1. L'édifice
    1. Le théâtre grec
    2. Le théâtre d'Asie mineure
    3. Le théâtre romain
    4. La question du logeion

  2. Les représentations
    1. Grèce
    2. Rome

Les représentations en Grèce

Nées du culte dionysiaque, les représentations dramatiques, en Grèce, restèrent durant des siècles un acte de ce culte. Ce n'est qu'à l'époque macédonienne que, cette signification religieuse s'étant peu à peu effacée, elles tendirent à devenir un divertissement purement profane et furent admises dans d'autres fêtes que celles de Dionysos. Il y avait, à Athènes, quatre fêtes annuelles de ce dieu. On célébrait au mois de Poseidéon (décembre-janvier) les Dionysies rustiques, en Anthestérion (février-mars) les Anthestéries, en Gamélion (janvier-février) les Lénéennes, en Elaphébolion (mars-avril) les Dionysies urbaines [Dionysia]. Il paraît toutefois prouvé que de l'une de ces solennités, les Anthestéries, le drame fut toujours absent. A la vérité Plutarque fait allusion à un concours de kômôdoi qui aurait eu lieu le jour des Chytres ; mais il s'agit là, presque certainement, d'un concours de déclamation entre comédiens, non de représentations comiques. Dans les trois autres fêtes le drame tenait une place, plus ou moins brillante. C'est dans la 61e Olympiade (536-3), et probablement aux Grandes Dionysies, que se produisirent les premiers concours de tragédie. Quant aux concours de comédie, il a été récemment établi qu'ils ne furent introduits à cette même fête qu'un demi-siècle environ après, c'est-à-dire vers 488. La chronologie des concours dramatiques aux Lénéennes est moins exactement fixée. Ce qui est sûr, c'est qu'ils y prirent place officiellement beaucoup plus tard qu'aux Grandes Dionysies. Le concours des poètes comiques y eut lieu pour la première fois vers 448 ; mais celui des poètes tragiques n'y est attesté qu'à partir de l'an 416.

On a exposé ailleurs les règlements des divers concours dramatiques, la durée des représentations, l'ordre probable dans lequel tragédies et comédies se succédaient, le nombre des poètes admis à concourir, le nombre et la nature des pièces présentées [Dionysia, Histrio]. Ajoutons seulement, en ce qui concerne les reprises de pièces anciennes, un renseignement chronologique dû à de récentes découvertes ; cette innovation eut lieu aux Grandes Dionysies, pour la tragédie en 386, pour la comédie en 339.

L'organisation des spectacles dramatiques regardait l'Etat ou les dèmes. A l'archonte éponyme était confiée la direction des Grandes Dionysies, à l'archonte roi celle des Lénéennes. Les démarques exerçaient, aux Dionysies rustiques, la même fonction dans chaque dème. Seules, les Dionysies du Pirée n'étaient pas seulement la fête locale d'un dème, mais une fête commune de la cité : l'Etat contribuait aux dépenses. Les préliminaires d'un concours dramatique formaient un ensemble complexe d'opérations : 1° désignation officielle des chorèges [Choregia] ; 2° désignation des poètes ; 3° désignation des protagonistes ; 4° groupement des chorèges, des poètes et des protagonistes ; 5° désignation des juges du concours ; 6° proagôn, exhibition ou annonce du concours. Ces opérations ont été en grande partie décrites dans des articles précédents : il suffit d'y renvoyer. Contentons-nous d'insister sur l'unique point qui n'a pas été suffisamment traité : le mode de désignation des poètes.

Les poètes tragiques ou comiques qui désiraient prendre part aux concours athéniens adressaient leur requête à l'archonte compétent : cela s'appelait «demander un choeur» (aitein choron). Comme, parmi les dramatiques d'Athènes que nous connaissons, beaucoup sont d'origine étrangère, il faut admettre que l'on n'exigeait pas des candidats la qualité de citoyen. Il ne semble pas non plus qu'aucune condition d'âge ait été imposée. Les éphèbes, il est vrai, pendant qu'ils tenaient garnison hors d'Athènes, étaient exclus du concours ; toutefois ce n'était pas là une interdiction spéciale, mais une simple conséquence de la défense générale qui leur était faite de s'absenter, pour quelque motif que ce fût, de leur garnison. Il est a priori évident (quelques textes, malheureusement trop peu précis, témoignent, du reste, en ce sens) que la désignation des poètes concurrents était précédée d'un examen comparatif des oeuvres proposées. Mais sous quelle forme avait lieu cet examen ? Rien n'autorise à croire qu'il existât un comité officiel de lecture. Légalement, l'archonte était sans doute juge unique et souverain. Mais, comme il était le premier intéressé à ce que la fête organisée par ses soins réussît brillamment, on peut être assuré qu'il prenait généralement conseil des personnes compétentes. Ajoutons que sa responsabilité même était gravement engagée ; car une assemblée spéciale tenue au théâtre le surlendemain des Grandes Dionysies, discutait et jugeait sa gestion. Dans ces conditions les injustices criantes devaient être assez rares. Nul doute, en revanche, que les renommées déjà établies, les victoires antérieures n'exerçassent sur les choix de l'archonte une grande influence. A en juger d'après le nombre des drames qui lui sont attribués, Eschyle aurait concouru, en moyenne, une fois tous les deux ans, Sophocle même un peu plus fréquemment.

