A MADAME BIGNON

Madame,

Vous dédier le Triumvirat, c'est offrir un enfant à sa mère : heureux, si vous vous en fussiez moins rapportée à moi pour son éducation ! plus heureux encore, si vous eussiez pu le douer d'une portion de ce génie si sage et si éclairé qui fut votre partage , mais qu'une modestie portée jusqu'à l'excès vous force trop souvent de condamner à un silence injurieux pour vos amis ! Y en a-t-il qui se lassent de vous entendre ? Quand on sait si bien penser et si bien parler, je crois, Madame, qu'il est honteux de se taire. Je souhaite que ce reproche fasse plus d'effet sur vous que n'en ont fait sur moi vos judicieux avis ; mais on n'est pas poète impunément.

Malgré un grand nombre de fautes, que j'aurais pu éviter si je n'eusse consulté que vous, je me flatte que vous daignerez accepter sans répugnance l'hommage que je vous rends, avec serment d'être plus docile dans le nouvel ouvrage que vous me forcez d'entreprendre. Vouloir bien devenir, à votre âge, le précepteur d'un homme de quatre-vingt-un ans, est un trait digne de vous.

Je suis, avec le plus profond respect,

MADAME,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

JOLYOT DE CREBILLON.