Buste dit de Décébale découvert sur le forum de Trajan et exposé dans la galerie du Braccio Nuovo des musées du Vatican
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Dans la masse considérable de représentations romaines de têtes, bustes ou figures en pied de Daces, telle qu'on peut en juger par le site web I Daci Nella Scultura Romana, grande est la tentation de reconnaître le roi Décébale lui-même. Mais les justifications des spécialistes sont parfois hasardeuses, et les controverses nombreuses... Comme certaines d'entre elles sont rédigées en roumain et pas toujours facilement accessibles, nous n'aurons pas la prétention de faire le tour de la question ! Voici plutôt une galerie de portraits avec quelques références bibliographiques incontournables.




Des bustes représentant Décébale ?

Braccio Nuovo - Musées du Vatican Musée de l'Hermitage - Saint-Petersbourg


Dans la longue quête des érudits à la recherche d'un portrait authentique de Décébale, deux bustes ont été particulièrement sollicités.

Le premier à intéresser la critique a été découvert en 1822 sur le Forum de Trajan et est conservé actuellement dans la galerie du Braccio Nuovo du Vatican. Il a fait l'objet d'une proposition d'identification, sur la foi de ressemblances physiques avec les portraits de Décébale sur la colonne Trajane, par Emil Panaitescu en 1923.

Le second, découvert sur le même forum de Trajan mais plus tard, en 1855, a fait partie de la collection du marquis Campana avant d'être transféré au musée de l'Hermitage en 1862. C'est Aurel Decei qui, après des érudits de la fin du XIXe siècle, a cru y voir une représentation réaliste de Décébale en 1974.

Les deux propositions ont été réfutées en 1975 par Radu Vulpe dans un article en roumain qu'on trouvera en intégralité en bas de page, mais dont nous pouvons citer ici le résumé conclusif en français :

« Dans cet article, la récente tentative de l'historien A. Decei (Magazin istoric, VIII, n° 6, juin 1974, pp. 2-8) de reprendre une vieille conjecture de H. d'Escamps et de W. Froehner, en attribuant à Décébale le buste d'un pileate dace conservé maintenant à l'Ermitage de Leningrade, après avoir appartenu à la Collection Campana à Rome, est déclarée aussi caduque que l'effort de feu prof. Emile Panaitescu, il y a un demi-siècle (Ephemeris DacoTomana, 1, 1923, pp. 387-413), de retrouver le portrait du même roi dace dans le buste n° 127 (aujourd'hui 124) de Braccio Nuovo au Vatican. Les deux sculptures proviennent également de statues décapitées du Forum Ulpium représentant des prisonniers daces anonymes, qui omaient la colossale Basilique de Trajan. Cette circonstance suffit, à elle seule, à les exclure de tout rapprochement de la personnalité de Décébale, qui, suicidé avant d'être pris par les Romains, ne fut jamais captif. »

D'autres spécialistes roumains, Russu, Daicoviciu ou Irina Nemeti, l'ont suivi et ont proposé de s'en tenir à la représentation d'un noble dace pileatus, mais pas du roi Décébale.

Malgré ces réserves, un historien de l'art roumain francophone et ayant enseigné à l'université de Perpignan, Leonard Velcescu, a repris ces hypothèses et en a ajouté d'autres dans son grand catalogue Les Daces dans la sculpture romaine (2000), puis dans un article recapitulatif de 2007 (ci-dessous) dont l'un des mérites est de citer abondamment, dans les notes en bas de page, les arguments de thèses difficilement accessibles, et de s'en tenir en conclusion à une position relativement prudente et plus équilibrée.

Le mot de la fin nous semble toutefois revenir à Irina Nemeti, dans son article « Dacians in Roman Art » de 2019 (ci-dessous) :

« Some have attempted to identify statues depicting Decebalus generally starting from their analogies with the portraits on the Column. I do not believe one can identify the portrait of the Dacian king based on the scenes sculpted on the Column, since, according to my arguments presented above, Decebalus was identified based on his central position on logical considerations starting from the historical significance of the depicted events. As for the statues, I also believe there is no reason to allow for the identification of Decebalus in any of them. The special quality of some of the portraits, the fact that the facial traits were very carefully rendered and individualized, unlike the standardized portraits, has made some historians hypothesize that some of the preserved statues can be attributed to Decebalus. As long as I am unaware of typical elements of dress and accessories reserved to the Dacian king and considering the fact that against all insistence the Column cannot provide a unique portrait of the Dacian king, I believe that such attempts are pointless. Some of the mentioned statues might certainly depict Dacian noblemen and the king himself, but the instruments for such precise identifications are missing. »



Une statuette conservée à la BnF ?

Cette petite statuette de bronze, d'une hauteur de 11,3 cm, a été acquise en 1865 par la Bibliothèque nationale de France et est conservée dans le Cabinet des Médailles et antiques. Elle figure au Catalogue des bronzes antiques de la Bibliothèque Nationale de E. Babelon et J.-A. Blanchet (1895), n° 911, et a été aussi dessinée dans le Répertoire de la statuaire grecque et romaine, Tome II, vol, I, 1897 de Salomon Reinach.