Le poète dramatique, à l'origine, était surtout un entrepreneur de spectacles. Des noms donnés aux anciens poètes, orchêstai, didaskaloi (maîtres de ballet, instructeurs), on peut même induire que la composition du texte n'était pas regardée comme la plus importante de leurs fonctions. Aux débuts du Ve siècle, cette complexité d'attributions subsistait encore intacte : Eschyle fut à la fois poète, compositeur, maître de danse, régisseur, protagoniste. L'activité des poètes alla ensuite diminuant progressivement. Sophocle, le premier, se dispensa, à cause de la faiblesse de sa voix, de tenir les principaux rôles dans ses pièces. Un peu plus tard, les poètes renoncèrent à diriger les répétitions de leurs choeurs. Les choreutes n'étant pas généralement des professionnels, c'était une tâche très lourde, qui exigeait des mois d'apprentissage minutieux. Tandis qu'Eschyle et Sophocle avaient pris encore une part active à cette préparation technique, il y a apparence au contraire qu'Euripide n'y intervenait déjà plus personnellement. En tout cas les auteurs dramatiques du IVe siècle se confinèrent de plus en plus dans la partie purement littéraire de leur métier, abandonnant l'instruction des choeurs à des agents spéciaux qu'on nomma upodidaskaloi ou même didaskaloi.

Nous n'avons pas à décrire ici le cadre matériel des représentations. Les éléments de cette description se trouvent dans divers articles, déjà publiés, auxquels nous renvoyons le lecteur. Pour les machines, on se reportera à l'article Machinae ; pour les costumes et attributs, aux articles Histrio et Cothurnus ; pour les masques, au mot Persona. Il nous reste cependant à traiter des décors, dont il n'a été question jusqu'ici qu'incidemment.

Vitruve a décrit sommairement les trois variétés de décor usitées, de son temps, au théâtre : décors tragique, comique, satyrique. En ce qui concerne le premier, nous apprenons qu'il était «composé de colonnes, de frontons, de statues et autres ornements royaux», en d'autres termes qu'il offrait l'aspect d'un palais. Mais cet état typique était le terme extrême d'une longue évolution. C'est par les quatre plus anciennes pièces d'Eschyle que nous pouvons reconstituer le décor primitif de la tragédie. A cette date on n'avait pas eu encore l'idée de figurer, au moyen d'une cloison percée de portes, la façade de la demeure où se passe l'action. Dans les Suppliantes, le décor consiste simplement en un autel, dans les Perses (472) en un tombeau, dans les Sept contre Thèbes (467) en un autel, situé peut-être entre deux tours, dans le Prométhée en une cime de rocher. Nul doute que tous ces objets ne fussent massifs (c'est-à-dire représentés par une charpente solide) et de proportions monumentales : c'étaient donc ce qu'aujourd'hui nous appelons des praticables. Dans ce système le décor et la tente d'habillement (skênê) restaient deux choses distinctes ; et les personnages étaient supposés venir du dehors pour se réunir sur le lieu de l'action. Mais, moins de dix ans après les Sept, nous constatons dans l'Orestie un décor de nature toute différente. Ici le lieu de l'action est d'abord un palais (Agamemnon, Choéphores), puis un temple (Euménides), d'où sortent et où rentrent les acteurs. Ce qui revient à dire que désormais décor et skènè ne font plus qu'un. Le décor de l'Orestie, ce n'est autre chose que la paroi antérieure de la tente d'habillement, aménagée de manière à figurer la façade d'un palais ou d'un temple. Il est probable que, dès ce temps, la peinture aidait à l'illusion. Aristote, il est vrai, en attribuant à Sophocle l'invention des décors peints (skênographia), semble placer ce progrès un peu plus tard. Mais Vitruve, d'autre part, affirme qu'Agatharchos de Samos, peintre renommé du Ve siècle, avait le premier exécuté pour Eschyle une scène (scaena). Ces deux traditions ne sont pas, au fond, inconciliables : il se peut qu'à Sophocle revienne l'honneur de l'invention (il écrivait déjà depuis une dizaine d'années pour le théâtre, lors de la publication de l'Orestie), mais qu'Eschyle l'ait immédiatement mise à profit. On ne saurait, en revanche, ajouter une foi entière à ce qu'ajoute Vitruve dans la suite du même passage. A l'en croire, Agatharchos ayant publié un commentaire écrit sur son oeuvre, cet exemple aurait suggéré à deux illustres physiciens, Anaxagore et Démocrite, l'idée d'un traité où ils «enseignaient les moyens de peindre sur une surface plane des édifices, soit saillants, soit fuyants». Mais ce que nous savons de la peinture grecque au temps d'Agatharchos ne nous permet guère de croire que ce peintre ait connu et pratiqué les lois de la perspective. Tout au plus doit-on penser que, dans la représentation des objets matériels, la peinture servait déjà à rendre, par des teintes plates, la couleur réelle des choses. Cependant il reste incontestable que l'art de la décoration et, par conséquent, de la perspective théâtrales fit de très rapides progrès, car nous trouvons, dès la fin du Ve siècle, des peintres, Apollodoros d'Athènes et Clisthène d'Erétrie, qui font métier de skènographes, c'est-à-dire de peintres de décors. L'usage de la toile de fond, dans le théâtre grec, date donc au plus tard de cette époque.

