ta main ;
Du noble Julius protège le chemin.
Tu me réponds de lui sur ta tête... Prends garde !
— Adieu, César.

CÉSAR
(Au moment de sortir.)
                    Adieu. - Ta mère te regarde !

Scène 8
BRUTUS, seul

Sa voix s'attendrissait, ma mère, en te nommant.
Pourquoi ton nom sacré dans un pareil moment ?
Et pourquoi d'un secret, que tu voulus me taire,
Seul aujourd'hui César est-il dépositaire ?
César ! lui confident de la soeur de Caton...
Ombres d'Harmodius et d'Aristogiton,
Affermissez mon coeur !... Cette page inconnue,
Venant de toi, ma mère, elle est la bienvenue !
(Il baise la lettre.)
Qu'elle brille, clarté céleste ou noir flambeau,
- Salut, ô messagère auguste du tombeau !...
Salut, toi qui m'emplis d'une sainte épouvante !..
Salut !
(Au moment d'ouvrir la lettre, il hésite.)
          Hélas ! tu sais si je t'aimais !... Vivante,
Tu m'as vu sur la terre, avec docilité,
M'incliner, fils pieux, devant ta volonté ;
Morte, couchée au fond du sépulcre insensible,
Ne me demande pas une chose impossible !...
Car, désobéissant à l'ordre maternel,
J'aurais dans mà poitrine un remords éternel !
- Courage, allons, Brutus !
(Il déplie la lettre, et jette les yeux dessus.)
                              Mon père ! il est mon père !
(Il laisse tomber la lettre.)
Non, j'ai mal lu... Mensonge... illusion... j'espère !
(Il ramasse la lettre, et se rapproche de la lampe. Après avoir relu )
Ainsi donc ces rumeurs que m'apportait le vent,
Ces mots à mon approche interrompus souvent,
Conversation vague, obscure et mal suivie,
Que si longtemps je crus étrangère à ma vie,
Tout cela voulait dire alors, confusément :
La mère de Brutus eut César pour amant !
Il est mon père !... Oh ! tout devient compréhensible :
Cet ineffable amour, cette force invincible
Qui vers lui, dans ses bras, m'a toujours emporté ;
Ces luttes de mon coeur contre ma volonté,
0 César ! et devant ta splendeur éternelle
Cet éblouissement de ma faible prunelle !
Oui, César est mon père, et j'allais... Malheureux !...
Ces quatre mots : Il est mon père, — c'est affreux !
La blessure qu'ils font dans mon âme est profonde !
Mais en quoi changent-ils l'équilibre du monde ?
Certe, en les prononçant tout mon coeur est brisé,
Mon bras qui se levait tombe paralysé :
Mais à Rome qui meurt, sous le joug avilie,
Qu'importe que César ait aimé Servilie ?
Est-ce que l'univers s'informe, par hasard,
Si mon père est Marcus Brutus, ou bien César ?
Ta famille, Brutus, c'est d'abord la patrie !
Que ta gloire égoïste à jamais soit flétrie,
Si, condamnant César, destructeur du sénat,
Tu crus pouvoir frapper sans que ton coeur saignât !
Non, l'âme chez Brutus, forte, calme et sereine,
L'âme soumet le corps ; elle est maîtresse et reine !
- Ton fils t'a pardonné, ma mère ; tu vois bien !
(Approchant la lettre de la flamme.)
Toi, pardonne à ton fils ! — Flamme et cendre ! plus rien...
Ma mère fut toujours de son honneur jalouse :
C'est de Marcus Brutus l'irréprochable épouse !

Scène 9
BRUTUS, PORCIA

(Elle vient à Brutus : elle tient son bras gauche comprimé avec sa main droite, et caché sous les plis de sa tunique)

BRUTUS
Porcia, c'est vous ?

PORCIA
                              Oui, Brutus ; j'ai réfléchi...
Qui parle de sa force a trop souvent fléchi ;
Et s'il n'est point d'assaut que la mienne redoute,
Votre esprit néanmoins a conservé le doute ?

BRUTUS
Brutus, douter de vous !...

PORCIA
                              Brutus en a douté.
Alors j'ai reconnu, moi, cette vérité...

BRUTUS
Laquelle ?

PORCIA
          C'est qu'il faut, sans promesses frivoles,
Des actions aux gens de coeur, non des paroles !
C'est que, pour vous convaincre, il faut plus qu'un serment.
Je suis donc remontée en mon appartement ;
J'ai d'une main, Brutus, pris le miroir de cuivre,
Et de l'autre un poignard...

BRUTUS
                              Dieux !

PORCIA
                                        Laissez-moi poursuivre.
Puis, calme et souriant comme je vous souris...

BRUTUS
Qu'as-tu fait ?

PORCIA, soulevant sa main droite, et montrant son bras couvert de sang
                        Vois, Brutus.

BRUTUS
                                        Noble coeur ! j'ai compris...

PORCIA
Si par le doute encor ton âme est combattue,
Dis-le-moi.

BRUTUS
                    Porcia, c'est demain qu'on le tue !



Texte numérisé en mode texte par Agnès Vinas à partir d'un exemplaire personnel et mis en ligne le 4/4/2009. Les internautes qui désirent l'emprunter sont priés d'en mentionner explicitement la provenance. Cette disposition s'applique en particulier à tous les contributeurs de Wikisource.


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