La page web actuelle de la Bnf la décrit ainsi : « Figure d’applique représentant un guerrier barbu, le genou gauche posé au sol et la jambe droite pliée. Son corps est orienté vers la gauche, mais il tourne la tête vers la droite pour regarder derrière lui. Il est vêtu d’une tunique qui descend jusqu’aux genoux et d’un manteau noué sur l’épaule droite. Sa tête est couverte d’un chapeau conique. Sa main droite est ramenée vers l’arrière à hauteur de son épaule gauche, tandis que sa main gauche est posée sur la poignée de son épée suspendue à sa taille. Patine verte. »

Cette statuette est d'origine inconnue, mais probablement gauloise d'après Constantin Petolescu qui le premier a proposé d'y voir une représentation du suicide de Décébale, en la rapprochant de celles des poteries sigillées de la Graufesenque qui suggèrent un sujet populaire, largement diffusé.

Cette identification de C. Petolescu est reprise par D. Dana et A. Allély dans leur article sur « Les trois morts du roi Décébale » et à notre connaissance n'a pas été contestée depuis.

Guerrier barbare agenouillé - BnF



Deux lampes à huile en forme de tête de Décébale ?

Lampe trouvée à Kercseliget et conservée au Musée national hongrois de Budapest - Photographie empruntée à l'article de Z. Kádár


Le Musée national hongrois de Budapest possède une fort intéressante lampe à huile romaine en terre cuite, acquise en 1972 ; d'après les dires de sa propriétaire, elle avait été découverte dans les années 1930 dans une sablière, à Bükkipuszta, dans la commune de Kercseliget (comté de Somogy). Elle se trouvait dans une tombe romaine aujourd'hui disparue.

Dimensions de l'objet : L. 11,5 cm, l. 6 cm, H. 7,8 cm

Il s'agit d'une lampe à huile en forme de tête humaine, dont la grande ouverture sur le front servait à verser l'huile et les deux petites ouvertures aux deux bouts de la barbe laissaient passer les mèches.

La localisation de sa découverte à Kercseliget situe l'objet en Pannonie romaine.

Photographie empruntée à l'article de S. Soproni

Le musée de Braila en Roumanie conserve une autre lampe à huile, de forme semblable mais plus abîmée par l'incinération de la tombe dans laquelle elle a été trouvée, dans le premier cimetière du fort romain auxiliaire d'Arrubium (Macin) en Moesie (Dobroudja roumaine). Sa localisation permet de la dater de la fin du Ier siècle, ou de la première moitié du IIe siècle de notre ère.

Le premier, le professeur Sándor Soproni, archéologue hongrois spécialiste de la Pannonie et du limes danubien, a rapproché les deux objets et s'est demandé s'ils représentaient une simple tête humaine ou si leur réalisme n'était pas au contraire l'indice d'une référence à une personne spécifique, barbare à l'évidence et morte à en juger par ses yeux clos. La similitude de deux lampes distantes géographiquement de 800 km laissait supposer une extension de la renommée du personnage, ce qui a conduit le professeur à associer les quatre critères suivants :

  1. L'époque de fabrication des deux lampes se situe entre la seconde moitié du Ier et la première moitié du IIe siècle.
  2. L’homme était un personnage barbare, probablement connu par sa renommée, ses exploits ou ses méfaits.
  3. Les deux lampes représentent une personne décédée, aux yeux clos.
  4. La situation géographique des deux sites – Kercseliget et Arrubium – indique la zone du Danube moyen et inférieur ; la personne représentée doit être recherchée dans cet espace romain.

L'hypothèse de la représentation de la tête coupée du roi Décébale semble à Soproni corroborée par les faits suivants :

L'identification du professeur Soproni a été reprise par la suite dans un certain nombre d'articles, sans avoir été particulièrement critiquée. Elle semble donc à peu près acquise à la communauté scientifique.



Emil Panaitescu
Il ritratto di Decebalo
Eph. Dac., I, 1923
Radu Vulpe
Despre portretul lui Decebal
Apulum, XIII, 1975
S. Soproni, Tonlampe
mit Decebalkopf, Folia
Archeologica
, XXXIX, 1988
Zoltán Kádár
Über die Herkunft der
sog. Decebalkopf-lampe
2001-2002
Constantin Petolescu
O statueta reprezentând
pe regele Decebal
Oltenia, XV, 2004
L. Velcescu
Représentations statuaires
du roi Décébale - 2007
A.S. Stefan, Victoires et
défaites en Gétie et en Dacie
MEFRA, 121 (2), 2009
Annie Allély / Dan Dana
Les trois morts
du roi Décébale
Irina Nemeti
Dacians in Roman Art
2019