L'ensemble des décors que réclament les tragédies conservées peut se ramener à quatre types principaux.

  1. Le temple. Ce décor semble avoir consisté généralement en trois parties : au centre, le temple proprement dit ; des deux côtés, des annexes, qui variaient selon les circonstances (habitation des prêtres, bois sacré, mur du téménos, etc). Le temple de l'Ion d'Euripide, qui est décrit dans la pièce avec assez de détail, peut nous donner une idée de ce genre de décor. Il offrait un portique à colonnes, exhaussé sur des degrés, sous lequel se dressait l'autel d'Apollon. La décoration sculpturale en était très riche : elle représentait, entre autres sujets, deux groupes (Héraclès et l'hydre, Bellérophon et la Chimère), et trois scènes de Gigantomachie.

  2. Le palais. Dans le théâtre grec, temple et palais ne différaient guère. Cette quasi-identité tient sans doute, comme l'a supposé M. E. Reisch, à ce que, dans la démocratique Athènes, il n'existait point de véritables demeures princières, pouvant servir de modèles : en conséquence de quoi on adapta à cet usage le temple. Les palais de théâtre se composent ordinairement de trois parties, ayant chacune une porte : la demeure royale, au centre ; d'un côté, l'appartement des femmes ; de l'autre, l'appartement des hôtes. Telle est déjà la disposition du palais dans les Choéphores. A l'occasion, les deux annexes latérales que nous venons d'indiquer pouvaient être remplacées par quelque autre, mieux appropriée aux circonstances ; c'est ainsi que, dans Andromaque, on voyait sur l'un des côtés un sanctuaire de Thétis ; dans les Bacchantes, d'un côté le mur de clôture d'un terrain sacré, et de l'autre une écurie. Les textes signalent en outre l'existence d'un étage supérieur, la hauteur et l'aspect imposant des portes la richesse ornementale de l'ensemble : colonnes, triglyphes, etc.

  3. La tente. Ce décor, moins fréquent que les précédents, se rencontre encore cependant dans cinq des pièces conservées (Ajax, Hécube, Troyennes, Iphigénie à Aulis, Rhesos). Dans toutes il s'agit de la tente militaire d'un roi. Il faut se représenter un baraquement en bois, mais spacieux, orné peut-être par devant (comme déjà chez Homère) d'un portique, et probablement flanqué, à droite et à gauche, de tentes plus modestes pour les femmes et les serviteurs.

  4. Le paysage rustique ou marin, représentant des chaumières, bosquets, cavernes, rochers (Philoctète et Oedipe à Colone de Sophocle, Electre d'Euripide). Sur cette variété de décor, usitée particulièrement dans le drame satyrique, voir Satyricum drama.

La scène comique, dit Vitruve, «présente l'aspect de maisons privées, avec des balcons et des fenêtres ayant vue sur le dehors, à la manière des habitations ordinaires». A cette description générale correspond assez exactement déjà, quatre siècles auparavant, le décor qu'on est en droit d'imaginer pour la plupart des comédies d'Aristophane. Mettons, tout d'abord, à part les Oiseaux dont l'action se passe, par exception, dans un cadre satyrique. Les Ecclésiazouses demandent, comme décor,trois maisons côte à côte ; les Nuées deux, les Chevaliers, les Guêpes et le Ploutos une seule. Dans Lysistrata, il faut imaginer deux maisons et, au milieu, entre elles, le rempart et la porte de l'Acropole ; dans les Thesmophoriazouses, le temple de Déméter et la maison du poète Agathon. Mais il reste trois pièces dont la mise en scène, si l'on prenait à la lettre les allusions du texte, eût été aussi savante que compliquée. Tels sont, d'abord, les Acharniens, dont l'action se passe successivement à la ville (en trois endroits différents, sur la Pnyx, devant la maison d'Euripide, devant celle de Lamachos) et à la campagne (devant la maison du paysan Dicéopolis). La Paix offre, semble-t-il, des difficultés plus graves encore ; car, tandis qu'au début et à la fin de la pièce nous sommes sur terre devant le logis de Trygée, le milieu nous transporte au ciel devant le palais de Zeus. De même encore l'action des Grenouilles voyage du temple d'Héraclès, sur la terre, au palais d'Hadès dans les enfers. Il n'y a lieu cependant, dans aucun de ces trois cas, de supposer ni décor merveilleux, ni changements à vue. Le plus vraisemblable est qu'on recourait tout uniment au décor simultané ou juxtaposé. Les divers lieux où devait se transporter l'action au cours de la pièce (c'est ce qu'au moyen âge on appellera des mansions) étaient d'avance figurés côte à côte sur la scène. Et l'on voyait ainsi voisiner la ville et les champs, la terre et le ciel ou les enfers. Par conséquent, il est probable que dans les Acharniens le décor était permanent et se composait de trois maisons juxtaposées (au milieu celle d'Euripide, à droite et à gauche celles de Lamachos et de Dicéopolis) et de quelques bancs, à droite, figurant la Pnyx. Le décor de la Paix, tout aussi simple, comporte deux maisons : l'une est la demeure terrestre de Trygée ; l'autre, placée peut-être à un niveau légèrement supérieur, est le palais céleste de Zeus. Enfin on voyait dans les Grenouilles deux maisons encore : à droite, celle d'Héraclès ; à gauche celle de Pluton. Les maisons de comédie sont le plus généralement contiguës ; quelquefois cependant une ruelle (diodos) les sépare. Comme dans la réalité, elles ont un étage supérieur, avec des fenêtres (probablement aussi des balcons) et un toit plat praticable. Devant chacune se dresse l'autel d'Apollon Agyieus.

Dans la comédie nouvelle le décor que nous venons de décrire devient typique et à peu près immuable. La plupart des comédies de ce temps ont pour cadre une rue ou une place publique, bordée de maisons particulières, d'où sortent et où rentrent les personnages intéressés à l'action.

Sur le décor du drame satyrique voir Satyricum drama.

De même que l'interprétation de nos opéras modernes, celle de tout drame grec était une chose très complexe et qui exigeait le concours de plusieurs arts : 1° exécution vocale, c'est-à-dire déclamation, cirant et récitatif [Canticum, Chorus] ; 2° musique [Musica] ; 3°danses et évolutions [Chorus, Saltatio]. Nous nous bornons ici à renvoyer aux articles spéciaux.

Les spectacles dramatiques, à Athènes, commentaient, dès le lever du jour. On s'y rendait en habits de fête et la tête couronnée. Les personnages honorés de la proedrie étaient conduits à leur place processionnellement et en corps. Des emplacements distincts étaient, en outre, réservés aux membres de la Boulé (to bouleutikon), aux éphèbes (to ephêbikon), peut-être aussi aux étrangers, et aux juges du concours. Toutes les autres places étaient accessibles à qui avait payé les deux oboles d'entrée [Dionysia]. La question, longtemps controversée, de savoir si les femmes étaient admises au théâtre paraît aujourd'hui définitivement tranchée dans le sens de l'affirmative. Voyez sur ce point l'article Comoedia. On trouvera dans ce même article des indications sur la façon dont les places étaient réparties entre cette foule immense de spectateurs que Platon évalue à 30 000. Après un certain nombre de cérémonies préliminaires, la séance s'ouvrait par une lustration faite avec le sang d'un jeune porc. Le sort décidait de l'ordre dans lequel seraient joués les poètes concurrents. Le commencement de chaque pièce était annoncé par le son de la trompette. Comme les séances se prolongeaient jusque dans l'après-midi, il fallait manger et boire pendant le spectacle. Parfois les chorèges ou des particuliers généreux faisaient circuler des gâteaux et du vin. Sur les manifestations extérieures, en général plus bruyantes que de nos jours, par lesquelles la multitude exprimait ses sentiments de sympathie ou d'hostilité, voyez Comoedia. La police de la salle était faite par les rhabdoukhoi, agents armés de verges qui siégeaient sur la thymélé, le visage tourné vers le public. Pendant la représentation, le poète, à ce qu'il semble, se tenait à l'intérieur de la skènè, ou, comme nous dirions, dans les coulisses. A la fin du concours avait lieu le classement des poètes concurrents, prononcé au scrutin secret par les juges désignés. Les opérations complexes de ce classement ont été exposées à l'article Dionysia.

Dans chaque concours, tragique ou cornique, trois prix étaient décernés : au poète, au chorège, au protagoniste vainqueurs. La récompense des poètes avait, dit-on, consisté à l'origine en des dons en nature. Le poète tragique remportait un bouc ; le poète comique un panier de figues et une jarre de vin. A l'époque classique, le prix officiel de poésie dramatique ne fut plus qu'une simple couronne de lierre, proclamée par le héraut et que le poète recevait de l'archonte en plein théâtre. Mais avec le prix, qui était le privilège du vainqueur, il ne faut pas confondre les honoraires. Ceux-ci étaient touchés par tous les poètes qui avaient concouru, et semblent avoir été porportionnels au rang mérité par chacun d'eux. Vers la fin du Ve siècle, sur la proposition de deux trésoriers publics, Archinos et Agyrrhios, qui se vengeaient ainsi d'injures personnelles, le salaire des poètes comiques fut abaissé. Quant au prix du chorège, on a longtemps admis que, dans les concours dramatiques aussi bien que dithyrambiques, c'était un trépied d'airain. Mais cette assimilation était erronée : il est aujourd'hui reconnu que tous les textes où il est fait mention d'un trépied ont trait exclusivement à des concours dithyrambiques. Comme le poète dramatique, son chorège ne recevait sans doute qu'une guirlande de lierre. Et telle était aussi, probablement, la récompense du protagoniste vainqueur. Mais chaque protagoniste touchait, en outre, de l'Etat une rétribution en argent.

La fête des Grandes Dionysies était clôturée par une assemblée du peuple, qui se réunissait le surlendemain au théâtre même, et dans laquelle on examinait la gestion de l'archonte. On y votait aussi des éloges, des couronnes, des statues aux magistrats qui, par leur activité et leur zèle, avaient contribué à l'éclat des concours, par exemple au Conseil des Cinq cents, aux épimélètes, à l'agonothète. Inversement, les plaintes (probolai) y étaient reçues contre ceux qui avaient commis quelque délit relatif à la fête. C'est une plainte de ce genre que porta Démosthène contre Midias.

A la suite de chaque concours l'Etat en consignait les résultats dans des procès verbaux qui restaient aux archives. A une époque qu'il est difficile de déterminer (peut-être dès le milieu du IVe siècle), ces procès-verbaux furent transcris sur des stèles de marbre qu'on exposa, les unes sur l'Acropole, le plus grand nombre aux abords du théâtre. Par la suite on prit soin, à intervalles irréguliers, de compléter et de tenir au courant ces copies. Les fouilles en ont rendu à la lumière un certain nombre [Didaskalia]. La suite de ces documents constituait les fastes complets du drame attique. C'est Aristote qui le premier en comprit le haut intérêt et qui les publia avec notes et éclaircissements. Ses Victoires dionysiaques et lénéennes et ses Didascalies dérivaient directement de cette source. C'est là aussi que Callimaque avait trouvé les éléments de son Tableau chronologique des didascalies depuis l'origine. Eratosthène et son élève Aristophane de Byzance y avaient également puisé pour écrire, l'un son grand traité Sur l'ancienne comédie, l'autre pour rédiger ses Arguments (Upotheseis), mis en tête des drames des tragiques, sa Liste des drames, son livre Contre les tableaux de Callimaque. Il faudrait citer beaucoup d'autres noms encore : Carystios de Pergame, auteur d'un livre Sur les didascalies, Cratès, etc.. De toutes ces recherches il ne reste plus, malheureusement, que quelques fragments épars dans les arguments et les scolies des drames subsistants ; débris infiniment précieux, car c'est grâce à ce petit groupe de faits et de dates authentiques que la science moderne peut encore reconstruire, dans ses traits généraux, le développement historique du drame attique.

Rien de plus honorable pour un citoyen athénien qu'une victoire chorégique. Aussi les chorèges se préoccupaient-ils d'en perpétuer le souvenir par un signe matériel. C'était l'usage, à la suite d'une victoire dithyrambique, de consacrer à Dionysos le trépied d'airain décerné par l'Etat, en l'exposant au haut d'une colonne ou d'un édicule qui lui servait de piédestal. La guirlande de lierre que recevaient les chorèges dramatiques était, naturellement, tout à fait impropre à un tel emploi. C'est pourquoi les ex-voto de ces chorèges présentent plus de variété.

Peut-être offrait-on parfois, à la place de la couronne de lierre, une imitation de cette couronne en métal précieux. Mais la pratique la plus commune, au Ve siècle, consistait à exposer une plaque de marbre, décorée de bas-reliefs ou de peintures, avec inscription dédicatoire. Le luxe des ex-voto scéniques alla, du reste, croissant. Dans une inscription de la première moitié du IVe siècle, nous voyons trois chorèges de la même famille faire hommage à Dionysos d'une statue et d'un autel. Plus fastueux encore était le monument, haut d'environ 9 m. 50, élevé en 306 par l'agonothète Xénoclès.

Enfin une autre forme d'offrande, spéciale peut-être à la chorégie comique, consistait à consacrer l'équipement du choeur, ou du moins certaines pièces caractéristiques de ce costume, telles que couronnes, masques, accessoires. A tous ces monuments étaient jointes des dédicaces. Le nombre des inscriptions chorégiques rassemblées au Corpus est considérable. Mais la plupart se rapportent au dithyrambe, non au drame. Les dédicaces dramatiques se reconnaissent à ce signe constant que le nom de la tribu n'y figure pas : omission qui atteste leur caractère purement privé. Il n'est pas douteux que, comme les chorèges (mais cependant d'une façon moins constante), les poètes et les acteurs vainqueurs n'aient aussi consacré des ex-voto.

Le théâtre grec avait été concu exclusivement en vue des représentations dramatiques et dithyrambiques. Mais, comme il ne servait, chaque année, que pendant quelques jours à cet usage, et que, par sa forme, il était excellemment approprié à recevoir des foules, on comprend que l'habitude se soit introduite d'y tenir les assemblées populaires (ekklêsia en tô theatrô). Dès l'époque classique avait lieu, nous l'avons vu, à la suite des Grandes Dionysies, une assemblée, en quelque sorte religieuse, au théâtre, où l'on délibérait sur les incidents de la fête. C'est probablement ce précédent qui donna l'idée d'utiliser l'édifice pour d'autres réunions du peuple. On trouve quelques cas isolés d'assemblées extraordinaires tenues au théâtre dès le Ve siècle (par exemple, lors de l'abolition de la tyrannie des Quatre cents) et au IVe (par exemple, à l'occasion de la prise d'Elatée par Philippe, en 377). Mais ce n'est qu'à dater du milieu du siècle suivant que l'usage devint régulier. Cet emploi du théâtre est également attesté dans d'autres cités qu'Athènes, et il était devenu général au temps de Cicéron. De quel endroit parlait l'orateur ? Certains textes, qui ne sont pas toutefois décisifs, laissent croire qu'il se tenait, non sur le proskènion, mais sur une tribune en bois élevée à cet effet dans l'orchestra. Le théâtre fut également utilisé, à partir d'une certaine époque, pour des luttes et exhibitions de toute sorte, qui n'avaient aucun rapport avec l'art scénique. Dès les débuts du Ve siècle on y avait donné des combats de coqs. Plus tard on y vit des charlatans, avaleurs de sabres, montreurs de marionnettes, prestidigitateurs, etc. Enfin, à l'époque romaine, les combats de gladiateurs, les chasses aux bêtes, les naumachies en bannirent le drame et nécessitèrent même des remaniements de l'orchestra.


Article d'Octave Navarre